Corps de l’article

Introduction

Notre propos s’inscrit dans un courant émergent qui s’attache à explorer les fondements du champ scientifique (Bourdieu, 1976) du partenariat école-famille-communauté sous l’angle des discours scientifiques (Lighfoot, 2004 ; Doucet, 2011). L’article vise à expliciter, sur une base structurale, les principes relationnels véhiculés dans la documentation scientifique. Pour ce faire, nous présenterons les résultats d’une analyse lexicométrique (Grenon, 2000) de la documentation scientifique anglo-saxonne effectuée selon les principes de la conceptualisation définis par Rodgers (1989) et appliquée à un ensemble de définitions du partenariat école-famille-communauté qui comportent des principes relationnels. Notre démarche de nature conceptuelle (Rodgers, 1989) comprend deux grands axes : celui de la signification des concepts et celui de leurs usages.

Dans un premier temps, nous présenterons le champ scientifique du partenariat école-famille-communauté ainsi que les discours qui y sont véhiculés, en mettant en évidence la signification qu’y prennent les concepts (partenariat école-famille-communauté, collaboration, engagement parental) que nous étudions. Cela nous permettra de poser le cadre de notre démarche, de la justifier et de définir ce que nous entendons par discours. Puis, nous présenterons ces concepts et nous les problématiserons en montrant comment ils s’inscrivent dans une logique réductionniste. Ensuite, nous aborderons notre démarche d’analyse, après quoi nous présenterons les résultats, puis nous les discuterons. Nous conclurons en identifiant la contribution de nos analyses pour le courant de recherche émergent sur les discours scientifiques et en soulevant des pistes d’investigation (Doucet, 2011). La structure privilégiée de l’article permet de nous situer dans une finalité de conceptualisation tout en respectant les exigences d’une démarche empirique.

Le champ scientifique du partenariat école-famille-communauté

Il apparaît que le partenariat école-famille-communauté forme un champ (Montandon, 1996 ; Driessen, Smit et Sleegers, 2005), en particulier un champ scientifique (Lareau, 1996 ; Vincent et Tomlinson, 1997 ; Graue, 1998), c’est-à-dire le :

lieu (c’est-à-dire l’espace de jeu) d’une lutte de concurrence qui a pour enjeu spécifique le monopole de l’autorité scientifique inséparablement définie comme capacité technique et comme pouvoir social.

Bourdieu, 1976, p. 89

Mettant en évidence le caractère éclaté de ce champ, certains auteurs (Mattingly et al., 2002 ; Sheridan, 2005 ; Theodorou, 2007) prétendent que le grand nombre d’inconsistances qui y prévalent nuit à la constitution d’un corpus de savoirs réifiés. D’une recherche à une autre, la typologie et le modèle conceptuel, les définitions, les indices de mesure et les méthodes de collecte et d’analyse de données employées diffèrent considérablement, ce qui rend les études peu comparables entre elles (Baker et Soden, 1998 ; Kratochwill et Hoagwood, 2005). D’ailleurs, en référant au champ des sciences de l’éducation, Larose, Couturier, Bédard et Charrette (2011) montrent comment les fondements méthodologiques de ces éléments structurants nuisent à la capacité d’en identifier des résultats probants par le biais de méta-analyses consistantes.

D’autres auteurs (Epstein et Hollifield, 1996 ; Mole, 1996 ; Hill et Taylor, 2004 ; Sheldon et Van Voorhis, 2004) soulignent au contraire qu’il y a eu consolidation du champ scientifique du partenariat école-famille-communauté dans les années 1990, puis dans la première décennie des années 2000. Ils dégagent plusieurs indices qui attestent de sa légitimation et de sa diffusion large et croissante, à partir des États-Unis, dans les univers politique, social, institutionnel et scientifique. Ils considèrent que le fait, pour les chercheurs, de parler le même langage, de partager des préoccupations et des visions communes, largement reflétées dans les orientations des politiques éducatives et soutenues par celles-ci, ainsi que de prendre généralement appui sur un même modèle conceptuel, celui d’Epstein (1987, 1995), contribue à unifier le champ.

D’un autre côté, plusieurs auteurs (Graue, 1998 ; Edwards et Warin, 1999 ; Theodorou, 2007 ; Fernandez, 2010 ; Schnee et Bose, 2010 ; Bower et Griffin, 2011 ; Lareau et Muñoz, 2012) critiquent la prédominance des « modèles dominants », en particulier celui d’Epstein (1987, 1995) qui tend à s’imposer dans le champ et à former un discours monolithique, cela, notamment, par alliance élective avec le secteur politique présenté comme idéologiquement neutre. Dans la mesure où il sert de dispositif soutenant la conception, l’implantation et l’évaluation des programmes à base partenariale aux États-Unis, ce modèle est nommément présenté comme une « solution » à la problématique des inégalités sociales en matière d’éducation (Epstein, 1987 ; Epstein, 2010). À ce sujet, certains auteurs (David, 1993 ; Vincent et Tomlinson, 1997 ; Edwards et Alldred, 2000 ; Lareau et Lopes Muñoz, 2012) critiquent la diffusion large, dans la documentation scientifique, de modèles conceptuels et de « bonnes pratiques » constituant des formules présentées comme des « recettes magiques » qui gardent entiers les phénomènes d’inégalités, voire qui perpétuent, en les masquant, les dynamiques structurelles sous-jacentes qui animent les rapports école-famille en contexte de défavorisation socio-économique.

Qu’ils soient ou non rattachés à un modèle conceptuel, les concepts de partenariat école-famille-communauté, de collaboration et d’engagement parental qui sont véhiculés dans la documentation scientifique sont présentés comme neutres, mais ils se fondent en fait sur des éléments de discours implicites exprimant entre autres les prises de position des chercheurs au regard de la provenance socioculturelle ou socio-économique des familles ainsi que les postures épistémologiques de ceux-ci (Edwards et Warin, 1999 ; Nakagawa, 2000). Cela se traduit par le fait que les indices retenus pour définir le partenariat école-famille-communauté sont généralement le reflet d’un modèle scolaire (Ogbu, 1992) qui met l’accent mise sur des « activités » de nature institutionnelle et formelle (des rencontres de comités scolaires, etc.). Ces indices correspondent aussi à la culture des familles de classes supérieures, c’est-à-dire à leur univers symbolique (Grignon et Passeron, 1989) ou, sous un angle anthropologique, à leurs modes d’engagement privilégiés (Gutiérrez et Rogoff, 2003). Les chercheurs privilégient donc ce qui définit le modèle scolaire et la culture de ces familles. Ils construisent socialement une image négative des parents issus de milieux socio-économiquement faibles (mséf) et des conditions de leur engagement scolaire, ceci, notamment, par le concours des idéologies, des politiques éducatives et des discours véhiculés plus largement à l’échelle sociétale (Lawrence-Lighfoot, 1978 ; Ogbu, 1992 ; Cairney, 1994 ; Samaras et Wilson, 1999).

Les recherches sur les fondements des discours scientifiques concernant le partenariat école-famille-communauté sont récentes (Lighfoot, 2004 ; Doucet, 2011), mais, d’une part, elles réactualisent, sous la forme d’un courant scientifique, les idées véhiculées par Lawrence-Lighfoot (1978) et, d’autre part, elles puisent dans une abondante documentation, particulièrement produite en Angleterre, sur les discours politiques et institutionnels (Vincent et Tomlinson, 1997 ; Atkinson, 1999 ; Crozier et Davies, 2007). Ces auteurs montrent comment les concepts de partenariat école-famille-communauté, de collaboration et d’engagement parental sont souvent délibérément employés pour donner une fausse impression d’harmonie, de manière à masquer des rapports sociaux conflictuels et à solliciter les parents de mséf à l’école, en leur donnant l’illusion qu’ils y auront du pouvoir et un impact.

Nakagawa (2000) précise que les discours des chercheurs et de tierces catégories d’acteurs comme les enseignants correspondent à des façons de penser, de parler et d’écrire à propos du partenariat, de la collaboration et de l’engagement parental qui balisent la manière dont les parents doivent agir lorsqu’ils sont en relation avec l’école. Atkinson (1999) considère qu’avec les concepts (engagement parental, collaboration, etc.) et les principes (égalité, réciprocité, etc.) qui leur sont associés, le partenariat école-famille-communauté forme, dans le discours, une constellation conceptuelle, une forme de réseau sémantique qui investit un phénomène social d’une signification particulière. Cette constellation est assortie d’une image positivement connotée des rapports sociaux qui, tout en disposant d’un pouvoir d’attraction, donne une fausse impression d’harmonie et de consensus.

Au moyen de métaphores, Lighfoot (2004) dégage l’articulation des discours scientifiques autour de dichotomies (antinomies) :

This apparently simple and democratic term serves as a portfolio of meanings that separate and divide. It illustrates two of these meanings, which take the form of a conjoined metaphor of “full/empty,” or “lacking/having.” (…) I illustrate the persistence of the association between certain meanings and particular social groups by looking at examples of the use of metaphors of emptiness or deficit to characterize understandings of low-income and culturally, linguistically, or racially diverse parents.

p. 91

Pour Doucet (2011), ces discours dichotomiques, en prenant ancrage sur le plan socioculturel, constituent des formes de rituels, c’est-à-dire des systèmes de sens associés à des pratiques. En tant que tels, ils sont véhiculés au quotidien, sur une base performative, et ils sont indicibles et omniprésents. Ils sont une composante de la réalité des chercheurs qui en sont vecteurs sans en être conscients. Pour Doucet (2011), tout comme pour Lighfoot (2004), la documentation scientifique est un espace propice à la construction et à la diffusion de discours concernant le partenariat école-famille-communauté. Elle conclut son analyse en invitant les chercheurs à dégager les fondements, plus spécifiquement la structure, constituant l’infrastructure discursive des principes relationnels (réciprocité, mutualité, consensus, etc.) du partenariat école-famille-communauté. Tel que mentionné, ces principes, qui définissent ce partenariat, servent à en refléter une image consensuelle. Les termes employés pour circonscrire les concepts ne sont pas neutres et il conviendrait, toujours selon Doucet (2011), d’en repérer les structures discursives. Pour notre propos, nous retenons l’aspect structural du discours (Atkinson, 1999), sa composante dichotomique (Lighfoot, 2004) ainsi que son champ d’application et ses usages (Doucet, 2011). En nous appuyant sur ces auteurs, nous considérons que les concepts sont construits discursivement, ce qui va dans le sens des travaux attestant de l’articulation entre la pensée (notamment sur le plan de la conceptualisation) et le langage (discours) (Gergen et Gergen, 1986 ; Rodgers, 1989 ; Törrönen, 2000 ; Törrönen, 2001 ; Vygotsky, 1978)[2].

Partenariat école-famille-communauté, collaboration et engagement parental : logique réductionniste

Les concepts de partenariat école-famille-communauté, de collaboration et d’engagement parental sont généralement inscrits dans une logique réductionniste (Graue, Kroeger et Prager, 2001 ; Theodorou, 2007) marquée, pour Overton (1998), par la tendance à découper les phénomènes sociaux en unités disparates pour les regrouper ensuite selon un principe additif, sans prise en compte du contexte. Cela conduit notamment à faire l’économie de leurs propriétés processuelles. Plutôt que de les appréhender de manière holistique, les chercheurs prennent en compte l’un ou l’autre des niveaux d’analyse (proximal versus distal) auxquels ils se prêtent. Cela transparaît aussi dans la tendance à appréhender l’école et la famille comme des unités distinctes ou à les situer sur un plan vertical et hiérarchique, plutôt que les saisir, sur une base horizontale, comme deux systèmes en interaction qui forment une unité fonctionnelle (Price-Mitchell, 2009; Boulanger et al., 2011). Identifions quelques-unes des manifestations de ce réductionnisme dans le champ du partenariat école-famille-communauté.

Premièrement, ce concept et ceux de collaboration et d’engagement parental sont confondus entre eux et appréhendés comme des synonymes (Mattingly et al., 2002 ; Theodorou, 2007), ou inversement clairement distingués selon un critère (scission de l’environnement, additivité, etc.) basé sur une conception réductionniste des phénomènes sociaux à l’étude et de l’environnement social dans lequel ils se déroulent (Graue, 1998 ; Pushor et Murphy, 2004 ; Price-Mitchell, 2009). L’engagement parental est généralement appréhendé comme un aspect particulier du partenariat école-famille-communauté et non pas comme un phénomène social à part entière (David, 1993). Le partenariat, qui est saisi à un niveau global et distal de l’environnement, relève des rapports « fonctionnels » entre les systèmes école et famille, alors que l’engagement parental est épisodique, il survient de manière circonstancielle et il touche non pas aux systèmes ou aux institutions, mais à une série d’individus (Epstein, 1987 ; Christenson, 1995). En apparence fondée sur l’affirmation d’une lecture holistique des phénomènes sociaux, cette perspective s’appuie sur une décontextualisation de l’action, l’engagement n’étant essentiellement rien sans le partenariat qui lui fournirait un cadre structurant (Valle et Aponte, 2002). Or, à ce sujet, les auteurs omettent généralement de prendre en compte les processus locaux sur lesquels s’appuie tout élément structurant, tels que les dispositifs (par exemple, les plans d’action aux États-Unis et en Angleterre) et les programmes à base partenariale (Gutiérrez, 2008 ; Boulanger et Larose, 2013). Il y a donc une scission entre les niveaux d’action respectifs auxquels réfèrent le partenariat et l’engagement avec, simultanément, dévaluation de ce qui est contextuel. La collaboration, qui renvoie à des processus dynamiques d’interaction, est aussi moins documentée et privilégiée que le partenariat touchant à l’aspect fonctionnel de l’action, voire formel (Valle et Aponte, 2002 ; Boulanger et al., 2011). Dans le cas qui nous occupe, nous renvoyons au partenariat école-famille-communauté pour désigner le champ, cela par convention (Driessen, Smit et Sleegers, 2005), tout en sachant qu’il puise, historiquement, dans des initiatives locales et communautaires relevant de l’engagement parental appréhendé comme phénomène social à part entière (David, 1993). Nous choisissons ce concept, plutôt que celui d’implication parentale, à cause de l’accent mis sur la dimension relationnelle (Pushor et Murphy, 2004).

Deuxièmement, mentionnons la tendance à considérer l’engagement parental et le partenariat (ou la collaboration) école-famille-communauté comme des pratiques ou des activités, alors que ces concepts, qui sont peu définis, se limitent en fait à une série de stratégies de sollicitation parentale ou d’intervention visant à encadrer les conditions de l’investissement parental en fonction des finalités poursuivies par les enseignants (Haynes et Ben-Avie, 1996 ; Fernandez, 2010). Nous voyons peu, dans les modèles conceptuels, comment ces pratiques sont co-construites et participent d’une relation émergente entre les acteurs.

Troisièmement, les finalités que doivent poursuivre les parents de mséf sont données au départ, plutôt que de découler d’un processus de négociation entre eux et les enseignants (Graue, Kroeger et Prager, 2001). Il en va de même de leur rapport à l’objet d’intervention (l’enfant) qui, plutôt que d’être construit par le parent, ou négocié sur une base relationnelle, est attribué par les enseignants qui définissent et, dans une certaine mesure, lui imposent des responsabilités et des obligations (Graue, 1998 ; Samaras et Wilson, 1999 ; Auerbach, 2007). Les typologies et les modèles conceptuels, fondés sur la présomption d’un consensus et d’un partage harmonieux de la responsabilité éducative entre ces deux interlocuteurs, éludent généralement la question de la présence d’un écart culturel (au plan symbolique) entre l’école et la famille, en contexte de défavorisation socio-économique (Lareau et Lopes Muñoz, 2012). Une telle « conception » consensuelle des rapports école-famille-communauté, s’appuyant sur une image particulière de ce que sont et de ce que doivent être l’engagement parental, la collaboration et le partenariat, relève d’un discours monolithique, aspect traité au préalable (Graue, 1998 ; Lighfoot, 2004).

L’inscription des concepts de partenariat école-famille-communauté, de collaboration et d’engagement parental dans une logique réductionniste fait apparaître une scission des phénomènes sociaux et de l’environnement dans lequel ils prennent part, une tendance à la décontextualisation de l’action et une propension à faire l’économie des dimensions processuelle et relationnelle. Ce sont ces constats qui ont conduit Doucet (2011) à inciter les chercheurs à repérer les aspects structuraux des discours scientifiques au regard des principes relationnels du partenariat école-famille-communauté.

La démarche d’analyse : considérations méthodologiques

Méthodes de recueil de données

Nous avons effectué une recension des écrits préliminaire (Fortin, Côté et Filion, 2006), à partir des principales banques de données en éducation, en psychologie et en sociologie (Academic Search Complete, Proquest, ERIC, PsycList, Current Contents, Dissertation Abstracts, Social Work Abstracts, Francis) et au moyen d’une série de mots clés (partenariat, collaboration, coordination, concertation, coopération, implication, participation, engagement, lien et connexion) que nous avons appariés et associés à des indices propres aux acteurs concernés (enfants, parents, personnel scolaire, professionnel et enseignant) et aux contextes investigués (école, famille, communauté). Nous avons restreint notre recherche à la documentation anglo-saxonne produite depuis 1995, alors qu’Epstein publie la dernière version de son modèle conceptuel et que nous nous situons au lendemain de l’adoption de la politique éducative Goals 2000 (États-Unis) au fondement des recherches et pratiques dans notre champ scientifique, et jusqu’en 2011. Nous avons ciblé l’Angleterre, l’Australie et les États-Unis, soit les trois principaux piliers du discours international sur le partenariat école-famille-communauté (David, 1993).

Parmi les 400 articles identifiés comme pertinents – ils devaient contenir une définition opératoire et identifier des principes relationnels –, après la lecture des titres et résumés des 700 manuscrits générés au départ, nous en avons retenu 30 qui présentaient des définitions claires et explicites comprenant des principes relationnels (par exemple, réciprocité et formation d’un consensus). Nous n’avons pas seulement ciblé le partenariat école-famille-communauté, pour éviter de surpondérer ses dimensions, mais nous avons aussi inclus les concepts de collaboration et d’engagement parental. Aux 30 articles retenus s’ajoutent six manuscrits (volumes et articles scientifiques) constituant des références de base et fondements du champ couvert et parus avant 1995. Nous disposons au total, de 36 textes produits par 34 auteurs et contenant 57 définitions. Afin de tenir compte des contextes de production de sens propres à chaque univers que constituent les textes (Rodgers, 1989), nous avons regroupé ceux-ci en fonction de leur auteur, ce qui en porte le nombre à 34[3].

Méthode d’analyse de données

Sur un plan épistémologique et théorique, nous situons notre démarche au regard des principes qui balisent un exercice de conceptualisation selon Rodgers (1989). Pour lui, le concept s’insère dans une « constellation conceptuelle » (Atkinson, 1999) construite discursivement et ancrée dans des pratiques et des rapports sociaux desquels il tire sa signification (Doucet, 2011). Rodgers (1989) renvoie à la signification du concept qui exprime, sur le plan épistémologique, le rapport de l’acteur à des objets de savoirs. Il réfère aussi aux usages d’un concept[4]. Nous nous attarderons surtout à cette deuxième dimension, tout en sachant que la signification d’un concept et ses usages sont intrinsèquement liés.

Les usages dont le concept est l’objet sont ceux d’un ensemble d’acteurs situés dans des systèmes et des contextes variés. À cet égard, la démarche conceptuelle consiste essentiellement à détecter les attributs (des principes relationnels, par exemple) du concept et à circonscrire leur configuration d’ensemble. Délimiter le champ d’application[5] du concept suppose aussi de clarifier le spectre des événements, situations et phénomènes concernés. Nous devons alors procéder au repérage de la structure qui organise les différents attributs du concept, en tenant compte d’éléments contextuels tels que la nature de l’acteur et le lieu (par exemple, école et famille).

Pour donner un ancrage méthodologique à ces principes de conceptualisation, nous avons recouru à l’analyse factorielle des correspondances des formes et des segments répétés du discours (Grenon, 2000). Nous avons alors procédé à l’analyse statistique de la distribution des composantes des énoncés de définition. Pour saisir les données pour analyse statistique textuelle, nous avons eu recours au logiciel Le Sphinx-Lexica. Le discours des individus, en ce qu’il porte sur un objet commun et en ce qu’il se réfère à l’usage d’un vocabulaire contextualisé, implique la présence de concepts stables représentés par le recours à des structures lexicales (mots) et pragmatiques (segments de phrases) récurrentes et communes. Ces éléments discursifs constituent le contenu même des dimensions que les sujets partagent au regard d’un concept ou d’un objet symbolique. On nomme ces mots ou segments, formes banales.

L’objectif principal de recourir à cette technique développée par Benzécri (1980) est de représenter, à l’aide de graphiques, “l’information” contenue dans le tableau des données affichées en fonction du corpus. Un certain nombre de formes (mots) ou de segments (concepts) caractérisent des individus en particulier. Ces éléments discursifs, en ce qu’ils portent sur des opérateurs (verbes, actions, segments correspondant à des concepts prescriptifs), reflètent la position plus ou moins décentrée d’individus par rapport dans le plan factoriel. Ces positions décentrées reflètent à leur tour les composantes de variances individuelles résiduelles ou, plus concrètement, la part de variance non expliquée par la prise en considération successive des facteurs correspondant aux axes d’un plan factoriel. Ces facteurs comportent des polarités indiquant les limites extrêmes du champ d’application des concepts entre lesquelles sont distribués les divers contenus et se présentant sous forme de continuum. C’est à ce niveau que nous pouvons, à l’instar de Lighfoot (2004), repérer des antinomies. Cette méthode, qui s’applique également à diverses formes de productions discursives (textes, verbatims d’entrevues, etc.), est considérée comme particulièrement appropriée pour dégager la spécificité ou, au contraire, la « généralisabilité » de diverses composantes du discours, soit sur une base temporelle, soit dans la recherche de leur représentativité au plan du discours social (Leimdorfer et Salem, 1995). Dans le cas qui nous occupe, nous avons davantage investi la dimension qualitative que quantitative de cette méthode d’analyse. Nous avons référé à des indicateurs quantitatifs généraux pour repérer des éléments de discours, après quoi nous avons procédé à une analyse thématique en référant aux contextes des mots.

Analyse des principes relationnels du partenariat école-famille-communauté

Présentation du plan factoriel

Dans le plan factoriel[6], présenté plus bas, les sujets représentant les auteurs sont désignés par des carrés rouges, alors que les termes (principes du partenariat école-famille-communauté) sont associés à des carrés bleus[7]. Le carré rouge, au centre, regroupe les mots qui contribuent le plus au discours modal. Les deux cercles verts renvoient aux discours périphériques que nous analysons pour les dimensions de collaboration et d’engagement (implication) qui sont reflétées.

Les cercles englobent les mots désignant les polarités des axes. Nous avons considéré les axes 1 et 2 qui sont représentés dans la figure 1, ainsi que l’axe 3 qui n’y paraît visuellement pas, mais qui influence tout autant la répartition des éléments de discours. Nous avons fait l’analyse du plan factoriel des axes 1 et 3 qui n’est pas présentée dans l’article. Le troisième axe explique une bonne part de la variance, soit 9,2 %, alors que les axes 1 et 2 représentent respectivement 14,3 % et 11,4 % de la variance. Comme il constitue une dimension sous-jacente du discours, le facteur, pour être explicité, suppose une part d’interprétation de la part du chercheur. Nous recourrons à des théories particulières pour donner sens aux trois facteurs repérés. À cet égard, nous mettrons à contribution des aspects théoriques dégagés dans la précédente section. Dans les prochaines sous-sections, nous présenterons les discours modaux et périphériques, puis nous définirons chacun des axes. Le lecteur est invité à retourner au plan factoriel afin de visualiser les éléments de discours présentés, en lien avec les concepts considérés.

Figure 1

Plan factoriel, deux premiers axes structurant les principes du partenariat école-famille-communauté

Plan factoriel, deux premiers axes structurant les principes du partenariat école-famille-communauté

-> Voir la liste des figures

Discours modal

Le discours modal se structure essentiellement autour de l’objet de l’action des acteurs, de leurs pratiques et de la relation qu’ils entretiennent entre eux. Premièrement, l’enfant désigne l’objet des pratiques éducatives parentales et des enseignants ainsi que l’objet et la raison d’être de leur partenariat. Le rapport à l’enfant définit leur champ de responsabilité éducative. Le parent entretient généralement un rapport plus personnel à l’enfant, alors que les enseignants interagissent avec lui sur une base plus impersonnelle. Bien que les responsabilités éducatives diffèrent d’un acteur à un autre, elles doivent s’inscrire en complémentarité. Le partage de la responsabilité éducative se définit par une mutualité des échanges, chacun des protagonistes sachant que l’autre agit de façon complémentaire sur l’objet qui le préoccupe. Il y aurait alors un certain consensus au niveau des intérêts et des buts ou des finalités auxquels les acteurs adhèrent conjointement, et ce, sur la base d’une entente.

Deuxièmement, le discours modal renvoie aux pratiques des acteurs. Dans la mesure où les enseignants ciblent l’enfant, ils doivent tenir compte de ce qui lui est véhiculé dans l’environnement familial, en termes d’objets d’apprentissage, et considérer les parents comme compétents sur le plan éducatif. L’accent est surtout mis sur les activités communes ou conjointes des parents et des enseignants et, dans une moindre mesure, de ceux-ci et des professionnels intervenant dans de tierces organisations de la communauté.

Troisièmement, le discours modal comporte une référence non négligeable à la relation parent-enseignant définie par l’accord et par le partage de buts et d’expertise entre eux. En ce sens, la relation, lorsqu’elle s’inscrit dans la mutualité, facilite ou permet un partage de la responsabilité éducative. Elle n’est pas plus précisément définie.

Discours périphériques

Le premier discours périphérique considéré prend forme autour du terme impliqué, dans le sens d’engagement parental. Le partenariat école-famille-communauté se définit par l’engagement des parents dans un processus relationnel dit collaboratif qui les associe aux enseignants. Ce partenariat qualifie aussi le processus décisionnel de l’école. Ces formes d’engagement dites actives supposent une égalité et une mutualité entre les acteurs. L’engagement dépend de la propension des acteurs à partager leurs responsabilités éducatives et à parvenir à un consensus ou à adhérer à des objectifs communs. Sous cet angle, le partenariat fournit les conditions de l’engagement parental. Les enseignants doivent soutenir supporter les parents, notamment par le biais de formations et d’informations qui sont des moyens de favoriser leur engagement.

Le deuxième discours périphérique circonscrit s’articule à la dimension de collaboration. Celle-ci est quelquefois désignée comme une composante particulière du partenariat. Dans cette acception, celui-ci passe par une collaboration mutuelle et égalitaire entre les parents et les enseignants. Dans la majorité des cas, les auteurs utilisent surtout l’un ou l’autre de ces concepts, parfois les deux, sans toutefois les distinguer. La dimension communautaire[8] est quasiment absente.

La collaboration parent-enseignant prend trois sens. Dans sa première acception, largement la plus répandue, elle caractérise l’adhésion à des buts communs, le partage de la responsabilité éducative et, parfois, la recherche de consensus entre parents et enseignants. La collaboration est quelquefois nommément définie comme un partage de buts ou de responsabilités éducatives. Elle renvoie alors à un processus par et dans lequel les parents et les enseignants recherchent un but commun et partagent leur responsabilité éducative. Ce processus s’exerce sur une base relationnelle, il implique un accord et il passe par l’échange d’informations et la mise en commun de points de vue sur l’enfant. Le fait de rendre disponible à l’autre sa compréhension ou ses interprétations relatives à l’enfant permet le consensus. Dans cette perspective marginale du discours, le consensus ne renvoie pas à une réalité objective, présumée, et à un donné, mais à un processus émergent. Cela suppose une connaissance et une reconnaissance du point de vue des parents et des forces émanant de la famille.

Dans sa deuxième acception, la collaboration est définie comme une relation. Dans le cadre de celle-ci, les interlocuteurs sont amenés à considérer leurs points de vue respectifs et donc à partager leur responsabilité éducative, à adhérer à des objectifs communs et à établir un consensus. La relation suppose l’échange et le fait de travailler ensemble. Sous cet angle et dans la perspective processuelle définie dans le paragraphe précédent, le consensus n’est pas donné avant la relation mais il se construit par, dans et à travers elle. Cette conception est en outre peu répandue.

Dans sa troisième acception, la moins manifeste, la collaboration est définie dans une visée de développement de services destinés à l’enfant et à sa famille. Sous cet angle, il s’agit surtout de la collaboration entre les enseignants et des intervenants du milieu. La dimension communautaire est à ce sujet peu développée. Il ressort aussi que la collaboration parent-enseignant suppose et passe par une mise en commun d’informations et de points de vue.

Les discours périphériques permettent de spécifier quelques-unes des composantes du discours modal. Ils précisent ce qu’est le consensus (un donné ou un processus) et sa modalité de mise en oeuvre, à savoir la relation. C’est à travers ces éléments de définition que s’insèrent l’engagement parental et la collaboration dans le champ du partenariat école-famille-communauté. S’agissant, en outre, de discours périphériques, ces éléments ne sont pas partagés par un ensemble d’acteurs (auteurs), mais sont spécifiques à quelques individus.

Les facteurs

L’ensemble des éléments de discours qui viennent d’être décrits et analysés s’organisent autour de facteurs correspondant aux deux axes identifiés dans le plan factoriel et d’un troisième. Chacun de ces trois facteurs comporte des polarités ou des antinomies. Nous retrouvons un facteur épistémique (axe 1), caractérisé par le rapport entre l’objet de l’action et le statut des savoirs, un facteur praxique (axe 2), fondé sur le lien entre l’activité et la relation et, finalement, un facteur contextuel (axe 3) associant deux composantes de l’environnement social, la famille et l’interaction école-famille.

Nous qualifions le premier facteur d’épistémique en nous appuyant sur la perspective de Schommer-Aikins (2004). Nous considérons alors l’objet et le statut des savoirs comme deux dimensions inter-reliées. Dans le discours étudié, le statut du savoir qualifie la source d’expertise, la force, le statut et la contribution des acteurs. Les statuts de savoir des acteurs sont considérés comme égaux. L’objet de l’action désigne ce que partagent les acteurs dans le cadre de leur activité conjointe, à savoir des buts et une responsabilité éducative. L’objet de leur action conjointe est alors considéré comme partagé.

Le deuxième facteur, que nous désignons par la dimension praxique (Jodelet, 2008), concerne l’activité et la relation sociale. La notion d’activité prend une large gamme d’acceptions : pratiques socioculturelles de la famille, pratiques ou stratégies mobilisées par des intervenants dans le but de solliciter les parents, engagement et pratiques éducatives des parents, action conjointe et partagée entre eux et les enseignants et, finalement, activités ponctuelles au sens d’ateliers ou d’événements scolaires. La relation, qui est conçue selon différents niveaux heuristiques, renvoie aussi à des aspects variés. Elle désigne le rapport (hiérarchique, égalitaire, de pouvoir, etc.) à l’autre, le lien (égalitaire), la connexion (basée sur le partage du pouvoir), la relation de travail (inscrivant le partenariat dans un cadre institutionnel), la relation émergente et la relation d’entraide fondée sur la mutualité et le respect.

En nous appuyant sur Sameroff (1983), nous qualifions de contextuel le troisième facteur. Celui-ci met en rapport la famille (microsystème) et le lien école-famille (mésosystème) comme contextes d’apprentissage. Dans le premier cas, il s’agit d’un contexte immédiat dans lequel se réalise une série d’apprentissages par le biais d’une relation proximale entre le parent et l’enfant. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un contexte plus global où le lien s’établit sur une base distale. La famille est définie comme un environnement structurant qui expose l’enfant à une culture. Bien que celui-ci y vive des relations proximales, le système famille est appréhendé dans sa globalité, à travers cette culture. La famille est aussi désignée comme un partenaire de l’école. Le lien école-famille est, de manière centrale, qualifié par les notions de pouvoir et d’égalité (ou d’inégalité). Il se définit alors par le pouvoir d’influence et la contribution de chacun des acteurs aux apprentissages et à la réussite éducative de l’enfant, ce qui dépend de leurs positions respectives dans le champ scolaire et de la nature hiérarchique ou, au contraire, égalitaire des rapports école-famille.

L’analyse des facteurs permet de soulever les dimensions antinomiques des discours, par la mise en évidence de certaines dimensions, dont celle de relation. Elle complète celle des discours périphériques. Elle met aussi en évidence les limites extrêmes entre lesquelles se situent les éléments du discours modal, pour chacun des trois axes (facteurs).

Discussion : les logiques d’usage des concepts et des principes relationnels

Sommairement, les analyses réalisées ont permis de dégager des tendances majeures. Le discours modal, qui s’articule à l’objet du partenariat, à la relation et aux pratiques des acteurs, permet de définir, sur un plan global, deux principes relationnels, à savoir le consensus des parents et des enseignants à propos de l’enfant et le partage de la responsabilité éducative entre eux. Ces principes se précisent à l’analyse des facteurs révélant certaines antinomies du champ et donc des zones de tension potentielles.

Le premier facteur met l’objet en rapport avec la finalité des acteurs. Nous savons que les auteurs tendent à circonscrire, chez les parents de mséf, à la fois le rapport à l’enfant et la finalité à partir d’un modèle scolaire et de manière décontextualisée. Les auteurs présument l’existent d’un partage de la responsabilité éducative et d’un consensus sont présumés. À ce sujet, c’est des discours périphériques que ressortent des conceptions alternatives. L’analyse du deuxième facteur a, en outre, montré que le rapport à l’enfant et les finalités relèvent du statut et de la position des acteurs dans le champ scolaire. Dans cette perspective, la prise en compte de la dimension de pouvoir permettrait de dégager comment et pourquoi ce rapport et ces finalités sont préétablis, prescrits et, dans une certaine mesure, imposés par les enseignants (Lareau et McNamara Horvat, 1999). Cet aspect est, en outre, peu ressorti, puisque les auteurs tendent généralement à parler des parents sans référer à leur origine socio-économique – mais en les définissant de manière générique à partir d’un modèle unique, celui des familles de classes moyenne et supérieure – et donc sans problématiser le partenariat en lien avec des facteurs structurels (Lareau, 1996).

L’analyse du deuxième axe, qui met en lien la relation, évoquée dans les discours périphériques, aux activités, soulève plus spécifiquement la tendance à réduire le partenariat à des activités qui sont vidées de leur composante relationnelle (Fernandez, 2010). Plutôt que d’être construit sur une base relationnelle, le partenariat s’exerce de manière hiérarchique et additive (Auerbach, 2007). Les parents de mséf doivent répondre favorablement aux invitations que leur lancent les enseignants et s’engager sur une base formelle et institutionnelle, sans quoi ils sont considérés comme peu motivés et difficiles à rejoindre (Crozier et Davies, 2007). Ils se voient imposer des doubles contraintes : s’engager de manière active, mais de façon posée et passive, se montrer intéressés et exprimer des requêtes, mais sans poser trop de question et sans initier le lien et, finalement, se montrer compétents, mais sans convoquer leur cadre de référence culturel. À ce propos, le lecteur peut se référer à Nakagawa (2000). Les pratiques partenariales sont alors simplement plaquées sur leur réalité qu’elles sont censées refléter. Après tout, il y a un consensus entre les parents, toute classe sociale confondue, et les personnels enseignants !

En privilégiant le partenariat école-famille, au détriment de l’engagement parental et de la sphère communautaire constituant un espace de médiation, les auteurs nous exposent à une autre antinomie qui est un corollaire de la précédente, soit l’insistance sur les rapports fonctionnels entre les systèmes, sans prise en compte, d’une part, des modes d’articulation entre les préférences culturelles des acteurs de ces systèmes et, d’autre part, des relations quotidiennes. C’est ce que soulève l’analyse du troisième axe qui oppose les contextes distal et proximal. Tel que cela se dégage de nos analyses, les auteurs privilégient le premier de ces deux contextes (Price-Mitchell, 2009). Nous avons vu que les processus proximaux apparaissent de manière périphérique et marginale dans le discours analysé. D’ailleurs, l’engagement parental est sous-évalué, parce qu’il s’inscrirait sur un plan unilatéral et qu’il ne permettrait pas l’articulation fonctionnelle de l’école et de la famille ainsi que la formation d’un consensus entre les acteurs.

Parallèlement, dans le discours modal, nous ne retrouvons pas les notions d’engagement parental et de collaboration école-famille-communauté, ce qui coïncide, d’une part, avec l’emploi le plus fréquent, dans la documentation scientifique, du concept de partenariat qui désignerait notre champ scientifique (Driessen, Smit et Sleegers, 2005) et, d’autre part, avec le fait de considérer l’engagement parental comme une forme moins noble de rapport école-famille ou comme une logique non-partenariale (Epstein, 1987 ; Epstein, 1995).

À la lumière de ce qui vient d’être discuté jusqu’à présent, transparaît la tendance à inscrire les concepts analysés dans une perspective réductionniste[9], notamment par la propension à les décontextualiser et à établir une scission entre les différents niveaux de l’action. Le fait même d’introduire des découpages dans le réel caractérise l’exercice de la science et, plus spécifiquement, l’acte d’analyse (Valsiner, 1988). Par ailleurs, le fait, pour les chercheurs, d’être porteur de discours, suppose un exercice de catégorisation, lequel implique une partition de l’univers en catégories (Gergen et Gergen, 1986). En outre, il importe de contextualiser les objets. Une fois les analyses effectuées, les différentes unités (ou les niveaux) qui ont été découpées doivent être, en dernière instance, réintégrées et contextualisées, sans quoi ces analyses tendront à s’inscrire dans une logique réductionniste (Gergen et Gergen, 1986)[10]. Sous cet angle, un champ scientifique se construit sur une base contextuelle, et tenant compte du rapport (dialectique) entre ses différents niveaux et objets.

Le champ du partenariat école-famille-communauté devrait être appréhendé non pas de manière monolithique, mais comme un espace de débats ouverts où entrent en tension dialectique des discours « dominants » et des discours « marginaux » (Lighfoot, 2004 ; Graue, 2005). À ce sujet, l’analyse des discours périphériques a contribué à faire ressortir des conceptions alternatives. Ainsi, certains auteurs s’attardent spécifiquement aux concepts de collaboration école-famille-communauté et d’engagement parental qui, pour eux, désignent les composantes processuelle et relationnelle du partenariat. Nous pouvons dès lors réintégrer le concept d’engagement parental dans le champ et le désigner comme un phénomène social à part entière qui est non réductible au partenariat et à la collaboration. Il y prend une connotation particulière.

Les auteurs associés au discours périphérique concerné par l’engagement parental le désignent comme un acte fortement connoté sémantiquement et culturellement par les parents de mséf. Il leur permet de communiquer aux enseignants leur mode d’engagement privilégié et leurs finalités (Gutiérrez et Rogoff, 2003). Certains auteurs (Becker et Epstein, 1982 ; Lott, 2001 ; Hoover-Dempsey et Sandler, 1997) mentionnent à ce propos que le contact entre les parents et les enseignants conduit ces acteurs à mieux se connaître. En outre, c’est notamment dans les travaux de Moll et ses collègues (1987, 1997) et de Gutiérrez et ses collaborateurs (2003, 2008) que nous retrouvons une réelle reconnaissance de la composante relationnelle inhérente à l’engagement parental. Nous proposons de désigner la relation comme un espace d’articulation entre les niveaux proximal et distal de l’action ou comme un catalyseur de ce processus d’« intégration dialectique ». Plus spécifiquement, en tant qu’acte, l’engagement parental peut être constitutif des rapports école-famille-communauté qui s’établissent sur un plan plus global. Sur une base proximale, le parent est appelé à affirmer, imposer et négocier son point de vue avec l’enseignant. Par et dans la relation, ces deux interlocuteurs produisent contextuellement un ensemble d’objets de savoirs qu’ils investissent de sens. Ils sont égaux dans la mesure où ils contribuent tous deux au processus relationnel. Il s’agit de la condition première de la construction d’un consensus social, indice de stabilité des liens (partenariat) et de constitution d’un noyau culturel (Moscovici et Vignaux, 2000). En outre, cette perspective relationnelle devrait aussi tenir compte des conditions structurelles des rapports école-famille et intégrer la dimension communautaire qui est peu ressortie de nos analyses.

Conclusion

Les analyses lexicométriques de la documentation scientifique que nous avons réalisées ont permis de dégager certains thèmes apparaissant de manière prépondérante – relation, pratique et objet du partenariat – tout autant que des discours périphériques qui soulèvent les dimensions processuelle et relationnelle dont les concepts de collaboration école-famille-communauté et d’engagement parental sont rarement investis chez les auteurs. La prise en compte de tels discours est de nature à soulever d’importantes zones de débats touchant à l’articulation entre ces différents concepts et, de manière sous-jacente, à leur niveau d’action. Nous croyons, à ce sujet, contribuer aux courants de recherche émergent sur les discours scientifiques, en nous situant notamment en continuité avec Doucet (2011).

En phase avec Lighfoot (2004), qui montre que notre champ est traversé d’antinomies, nous en avons dégagé trois formes : objet/finalité, pratique/relation et contexte proximal/distal. S’agissant, dans le premier cas, de dimensions épistémologiques ou épistémiques, nous avons répondu au besoin, soulevé par Price-Mitchell (2009), d’explorer cette composante de la recherche dans le champ du partenariat école-famille-communauté.

En outre, nous avons surtout fait, pour ainsi dire, un traitement unilatéral des antinomies identifiées en mentionnant laquelle des polarités, dans chacun des trois couples identifiés, apparaissait comme la plus investie dans la documentation scientifique. Une démarche plus en profondeur impliquerait de mettre en tension les différentes polarités, ce que nous avons fait, en outre, en mettant en dialogue différentes perspectives concurrentes. En référant au concept d’engagement parental, nous avons aussi suggéré comment des polarités peuvent interagir, la relation devenant le catalyseur potentiel d’une synthèse entre le distal et le proximal.

Au plan des limites, mentionnons aussi que les polarités identifiées pour chacun des facteurs ne s’inscrivent pas nécessairement dans un rapport d’opposition, pensons à l’activité et à la relation qui sont davantage complémentaires qu’antinomiques. Cela soulève des enjeux importants sur le plan épistémologique, les discours évoluant, dans un champ, autour d’antinomies (Moscovici et Vignaux, 2000). Selon nous, c’est dans la perspective dialectique présentée par ces auteurs que le champ scientifique du partenariat école-famille-communauté peut être appréhendé et qu’il peut échapper à la tendance au monolithisme. Nous avons en outre procédé à une exploration ayant permis de repérer des éléments de structure qui nous ont permis de réfléchir à ce champ. Nous sommes alors en mesure de proposer quelques chantiers de recherche.

La question des antinomies pourrait être explorée par le recours aux théories de l’activité (Engeström, 1987). Dans cette perspective théorique, il est d’ailleurs possible de penser l’« activité collaborative » – en permettant aussi de mieux définir ce concept – en l’articulant à différents niveaux d’action, ce qui est susceptible de consolider, par un solide ancrage théorique, notre réflexion sur le rapport proximal/distal (Boulanger et Larose, 2013). Une autre avenue de recherche prometteuse consisterait à mettre l’accent non pas sur les usages des concepts (et des principes relationnels qui leur sont associés) que nous avons explorés, mais sur la signification (dimension sur laquelle nous avons moins insisté) qu’en donnent les chercheurs, ceci, sous un autre angle, soit par exemple à partir d’un cadre d’analyse bernsteinien (Bernstein, 2007) ou bourdieusien (Bourdieu et Saint-Martin, 1975).