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Un nombre élevé d’enfants vivent dans un environnement familial marqué par la violence conjugale et cette réalité n’est pas sans conséquences. Chaque année, aux États-Unis, 10 millions d’enfants sont exposés à la violence conjugale (Straus, dans Peled et collab., 1995). Au Canada, de 1994 à 1999, environ un demi-million d’enfants ont entendu ou vu un parent se faire agresser (Centre canadien de la statistique juridique, 2000). Par ailleurs, il est évident que ces chiffres ne représentent qu’une partie de l’iceberg; ainsi, l’ampleur réelle du nombre d’enfants qui vivent dans un environnement de violence conjugale n’est pas connue.

La violence conjugale peut engendrer des conséquences négatives marquées sur les enfants et sur les adolescents et adolescentes. Les études font état des nombreux troubles présents chez les enfants, à savoir des problèmes physiques, psychologiques, comportementaux et cognitifs (Bourassa et Turcotte, 1999; Fortin et collab., 2000; Jaffe et collab., 1990). Les études effectuées sur des adolescents et des adolescentes sont moins nombreuses. Les recherches existantes indiquent que les adolescents et les adolescentes témoins de violence conjugale sont susceptibles de présenter des problèmes émotionnels et comportementaux (Bourassa, 2002; Carlson, 1990, 1991; O’Keefe, 1996), de même que des désordres psychiatriques (Pelcovitz et collab., 2000). De plus, ils risquent de reproduire la violence dans leur entourage (Spaccarelli et collab., 1995) ou dans leurs propres relations amoureuses (O’Keefe, 1998).

Ce texte rapporte les résultats d’une recherche effectuée auprès de 490 adolescents et adolescentes fréquentant des écoles secondaires au Nouveau-Brunswick. Après une présentation des résultats des recherches portant sur les enfants et sur les adolescents et adolescentes témoins de violence conjugale, le texte fait état, dans une deuxième partie, de la méthode utilisée pour conduire la recherche. En troisième partie, les résultats de l’étude sont indiqués. Tout d’abord, les relations entre la violence conjugale et les troubles de comportement, d’une part, et les relations avec les parents, d’autre part, sont décrites. Par la suite, il est question des effets médiateurs des rapports avec les parents dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement. La discussion esquisse quelques retombées pour l’intervention et définit les limites de la recherche.

Les effets de la violence conjugale

Les auteurs s’accordent maintenant pour dire que les enfants et les adolescents et adolescentes qui vivent dans un climat de violence conjugale sont plus que de simples témoins. En effet, ils peuvent observer directement la violence, entendre d’une autre pièce les manifestations de cette violence, être directement parties à l’épisode de violence (par exemple, tenter d’intervenir ou appeler la police) ou subir les conséquences sans avoir vu ou entendu la violence (par exemple, accompagner la mère dans un foyer d’hébergement, voir les blessures de la victime après les manifestations de violence, etc.) (Fantuzzo et Mohr, 1999). Les auteurs considèrent ainsi que le terme « témoin de violence conjugale » est limité et, par conséquent, ils préfèrent utiliser le concept d’« exposition à la violence conjugale ». Par ailleurs, jusqu’à présent, nous ne possédons pas d’instrument de mesure standardisé et validé pour analyser l’exposition à la violence conjugale. En fait, l’élaboration d’un tel instrument pourrait s’avérer très problématique en raison des expériences très variées vécues par ces enfants et ces adolescents et adolescentes (Émond, 2000). Par conséquent, la présente recherche considère seulement les actes de violence qui sont entendus ou vus. C’est pourquoi l’expression « témoin de violence conjugale » est utilisée.

Selon les études consultées, les conséquences comportementales liées au fait d’être témoin de violence conjugale sont influencées par la présence de certaines variables qui peuvent être catégorisées comme suit : des variables liées à l’enfant ou à l’adolescent et l’adolescente, des variables liées à l’expérience de violence et des variables liées à la mère et au père.

Pour ce qui est des variables liées à l’enfant, les résultats des recherches se contredisent par rapport à l’influence du sexe et de l’âge. Bien que des études rapportent que ce sont principalement les garçons qui manifestent des troubles extériorisés (Jaffe et collab., 1986) et que les filles démontrent davantage des troubles intériorisés (Christopoulos et collab., 1987; Stagg et collab., 1989), d’autres recherches indiquent que les filles présentent également des troubles extériorisés marqués (O’Keefe, 1996) et, parfois, plus importants que les garçons (Fortin et collab., 2000). Pour ce qui est de l’âge, des études établissent que les enfants d’âge scolaire manifestent plus de problèmes de comportement que ceux d’âge préscolaire (Holden et Ritchie, 1991; Hughes et collab., 1989), mais d’autres études indiquent que les enfants plus jeunes démontrent plus de troubles extériorisés que ceux plus âgés (O’Keefe, 1994b).

Par ailleurs, certaines variables ayant trait à l’enfant semblent augmenter le risque des problèmes de comportement chez les enfants témoins de violence conjugale, alors que d’autres peuvent atténuer ce risque. Un tempérament empreint d’émotivité constitue un facteur de risque pour la manifestation des troubles intériorisés et un faible rendement scolaire présente un risque pour la présence des troubles extériorisés (O’Keefe, 1994b). D’autres études permettent d’avancer qu’un sentiment de compétence agit comme une variable de protection (Fortin et collab., 2000; Moore et collab., 1990), alors qu’un sentiment d’incompétence est lié aux troubles extériorisés (O’Keefe, 1994b). Enfin, le type de stratégie privilégié par l’enfant lors des scènes de violence peut influencer la présence de troubles de comportement : l’intervention directe semble constituer un facteur de risque pour la manifestation des symptômes dépressifs (Fortin et collab., 2000), alors que le fait de s’éloigner ou de ne pas intervenir constitue une variable de protection (Jenkins et collab., 1989; O’Brien et collab., 1995).

D’autres études se sont plutôt attardées à l’influence de variables liées à la nature de l’expérience de violence. Des recherches indiquent que plus la violence conjugale est fréquente, plus les problèmes de comportement des enfants et des adolescents et adolescentes sont importants (Jaffe et collab., 1986; Jouriles et collab., 1996; Muller et collab., 2000; O’Keefe, 1994a; O’Keefe, 1996). Le fait d’être à la fois témoin de violence conjugale et victime de violence parentale produit des conséquences plus destructrices que le fait d’être uniquement témoin (Fortin et collab., 2000; Hughes, 1988; O’Keefe, 1996). Selon une autre étude, les enfants témoins de violences verbale et physique présentent plus de troubles de comportement que les enfants uniquement témoins de violence verbale (Fantuzzo et collab., 1991).

Certaines études évaluent l’influence de variables liées à la mère et au père. Ainsi, un niveau de stress élevé chez la mère, la santé de celle-ci et l’irritabilité du père constituent des variables de risque des problèmes de comportement chez les enfants témoins de violence conjugale (Émond, 2000; Holden et Ritchie, 1991; Wolfe et collab., 1985). La fréquence des discordes entre la mère et l’enfant est un prédicteur des problèmes extériorisés de l’enfant (O’Keefe, 1994b). Plus l’enfant considère que sa mère est contrôlante ou qu’elle est indifférente à lui, plus il présente des symptômes d’anxiété et de dépression (Fortin et collab., 2000). Par ailleurs, les conduites maternelles de soutien et la consistance maternelle constituent des facteurs de protection contre les troubles de comportement (ibid., 2000).

En somme, les études démontrent que les enfants et les adolescents et adolescentes témoins de violence conjugale réagissent différemment à la violence qui les entoure; cela peut être attribué à la présence de certaines variables liées à l’enfant, à l’expérience de violence, à la mère et au père. Par ailleurs, les recherches effectuées jusqu’à présent tracent un portrait incomplet des conséquences de la violence conjugale. La majorité des études s’attardent aux enfants; les connaissances sont limitées par rapport aux effets de la violence conjugale sur les adolescents et adolescentes, surtout ceux âgés de 16 à 18 ans. Les échantillons utilisés dans les études sont souvent petits et ils ne représentent pas toujours la population générale ou n’ont pas les mêmes caractéristiques que le groupe de comparaison. Plusieurs études évaluent seulement la présence de la violence conjugale dans la famille sans s’attarder à savoir jusqu’à quel point ces enfants sont réellement témoins de cette violence. La majorité des recherches se limitent à évaluer la présence de la violence physique entre les conjoints; elles ne considèrent donc pas la violence psychologique. Même si des études indiquent que le fait d’être témoin et victime de violence parentale provoque des conséquences plus destructrices que le fait d’être uniquement témoin, plusieurs recherches négligent de prendre en considération la présence simultanée de ces deux types de violence. Enfin, si certaines recherches identifient les variables associées à l’adaptation, elles ne permettent pas de déterminer comment la violence conjugale affecte l’adaptation. À cet égard, il importe d’évaluer les variables médiatrices. Une variable médiatrice permet d’établir comment une variable influence une autre variable (Baron et Kenny, 1986). Les recherches portant sur les effets médiateurs sont nécessaires afin de mieux cibler les interventions auprès des personnes ayant été témoins de violence conjugale.

Des recherches indiquent que les relations parents-enfant peuvent expliquer la relation entre l’exposition aux conflits conjugaux et l’adaptation des enfants (Fauber et Long, 1991; Osborne et Fincham, 1996), mais une seule étude a porté sur l’effet médiateur des relations parents-enfant dans la relation entre la violence conjugale et le comportement des enfants (Margolin et John, 1997). Cette recherche indique que l’exercice du rôle parental est un facteur médiateur dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement chez les enfants de 8 à 11 ans (recrutés dans la communauté). Par contre, on ne connaît pas l’effet médiateur des relations avec les parents dans la relation entre la violence conjugale et l’adaptation à l’adolescence. Les relations avec les parents se transforment à l’adolescence et peuvent donc avoir une influence différente sur l’adaptation (Cauce et collab., 1994).

Ainsi, les trois questions de recherche qui seront explorées dans le présent article sont :

  • Quelle est la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement à l’adolescence?

  • Quelle est la relation entre la violence conjugale et les relations avec les parents?

  • Les relations avec les parents constituent-elles des variables médiatrices dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement à l’adolescence?

Méthodologie

La collecte des données a été effectuée auprès d’un échantillon d’adolescents et d’adolescentes âgés de 16 ans et plus, inscrits dans l’une des trois écoles secondaires du Nouveau-Brunswick ciblées pour la présente étude. Les critères d’échantillonnage étaient : la représentation de trois secteurs géographiques de la province et l’accessibilité pour la chercheure. Un total de 984 jeunes (moyenne d’âge : 16,7 ans), fréquentant une école secondaire au Nouveau-Brunswick, ont été invités à participer à la recherche. De ce nombre, 296 jeunes (30,1 %) ont refusé de participer. Les adolescents et adolescentes qui ont accepté de participer à la recherche ont répondu à un questionnaire de recherche : dans les écoles no 1 et no 2, la chercheure elle-même ou des assistants de recherche ont procédé à l’administration des questionnaires, mais, dans l’école no 3, en raison de sa taille et de sa situation géographique, ce sont les enseignants eux-mêmes qui ont distribué les questionnaires. Parmi les questionnaires remplis, 198 (20,1 %) ont été rejetés en raison d’un nombre trop élevé de réponses manquantes. Ainsi, l’échantillon final est composé de 490 jeunes, soit 269 filles et 221 garçons.

Le nombre de refus est élevé et affecte certainement la portée des résultats. Ces refus peuvent s’expliquer par le fait que les questionnaires ont été administrés pendant la période de lecture des élèves; certains ont préféré utiliser cette période pour terminer des travaux scolaires ou pour étudier en vue d’un test. Le taux de réponse est assez faible, mais il se compare à ceux que l’on observe dans ce genre d’enquêtes (Cloutier et collab., 1994; Dumas et Beauchesne, 1993). Par ailleurs, une comparaison, portant sur les répondants et répondantes dont les questionnaires ont été retenus et sur ceux et celles dont les questionnaires ont été rejetés, a permis de constater que ces deux groupes présentent un profil similaire.

Le questionnaire était composé de cinq échelles de mesure : relations avec les parents; comportement; violence conjugale; violence parentale; et caractéristiques sociodémographiques. Les relations avec les parents ont été mesurées à l’aide des versions françaises des échelles Child’s Attitude toward Father (CAF) and Mother (CAM) (Hudson, 1982) : Attitude de l’enfant face à son père (AEP) et Attitude de l’enfant face à sa mère (AEM) (Comeau et Boisvert, 1985). Ces instruments permettent de mesurer la perception de l’adolescent ou de l’adolescente par rapport à la qualité de ses relations avec ses parents. Bien que les qualités psychométriques des échelles traduites en français n’aient pas été évaluées, les versions américaines possèdent de très bonnes propriétés métrologiques (Hudson, 1982).

Le comportement a été évalué par l’entremise des versions françaises des échelles « troubles intériorisés » et « troubles extériorisés » du Youth Self Report (YSR) (Achenbach, 1991) : Rapport personnel des jeunes. Le Rapport personnel des jeunes permet de mesurer la perception de l’enfant ou de l’adolescent et l’adolescente (entre 11 et 18 ans) en ce qui concerne son comportement et sa compétence sociale (Achenbach, 1991). Les qualités psychométriques de la version française du YSR n’ont pas été évaluées; les auteurs utilisent plutôt les normes de la version américaine. Celle-ci possède d’excellentes propriétés psychométriques (Achenbach, 1991).

Les actes de violence conjugale ont été mesurés à l’aide des versions françaises des échelles d’agressions psychologiques et d’agressions physiques de l’instrument Relationships between my Parents (Straus, 2000, CTS2-CA). Celui-ci permet d’évaluer la perception de l’adolescent ou de l’adolescente relativement aux conflits entre ses parents. Le CTS2-CA est une version de l’échelle révisée des tactiques utilisées en cas de conflit : The Revised Conflict Tactics Scale, version couple (Straus et collab., 1996; CTS2). Les qualités métrologiques du CTS2-CA n’ont pas été évaluées, mais la version américaine du CTS2 possède de très bonnes qualités psychométriques (Straus et collab., 1996). Par ailleurs, le CTS2-CA (version pour enfants et adolescents) n’a pas été traduit en français. Après approbation des auteurs de l’instrument original, les échelles « agressions psychologiques » et « agressions physiques » de l’instrument ont été traduites en s’inspirant de la version française du CTS2 (Lussier, 1997).

Afin d’évaluer la violence physique que les jeunes ont subie, la version française de la sous-échelle d’agressions physiques du Parent-Child Conflict Tactics Scales, version enfants (Straus, 2000, CTSPC-CA) a été utilisée. Le CTSPC-CA évalue la perception de l’enfant en ce qui concerne les stratégies utilisées par les parents lorsque ces derniers sont en colère contre lui. Il est une version de l’échelle révisée du PCCTS (Parent-Child Conflict Tactics Scales, version parents) qui vise à évaluer les pratiques disciplinaires des parents. Il n’existe pas de données sur les propriétés métrologiques du CTSPC-CA. Toutefois, le PCCTS possède de bonnes qualités psychométriques (Straus et collab., 1998). Le CTSPC-CA n'a pas été traduit en français. La version parents-enfant du CTSPC a été traduite en français par Fortin et collab. (1996). Ainsi, le CTSPC-CA a été traduit en s'inspirant de cette version.

Enfin, quelques questions visaient à recueillir de l’information concernant les caractéristiques sociodémographiques, à savoir l’âge, le sexe, le nombre d’enfants dans la famille, le type de famille (biparentale, monoparentale, reconstituée, autres types) et la scolarité des parents. Le sexe, l’âge, le nombre d’enfants dans la famille et le type de famille constituent les variables de contrôle pour les analyses de régression. La scolarité des parents n’a pas été considérée, puisque de nombreux jeunes n’avaient pas répondu à ces questions.

Les diverses étapes de la recherche se sont déroulées avec une grande préoccupation éthique. Une lettre a été adressée aux parents pour les informer de la recherche. Par la suite, un formulaire de consentement (spécifiant les mesures prévues pour assurer la confidentialité et l’anonymat) et une liste des ressources disponibles dans la communauté ont été remis aux adolescents et adolescentes sollicités.

Résultats

Description de la violence rapportée

Des 490 jeunes constituant l’échantillon final, 253 (51,6 %) ont été témoins au moins une fois de violence psychologique ou physique entre leurs parents au cours des cinq dernières années et 237 (48,4 %) n’ont pas été témoins de ces formes de violence[1]. Parmi les adolescents et adolescentes témoins de violence conjugale, 101 (20,6 %) ont été à la fois témoins de violence psychologique et de violence physique et 152 (31 %) ont été uniquement témoins de violence psychologique. Tous les répondants et répondantes témoins de violence physique rapportent également avoir été témoins de violence psychologique. Ainsi, les analyses de régression multiple vont seulement tenir compte de la fréquence de la violence conjugale totale (incluant la violence du père et la violence de la mère).

De plus, de l’échantillon final, 32 jeunes (6,5 %) ont été victimes de violence parentale sans être témoins de violence conjugale (18 filles et 14 garçons), 131 (26,7 %) ont été témoins de violence conjugale, mais n’ont pas été victimes de violence parentale (79 filles et 52 garçons), et 122 (24,9 %) ont été à la fois témoins de violence conjugale et victimes de violence parentale (74 filles et 48 garçons).

Les effets directs de la violence conjugale sur les troubles de comportement

La première question de recherche porte sur la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement à l’adolescence. Pour répondre à cette question, des analyses de régression hiérarchique ont été effectuées. Ainsi, les variables suivantes ont été tout d’abord entrées dans l’équation afin de contrôler leur effet : âge, sexe, violence parentale, type de famille et nombre d’enfants dans la famille. Selon les recherches consultées, ces variables ont un impact sur l’adaptation des enfants et des jeunes (O’Keefe, 1994b; St-Jacques et collab., 1999). L’analyse des données permet d’établir que, lorsque les variables de contrôle sont considérées, la fréquence de la violence conjugale est un prédicteur significatif de la présence des troubles de comportement (voir tableaux 1 et 2). Au tableau 1, le sexe demeure un prédicteur significatif des troubles intériorisés à l’étape 2. Cela permet d’avancer que les filles présentent significativement plus de troubles intériorisés que les garçons : la violence conjugale (Sr2 = 0,05) et le sexe (Sr2 = 0,04) partagent alors des proportions de variance unique similaires avec ces troubles. Pour ce qui est du tableau 2, la violence parentale demeure un prédicteur significatif des troubles extériorisés : la violence parentale et la violence conjugale partagent alors des proportions de variance unique identiques avec les troubles extériorisés (Sr2 = 0,048).

Tableau 1

Relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés[2]

Relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés2

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Tableau 2

Relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés

Relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés

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La relation entre la violence conjugale et les relations avec les parents

Pour ce qui est de la relation entre la violence conjugale et les relations avec les parents, d’autres analyses de régression hiérarchique sont effectuées avec les mêmes variables de contrôle. Les analyses permettent d’avancer que la violence conjugale est un prédicteur significatif des problèmes dans les relations avec les parents (voir tableaux 3 et 4). Ainsi, plus la violence conjugale au sein du domicile familial est fréquente, et plus les relations avec les parents se détériorent.

Tableau 3

Relation entre la violence conjugale et la relation avec la mère

Relation entre la violence conjugale et la relation avec la mère

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Tableau 4

Relation entre la violence conjugale et la relation avec le père

Relation entre la violence conjugale et la relation avec le père

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Les effets indirects de la violence conjugale sur le comportement

Les analyses subséquentes cherchent à vérifier si la relation significative qui existe entre la violence conjugale et les troubles de comportement peut s’expliquer, du moins en partie, par les faibles qualités des relations avec les parents. La vérification des effets médiateurs est effectuée à l’aide des quatre conditions élaborées par Baron et Kenny (1986) :

  1. Le prédicteur doit être significativement associé au médiateur.

  2. Le prédicteur doit être significativement associé à la variable critère.

  3. Le médiateur doit être significativement associé à la variable critère.

  4. Le prédicteur doit être moins fortement associé à la variable critère (coefficient de régression diminue ou est réduit à zéro) après avoir contrôlé le médiateur.

Ces quatre conditions peuvent être évaluées en réalisant trois analyses de régression multiple : une analyse de régression est effectuée pour évaluer la relation entre le prédicteur (A) et la variable médiatrice (B) (condition 1); une autre analyse de régression est effectuée pour évaluer la relation entre le prédicteur (A) et la variable critère (C) (condition 2); et la dernière régression est effectuée avec A et B comme prédicteurs et C comme variable critère (conditions 3 et 4).

Les analyses effectuées jusqu’à présent permettent d’avancer que la violence conjugale est un prédicteur significatif des troubles intériorisés, des troubles extériorisés et des relations avec les deux parents. Ainsi, les conditions 1 et 2 sont respectées. Les tableaux 5 et 6 présentent les régressions effectuées avec la violence conjugale et les relations avec les parents comme prédicteurs et les troubles intériorisés comme variable critère. Une vérification de ces deux tableaux permet d’indiquer que la relation avec la mère et la relation avec le père sont des prédicteurs significatifs des troubles intériorisés : plus les qualités des relations sont compromises, plus les adolescents et adolescentes sont susceptibles de présenter des troubles intériorisés. Également, il est possible de constater que la relation entre la violence conjugale et les troubles intériorisés s’avère moins importante dans les tableaux 5 (B = 0,025) et 6 (B = 0,027) que dans le tableau 1 (B = 0,039). Ainsi, puisque l’ensemble des conditions sont respectées, la relation avec la mère et la relation avec le père constituent des variables médiatrices partielles dans la relation entre la violence conjugale et les troubles de comportement. Par ailleurs, on constate que, dans les tableaux 5 et 6, le sexe demeure toujours un prédicteur significatif des troubles intériorisés à l’étape 2 : les relations avec les parents partagent des proportions de variance unique avec les troubles intériorisés qui sont analogues à la proportion de variance unique partagée entre le sexe et les troubles intériorisés. Des variables significatives à l’étape 2, la violence conjugale est celle qui partage la plus faible proportion de variance avec les troubles intériorisés (Sr2 = 0,02).

Tableau 5

Régression avec la violence conjugale et la relation avec la mère comme prédicteurs et troubles intériorisés comme variable critère

Régression avec la violence conjugale et la relation avec la mère comme prédicteurs et troubles intériorisés comme variable critère

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Tableau 6

Régression avec la violence conjugale et la relation avec le père comme prédicteurs et troubles intériorisés comme variable critère

Régression avec la violence conjugale et la relation avec le père comme prédicteurs et troubles intériorisés comme variable critère

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Les tableaux 7 et 8 illustrent les régressions effectuées avec la violence conjugale et les relations avec les parents comme prédicteurs et les troubles extériorisés comme variable critère. Dans un premier temps, il est possible de constater que la relation avec la mère tout comme la relation avec le père sont des prédicteurs significatifs des troubles extériorisés. Par la suite, on constate que la relation entre la violence conjugale et les troubles extériorisés s’avère moins importante dans les tableaux 7 (B = 0,022) et 8 (B = 0,023) que dans le tableau 2 (B = 0,032). Ainsi, les relations avec les parents produisent des effets médiateurs. En plus de la violence conjugale et des relations avec les parents, la violence parentale s’avère significative à l’étape 2 (voir tableaux 7 et 8) : la relation avec la mère (Sr2 = 0,07) et la relation avec le père (Sr2 = 0,05) partagent les plus importantes proportions de variance unique avec les troubles extériorisés, mais la violence parentale partage une proportion de variance unique similaire avec les troubles extériorisés (Sr2 = 0,04). Encore une fois, la violence conjugale partage la plus petite proportion de variance unique avec les troubles extériorisés (Sr2 = 0,02).

Tableau 7

Régression avec la violence conjugale et la relation avec la mère comme prédicteurs et troubles extériorisés comme variable critère

Régression avec la violence conjugale et la relation avec la mère comme prédicteurs et troubles extériorisés comme variable critère

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Tableau 8

Régression avec la violence conjugale et la relation avec le père comme prédicteurs et troubles extériorisés comme variable critère

Régression avec la violence conjugale et la relation avec le père comme prédicteurs et troubles extériorisés comme variable critère

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Bref, les résultats des équations effectuées permettent d’indiquer que la violence conjugale a un impact direct sur la présence des troubles de comportement. Toutefois, la relation entre ces deux variables peut s’expliquer, en partie, par les relations avec les parents. Ainsi, plus fréquente est la violence conjugale, plus les relations avec les parents se dégradent et, en revanche, plus les jeunes sont susceptibles de démontrer des problèmes de comportement.

Discussion

Selon les résultats de l’étude, un pourcentage élevé d’adolescents et adolescentes qui fréquentent certaines écoles du Nouveau-Brunswick vivent dans un environnement familial marqué par la violence. La recherche indique que la moitié des jeunes qui ont répondu au questionnaire ont été témoins au moins une fois de violence psychologique ou physique au cours des cinq dernières années et que près d’un tiers ont été victimes de violence parentale physique. Ainsi, il importe de sensibiliser l’ensemble du personnel scolaire aux phénomènes de la violence conjugale et de la violence parentale. En raison de leurs contacts réguliers avec les jeunes, il importe que ces professionnels soient informés sur le dépistage des situations de violence et le type d’approche à privilégier face à un tel dévoilement.

La fréquence de la violence conjugale est associée à la manifestation de troubles de comportement chez le jeune. Ce résultat est compatible avec les observations rapportées dans des études américaines effectuées sur des enfants (Jaffe et collab., 1986; Jouriles et collab., 1996; O’Keefe, 1994a) et des adolescents et adolescentes (Muller et collab., 2000; O’Keefe, 1996). Être un témoin oculaire d’actes de violence conjugale ou entendre les manifestations de cette violence peut être troublant pour le jeune. La présence de violence conjugale crée un climat familial malsain, instable et inquiétant. Le jeune risque donc de ressentir de la peur et de l’impuissance. Il peut même avoir peur pour sa vie ou pour celle du parent qui est victime. Par conséquent, plus le jeune est témoin d’acte de violence, plus il est susceptible de présenter des comportements liés à des symptômes de trauma, à savoir des troubles intériorisés (anxiété, retrait social) et des troubles extériorisés (agression et délinquance) (Anderson et Cramer-Benjamin, 1999). L’intervention doit donc tenir compte du fait que la violence à la maison peut être un événement traumatique pour les adolescents et les adolescentes.

Par ailleurs, les filles sont plus susceptibles de présenter des troubles intériorisés que les garçons. La socialisation différenciée selon les sexes peut en être la cause. Les filles sont socialisées, dès leur tendre enfance, à adopter un comportement de passivité et de soumission (Larouche, 1987). De plus, des recherches indiquent que, face à un événement stressant, elles vont davantage démontrer des troubles intériorisés que les garçons (St-Jacques et collab., 1999). Ainsi, l’intervention doit prendre en considération que le processus de victimisation des adolescents peut différer selon les genres.

La violence conjugale n’a pas seulement un effet négatif sur le comportement du jeune; elle a aussi un impact destructeur sur les relations que celui-ci entretient avec ses parents. Ceci est conforme aux études indiquant qu’une relation conjugale conflictuelle ou violente nuit aux relations parents-enfant (Élie et Hould, 1992; Fauber et Long, 1991; Margolin et John, 1997; Osborne et Fincham, 1996). Ces résultats viennent appuyer le modèle de la dysfonction familiale qui avance que la présence de la violence conjugale crée un milieu familial dysfonctionnel à l’intérieur duquel les relations parents-enfant risquent fortement de se détériorer (Jaffe et collab., 1990). En fait, en raison de la violence au sein du couple, les parents peuvent être anxieux, dépressifs, irritables et moins disponibles physiquement et émotivement pour leur enfant (Anderson et Cramer-Benjamin, 1999; Brody et collab., 1996; Holden et Ritchie, 1991; Jaffe et collab., 1990). Par conséquent, ils risquent d’être moins sensibles aux besoins de leur enfant, moins impliqués dans sa vie et moins efficaces dans leur rôle parental. Dans un tel contexte, il est possible que le jeune soit méfiant vis-à-vis de ses parents. Il peut croire que ces derniers lui imposent trop de restrictions et qu’ils ne le comprennent pas.

L’étude indique également que la fréquence de la violence conjugale produit un effet indirect sur le comportement des jeunes par l’entremise des relations avec les parents : la fréquence de la violence conjugale a pour effet de détériorer les relations avec les parents et ces relations négatives engendrent des troubles de comportement. Ainsi, même si les relations avec l’entourage se transforment au cours de l’adolescence, les relations avec les parents demeurent des prédicteurs importants des troubles de comportement. Ces résultats appuient le modèle de la perturbation du rôle parental (disruption of parenting hypothesis) : la présence de conflits et de violence au niveau du couple affecte négativement les relations parents-enfant, ce qui provoque un comportement inadapté chez l’enfant (Christensen et Margolin, 1988; Fauber et collab., 1990; Jaffe et collab., 1990; Margolin et John, 1997).

L’étude a également démontré que le quart des répondants et répondantes ont été à la fois témoins de violence conjugale et victimes de violence parentale. Ainsi, il importe de vérifier la présence simultanée de divers types de violence familiale chez des jeunes. De plus, des actions concertées et innovatrices entre les divers organismes doivent être élaborées (Fortin et collab., 2000). L’intervention peut se révéler inefficace s’il y a présence concomitante de violence conjugale et de violence parentale et que seulement l’une de ces deux variables est dépistée.

Par ailleurs, cette recherche comporte des limites. Rappelons que 30,1 % des jeunes approchés ont refusé de répondre au questionnaire et que 20,1 % des questionnaires ont été rejetés en raison d’un nombre trop élevé de réponses manquantes ou incohérentes. Ainsi, les résultats peuvent être biaisés. Une autre limite tient à la source d’information. Dans la présente étude, les jeunes étaient les seuls à répondre au questionnaire. Les données autorapportées peuvent être biaisées en raison, entre autres, de problèmes de mémoire et de la désirabilité sociale. Une troisième limite renvoie au modèle évalué qui postulait que la violence conjugale influence indirectement l’adaptation par l’entremise des relations avec les parents. Comme il s’agit de mesures prises simultanément, on ne peut écarter l’hypothèse d’une relation inverse entre les variables. Une dernière limite de la recherche renvoie au fait que le statut socioéconomique n’a pas été considéré. Toutefois, même si des recherches révèlent une relation entre un faible statut socioéconomique et des problèmes d’adaptation chez les enfants (Fortin et Bigras, dans St-Jacques et collab., 1999), d’autres études indiquent que, lorsque le revenu familial est contrôlé, les mauvais traitements envers les enfants continuent à influencer négativement le comportement (Fantuzzo, dans Miller-Perrin et Perrin, 1999).

Par ailleurs, d’autres recherches devraient porter sur les variables médiatrices qui influencent la relation entre la violence conjugale et l’adaptation. Les analyses de régression ont révélé que la fréquence de la violence conjugale et les relations avec les parents expliquent des proportions assez faibles des variances sur les troubles de comportement. L’étude de plusieurs variables médiatrices se situant à divers niveaux, à savoir individuel, familial et social, elle permettrait d’élaborer un portrait plus complet des mécanismes en cause dans le développement des troubles d’adaptation des jeunes témoins de violence conjugale.