Comptes rendus

Edmond de Nevers, Lettres de Berlin et d’autres villes d’Europe, texte établi, présenté et annoté par Hans-Jürgen Lüsebrink, Québec, Éditions Nota bene, coll. « NB poche », 2002, 294 p.[Notice]

  • Frédérick Durand

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  • Frédérick Durand
    Université du Québec à Trois-Rivières

Ce livre rassemble vingt-deux lettres de voyage écrites par Edmond de Nevers à Berlin, Lehnin, Vienne, Puèbéki (Hongrie), Venise et Rome. Publiées à l’origine sous forme d’articles dans le journal montréalais La Presse entre 1888 et 1891, elles n’avaient jamais été rééditées depuis leur première parution. Ayant réuni ces textes, Hans-Jürgen Lüsebrink a eu l’heureuse idée de les faire précéder d’un avant-propos d’une cinquantaine de pages intitulé « Transferts culturels et expérience de l’autre. Edmond de Nevers et sa vision du monde germanique ». Il y présente la biographie de l’épistolier de manière claire, concise et originale, ce qui permet au lecteur de mieux comprendre Edmond de Nevers et les motivations à l’oeuvre derrière la rédaction de ses lettres. Au reste, de Nevers était un homme aux intérêts très variés et la multiplicité de ses goûts et de ses intérêts transparaît dans sa correspondance, qui conjugue différents genres et approches : fiction, philosophie et discours scientifique. Lüsebrink souligne l’originalité du jeune de Nevers qui choisit l’Allemagne comme source d’inspiration intellectuelle ; en effet, ainsi que l’ont souvent montré différents historiens (notamment Yvan Lamonde), les acteurs du milieu littéraire québécois alors en formation avaient d’ordinaire tendance à privilégier la France comme modèle de référence. Cette position surprenante d’Edmond de Nevers n’est pas sa seule marque de distinction : ses nombreux paradoxes, exposés par Hans-Jürgen Lüsebrink, en font un observateur original, parfois malgré lui. Parti à Berlin en quête d’« altérité culturelle et linguistique » (p. 18), il découvre bientôt une ville singulière, très dynamique sur plusieurs plans (universitaire, scientifique), mais aussi tentée par l’antisémitisme. L’article de Lüsebrink analyse et présente ces lettres de manière fine, en faisant ressortir la cohérence dissimulée par leur caractère fragmentaire, inhérent au style essayistique : si, par exemple, les prises de position peuvent sembler contradictoires (entre autres à l’égard de la question juive), elles trouvent cependant une unité certaine dans la démarche réflexive de leur auteur, qui ne cesse de s’interroger, de consulter différentes sources et de refuser de s’en tenir aux apparences. Lüsebrink mentionne enfin l’influence qu’ont exercée les auteurs et philosophes allemands sur la pensée d’Edmond de Nevers, de même que l’importance de ses professeurs (présentés dans la huitième lettre) dans son cheminement intellectuel — comme l’attestent d’ailleurs les liens qui existent entre L’avenir du peuple canadien-français, publié par de Nevers en 1896, et « l’expérience interculturelle de son séjour en Europe, et en particulier aussi en Allemagne » (p. 47). Tout cela conduira de Nevers à choisir l’Allemagne comme « grand modèle invoqué dans le domaine de l’éducation » (p. 51) au Québec. L’article se termine par une réflexion sur l’originalité de l’épistolier, de même que sur son apport. Aussi intéressantes que variées, les lettres elles-mêmes viennent bientôt confirmer le propos de Lüsebrink. L’auteur s’attarde à une foule de sujets : la fascination des Berlinois pour l’uniforme, les accusations portées contre le médecin anglais Morell McKenzie, qui soigna l’empereur Frédéric III avant sa mort, l’exploitation des touristes anglais par les marchands romains, la Noël en Allemagne… En fait, de Nevers semble chercher partout le pittoresque : ici (dix-huitième lettre), on découvre le château de Mayerling où se suicida par amour le Kronprinz Rudolphe ; là, on apprend que le soleil de Rome est responsable du grand nombre de « femmes à barbe » (p. 277) qui peuplent la ville éternelle ; ailleurs, on peut se familiariser avec les duels d’étudiants berlinois ou connaître davantage les jeunes ouvrières allemandes et leurs amants, qu’elles entretiennent. De Nevers ne s’en cache pas : il est très déçu de ne pas pouvoir, aussi souvent qu’il le …