Liminaire. Devenir de l’esthétique théâtrale[Notice]

  • Gilbert David et
  • Hélène Jacques

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  • Gilbert David
    Université de Montréal

  • Hélène Jacques
    Université Laval

Le constat, tel un leitmotiv lancinant, apparaît dans nombre d’écrits depuis une bonne trentaine d’années : la représentation théâtrale s’est « émancipée  » et un changement de « régime » s’est produit. Ce changement a entraîné de multiples modifications, en ce qui concerne notamment la relation au spectateur qui s’est vu davantage impliqué dans l’expérience de la représentation. Mais il s’est également manifesté à travers diverses pratiques interdisciplinaires et par une forte tendance à saturer la représentation de procédures autoréflexives. De Tadeusz Kantor à Romeo Castellucci, de Claude Régy à Denis Marleau, d’Ariane Mnouchkine à Robert Lepage , la praxis scénique est devenue protéiforme à force de se repenser, de se déconstruire, de faire éclater ses frontières. La notion de « théâtralité », que l’on a pensée apte à cerner la spécificité de l’art du théâtre, se révèle plus que jamais fuyante  : en rompant avec les catégories de la modernité, l’esthétique théâtrale n’a eu de cesse de se « dé-définir » au fil du temps, en rendant caduques les catégorisations aussi bien que les critères formels et discursifs qui permettaient d’appréhender les productions du théâtre contemporain, d’en discuter la valeur et la pertinence. Sur fond de « surmodernité  » et sur les ruines des Grands Récits, nous pensons plus que jamais nécessaire de mettre au jour les nouvelles modalités d’une critique des oeuvres, par-delà la singularité des orientations que prennent les créateurs du théâtre contemporain. Cet enjeu est forcément de nature théorique, car il s’agit de penser le devenir de l’esthétique théâtrale, en sachant que la sensibilité présente renvoie, selon Jacques Rancière, à une idée nouvelle de l’artiste « qui voyage dans les labyrinthes et les sous-sols du monde social  ». Un deuxième constat accompagne bien souvent le premier : dans son projet d’exhiber, voire d’exhausser la théâtralité, dans son incessant travail de déconstruction de l’illusion, le créateur scénique ferait « le vide de toute représentation   » et exposerait les composantes de la scène dans leur « littéralité », c’est-à-dire en tant que présentes en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Opaques, ces éléments ne relèveraient plus d’une signification préméditée par le créateur et ils s’offriraient, dans leur évidence toute sensorielle, au spectateur qui s’y engage comme un archéologue appelé à déchiffrer des hiéroglyphes. Sur la scène comme en suspension, un jeu entre la représentation et la non-représentation se déploie, un curieux « jeu de langage » (Wittgenstein) que le spectateur doit investir de sa propre subjectivité. Au spectateur, désormais, reviennent le soin et la responsabilité de déterminer, de forger le/les sens de la représentation, de tirer de l’expérience théâtrale à laquelle il est convié une « idée-théâtre  » qui vaut pour lui seul et pour cette seule expérience. Il ne resterait plus, dès lors, qu’à se rabattre sur des points de vue partiels. L’esthétique théâtrale serait ainsi vouée à une théorisation tautologique, faute d’impératifs catégoriques. Ce relativisme découle d’une autre tendance de la théâtrologie, dont Le théâtre postdramatique , brillant ouvrage qui a fait date, est emblématique. Hans-Thies Lehmann y adopte une approche synthétique en proposant un « paradigme postdramatique » dont il décrit les traits stylistiques, tout en embrassant la question de la diversité des formes à notre époque. L’essai trahit cependant son parti pris : les possibles de ce « nouveau théâtre » concernent essentiellement la technique, le médium, les formes déconstruites de la « tradition moderne », alors que le rapport  que ces formes, que l’on dit autoréflexives, établissent avec le monde est pour ainsi dire ignoré. Si l’on s’attarde, dans les études théâtrales actuelles, à définir de nouvelles configurations, si l’on s’attache à la nature des …

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