LiminaireRegards obliques sur la Nouvelle-France[Notice]

  • Marie-Christine Pioffet

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  • Marie-Christine Pioffet
    Université York (Toronto)

L’histoire des premières expéditions françaises en Amérique du Nord est, on l’a répété à satiété, malheureuse. La quête d’un accès vers l’Extrême-Orient qui aimanta d’abord les explorateurs devait fatalement mener à la faillite. De même, les efforts de colonisation avant 1608, « vaines tentatives » selon la formule désormais célèbre de Marcel Trudel , témoignent d’une inadaptation profonde. Charlesbourg-Royal, l’île de Sable, l’île Sainte-Croix : autant de preuves d’une incapacité à s’acclimater. Malgré leurs mécomptes, les colonisateurs français ont connu aussi leurs apologistes, comme Marc Lescarbot qui cherche dans les premiers livres de son Histoire de la Nouvelle France à justifier leurs revers par des erreurs stratégiques ou des dissensions internes. Seul Champlain, consacré par les historiens comme le « père du Canada », parvient à fonder une habitation permanente. Mais le succès de son entreprise paraît bien relatif si l’on compare le chétif établissement de Québec à ceux des Ibériques. Et les annalistes n’en ont que trop conscience. La Nouvelle-France au statut précaire porte, à travers les écrits qui témoignent de son passé, les marques de son infortune. Nombreux sont les voyageurs laïcs ou missionnaires qui rentrent chez eux amers, conscients d’avoir laissé une oeuvre en friche. Que l’on pense aux vifs regrets formulés par Lescarbot dans son « Adieu à la Nouvelle France », qu’il rima sur le chemin du retour en 1607 : Que l’on pense encore à l’émotion avec laquelle Gabriel Sagard « prend congé de [ses] Sauvages  », quittant son « pauvre Canada » et sa « chere Province des Hurons » (GVPH, p. 339), comme il l’appelle affectueusement, pour obéir aux désirs de ses supérieurs sans avoir pu terminer son oeuvre missionnaire . Lorsqu’il abandonne à son tour le Canada en 1649, Paul Lejeune n’a pas non plus l’esprit tout à fait tranquille. De retour en France comme procureur des missions, il continue de veiller à leurs progrès et de corriger les rapports annuels de ses successeurs . Dans l’épître de la Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable és années 1660 et 1661, le jésuite dresse un portrait pitoyable de la Nouvelle-France et, en recourant à cette prosopopée, il se fait le héraut des supplications des habitants de la colonie en émoi afin de toucher le monarque : « Voicy vostre Nouvelle France aux pieds de V. M. […] Écoutez Sire […] sa voix languissante et ses dernières paroles : sauvez-moy, s’écrie-t-elle, je vay perdre la Religion Catholique ; on me va ravir les Fleurs de Lys ; je ne seray plus Françoise . » Ce plaidoyer donne à lire, entre les lignes, un aveu d’échec qui résonnera quelques années plus tard sous la plume de plusieurs voyageurs, car l’avenir de la colonie restera hasardeux. Le baron de Lahontan, qui ne ménage pas ses critiques contre les autorités, souligne de manière récurrente l’absence de fortifications dans les principales villes du pays, que ce soit Québec , Trois-Rivières  ou Montréal . Au moment de l’attaque de Phipps devant Québec, il note que la capitale était livrée à elle-même : « [J]amais on n’a manqué une plus belle occasion de prendre le Canada […] nous n’étions que cent hommes à Québec sans canons, sans batteries, sans fortifications ni munitions . » Près de cent ans après la fondation de la ville, la menace de la reddition plane sur le pays tout entier, et les métropolitains feront la sourde oreille aux avertissements du baron de Lahontan. Sans doute l’âpreté du climat et l’absence de richesses contribuèrent-elles beaucoup à la tiédeur des bailleurs de fonds pour le Canada. Mais Louis Hennepin impute …

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