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Si l’on doit accorder au roman des Amours de Pistion et de Fortunie, tiré du voyage de Canada, la palme pour avoir fait entrer dès 1601 la Nouvelle-France dans l’univers de la fiction, encore très tôt dans le siècle, en 1609, un bref récit, beaucoup moins connu que les Amours et se présentant sous des dehors de relation authentique, offre à l’édification de son lecteur une Nouvelle-France non moins fantasmée. Publiée à Lyon avec l’imprimatur jésuite, la Coppie d’une lettre envoyee de la Nouvelle France, ou Canada se présente comme la reproduction d’une missive expédiée, le « 13. Fevrier. 1608 », à un « amy » anonyme par un certain Des Combes ou De Combes [1] et relate à la première personne la traversée de l’Atlantique et le séjour américain du narrateur, reçu chez un certain sieur du Dongeon. Cet hôte illustre tient sa cour à « Brest, principale ville de tout le païs [2] » — site de l’actuel village de Vieux-Fort (municipalité de Bonne-Espérance, Basse-Côte-Nord) — et entretient une correspondance personnelle avec le roi de France pour obtenir de lui les « secours » nécessaires pour « ven[ir] à bout » du « peuple […] cruel et belliqueux » (C, p. 14) qui vit au Canada. L’auteur situe cette terre à 350° de longitude (soit environ 60° ouest) et à 50° de latitude nord, ce qui correspond, selon une carte de référence telle que l’America sive India nova de Mercator, au golfe du fleuve Saint-Laurent, désigné par un toponyme en apparence gaélique irlandais, Anacal (« protection », « défense [3] »). La région la plus digne d’intérêt, parce qu’elle se présente comme l’« un des païs plus riches de toute la terre de Canada » (C, p. 14), porte quant à elle un toponyme aragonais, « Atares », qui n’est pas moins fantaisiste que celui, calabrais cette fois, de « Maida » (C, p. 5), qui recouvre en gros, selon l’Orbis terrae du même cartographe, la région des Canaries, par où le voyageur serait passé avant la traversée. Mais ces Atares et ces îles Maida ne sont pas aussi intrigantes que « Surfe » (C, p. 7 ; l’anglais « surf », avant de désigner un sport, signifie « écume » ou, plus généralement, « ressac »), « commencement de Canada » et ville « dés long temps habitée par les François » (C, p. 7), dont la situation pourrait bien correspondre à la pointe la plus orientale de la Nouvelle-Écosse.

Imprimée avec une « Permission des Superieurs » signée Jean de Villard, jésuite qui s’était lui-même proposé pour les missions en février 1608 dans une lettre adressée à Claudio Aquaviva [4] (alors même que Pierre Biard était déjà à Bordeaux, attendant l’occasion de passer au Canada), la Coppie relate une expédition placée « sous la conduite » d’un navigateur au patronyme britannique, un certain « Sieur de Bricant, autant experimenté Capitaine tant sur mer que sur terre » (C, p. 5). L’équipage aurait quitté « la Rochelle, […] le 13. d’Avril 1604 », soit un mois seulement après que Pierre Dugua De Monts, Samuel Champlain et Jean de Biencourt dit Poutrincourt ne partent eux-mêmes du Havre-de-Grâce pour l’Acadie. N’évoquant d’aucune manière ce voyage récent, la Coppie met en scène un Canada dont la représentation est apparemment tirée de documents aisément accessibles, comme l’Histoire universelle des Indes orientales et occidentales d’Antonio Magini et Cornelius Wytfliet (1605), ouvrage comprenant des descriptions et de nombreuses cartes, imprimé à Douai, qui est un important foyer de la vie intellectuelle jésuite. En effet, le récit rapporte non seulement, au même titre que les cartes de Mercator, la présence d’une ville de Brest sise sur la côte de la Terra Cortereale, mais également celle d’une baie des « Chasteaux [5] » (actuel détroit de Belle-Isle). Mais alors que Mercator se limite à reproduire ces toponymes, la carte « Nova Francia et Canada » de Wytfliet, dont un détail est reproduit en annexe, distribue plusieurs châteaux sur la côte nord du golfe du Saint-Laurent, dont un à Brest. De(s) Combes aura peut-être trouvé là de quoi loger le ci-haut mentionné sieur du Dongeon, dont le nom répond en soi à l’un des lieux communs du récit de voyage de la Renaissance, soit le thème de l’architecture et des monuments [6], dont il convient de traiter lors de la visite d’une ville nouvelle, faute de quoi on soupçonnera le voyageur de s’être complu à parcourir vainement un désert inculte. Et c’est sans compter que, si le récit de voyage de la Renaissance s’exerçait à une enthousiaste « mise en ordre du monde [7] » afin d’en apprivoiser la diversité, la Coppie, loin de souligner l’altérité du territoire parcouru par l’épistolier, insiste au contraire sur les similitudes qui le relient à l’Europe.

Avec une traduction anglaise et un bref texte introductif publiés par Samuel Edward Dawson, et quelques lignes dans Labrador. The Country and the People de Wilfred Grenfell [8], deux publications du début du siècle dernier, les Documents in Pre-Confederation History de Cecilia Morgan et Cornelius Jaenen [9], ainsi qu’un article de ce dernier dans un numéro des Canadian Catholic Historical Association Study Sessions sont, me semble-t-il, les seules sources modernes qui ont évoqué la Coppie. Dawson, remarquant que Lyon, lieu de publication du document, « n’était pas reliée au Canada comme l’étaient les villes côtières de Normandie et de Bretagne [10] », fait néanmoins remarquer que la première Relation des Jésuites, celle de Pierre Biard (1616), y sera également imprimée. C’est cependant oublier qu’en 1524, Verrazzano navigue vers l’ouest mandaté par des financiers lyonnais. De même, Dawson ne souligne pas qu’à l’instar de la Relation de Biard, la Coppie comporte l’imprimatur jésuite. Jeanen, qui classe l’opuscule parmi les témoignages de contacts entre Français et Amérindiens, lit vraisemblablement le document comme un témoignage historique de première main. Par exemple, il compare, à propos du sentiment de supériorité du civilisé face au sauvage et des velléités du premier à tirer le second de son état de barbarie, les vues dont fait état ce récit extravagant et celles de Louis Hébert, apothicaire et membre des expéditions et établissements de Samuel Champlain [11]. Quant aux Documents in Pre-Confederation History, ils présentent sans plus la Coppie comme l’une des premières manifestations textuelles de la Nouvelle-France, sans se prononcer sur son caractère plus ou moins référentiel… L’histoire du Labrador de Grenfell avait pourtant porté depuis longtemps un regard plus critique sur la Coppie, en soulignant que la ville de Brest, humble port de pêche au début du xviie siècle, fait l’objet, dans le récit signé De(s) Combes, du « conte de fées le plus délirant [12] », conte de fées qui sera pourtant récupéré par Lowes Roberts pour la composition de la Merchants’ Mappe of Commerce de 1638, ainsi que dans une conférence prononcée par Samuel Robertson devant la Société géographique et historique de Québec en 1843.

L’année 1609, qui voit la parution de la Coppie, est également celle de la publication de la première édition de l’Histoire de la Nouvelle France de Marc Lescarbot, qui avait déjà fait paraître en 1606, dans le prolongement des entreprises coloniales en Acadie, un Adieu à la France, long poème où il relate les conditions officielles de son départ pour Port-Royal, à l’invitation de Jean de Biencourt, sieur de Poutrincourt. Toujours du même Lescarbot paraissait, en 1608, la Defaite des Sauvages Armouchiquois par le Sagamos Membertou et ses alliez Sauvages, poème épique célébrant le courage des Souriquois, alliés des Français en Acadie. Cependant, s’il faut se limiter à la teneur missionnaire de la Coppie, les échos qu’elle fait entendre des textes de Lescarbot demeurent assez faibles, puisque la première édition de l’Histoire de la Nouvelle-France paraît trop tôt pour faire état des premières conversions opérées par Jessé Fléché, prêtre choisi par Poutrincourt au détriment des Jésuites. Le compte rendu de ces premières conversions ne sera publié à Paris qu’en 1610 : d’abord par un certain Bertrand, dans une Lettre missive touchant la conversion et baptesme du grand Sagamos de la nouvelle France, envoyée de Port-Royal le 28 juin ; ensuite, par Lescarbot, dans la Conversion des Sauvages qui ont esté baptizés en la Nouvelle France, où l’exclusion des Jésuites par Poutrincourt se voit justifiée par la démonstration hautement polémique de leur inutilité, voire de leur nuisance — autant matérielle que spirituelle — pour les entreprises coloniales de la France en Amérique. Paradoxalement, la Coppie vient confirmer le bien-fondé de cette position, en mettant en parallèle la facilité avec laquelle la Nouvelle-France permet de moissonner autant les âmes que les richesses, les Amérindiens à peine esquissés dans le récit ne se faisant jamais prier pour donner quelque « grand collier de pierres precieuses » (C, p. 9) au premier Européen venu…

Un rapprochement plus concret peut cependant être opéré avec l’Histoire de Lescarbot. Dans cet ouvrage, la carte intitulée « Figure du Port Royal en la Nouvelle France », reproduite en annexe, atteste de la prégnance chez un certain lectorat de la même représentation de la colonisation du Nouveau Monde que celle qui préside à la composition de la Coppie. En effet, si Lescarbot appartient à un univers robin, comme le montre la sensibilité gallicane de ses écrits et l’insistance avec laquelle il y répète qu’en Nouvelle-France, la République doit être établie avant l’Église, l’on discerne néanmoins dans la « Figure » une volonté de plaire à la cour plutôt qu’au palais. Outre un ensemble de toponymes fictifs qui rendent hommage à des personnages influents, bâtiments (manoir, église) et canons jalonnent le territoire, alors que la nature y est mise en scène (la promesse d’une bonne chasse, privilège de la noblesse, y est représentée sous la forme d’un élégant cervidé croqué de profil) et maîtrisée (de petits bosquets tous identiques y sont distribués uniformément). Ce double parti révèle chez Lescarbot la reconnaissance des aspirations antagonistes des deux élites visées par son ouvrage : la noblesse d’épée (le roi, Poutrincourt lui-même et d’éventuels protecteurs) et la Robe (parlementaires et conseillers royaux, lecteurs par excellence du grand genre littéraire qu’est, à cette époque, l’histoire, et pour lesquels Lescarbot étaye ses textes de références savantes). L’auteur de la Coppie ne semble quant à lui ne s’adresser qu’à la première, en décrivant avec complaisance « la douceur [des] conquestes, et [des] triomphes » (C, p. 3) des Français au Canada, victoires qui pourraient d’ailleurs se solder par une domination absolue — militaire et spirituelle — sur les populations autochtones si le roi pouvait envoyer en Nouvelle-France « moins de cinq cens hommes », dont quelques « Predicateurs » (C, p. 14). Ainsi, la Nouvelle-France de la « Figure du Port Royal » de Lescarbot comme celle de la Coppie s’ordonne selon un mode d’existence statique et atemporel, qui ne se rattache en rien à l’expérience coloniale concrète. La Création s’y trouve détemporalisée, contemplée, voire déréalisée. En effet, à l’instar du Port-Royal représenté sur la « Figure » de l’Histoire de la Nouvelle-France, la Brest de la Coppie est une ville « bien munie » (C, p. 11), fortifiée et déjà peuplée. Elle aurait été construite sous la gouverne du sieur du Dongeon, dont le rôle est d’avoir transposé l’Ancien Monde dans le Nouveau. Aussi non seulement sa ville et ses environs sont-ils habités par des hommes de haute noblesse, appartenant à une aristocratie à la fois raffinée et aventureuse, éprise de valeurs chevaleresques et sachant imposer sa supériorité à la population autochtone, mais cette population et son territoire apparaissent également comme une simple image en miroir des nouveaux occupants et de leur monde. Dans la Coppie, le lecteur apprend que les Américains sont « blancs comme neige » (C, p. 13) et que le Canada est seulement « un petit peu plus froid que la France » (C, p. 13)… En ce sens, ce récit, comme la « Figure du Port Royal en la Nouvelle France », offre à la noblesse d’épée un Nouveau Monde propice au renouvellement d’un mode d’existence qui s’effrite peu à peu en Europe. Ce reste d’idéologie féodale s’y présente par ailleurs sous la forme d’une construction éthico-esthétique qui correspond plus ou moins à celle de l’univers des romans courtois, dans lesquels la noblesse terrienne, qui porte à bout de bras le destin du monde, se constitue en rempart contre l’Autre — le Sauvage se substituant ici à l’Infidèle. Appel à la croisade plus ou moins subtil — car les armes y sont bien représentées —, la Coppie réduit l’essentiel des avantages du contact avec les Américains à leur « simplicité » (C, p. 9), qui a pour principal mérite de « fai[re]descendre [en leur terre] la benediction du Ciel » (C, p. 13). Sans compter que ces âmes pures « adore[nt] comme dieux » les Français, qui en profiteront pour leur enseigner qu’il y a déjà « au Ciel un Dieu immortel » (C, p. 10). Aussi la lettre se termine-t-elle sur une invitation lancée aux « Predicateurs » d’aller « rendr[e] [tout le païs] à la foy Chrestienne sans se faire autrement forcer » (C, p. 21), tout en profitant par la suite d’un « chemin […] ouvert en tout le reste de l’Amerique pour y faire la conqueste des ames, qui est plus que toutes les terres qu’on sçauroit jamais conquester » (C, p. 14).

Alors que la Compagnie de Jésus fait face à « un retard […] sur le front de la colonisation française, […] dû à une série de circonstances défavorables [13] », ce singulier document, qui, rappelons-le, porte l’imprimatur jésuite, pourrait avoir été écrit comme une utopie à l’intention d’éventuels soutiens aux missions en Nouvelle-France. En effet, dès 1609, Pierre Biard et Énemond Massé bénéficient, dans leur projet de prendre part à la traversée de 1611, du soutien de Pierre Coton auprès de Marie de Médicis, dont il est le confesseur. Si l’on considère en outre que Biard lui-même se trouve à Lyon entre 1605 et 1608, la Coppie, qu’il en ait ou non favorisé directement la production, tire parti d’une qualité primordiale associée au récit de voyage : celle de « ser[vir] la vérité » — même très particulière —, en ce qu’il se présente comme « une preuve », à la différence de l’histoire ou du droit (vecteurs les plus communs des écrits lescarbotiens) qui, comme le souligne Normand Doiron, sont « acculés à se défendre [14] ». L’épistolier précise d’ailleurs lui-même que « les histoires » de la Nouvelle-France qui seront éventuellement publiées après sa lettre ne viendront que confirmer ses dires : « [J]e vous prie […] de prendre en gré ce peu que je vous envoye de ce qui se passe ça bas, attendant que les histoires en seront tracees au long pour vous en certifier avec plus d’asseurance » (C, p. 5). Le titre même du document veut d’ailleurs en accentuer l’authenticité, en important en France une titrographie en vogue dans la production jésuite imprimée, qui compte à la même époque plus d’une Copia de una carta, Copia di una lettera et autres Copie of a letter. En effet, dans le corpus des voyages de l’époque, la seule autre Copie d’une lettre en français rend compte des entreprises coloniales huguenotes sous le commandement de René de Laudonnière : il s’agit de l’anonyme Copie d’une lettre venant de la Floride, envoyée à Rouen, et depuis au seigneur d’Everon, écrite en 1564, mais publiée en 1565. Brève et évitant opportunément la question religieuse, cette publication veut évidemment informer au plus vite des explorations et tentatives d’établissement des protestants en Amérique. Notre Coppie prend le parti contraire : loin de satisfaire l’intérêt de plus en plus grand du public lecteur de l’époque pour l’actualité, elle confine la Nouvelle-France dans une fiction plus que stérile pour complaire aux tenants d’un ordre suranné.

Devant cette Nouvelle-France improbable, la tentation de considérer le nom de son auteur comme tout aussi fictif que le contenu de sa lettre serait forte, si un archiviste des Jésuites de la province de France [15] n’avait confirmé qu’un certain Georges Descombes, né en 1582, figure au registre du noviciat de Lyon à l’année 1606. Ainsi, la Coppie, aboutissement probable d’un exercice scolaire, pourrait bien être due au même Descombes qui, en 1623, signe, dans l’Espée de combat (un traité d’escrime), un poème liminaire en l’honneur de son auteur, François Dancie, sieur du Verdier, en Limousin ; notre auteur se dit natif du Poitou, province voisine. Malheureusement, il ne s’agit pas du comédien Desiderio Descombes, aussi connu sous le doux sobriquet de Baron de Gratelard, qui a obtenu pour la France le brevet de l’orviétan et publié ses gaillardises dans les années 1620. Mais charlatan pour charlatan, le nôtre, quoique moins divertissant, fut certainement moins dangereux — même pour la colonisation française en Amérique. En effet, bien qu’il se montre peu enthousiaste face à la nouvelle colonie lorsqu’il écrit que son « destin [l]’a relegué en ces terres estrangeres » (C, p. 3), le narrateur de la Coppie évite d’attribuer son état aux conditions de vie en Nouvelle-France, réduisant l’expression de ses humeurs à un chagrin d’usage face à l’absence de son ami. Ce faisant, sa lettre se conforme au lieu commun épistolaire de la sincérité, ce qui permet à son auteur de rapporter, comme en passant, que les « terres » qu’il a visitées sont si « farouches et incivilisees » (C, p. 4) que les bienfaits du sieur du Dongeon et de son allié le sieur de Fougeres (!), comme de tous les Français qui s’y installeront, ne peuvent qu’accomplir le destin de cette « terre de promission » (C, p. 13). Au surplus, les « Barbares » n’y sont pas butés au point de ne pas reconnaître la supériorité des armes des Français, surtout après que ceux-ci furent venus à bout des meilleurs éléments parmi les Sauvages, « deux grans hommes comme demy Geans » (C, p. 8), spécimens qui ne sont pas sans rappeler les légendaires (et déjà largement mis en doute) Patagons auxquels André Thevet faisait allusion dans ses Singularitez de 1558 [16]. À cette différence près cependant que leur animalité ne se révèle pas tant à travers des éléments forestiers que maritimes : à l’homo silvestris des récits d’un Cartier ou d’un Champlain, la Coppie oppose une sorte d’homo maris, « arm[é] d’escailles de poissons » (C, p. 8).

En pourvoyant au decorum du récit de son expédition jusque dans de tels détails, notre narrateur sait également tirer le meilleur parti de la nature même de la lettre familière, qui met en avant la relation particulière au destinataire en tant que, comme le signale Luc Vaillancourt, elle « participe de l’édification d’un éthos distinct, celui de l’homme dans son loisir, échangeant librement avec les autres […] [17] ». Nous l’avons vu : le narrateur affirme que « les histoires » n’auront aucun avantage qualitatif sur sa lettre qui, en outre, a pour elle le privilège d’« abolir toute distance, qu’elle soit géographique, hiérarchique, affective ou idéologique [18] », tout en évitant les exposés dogmatiques. Par delà les divisions, l’amitié réunit les hommes de bien et la lettre familière, en ce qu’elle calque « l’entretien entre gens civils [19] », permet d’assimiler commodément les qualités de son producteur et celles de l’objet de son discours : « […] je vous prie [de] remarquer [dans cette lettre] les traicts de mon affection, et de prendre en gré ce peu que je vous envoye de ce qui se passe ça bas […] » (C, p. 5). Aussi la partie conclusive du récit combine-t-elle astucieusement et le résumé des objectifs concrets de l’entreprise de propagande qu’elle soutient et la mise en scène de la relation de l’épistolier à son « amy » :

[Je] vous prieray de vous contenter de ce peu jusque le temps et l’experience m’auront donné le moyen de vous en envoyer davantage, et vous descrire tout au long le merite d’une si belle conqueste : car je vous promets et vous asseure que hors la France, Canada est un des beaux et agreable [sic] païs que vous sçauriez voir […].

C, p. 14

On le voit : dans la lettre familière, la persuasion n’est pas l’effet d’une démonstration soumise aux exigences du logos ; elle se fonde plutôt sur l’exhortation, à l’imitation des lettres apostoliques, où, à travers un particulier, l’épistolier s’adresse dans les faits à l’ensemble des chrétiens [20].