Liminaire[Notice]

  • Mathilde Barraband

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  • Mathilde Barraband
    Université du Québec à Trois-Rivières

Selon ses spécialistes, l’histoire littéraire servirait à « [lier] le présent au passé » ou encore « à comprendre le sens que les textes avaient pour ceux qui les ont écrits et pour ceux à qui ils étaient d’abord destinés ». Comment expliquer dès lors que cet art de lire à distance, pour prolonger le titre de Luc Fraisse, se soit si souvent et si abondamment penché sur la littérature de son temps ? Les ouvrages de synthèse des mêmes spécialistes rappellent pourtant qu’aux origines de la discipline se trouvent les Vies de Vasari consacré aux trajectoires exemplaires de ses contemporains, les écrits historiographiques du xviie siècle consignant au jour le jour les gloires de leur temps, ou encore De la littérature de Germaine de Staël, fort intéressé à la littérature de son époque. Un bref coup d’oeil aux histoires de la littérature plus récentes montre que les historiens modernes n’ont pas perdu ce désir de prolonger leurs efforts de définition jusqu’au « temps présent ». Or cette pratique paradoxale d’histoire immédiate a étonnamment peu retenu l’attention de la critique. Son analyse offre pourtant un biais stimulant pour revisiter l’histoire et les principes d’une discipline incontournable dans le champ des études littéraires, mais souvent stigmatisée pour son traditionalisme, et parfois réputée responsable d’un manque d’intérêt des institutions d’enseignement pour l’actualité littéraire. D’autant que l’aspect exploratoire de la pratique d’histoire du contemporain conduit les historiens de la littérature à réévaluer la pertinence de leurs outils et les incite à des questionnements méthodologiques et même théoriques dont on a régulièrement souligné qu’ils faisaient souvent défaut à leur discipline. Et, en effet, si elle n’est pas récit et étude du passé, comme semble le suggérer la pratique d’une histoire littéraire du contemporain, qu’est-ce que l’histoire littéraire ? En quoi se distingue-t-elle d’autres disciplines, comme la sociologie de la littérature par exemple ? Est-ce sa fonction qui la singularise, ses méthodes, ou tout simplement la place qu’elle occupe dans le champ et l’histoire des études littéraires ? Au seuil de ce dossier, je voudrais poser l’hypothèse que le mouvement de l’histoire littéraire vers la littérature de son temps n’est pas seulement accidentel ou imputable aux tâtonnements de pionniers, mais tout à fait fondamental. L’analyse de ce mouvement pourrait même permettre de saisir ce qui fait la singularité du projet interprétatif de l’histoire littéraire. Bien souvent dans l’histoire de l’histoire littéraire, lorsque les historiens se penchent sur le contemporain, ils répondent à la volonté d’illustrer un processus (décadence, progrès) ou, au contraire, une permanence (le génie français). En tout cas, leur geste critique renvoie à une conception de l’histoire, et plus précisément de la construction de la mémoire et de l’identité dans le temps. Dans certains cas, l’histoire littéraire sert alors la conservation d’un patrimoine, voire son édification. Dans d’autres, elle tente de cerner l’adaptation des formes littéraires à l’esprit de leur temps, afin de comprendre la création présente et parfois de préparer la création à venir. Dans ces allers-retours qui construisent une solidarité entre passé, présent et avenir, l’histoire littéraire n’est alors pas très différente de l’histoire générale, dont Lucien Febvre affirmait qu’elle « cherche et met en avant dans le passé les faits, les événements, les tendances qui préparent le temps présent, qui permettent de le comprendre ». Mais l’intérêt de l’histoire de la littérature pour le présent paraît plus déterminé encore. Une réflexion de Gustave Lanson permet peut-être de mieux comprendre pourquoi : « Notre objet, écrivait-il, c’est le passé aussi, mais un passé qui demeure : la littérature, c’est à la fois du passé et du présent. […] [N]otre …

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