Liminaire[Notice]

  • Sophie Bourgault et
  • Julie Paquette

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  • Sophie Bourgault
    Université d’Ottawa

  • Julie Paquette
    Université du Québec à Montréal

Aborder la seconde moitié du xviiie siècle en France après que tant d’autres avant nous l’ont fait n’est certes pas sans difficulté. Les chemins paraissent balisés d’avance. La Révolution française, par exemple, est souvent analysée ou bien en fonction des conditions matérielles, ou comme un mouvement émancipateur libéral duquel naîtra l’individu doté de droits, ou encore comme une mise en péril de l’Autel et du Trône. Peu importe la définition ou la signification qu’on lui donne, la Révolution française s’accompagne le plus souvent d’un corpus d’auteurs choisis qui définit le cadre de l’analyse. Cependant, à proposer une lecture strictement marxiste, libérale ou contre-révolutionnaire, on en vient souvent à oblitérer certains penseurs ou à en figer d’autres dans une catégorie reflétant mal la pluralité de leurs écrits. Le tri de l’Histoire faisant son oeuvre, certains personnages font figure de proue, ils deviennent les caractères principaux du grand récit de la Révolution, rangés à leur tour dans une pensée, une idée, un régime politique, alors que d’autres se voient tout simplement écartés, marginalisés, oubliés. Cependant, au coeur de cette période charnière se chevauchent toute une série de réflexions plus diverses les unes que les autres et ce, parfois, chez un seul et même auteur que l’on verra passer par exemple de monarchiste à républicain ou encore de sceptique à révolutionnaire dogmatique… Le xviiie siècle français institue en actes une nouvelle langue et cette institutionnalisation engendre un travail de la pensée que le présent numéro cherche à laisser entendre. De ce que l’on a tenté de réduire au passage de l’« ancien » au « nouveau » régime se dessine, à y regarder de plus près, une toile aux délimitations beaucoup plus poreuses sur laquelle apparaissent des personnages ou bien tenus pour secondaires (Brissot de Warville, Mallet du Pan, Sénac de Meilhan) ou encore — victimes de préjugés — peints sous des traits ne rendant pas compte de toutes les teintes que comprend leur pensée (l’abbé de Mably, Benjamin Constant). Dès lors, plusieurs questions nous taraudent : entre autres, comment s’opère ce tri de l’Histoire ? Et comment ne pas refermer la parenthèse en proposant, à notre tour, un tri trop sélectif ? Le recueil ici présenté ne cherche pas à imposer un point de vue unique, une interprétation unifiée de la Révolution française. Au contraire, il vise d’abord à ouvrir sur des perspectives qui donnent à voir différents visages de la Révolution et de la Contre-Révolution, mais aussi — et surtout — à faire entendre plusieurs de leurs voix. Entre concorde et vertu, poésie et prose, scepticisme radical et dogmatisme politique, républicanisme et libéralisme, métaphysique et matérialisme, discours antiphilosophique et discours dit « éclairé », des points de vue se font écho et c’est bien cela que nous cherchons à faire résonner. L’analytique que nous proposons ici se veut un témoignage de ces discours minorisés que les paradigmes discursifs dominants ont cherché, volontairement ou non, à faire taire. Aucune volonté de faire bloc, ou de clore le débat qu’ouvre ce numéro. Il s’agit plutôt de laisser entendre la pluralité de ce qui se dit, de ce qui se pense à partir et avec la Révolution ; pluralité ouverte qui vise à fédérer les différents savoirs disciplinaires sous l’égide d’une réflexion commune autour de la littérature qu’a produite cette fin de siècle et qui pourrait aussi être complétée par plusieurs autres textes, puisque cette recension n’est évidemment pas exhaustive. Par cet exercice, nous souhaitons laisser surgir des pensées qui permettront — c’est notre prétention — de nuancer la trame historique linéaire qu’implique une étude partielle ou trop synthétique de cette période …

Parties annexes