Liminaire[Notice]

  • Catherine Bouko et
  • Hervé Guay

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  • Catherine Bouko
    Université Libre de Bruxelles

  • Hervé Guay
    Université du Québec à Trois-Rivières

Alors qu’il se demande où est la vérité du théâtre, Jacques Ferron (1921-1985) parvient à cette conclusion déroutante : « La vérité du théâtre est dans la salle et non pas sur la scène. C’est le public lorsqu’il s’abandonne et que la pièce réussit, qui fait les frais du spectacle. » En ironiste doué, l’écrivain québécois adopte un point de vue paradoxal sur le spectateur dans la mesure où il lui attribue en définitive la responsabilité de l’échec ou de la réussite de la représentation, mais il pose surtout en termes d’abandon et de perte le processus qui relie la salle à la scène, puisque quand le courant passe entre les deux, c’est forcément le spectateur qui est berné. Toutefois, à bien l’examiner, sa proposition est doublement négative. Pour lui, le spectateur peut seulement être pris au piège, soit parce qu’il a payé pour assister à un spectacle raté, soit parce qu’il se laisse aller à la fiction qui l’emporte. De nouvelles recherches sur le spectateur et le théâtre contemporain invitent à sortir de l’impasse détectée, à son époque, par Ferron. Cette nouvelle conception du public s’affirme notamment par une adaptation du lexique des chercheurs aux pratiques spectatrices contemporaines soulignant qu’aller au théâtre, ce n’est pas seulement assister à un spectacle, être présent, écouter, mais que cela s’accompagne d’une activité spécifique qu’il est possible de désigner par un substantif ou un verbe actif. Yves Thoret a ainsi proposé, sur le modèle de « lecture », « spectature » pour désigner en français « l’effet produit sur le public par le spectacle ». Pour sa part, Marie-Madeleine Mervant-Roux fait du public l’assise du spectacle, car il l’assiste tout autant qu’il y assiste. Dennis Kennedy voit dans le spectateur « a corporeal presence but a slippery concept » et adopte plutôt le substantif « spectation », alors que Bruce McConachie risque le néologisme « spectating », tout en s’efforçant d’expliquer, à l’aide des sciences cognitives, le rôle de l’attention, de l’empathie, de l’émotion et de la culture dans la réception théâtrale, et en proposant de concevoir les pratiques spectatrices en termes d’engagement. Pour lui, la notion suppose une relation à deux sens, des créateurs et des spectateurs engagés dans une « communication performative ». Pour nous, la relation se déroule forcément dans un environnement précis et convoque un spectateur susceptible de se manifester verbalement et physiquement. La notion d’engagement permet en outre de surmonter la sempiternelle opposition entre passivité ou activité du spectateur et invite plutôt à préciser la nature de cet engagement, les processus mentaux impliqués, les procédés auxquels les créateurs font appel pour l’obtenir et le type d’expérience esthétique et culturelle à laquelle le spectateur est convié. Elle nécessite également d’ancrer la réflexion dans des théories, des concepts, une histoire et des outils concrets permettant d’appréhender la réception théâtrale. C’est précisément le recadrage que l’équipe de ce dossier souhaite réaliser en redéployant la pensée sur le spectateur autour de trois dimensions liées à l’engagement : celles de l’expérience, du corps et du discours. Les trois vont dans le sens d’un engagement croissant du spectateur dans la représentation. La notion d’expérience suppose en effet que le récepteur prenne contact avec un environnement doté de sa propre matérialité et de ses propres règles. En effet, le public ne souscrit pas seulement à une fiction ; il est possible que l’événement spectaculaire le mette à l’épreuve, que son cadre se distingue par son unicité de celui qu’il côtoie d’ordinaire, que le principal intéressé consente à s’y investir ou que cela se fasse à son corps défendant, bref, que la …

Parties annexes