Liminaire[Notice]

  • Marie-Ange Croft et
  • Roxanne Roy

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  • Marie-Ange Croft
    Université du Québec à Trois-Rivières

  • Roxanne Roy
    Université du Québec à Rimouski

Que ce soit par les souffrances qu’elle génère ou par les actes de bravoure qu’elle suscite, la guerre marque profondément l’imaginaire collectif sous l’Ancien Régime. Tant en France qu’en Nouvelle-France, la guerre configure la vie en société et plus encore, le rapport à l’autre. Pour reprendre les termes de Jean Garapon : « la guerre est un fait de société universel, touchant à tous les domaines de la vie privée et publique, imprégnant les mentalités, marquant de son empreinte les Lettres et les Arts. » Parfois perçue comme le théâtre d’une cruauté barbare et d’une violence sanglante, c’est aussi à travers elle que s’expriment les valeurs de l’héroïsme, de l’honneur et du sacrifice au nom de la nation. À l’horreur des massacres se superpose le désir de gloire, en phase avec un idéal chevaleresque qui n’est pas encore complètement révolu. La distance entre ces deux pôles favorise l’émergence de différentes représentations de la guerre qui coexistent — et parfois même s’affrontent — dans la littérature de l’époque. Sous la plume des écrivains d’Ancien Régime, les faits d’armes et les combats militaires sont sans cesse repris, mis en fiction, réécrits et réinterprétés, alors que les portraits qu’ils brossent des princesses guerrières et des grands hommes de guerre fascinent, séduisent et instruisent les lecteurs. De fait, les guerres servent de toile de fond aussi bien aux oeuvres dramatiques et aux nouvelles galantes ou historiques, qu’aux romans et aux récits de voyage ; la poésie et les journaux en font la propagande, tandis que les traités et les essais l’exploitent à des fins philosophiques ou pédagogiques. C’est ainsi que, par le biais de l’écriture et de la mise en récit, le discours sur la guerre et sur ceux qui la font se construit, se transforme, se transmet. Jusqu’à présent, les rapports entre la guerre et la littérature d’Ancien Régime n’ont que peu retenu l’attention des chercheurs. Certes, l’histoire militaire — qui connaît depuis quelques années un regain d’intérêt, notamment chez les auteurs anglo-américains — a su mettre à contribution les écrits des mémorialistes, les correspondances, les périodiques ou les journaux personnels pour enrichir notre compréhension des guerres. Pensons à Sophie Vergnes qui, en 2013, dans Les Frondeuses. Une révolte au féminin (1643-1661), examine la participation des femmes à la Fronde en exploitant notamment les mazarinades et les Mémoires de la duchesse de Montpensier ; ou, à Jacques Lacoursière et Hélène Quimper, dont l’ouvrage Québec, ville assiégée, 1759-1760, d’après les acteurs et les témoins (2009) repose sur l’étude de lettres, de mémoires, et autres écrits. Cette récupération du texte par l’histoire militaire constitue un premier jalon du dialogue qui s’instaure entre la guerre et la littérature, mais elle présente aussi des limites, dans la mesure où elle évacue les considérations liées à la mise en récit — fictionnalisation, enjeux et stratégies d’écriture, esthétisme, etc. Or, envisager ces textes uniquement comme témoignages et mettre de côté leur dimension littéraire conduit à une interprétation nécessairement lacunaire, voire biaisée. La littérature, pour sa part, s’est penchée sur les stratégies et les conditions de la mise en récit du combat guerrier, mais toujours à travers des études de cas bien précises. C’est le cas D’encre et de sang : Simon Goulart et la Saint-Barthélemy (2007) de Cécile Huchard, qui réfléchit sur la construction du récit du célèbre massacre par l’écrivain genevois, ou des travaux menés sur les représentations de la cruauté et de la violence dans la littérature d’Ancien Régime, et notamment au théâtre : pensons au Théâtre de la cruauté et récits sanglants (2006) ou aux dossiers parus dans Littératures classiques : « Réécritures …

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