Résumés
Résumé
Le présent article étudie le traitement réservé au « témoignage » homérique sur la guerre de Troie chez les historiens grecs de l’époque classique (Hérodote, Thucydide) et, plus succinctement, dans l’historiographie de l’époque hellénistique et romaine. Tandis qu’Hérodote, adoptant une attitude polémique, conteste l’autorité d’Homère et définit sa pratique de l’histoire par opposition avec le modèle homérique, Thucydide, affichant moins de scepticisme, s’emploie à mettre en place une méthode qui lui permette d’exploiter les poèmes homériques comme source d’informations sur l’histoire économique et politique des temps archaïques. On retrouve cette théorie du « sens caché » chez divers historiens et géographes de l’époque hellénistique et romaine qui, éduqués dans le respect de la tradition homérique, continuent à s’interroger sur l’historicité de l’Iliade et de l’Odyssée, en un débat dont le rhéteur Dion de Pruse suggère ironiquement la transformation en lieu commun de l’historiographie antique.
Abstract
This paper studies the treatment of Homer as “eyewitness” to the Trojan War by classical-era Greek historians (Herodotus, Thucydides), particularly in the historiography of the same period. Whereas Herodotus adopts a polemical stance by challenging Homer’s authority and defines his own practice as a historian in opposition to the Homeric model, Thucydides, less sceptical, implements a method using the Homeric poems as a source of information on the economic and political history of classical antiquity. This theory of a “hidden meaning” is found in various classical-era historians and geographers who, although trained to respect Homeric tradition, persisted in questioning the historicity of the Iliad and the Odyssey. The result was a debate which the rhetorician Dio of Prusa ironically suggested should become a commonplace of classical historiography.
Corps de l’article
En exergue au présent article, dans lequel nous étudierons le regard critique porté par Hérodote et Thucydide sur la version homérique de la guerre de Troie et examinerons, plus succinctement, la place persistante de la référence à Homère dans l’historiographie d’époque hellénistique et romaine, il convient de rappeler que l’opposition, banale aux yeux des Modernes, de la littérature et de l’histoire ne va pas de soi quand il est question d’Antiquité, et cela pour deux raisons : tout d’abord parce que l’épopée, en tant que mémorial du passé le plus reculé de la Grèce, fait figure d’ancêtre de l’histoire, et que les premiers historiens grecs sont, dans une mesure non négligeable, les héritiers d’Homère[1] ; et ensuite parce que les Anciens avaient tendance à considérer l’histoire comme une discipline littéraire, et non pas scientifique.
Hérodote et la tradition homérique
La dette d’Hérodote, le « père de l’histoire », à l’égard de l’épopée, a souvent été soulignée : l’influence d’Homère est sensible, dans l’Enquête hérodotéenne, à tous niveaux — langue, style, techniques de composition, idées morales[2]. Elle s’affiche dès les premières lignes, où Hérodote présente son oeuvre dans des termes qui rappellent fortement les prologues épiques[3] : tel un aède, il insiste sur la dimension mémoriale de son entreprise, met en exergue une valeur caractéristique de l’univers épique, le kleos (gloire posthume née de la célébration des exploits), et se targue d’assurer aux deux partis, grec et troyen, une impartialité de traitement qui est aussi celle du récit iliadique[4].
Et pourtant, Hérodote fait rarement référence à Homère dans l’ensemble de l’Enquête et, lorsqu’il le mentionne, se montre le plus souvent critique à son égard[5]. Cette prise de distance délibérée de l’historien à l’égard du poète épique se manifeste, dès les chapitres d’introduction (1, 1-5), à travers l’étonnante mise à l’écart de la version homérique de la guerre de Troie. Lorsqu’il évoque cet affrontement qui préfigure les guerres médiques, sujet de son Enquête, ce n’est pas la version homérique qu’Hérodote utilise : il substitue au récit qui, de son temps, faisait autorité en la matière, une version inédite, dont il attribue la paternité aux « doctes » (logioi) perses (1, 1).
Une première particularité remarquable du récit des Perses, rapporté dans un développement long d’une soixantaine de lignes, tient au fait que la guerre de Troie perd la singularité qui, dans l’Iliade, était sienne pour s’insérer à l’intérieur d’une série de rapts de femmes, qui se succèdent selon le schéma archaïque de l’offense suivie de rétribution, et débutent à une époque bien antérieure à celle mise en scène dans les poèmes homériques. Un premier enlèvement, celui de la Grecque Io par les Barbares phéniciens, est compensé par un second, celui de la Phénicienne Europe par les Grecs, qui rétablit l’« égalité » (1, 2 : ἴσα πρὸς ἴσα). Le scénario se répète ensuite sur un mode inversé, avec l’enlèvement de la Barbare Médée par les Grecs, à quoi répond l’enlèvement de la Grecque Hélène par le Barbare Pâris. L’histoire pourrait s’arrêter là, avec un retour à l’équilibre, mais les Grecs, s’estimant offensés, déclenchent alors la guerre de Troie, dont les guerres médiques constituent par conséquent, selon les doctes perses, le juste châtiment.
Cette version alternative, rapportée par Hérodote en lieu et place de celle d’Homère, s’oppose à la version épique par une seconde particularité remarquable, sa tonalité démythologisante : les seuls acteurs en sont des personnages humains qui, de surcroît, n’ont plus rien d’héroïque[6]. Pâris y est décrit en calculateur cynique, comptant sur l’application du principe de la rétribution pour se procurer une femme par le rapt sans encourir de sanction, et Hélène est supposée consentante, puisque, aux dires des Perses, on n’enlève que les femmes qui le veulent bien. Les Grecs, enfin, sont accusés d’avoir surréagi pour des raisons futiles, alors que « les hommes de bon sens ne se soucient nullement des femmes enlevées » (1, 4). Le caractère iconoclaste d’une telle présentation est confirmé par la réaction de Plutarque qui, dans son traité Sur la malignité d’Hérodote, reproche à l’historien d’avoir déclaré que « la guerre de Troie, ce glorieux fleuron (κάλλιστον ἔργον καὶ μέγιστον) de la Grèce, a[vait] éclaté stupidement (ἀβελτερίᾳ) à cause d’une femme de petite vertu (γυναῖκα φαύλην) » (ch. 11, 856 e[7]). Il a échappé à Plutarque (ou celui-ci feint de n’avoir pas remarqué) qu’Hérodote, loin de reprendre à son compte la version des logioi perses, la met à distance en la présentant au style indirect[8], et complète ce travail de sape en évoquant l’existence d’une variante phénicienne de l’enlèvement d’Io (1, 5). Il refuse d’ailleurs, dans le troisième et dernier temps de sa préface, de se prononcer personnellement sur des événements aussi anciens, et choisit pour sa part de ne pas remonter dans la chaîne causale au-delà du vie siècle av. J.-C. ; en désignant comme premier agresseur le Lydien Crésus, auquel il impute « l’initiative d’actes offensants » envers les Grecs (1, 6), il contredit de facto la version des logioi perses, dont la fonction apparaît en définitive assez énigmatique : si elle jette obliquement le doute sur la validité du récit homérique, elle sert peut-être aussi à suggérer que tout, jusqu’à leur interprétation du passé, oppose les Grecs et les Barbares[9].
Un autre passage de l’Enquête nous intéresse plus encore, parce qu’il comporte une critique, cette fois explicite et très détaillée, du texte homérique. Le passage en question figure dans la première partie du livre ii, réservée à l’histoire de l’Égypte, et, plus précisément, dans le développement consacré à un pharaon qu’Hérodote désigne sous le nom grec de Protée, celui-là même porté par le dieu marin que Ménélas aurait rencontré, au cours de son voyage de retour, selon le chant iv de l’Odyssée (v. 351-586). Les remarques d’Hérodote sur Homère et la guerre de Troie, qui occupent en fait l’intégralité du chapitre dévolu au règne de Protée (2, 113-120), prennent la forme d’un excursus à valeur étiologique[10]. Se mettant en scène dans le rôle d’enquêteur, il raconte comment il a visité, près de Memphis, un sanctuaire de l’Aphrodite étrangère, qu’il identifie à Hélène. Il rapporte alors le récit que les prêtres égyptiens lui ont fait de la guerre de Troie (§ 113-115 et 118-119) — récit en désaccord avec la version d’Homère, dont l’autorité se trouve à nouveau contestée par un témoignage étranger. Selon les prêtres, Hélène et Pâris auraient, au cours de leur fuite, été contraints de faire escale en Égypte ; dénoncé au pharaon par ses propres serviteurs et reconnu coupable d’avoir transgressé les lois de l’hospitalité, Pâris aurait été obligé de quitter l’Égypte en laissant à Protée la garde d’Hélène. De leur côté, les Grecs se seraient obstinés à faire la guerre aux Troyens, parce qu’ils estimaient mensongères leurs protestations concernant l’absence d’Hélène à Troie, et ils n’auraient compris leur erreur qu’après avoir anéanti la cité. Ménélas se serait alors rendu en Égypte, où Protée, après l’avoir généreusement accueilli, lui aurait restitué Hélène. Ce qui n’aurait pas empêché le roi de Sparte, retenu par des vents contraires, d’immoler deux enfants égyptiens pour pouvoir reprendre la mer, en une sorte de réitération aggravée du sacrifice d’Iphigénie[11].
Comme les récits perses du livre i, cette version alternative égyptienne constitue, à elle seule, une remise en cause de la validité du texte homérique. Tout d’abord, parce qu’Hérodote souligne la fiabilité de ses informateurs égyptiens, auxquels il prête, dans leur enquête sur les événements du passé, une attitude semblable à la sienne (ils ont, comme lui, procédé à une historiê) ; il insiste sur leur honnêteté intellectuelle[12] et précise que, même pour les événements du siège de Troie, ils possèdent des renseignements remontant à un témoin oculaire, Ménélas en personne. Une présentation aussi flatteuse fait évidemment de l’ombre à la version d’Homère, qui apparaît comparativement beaucoup moins bien informée[13]. Par ailleurs, le récit très égyptophile des prêtres de Memphis présente les héros des poèmes homériques sous un jour singulièrement peu flatteur : face au pharaon Protée, qui joue le beau rôle de défenseur du droit et de vengeur de l’hospitalité bafouée, Pâris et Ménélas font figure de vilains, et les Grecs dans leur ensemble ne valent guère mieux, en s’obstinant, pendant dix ans, à faire la guerre pour rien[14].
Mais Hérodote ne se contente pas de ce jeu de comparaison implicite pour dénoncer les balivernes (μάταιον λόγον) homériques, il se livre aussi, à deux reprises, à une critique en règle d’Homère, aux § 116-117, puis à nouveau, au § 120[15]. Dans le premier passage, qui concerne le séjour d’Hélène en Égypte, il accuse Homère d’avoir délibérément faussé la réalité, qu’il connaissait, parce qu’elle ne lui paraissait pas appropriée (εὐπρεπής) pour l’épopée, et il appuie cette affirmation sur un examen détaillé des poèmes homériques, en se livrant à un exercice de critique textuelle (la mention, au chant vi de l’Iliade, d’une escale de Pâris en Phénicie attesterait son passage en Égypte, pays voisin[16]). L’emploi du terme εὐπρεπής montre qu’aux yeux d’Hérodote le premier défaut d’Homère, ou plutôt la spécificité qui en fait une source malaisément exploitable pour l’historien, est d’avoir opté pour une version des faits plus belle, plus glorieuse que n’était la réalité. À travers Homère, c’est donc la poésie tout entière (et son éventuelle exploitation en tant que source historique) qui se trouve visée, en raison même du rapport extrêmement libre qu’elle entretient avec le réel[17].
Dans la seconde séquence de critique littéraire (§ 120), les reproches adressés par Hérodote au texte homérique sont d’un ordre assez différent, puisqu’il s’en prend à l’invraisemblance psychologique du récit de l’Iliade. L’idée directrice, dans ce passage à l’armature démonstrative très apparente, est que, si Hélène avait été à Troie, les Troyens l’auraient, tôt ou tard, rendue aux Grecs pour éviter la destruction totale de leur cité. En adoptant pareille ligne argumentative, Hérodote frappe de nullité la célèbre déclaration prononcée, au chant iii de l’Iliade, par les vieillards de Troie : « Non, il n’y a pas lieu de blâmer les Troyens ni les Achéens aux bonnes jambières si, pour telle femme, ils souffrent de si longs maux[18]… » (v. 151-160). Aux yeux de l’historien rationaliste, tenir pareil langage c’est se montrer φρενοβλαβής, avoir l’esprit troublé. On notera toutefois les limites dans lesquelles s’exerce la critique hérodotéenne du texte homérique : si l’historien conteste la véracité de la version iliadique de la guerre de Troie, il ne remet nullement en question la guerre elle-même, ni l’historicité des personnages du récit homérique, et l’on constate même que, dans la réfutation du § 120, il exploite Homère contre Homère, en utilisant divers éléments du texte iliadique (mort de nombreux fils de Priam, opposition d’Hector et de Pâris), pour mieux reprocher au poète l’invraisemblance de sa version de la guerre[19].
Thucydide, lecteur et interprète d’Homère
Bien qu’Hérodote et Thucydide soient souvent présentés sous un jour antithétique, le premier comme un historien naïf et affabulateur, et le second comme le père de l’histoire « scientifique » et objective, leurs deux oeuvres sont, en fait, loin d’être en opposition radicale. Un certain nombre d’études récentes se sont même attachées à montrer l’importance de l’héritage hérodotéen dans le texte de Thucydide[20] ainsi que l’influence persistante de la tradition homérique dans l’oeuvre de ce dernier[21]. Il convient d’ailleurs de rappeler la proximité temporelle des deux historiens (trop souvent sous-estimée) : Hérodote a achevé la composition de son Enquête dans les premières années de la guerre du Péloponnèse, à laquelle il fait quelques allusions — c’est-à-dire à une époque où Thucydide avait déjà entrepris la rédaction de sa propre histoire, qui est donc en partie contemporaine de l’Enquête hérodotéenne[22]. La dette de Thucydide à l’égard d’Hérodote apparaît d’emblée, à travers la structure tripartite de son introduction[23] : au premier prologue, assurant la présentation de l’oeuvre et de son auteur (1, 1), succède un panorama de l’histoire de la Grèce depuis les origines (l’« Archéologie », 1, 2-19), suivi d’une seconde préface, en forme de discours de la méthode (1, 20-22). La note épique est présente dans le premier prologue, à travers l’exaltation de la grandeur du sujet. La remontée dans le temps à laquelle Thucydide se livre dans son « Archéologie » a d’ailleurs pour fonction, non d’exposer, comme le développement correspondant d’Hérodote sur les rapts de femmes, les origines lointaines d’un conflit actuel, la guerre du Péloponnèse, mais de prouver que cette guerre dépassa en importance toutes celles du passé — objectif de caractère moins scientifique qu’épidictique[24].
Si l’« Archéologie » est, néanmoins, introduite par des précautions méthodologiques destinées à établir le sérieux de l’historien (Thucydide précise qu’il n’est pas possible d’aboutir à une « connaissance parfaite » des époques les plus reculées, mais seulement à des vraisemblances étayées sur des « indices », tekmêria[25]), on a la surprise de constater qu’il accorde une place importante à l’oeuvre d’Homère dans son travail de reconstitution des premiers temps de l’histoire grecque, alors même que, dans le reste de son oeuvre, les références au poète épique sont encore plus rares que chez Hérodote[26]. Il s’appuie sur le texte d’Homère pour évoquer l’absence d’unité du monde grec à l’époque archaïque (1, 3), la piraterie alors endémique en Méditerranée (1, 5, 2), et se livre, dans le développement consacré à la guerre de Troie (1, 9-11), à un véritable commentaire de l’Iliade. Et l’on remarque non sans étonnement qu’il porte sur la valeur historique du témoignage homérique un regard sensiblement plus optimiste qu’Hérodote : s’il souligne, comme celui-ci, la tendance du poète à embellir la réalité, il ne récuse aucunement l’intérêt du texte d’Homère, ne lui substitue pas, comme Hérodote, une version alternative et exogène, mais s’emploie à mettre en place une méthode qui lui permette de transformer l’oeuvre littéraire en source d’informations authentiquement historiques[27].
Ce faisant, il développe en fait une idée qui, chez Hérodote, n’apparaissait qu’en filigrane : l’idée que la vérité est bel et bien présente dans le texte homérique, mais sous forme de trace, d’allusion (hyponoia) cachée dans les interstices du récit poétique[28]. La tâche de l’historien consiste donc, aux yeux de Thucydide, à lire entre les lignes, pour faire dire au texte ce qu’à la lettre il ne dit pas et soutirer au poète des renseignements involontaires, par le biais du raisonnement inductif ou comparatif[29]. Si Homère n’évoque nulle part le manque d’unité de la Grèce, Thucydide estime qu’il témoigne de cela à son insu, en employant une multitude de termes différents pour désigner les contingents helléniques (1, 3). Quant à l’importance en réalité très limitée de l’expédition contre Troie, Thucydide la déduit d’une analyse détaillée du Catalogue des Vaisseaux, dont il exploite les données chiffrées en véritable précurseur de l’histoire quantitative (1, 10). Il s’emploie aussi à retrouver dans le texte de l’Iliade des indications de nature économique, qui lui permettent de conclure au « manque d’argent » dont souffrit l’entreprise d’Agamemnon : à l’origine de problèmes d’approvisionnement, les ressources insuffisantes de l’armée grecque expliqueraient la durée du siège relaté dans l’Iliade (1, 11).
Thucydide dépouille donc l’oeuvre du poète de son habillage idéaliste, pour en tirer les éléments d’une lecture très réaliste de la guerre de Troie, dans laquelle l’analyse des rapports de force et celle des conditions matérielles de l’affrontement occupent une place déterminante[30]. L’examen critique auquel il soumet le texte homérique lui sert à illustrer la méthode de recherche qu’il mettra ensuite en oeuvre dans son exposé de la guerre du Péloponnèse. La reconstitution à laquelle il se livre à partir des données empruntées aux poèmes homériques s’insère d’ailleurs dans une polémique générale contre l’idéalisation du passé[31], comme l’indique clairement la conclusion du développement consacré aux événements troyens (1, 11, 3) : « S’ils furent plus renommés que tous ceux qui précédèrent, [ils] se révèlent dans la réalité (δηλοῦνται […] τοῖς ἔργοις) inférieurs à la légende (τῆς φήμης) et à la tradition (τοῦ λόγου) qui, actuellement, grâce aux poètes, s’est établie à leur sujet. »
L’ombre d’Homère dans l’historiographie grecque de l’époque impériale
La place centrale d’Homère dans la paideia hellénique et le prestige dont jouissait l’oeuvre historique de Thucydide contribuent largement à expliquer la pérennité de la référence homérique chez les historiens (et géographes) de l’époque hellénistique et romaine. Polybe, convaincu de la véracité, au moins partielle, des voyages d’Ulysse, qu’il prétendait pouvoir localiser dans les parages de la Sicile, affirmait, dans un passage cité par Strabon, qu’« il n’est pas dans la manière d’Homère de composer un récit où il n’y aurait que du merveilleux, sans aucun fond de vérité ». Lui emboîtant le pas, Strabon estime que le Poète, « quand il compose ses fables, se garde de mettre du prodige partout » (1, 2, 7) : qu’il évoque la guerre de Troie (dans l’Iliade) ou le périple d’Ulysse (dans l’Odyssée), il part de faits réels, qu’il embellit « des ornements de la fable » (1, 2, 9)[32]. Strabon s’attarde longuement sur la question de l’historicité d’Homère, au point d’être, de tous les écrivains anciens, celui qui a consacré la discussion la plus substantielle à ce problème épineux : parce qu’il utilise abondamment les poèmes homériques comme source de sa description du monde habité, et notamment dans les sections consacrées à la Grèce et à la Troade (l. vii-x), il a jugé nécessaire de justifier, dans les prolégomènes de sa Géographie, ce recours intensif au témoignage d’Homère, et s’emploie donc, à l’instar de Thucydide, à définir une méthode d’exploitation du texte homérique, où nous retrouvons la théorie du « sens caché ». Comme l’historien, le géographe doit soumettre les déclarations d’Homère à une enquête critique, afin de découvrir la vérité « sous les lieux ou personnages agrandis par la fable », inversant ainsi le processus poétique qui, sur un noyau de réalité, a greffé une enveloppe fictive[33].
Par ailleurs, le fait que l’histoire soit assez vite devenue un genre littéraire, et qu’elle constitue à l’époque hellénistique et romaine « une province de l’éloquence » plutôt qu’une discipline scientifique[34], a contribué à pérenniser l’influence proprement littéraire d’Homère sur l’écriture des historiens. Le passage consacré dans l’Anabase d’Arrien au séjour d’Alexandre à Troie en offre un exemple éclairant : évoquant, dans cette séquence qui fait fonction de seconde préface, l’hommage rendu par le conquérant macédonien au tombeau d’Achille, Arrien écrit : « Alexandre proclama Achille heureux, à ce qu’on dit, d’avoir trouvé un Homère comme héraut pour passer à la postérité » (1, 12[35]). Il ajoute qu’Alexandre n’ayant pas eu la chance de voir ses exploits célébrés comme ils le méritaient, il a l’intention de combler cette lacune, car il « ne [s]e croi[t] pas indigne » de faire connaître ses hauts faits aux hommes à venir (1, 12). Il présente donc implicitement son Anabase comme une seconde Iliade[36], et peut-être faut-il voir dans son refus d’indiquer son nom et sa patrie, comme l’avaient fait, dans leurs préfaces, Hérodote et Thucydide, l’adoption d’une posture délibérément homérisante[37] : c’est, en tout cas, ce que suggère un passage du Discours 53 (Sur Homère) de Dion de Pruse, où l’orateur oppose à l’ostentation des historiens qui font parade de leur nom l’humilité du poète, qui préféra garder l’anonymat (§ 9-10[38]).
Nous terminerons cette brève enquête sur Homère et les historiens par quelques remarques à propos d’une autre oeuvre de Dion, le Discours troyen. Dans ce discours, prononcé devant les habitants d’Ilium Novum, ville nouvelle construite sur le site supposé de l’ancienne Troie, Dion prétend dénoncer les mensonges d’Homère et rétablir la vérité sur la guerre de Troie, dont il présente une version bien différente de celle de l’Iliade : Pâris n’y est plus le ravisseur, mais l’époux légitime d’Hélène dont il a obtenu la main de façon tout à fait régulière, et Ménélas se transforme de mari trompé en prétendant évincé. Dion rejette donc sur les Grecs la responsabilité du conflit, dont il modifie radicalement l’issue, puisqu’il affirme que c’est Hector le meurtrier d’Achille, et non l’inverse, et que la victoire a été remportée par les Troyens. Homère aurait brouillé les faits à dessein, « pour complaire tant aux Grecs qu’aux Atrides » (§ 35). Le fait que Dion prétende tenir cette version inédite de la bouche d’un vieux prêtre égyptien, qui aurait lui-même obtenu ses informations de Ménélas en personne (§ 37-39), indique que l’on n’a pas affaire à un simple exercice sophistique de réfutation d’Homère — jeu littéraire en vogue à l’époque impériale[39] —, mais que l’ironie de Dion a pour cible, moins Homère lui-même, que le débat sur l’historicité d’Homère, initié par Hérodote, et poursuivi ensuite par Thucydide et Strabon[40]. D’autres éléments du Discours troyen montrent que Dion s’amuse à pasticher Hérodote critiquant la version homérique de la guerre de Troie : outre le motif de l’informateur égyptien renseigné par Ménélas, l’accent mis par Dion sur les diverses incohérences du récit homérique rappelle l’importance accordée par Hérodote au critère de la vraisemblance dans sa critique d’Homère[41], et l’idée que le poète connaissait en fait la vérité sur la guerre de Troie, et a délibérément choisi de la taire ou de la déformer, tout en en laissant subsister quelques traces perceptibles au lecteur affûté, trouve elle aussi son origine dans l’Enquête hérodotéenne[42]. À travers ce jeu subtil de mise en abyme, où Dion se moque d’Hérodote se moquant d’Homère, l’orateur entre en dialogue avec la tradition séculaire du débat sur la crédibilité historique des poèmes homériques. Entend-il ainsi dénoncer ce qu’il considérait peut-être comme un faux problème, aux termes mal posés[43], ou veut-il juste plaisanter de ce que la vogue littéraire d’Hérodote avait, sous la Seconde Sophistique, transformé en « marotte » intellectuelle, le caractère très énigmatique du Discours troyen[44] ne permet guère de le préciser.
Conclusion
Si des historiens contemporains ont pu être tentés de remettre en question l’existence même de la guerre de Troie[45], faisant ainsi basculer les poèmes homériques dans le domaine de la pure fiction, jamais dans l’Antiquité le doute n’a pris des formes aussi radicales : lorsque les historiens anciens, soucieux de promouvoir le sérieux de leur discipline, critiquent la valeur documentaire de l’Iliade ou de l’Odyssée, leurs soupçons s’arrêtent au déroulé des événements, à la présentation des acteurs de l’histoire, ou encore au dénouement du conflit, dont le récit a pu paraître biaisé à certains commentateurs antiques, prompts à suspecter chez autrui l’esprit partisan[46]. Telle est bien la position adoptée par l’auteur qui, sans doute, s’est avancé le plus loin dans la voie du déni, Dion de Pruse, lorsqu’il affirme que Troie n’a pas été prise : si la réputation d’Homère est égratignée dans cette réfutation sophistique, qui traite le poète en faussaire, ni la guerre elle-même ni les personnages homériques qui en sont les acteurs ne sont remis en cause, et l’on peut se demander si l’intention de Dion ne serait pas d’ironiser sur les tentatives de récupération auxquelles cet épisode fondateur du passé grec fut soumis : à l’époque impériale, les Romains avaient en effet annexé la guerre de Troie à leur propre patrimoine, en lui ménageant une place dans l’histoire des origines de Rome.
Parties annexes
Note biographique
Corinne Jouanno est professeure de langue et littérature grecques à l’Université de Caen. S’intéressant aux questions de réception et de réécriture, elle est l’auteure d’une monographie sur la figure d’Ulysse, Ulysse, odyssée d’un personnage, d’Homère à Joyce (Ellipses Marketing, 2013) et a consacré plusieurs articles à la postérité de la matière troyenne et des poèmes homériques : « Images comiques d’Ulysse, d’Épicharme à Plaute » (Les Études Classiques, no 80, 2012) ; « La pratique de l’emprunt dans les chroniques universelles byzantines : l’exemple de la matière troyenne » (Kentron, no 30, 2014) ; « Rhéteurs de père en fils : Ulysse et Télémaque vus par Eustathe de Thessalonique » (à paraître chez Brépols, dans les actes du colloque Lectures et commentaires rhétoriques d’Homère dans l’Antiquité, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 27-28 mai 2010).
Notes
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[1]
Hermann Strasburger, Homer und die Geschichtsschreibung, Heidelberg, Winter, 1972 ; Antonios Rengakos, « Homer and the Historians : the Influence of Epic and Narrative Technique on Herodotus and Thucydides », dans Franco Montanari et Antonios Rengakos (dir.), Entretiens sur l’Antiquité classique, t. 52 (La poésie épique grecque : métamorphoses d’un genre littéraire), Genève, Fondation Hardt, 2006, p. 183-214 ; Richard B. Rutherford, « Structure and Meaning in Epic and Historiography », dans Edith Foster et Donald Lateiner (dir.), Thucydides and Herodotus, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 13-38.
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[2]
Voir notamment John L. Moles, « Truth and Untruth in Herodotus and Thucydides », dans C. Gill et T.P. Wiseman (dir.), Lies and Fiction in the Ancient World, Exeter, University of Exeter Press, 1993, p. 88-121, plus particulièrement p. 92-98 ; Deborah Boedeker, « Epic Heritage and Mythical Patterns in Herodotus », dans Egbert J. Bakker, Irene J. F. de Jong et Hans van Wees (dir.), Brill’s Companion to Herodotus, Leiden, Brill, 2002, p. 97-116 ; Emily Baragwanath, « The Homeric Background », dans Motivation and Narrative in Herodotus, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 35-54.
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[3]
Sur le prologue d’Hérodote, voir les remarques de François Hartog, « Premières figures de l’historien en Grèce », dans Nicole Loraux et Carles Miralles (dir.), Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, Belin, 1998, p. 123-141, plus particulièrement p. 138-139 ; ainsi que l’analyse détaillée de Egbert J. Bakker, « The Making of History : Herodotus’ Historiês apodexis », dans Brill’s Companion to Herodotus, ouvr. cité, p. 3-32.
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[4]
Le texte d’Hérodote sera cité dans la traduction de Philippe Legrand : Hérodote, Enquête, livres i et ii, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 2 vol., 1932 et 1936.
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[5]
Voir Herman Verdin, « Les remarques critiques d’Hérodote et de Thucydide sur la poésie en tant que source historique », dans Hermann Strasburger et Herman Verdin (dir.), Historiographia antiqua, Commentationes Lovanienses in honorem W. Peremans septuagenarii editae, Louvain, Leuven University Press, 1977, p. 53-76 ; David Bouvier, « L’Iliade d’Hérodote », Europe, nos 945-946 (Historiens de l’Antiquité), 2008, p. 74-86.
-
[6]
Sur la tonalité anti-épique du récit des logioi perses, la trivialisation du matériau mythique, voir Elena Pallantza, Der Troische Krieg in der nachhomerischen Literatur bis zum 5. Jahrhundert v. Chr., Stuttgart, Steiner, 2005, p. 135-136.
-
[7]
Texte cité dans la traduction de Guy Lachenaud, dans Marcel Cuvigny et Guy Lachenaud (dir.), Plutarque, Oeuvres morales. t. xii, 1re partie : Traités 54-57, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 1981.
-
[8]
Tel est le cas pour beaucoup des références de l’Enquête à la guerre de Troie, selon Suzanne Saïd, « Herodotus and the “Myth” of the Trojan War », dans Emily Baragwanath et Mathieu de Bakker (dir.), Myth, Truth, and Narrative in Herodotus, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 87-105 (voir p. 88).
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[9]
Voir Elena Pallantza, Der Troische Krieg, ouvr. cité, p. 138 et 141.
-
[10]
Voir Norman Austin, « Herodotus and Helen in Egypt », Helen of Troy and Her Shameless Phanton, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1994, p. 118-136 ; Irene de Jong, « The Helen Logos and Herodotus’ Fingerprint », dans Myth, Truth, and Narrative in Herodotus, ouvr. cité, p. 127-142.
-
[11]
Voir David Bouvier, « L’Iliade d’Hérodote », art. cité, p. 83-84.
-
[12]
Ils ne cherchent pas à dissimuler les limites de leur information. Sur le caractère pro-égyptien de tout ce logos, voir Norman Austin, Helen of Troy, ouvr. cité, p. 123.
-
[13]
Bien qu’Hérodote n’exploite pas ici l’argument, on remarquera qu’il situe le poète épique quatre cents ans après la guerre de Troie : voir John Marincola, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 226.
-
[14]
Voir David Bouvier, « L’Iliade d’Hérodote », art. cité, p. 82.
-
[15]
Dans son examen du texte homérique, Hérodote « se fait philologue », d’après Claude Calame, Poétique des mythes, ouvr. cité, p. 150. Barbara Graziosi voit dans le chapitre 120 un exemple de « critique magistrale » (« masterly criticism ») de l’Iliade (Inventing Homer : the Early Reception of Epic, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 114).
-
[16]
Il. 6, 289-292. Les deux citations suivantes, empruntées à l’Odyssée (4, 227-230 et 351-352), sont, selon toute vraisemblance, des interpolations : voir David Asheri, Alan Lloyd et Aldo Corcella, A Commentary on Herodotus, i-iv, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 325.
-
[17]
La même perplexité s’exprime un peu plus loin, à travers la parenthèse « si l’on peut avancer quelque chose en s’autorisant des poètes épiques » (2, 120).
-
[18]
Homère, Iliade, trad. de Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », t. i, 1937.
-
[19]
Sur la foi générale des Anciens en l’historicité de la guerre de Troie et des personnages homériques, voir notamment Claude Calame, Mythe et histoire dans l’Antiquité grecque, Lausanne, Payot, 1996, p. 22 ; David Bouvier, « Lieux et non-lieux de Troie », Études de Lettres, nos 1-2 (Traditions classiques : dialogues avec l’Antiquité), 2010, p. 9-38, plus particulièrement p. 20-22.
-
[20]
Voir John L. Moles, « Truth and Untruth in Herodotus and Thucydides », art. cité, p. 91 et 98-101 ; Tim Rood, « Thucydides’ Persian Wars », dans Christina Shuttleworth Kraus (dir.), The Limits of Historiography : Genre and Narrative in Ancient Historical Texts, Leyde, Brill, 1999, p. 141-168 ; Zacharias Rogkotis, « Thucydides and Herodotus : Aspects of their Intertextual Relationship », dans Antonios Rengakos et Antonis Tsakmakis (dir.), Brill’s Companion to Thucydides, Leyde, Brill, 2006, p. 57-86 ; Philip A. Stadter, « Thucydides as “Reader” of Herodotus », dans Thucydides and Herodotus, ouvr. cité, p. 39-66. Sur le rôle essentiel du rapport avec Hérodote dans la genèse de l’oeuvre de Thucydide, voir aussi Luciano Canfora, « Tucidide erodoteo », Quaderni di Storia, no 16, 1982, p. 77-84.
-
[21]
Antonios Rengakos, « Thucydides’ Narrative. The Epic and Herodotean Heritage », dans Brill’s Companion to Thucydides, ouvr. cité, p. 279-300.
-
[22]
Voir Philip A. Stadter, « Thucydides as “Reader” of Herodotus », art. cité, p. 40.
-
[23]
Voir Philip A. Stadter, « Thucydides as “Reader” of Herodotus », art. cité, p. 53.
-
[24]
Voir Roberto Nicolai, « Thucydides’Archaeology. Between Epic and Oral Traditions », dans Nino Luraghi (dir.), The Historian’s Craft in the Age of Herodotus, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 264-285, plus particulièrement p. 264-267.
-
[25]
Thucydide, 1, 1, 2 : texte cité d’après Thucydide, La guerre du Péloponnèse. Livre i, trad. de Jacqueline de Romilly, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 1953. Sur l’importance du vocabulaire de l’enquête judiciaire dans l’oeuvre de Thucydide, voir François Hartog, L’Histoire, d’Homère à Augustin, Paris, Seuil, 1999, p. 101-102.
-
[26]
Voir Herman Verdin, « Les remarques critiques d’Hérodote et de Thucydide », art. cité, p. 66.
-
[27]
Il est possible que Thucydide polémique ainsi contre Hérodote. Voir Roberto Nicolai, « Thucydides’Archaeology », art. cité, p. 271 et 284.
-
[28]
Voir Barbara Graziosi, Inventing Homer, ouvr. cité, p. 116-117 et 194-195 ; Lawrence Kim, Homer between History and Fiction in Imperial Greek Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 35-37 (Hérodote) et p. 44 (Thucydide).
-
[29]
Voir Jacqueline de Romilly, « L’enquête sur le passé : l’Archéologie », Histoire et raison chez Thucydide, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 240-298.
-
[30]
Voir Jacqueline de Romilly, Histoire et raison, ouvr. cité, p. 245 et 266. Sur l’importance de l’archê dans le schéma interprétatif thucydidéen, voir aussi Virginia Hunter, « Mankind’s Progress to Civilization in Greece : Thucydides’ Archaeology and the Problems of Power », Past and Process in Herodotus and Thucydides, Princeton, Princeton University Press, 1982, p. 17-49, notamment p. 38-39.
-
[31]
Voir Elena Pallantza, Der Troische Krieg, ouvr. cité, p. 198 et, sur la portée méthodologique de l’Archéologie, Roberto Nicolai, « Thucydides’Archaeology », art. cité, p. 276.
-
[32]
Texte cité d’après Strabon, Géographie, t. i, 1-2 (Livres i et ii), éd. et trad. de Germaine Aujac, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 1969. Voir aussi Strabon, 3, 2, 13.
-
[33]
Voir Lawrence Kim, Homer between History and Fiction, ouvr. cité, p. 71 et 78 (théorie du sens caché). Lorsque l’historien juif Flavius Josèphe dénigre, dans le prologue du Contre Apion, la valeur historique des poèmes homériques, et leur oppose le témoignage, à ses yeux beaucoup plus fiable, de l’Ancien Testament, il s’en prend à un credo fort répandu parmi les païens ; au prétendu « témoignage homérique », il adresse pour sa part le double reproche d’être largement postérieur aux faits et de n’avoir, de surcroît, été longtemps transmis qu’à travers le support peu fiable de la tradition orale : « Pour tout dire, on ne trouve chez les Grecs aucun écrit qu’on admet être plus ancien que la poésie d’Homère, et il est manifeste (φαίνεται) que celui-ci a vécu après les événements de Troie ; et l’on dit que même lui n’a pas laissé sa poésie par écrit, mais qu’elle était transmise par mémoire et fut plus tard constituée à partir des chants réunis et que c’est pour cela qu’il s’y trouve de nombreuses discordances (διαφωνίας) » (Flavius Josèphe, Contre Apion, trad. de Théodore Reinach et Léon Blum, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 1930, 2, 12).
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[34]
Voir notamment François Hartog, « Premières figures de l’historien », art. cité, p. 124 ; Marcel Piérart, « L’historien ancien face aux mythes et aux légendes », Les Études classiques, no 51, 1983, p. 47-62 et p. 105-115, plus particulièrement p. 112 ; Catherine Darbo-Pechanski, « L’historia d’un citoyen romain de langue grecque », dans Francesca Mestre et Pilar Gómez (dir.), Lucian of Samosata. Greek Writer and Roman Citizen, Barcelone, Edicions de la Universitat de Barcelona, 2010, p. 161-168, plus particulièrement p. 166.
-
[35]
Arrien, Histoire d’Alexandre. L’Anabase d’Alexandre le Grand, trad. de Pierre Savinel, Paris, Minuit, 1984.
-
[36]
Voir John L. Moles, « The Interpretation of the “Second Preface” in Arrian’s Anabasis », Journal of Hellenic Studies, no 105, 1985, p. 163.
-
[37]
Voir Guido Schepens, « Arrian’s View of his Task as Alexander-Historian », Ancient Society, no 2, 1971, p. 254-268, plus particulièrement p. 265 (choix de l’anonymat) ; John Marincola, « Some Suggestions on the Proem and “Second Preface” of Arrian’s Anabasis », Journal of Hellenic Studies, no 109, 1989, p. 186-189, plus particulièrement p. 188 (rapprochement avec Dion).
-
[38]
Dio Chrysostom, iv, Discourses xxxvii-lx, éd. et trad. anglaise de H. Lamar Crosby, Harvard, Harvard University Press, coll. « Loeb Classical Library », 1946.
-
[39]
Voir l’Heroikos de Philostrate, qui accuse lui aussi Homère d’avoir travesti la vérité, pour complaire à Ulysse (éd. Ludo de Lannoy, Leipzig, B.G. Teubner, 1977, notamment ch. 43, 11-16).
-
[40]
Lawrence Kim qualifie le Discours troyen de « réponse sophistique et ironique » (« sophistic tongue-in-cheek response ») au problème de l’« exactitude historique » d’Homère (Homer between History and Fiction, ouvr. cité, p. 87).
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[41]
Voir Christophe Bréchet, « L’Iliade et l’Odyssée relèvent-elles de la fiction ? Mimèsis, muthos et plasma dans l’exégèse homérique », dans Danièle Auger et Charles Delattre (dir.), Mythe et fiction, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010, p. 35-67, particulièrement p. 58 : Dion soumet l’Iliade aux critères de l’εἰκός (le « vraisemblable ») et du πιθανόν (le « crédible ») et en traque les contradictions internes pour discréditer la version homérique.
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[42]
Voir Lawrence Kim, Homer between History and Fiction, ouvr. cité, p. 123 : « La méthode de lecture de Dion est mutatis mutandis étonnamment parallèle à celle employée par Hérodote et peut être lue comme une parodie ou un hommage rendu à ses principes » (« Dio’s method of reading is strikingly parallel mutatis mutandis to that employed by Herodotus and could be read as a parody of or homage to its principles »). Nous traduisons.
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[43]
On voit se développer, à l’époque impériale, l’idée que la littérature est une production autoréférentielle, à laquelle il n’est pas pertinent de demander compte de son rapport au réel : si les Histoires vraies de Lucien sont assurément le meilleur témoin de ce type de réflexion, le Discours troyen laisse penser que Dion partageait peut-être les positions de Lucien sur la question du rapport entre littérature et réalité.
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[44]
Voir l’introduction de Sophie Minon à Dion de Pruse, Ilion n’a pas été prise : Discours « troyen » 11, Paris, Les Belles Lettres, coll. « La Roue à Livres », 2012, p. xxvii.
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[45]
Voir Moses I. Finley, On a perdu la guerre de Troie : propos et polémiques sur l’Antiquité, trad. de l’anglais par Jeannie Carlier, Paris, Les Belles Lettres, 1990.
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[46]
Voir Torray James Luce, « Ancient Views on the Causes of Bias in Historical Writing », Classical Philology, n° 84, 1989, p. 16-31.