Corps de l’article

Chers Lecteurs,

La période actuelle est marquée par des technologies auxquelles nous n’aurions pu songer il y a une vingtaine d’années. L’informatique fait partie de nos vies et elle occupe désormais une place prépondérante, puisqu’on la trouve dans les diverses dimensions de la vie quotidienne, que ce soit au travail, dans nos loisirs, dans nos communications. Si la micro-informatique a transformé nos vies personnelles, elle a fait de même dans le fonctionnement des administrations publiques.

En choisissant le thème du numérique pour ce numéro, nous souhaitions mettre en lumière certains événements récents qui ont modifié les façons de faire. Nous désirions explorer les stratégies que les administrations publiques ont adoptées pour relever les défis soulevés par le développement des TIC en matière d’organisation du travail, de protection des renseignements, de circulation de l’information… mais nos auteurs, spécialistes du domaine, nous ont vite fait prendre conscience de l’étendue du sujet.

Un terme récurrent chez nos auteurs est certainement la transparence gouvernementale ou le gouvernement ouvert. Ainsi, les administrations publiques recourent souvent aux technologies dans un souci de transparence. C’est précisément le thème étudié par les signataires de notre premier article, Teresa M. Harrison, Santiago Guerrero, G. Brian Burke, Meghan Cook, Anthony Cresswell, Natalie Helbig, Jana Hrdinová et Theresa Pardo, tous de l’Université d’Albany. Dans leur article, ils discutent de la notion de transparence sous l’angle de la valeur publique et proposent un cadre conceptuel pour guider les décideurs dans la planification des programmes de transparence gouvernementale à l’aide des technologies. Les mots d’ordre sont transparence, participation et collaboration. De l’Amérique du Nord, nous nous dirigeons vers l’Europe en compagnie de Gianluca Misuraca, chercheur à la Commission européenne, qui nous fait survoler l’évolution de la gouvernance électronique au cours des dix dernières années. À l’instar de ses prédécesseurs, il soumet un cadre qui nous permet d’interpréter les valeurs publiques à la base de la construction virtuelle des systèmes de cybergouvernement, et fait le point sur la gouvernance et le gouvernement électroniques, deux mots qui ne sont pas interchangeables.

Comment les gouvernements usent-ils des technologies pour interagir avec les citoyens ? Quels moyens privilégient-ils lors de la prestation de services ? Nous retournons aux États-Unis avec Jensen J. Zhao (professeur à la Ball State University) et Sherry Y. Zhao (chercheuse au Massachusetts Institute of Technology) qui ont conduit une étude sur l’utilisation par les sites gouvernementaux des réseaux sociaux, réseaux qui permettent aux citoyens de s’investir dans les affaires de l’État. Les deux chercheurs arrivent à la conclusion que les courriels, Twitter et Facebook sont les outils les plus utilisés pour promouvoir la transparence et la participation des citoyens. Au dire de Tony Dwi Susanto et de Robert Goodwin, deux professeurs de la Flinders University of South Australia, le message texte est un autre canal que devraient privilégier les administrations publiques. Selon eux, le recours au texto serait une excellente solution pour la prestation de services publics dans les pays en développement, car celui-ci confère des avantages qu’Internet n’offre pas (simplicité, moindre coût, possibilité de joindre les citoyens en tous lieux). Si leur étude s’adresse principalement aux pays en développement, les États industrialisés désireux d’implanter un nouveau service peuvent pleinement profiter des conseils prodigués. D’une certaine manière, la République démocratique du Congo a mis en pratique cette nouvelle façon de faire. Jéthro Kombo Yetilo, assistant à l’enseignement à l’Université de Kinshasa et étudiant à l’ENAP, nous relate l’histoire de la publication des résultats des examens d’État au moyen d’Internet et des textos. Certes, les TIC favorisent les processus de production des politiques, l’efficacité et la communication et servent de levier pour la modernisation de l’administration publique, mais de nombreux obstacles comme le manque d’infrastructures ou de compétences freinent cette modernisation dans des pays comme la République démocratique du Congo.

Marijn Janssen (Delft University of Technology, Pays-Bas), Muhammad Kamal et Vishanth Weerakoddy (Brunel University, Royaume-Uni) et Anton Joha (KPMG, Royaume-Uni) discutent également de prestation de services, mais cette fois-ci sous l’angle de l’organisation, de la mise en place de réseaux de services partagés. En effet, les avancées technologiques facilitent non seulement les relations entre l’État et les citoyens, mais aussi entre les organisations. Le partage des processus administratifs vise une hausse de l’efficience et une amélioration de l’offre de services. Ces chercheurs ont examiné trois projets de services partagés aux Pays-Bas dans lesquels les stratégies de collaboration différaient. Selon eux, dans la sphère publique, il est préférable de partager les services plutôt que de recourir à l’externalisation. Guillaume Blum de l’Université du Québec à Montréal aborde un tout autre aspect : le logiciel libre. Dans son exposé, il présente ce type de logiciel, ses concepteurs, le principe de gauche d’auteur… Pour les administrations publiques, une extension du logiciel libre se situe au niveau du passage au Web 2.0 et du mouvement d’ouverture. Le chercheur décrit certains exemples tirés d’un peu partout sur le globe pour clore son article avec le Québec. Le professeur Olivier Glassey de l’Institut de hautes études en administration publique en Suisse a poussé ses recherches du côté des registres publics pour finalement élaborer un cadre d’analyse qui permet d’évaluer les besoins en information pour une administration publique. Son cadre a pour objectif de combiner les aspects de prestation administrative et ceux de gouvernance des données.

Une notion relativement récente, celle d’infonuagique ou d’informatique en nuage, est au coeur des deux prochains articles. Si le numérique procure des bienfaits aux administrations publiques et à la population, il n’en demeure pas moins qu’il modifie les façons de faire de nos bureaucraties. C’est justement l’aspect débattu par Daniel J. Caron et Richard G. Brown de Bibliothèque et Archives Canada. Pour eux, le numérique risque de faire s’effondrer les conventions du système de l’écrit. Petit à petit le document disparaît pour laisser la place à l’infonuagique. Nir Kshetri de l’University of North Carolina at Greensboro reprend ce vocable, mais pour parler de cybercontrôle et de cyberespionnage. Certains gouvernements autoritaires (la Chine dans le cas qui l’intéresse) semblent faire une tout autre utilisation des nuages d’Internet. À l’opposée de l’ouverture et de la transparence, ils tentent de contrôler l’accès à l’information. Kshetri a développé le concept de champ institutionnel formé autour du contrôle d’Internet dans les régimes autoritaires et nous explique comment évolue un tel champ.

Si nous ne pouvons douter de l’importance du numérique, qu’en est-il du financement ? Quelle somme les administrations publiques ont-elles investie pour opérer ce virage technologique ? Il n’est certes pas aisé d’en estimer le coût et c’est ce qu’affirment Jean-François Savard et Herménégilde Nkurunziza (respectivement professeur et étudiant à l’ENAP) dans leur note de recherche. Ils ont scruté avec soin les documents de ministères et d’organismes fédéraux canadiens afin de brosser le portrait de leurs dépenses liées au numérique. Je tiens d’ailleurs à souligner le travail du professeur Savard qui nous a soutenus tout au long du processus d’élaboration de ce Télescope. Son appui nous a été précieux.

Enfin, je me dois de terminer cet éditorial avec des remerciements. En effet, le moment est venu pour moi de me retirer et de laisser la direction de la revue. Je suis fier du travail que nous avons accompli au cours des dix dernières années et qui a permis de faire de Télescope une revue d’analyse comparée en administration publique appréciée et de très bon niveau. Merci à la toute petite équipe de L’Observatoire qui a assuré ce développement. Merci aux membres, passés et présents, du comité de rédaction et du conseil scientifique pour leur appui. Merci aux chercheurs des quatre coins du monde qui, par leur article, ont mis en lumière les différentes problématiques que nous avons abordées. Merci à vous, chers lecteurs, qui avez été fidèles au fil des ans. Finalement, je souhaite la bienvenue au professeur Stéphane Paquin qui me succédera en tant que directeur et rédacteur en chef de Télescope. En raison de son expertise en politique comparée et de sa présence dans les milieux de la recherche et de l’administration gouvernementale, il est sans doute tout désigné pour ce travail.

Bonne lecture !