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Imaginez une visite d’une fromagerie qui dévoile ses gros chaudrons de lait blanc, ou une randonnée dans les vignes commentée par un passionné, ou encore une fête de l’alpage au milieu des troupeaux. Voici quelques exemples de produits touristiques liés à l’agriculture qui rencontrent actuellement un grand succès. Et de toutes parts parviennent des signaux positifs montrant l’attrait des touristes pour la question agricole, comme au Royaume-Uni, en Grèce ou au Portugal (Phillip et al ., 2010). Aux États-Unis, certains estiment que le nombre de fermes qui pratiquent l’agritourisme a quasiment doublé entre 2002 et 2007 (Gil Arroyo et al ., 2013). En Italie, les visites chez les producteurs se multiplient depuis les années 1990 et, favorisées par de nouvelles lois, attirent « un nombre toujours croissant d’aficionados » (Croce et Perri, 2010 : 5). En Afrique du Sud, le développement conjoint de la vigne et du tourisme a fondé dans les années 1970 un nouveau modèle d’œnotourisme, capable d’attirer les clientèles étrangères, modèle largement imité par d’autres pays comme la Californie, l’Argentine et l’Australie (Lignon-Darmaillac, 2015).

Cet article s’intéresse à cette forme de tourisme, appelée selon les auteurs « tourisme lié à l’agriculture », « tourisme agricole », « agritourisme » ou « agrotourisme », termes considérés comme très proches en première instance. Cette forme de tourisme, assez marginale aujourd’hui comparée à d’autres (notamment le tourisme balnéaire ou le tourisme urbain), présente à notre avis un grand intérêt. Elle peut stimuler à la fois le tourisme et l’agriculture, ce qui constitue un double atout économique. Elle peut contribuer à préserver les paysages et les savoir-faire, comme nous allons le voir. Elle devrait avoir un fort potentiel dans le futur, car elle touche à de grandes tendances socioéconomiques telles que l’intérêt accru pour la question alimentaire et l’attrait pour un tourisme plus durable.

La question alimentaire intéresse de plus en plus les consommateurs. Ceux-ci recherchent des informations, des gages de qualité et des preuves d’origine. Ils sont attirés par les « produits du terroir » (Aurier et al. , 2005 ; Lenglet, 2014), les denrées « sous label » (Durrande-Moreau, 2016) et l’achat en « circuit court » (Herault-Fournier et al. , 2012). Ils aiment déguster et consommer ces aliments ; certains chercheurs parlent de « véritable frénésie culinaire » (Lemasson, 2006). Au Québec, fait très significatif de cette tendance, une nouvelle loi instaure le système des « appellations réservées », car « une partie croissante de la population est de plus en plus soucieuse de consommer des produits alimentaires sains, de proximité et porteurs d’un investissement affectif de plus en plus fort » (Lemasson, 2009). Les vacances sont souvent l’occasion pour les touristes de découvrir de nouvelles saveurs et de s’imprégner de « l’esprit du lieu » en dégustant les produits locaux et en se montrant curieux de tout ce qui les entoure.

Le tourisme durable fait l’objet d’une demande croissante (Camus et al. , 2010). Cette tendance est réelle, même si – au-delà des déclarations – les touristes ont une faible conscience de leur empreinte carbone (Miller et al. , 2010) et sont rarement prêts à changer leurs comportements pour mieux préserver la planète (François-Lecompte et Prim-Allaz, 2009). Le concept de « tourisme durable » naît en 1995, dans le sillage de la conférence de Rio, avec la Charte du tourisme durable. Cette charte appelle les acteurs du tourisme à mieux respecter l’environnement, le patrimoine naturel et culturel, la biodiversité, et à participer aux économies locales de manière éthique, sans dégradation (Charte, 1995). Depuis lors, le tourisme durable fait l’objet de nombreuses conférences et d’importants développements (Aquilina et Maheo, 2015 ; Leroux, 2015). On peut considérer que ce terme recouvre les concepts d’écotourisme, de tourisme équitable, solidaire, responsable ou social (Laliberté, 2005).

Malgré l’intérêt qu’il présente, le tourisme lié à l’agriculture s’avère relativement peu étudié et assez mal connu. Notamment, le concept d’agritourisme reste flou (Marcotte et al. , 2006 ; Flanigan et al. , 2014). L’article se donne pour but de contribuer à la conceptualisation de l’agritourisme en étudiant ses formes actuelles. Qu’est-ce que l’agritourisme aujourd’hui ? Sous quelles formes apparaît-il ? Se déroule-t-il uniquement « à la ferme » comme cela est souvent supposé ? Pour répondre à cette problématique, nous nous plaçons dans le cadre théorique des sciences de gestion, et plus particulièrement de sa branche du marketing. Ce cadre est original pour aborder l’agritourisme, principalement étudié jusqu’ici par la géographie, l’économie, la sociologie et l’anthropologie. Par rapport à ces disciplines assez proches, faisant partie des sciences humaines, ce cadre gestion-marketing présente deux particularités : l’approche des situations d’échange se fait toujours par les « besoins des clients » pour viser leur satisfaction ; les recherches doivent déboucher sur des préconisations afin de guider l’action des organisations. Au sein du marketing, la branche du marketing territorial s’est développée au moment où les territoires ont commencé à se sentir en concurrence (Kotler et al. , 1993). Déjà très utilisé par certains territoires, notamment pour l’élaboration de leur « marque territoriale » (Marcotte et al. , 2012 ; Férérol, 2015), le marketing territorial est actuellement en plein développement (Meyronin, 2012 ; Chamard, 2014 ; Gollain, 2014).

L’apport principal de l’article réside dans l’identification de nouvelles formes d’agritourisme, qui conduisent à proposer une approche élargie de ce type de tourisme. Cette approche permet d’envisager l’agritourisme sous un nouveau jour, grâce à une meilleure prise en compte des réalités. Elle devrait permettre à l’agritourisme de mieux se développer, n’étant plus bridé par une définition trop étroite. L’article s’organise en quatre parties : la littérature concernant le tourisme et l’agriculture permet d’identifier un débat conceptuel ; un recueil de données dévoile des formes variées d’agritourisme qui cadrent mal avec la définition actuelle ; une approche élargie de l’agritourisme est proposée pour répondre aux limites identifiées ; des recommandations aux territoires sont formulées sur les bases de la nouvelle approche. L’article conclut sur les apports, les limites et les voies de recherche.

Fondements théoriques, les contours flous de l’agritourisme

Une recherche bibliographique croisant « tourisme » et « agriculture » renvoie à la littérature spécialisée en tourisme et révèle trois types de travaux. Certains traitent de thèmes particuliers comme le tourisme culinaire (Lemasson, 2006 ; Alonso et Liu, 2012 ; Clergeau et Etcheverria, 2013), le tourisme œnologique (Briedenhann et Wickens, 2004 ; Lignon-Darmaillac, 2015), ou encore le tourisme équestre (Helgadóttir et Sigurðardóttir, 2008). Ces travaux apparaissent comme des champs séparés, ne se réclamant pas de l’agritourisme.

D’autres travaux se réclament de l’agritourisme, alors situé au sein du tourisme rural (Roberts et Hall, 2003). Ils relatent en général des cas de « diversification agricole », lorsque des fermiers s’ouvrent au tourisme tout en poursuivant leur activité principale (Sharpley, 2002 ; Di Domenico et Miller, 2012 ; Tew et Barbieri, 2012). Les offres agritouristiques concernent alors quatre types d’activités : 1) l’hébergement qui est l’activité la plus importante en termes de revenus ; 2) la restauration à la ferme ; 3) la vente directe ; 4) diverses activités comme la visite de ferme ou la location de chevaux. Ces travaux présentent en général la diversification comme un moyen pour le fermier de « gagner un revenu complémentaire » dans un contexte de baisse du revenu agricole et sont menés dans la perspective du producteur agricole (et non du client).

Enfin, d’autres travaux s’attachent à la définition du concept d’agritourisme. Ils s’engagent dans un débat scientifique auquel cet article souhaite contribuer. Ce débat part du constat d’un grand dynamisme de l’agritourisme dans différentes régions du globe, combiné à une certaine confusion autour du concept, qui freine la connaissance et affaiblit les politiques. S’accorder sur une définition constituerait un réel progrès. Pour ce faire, et pour dépasser la liste des quatre activités ci-dessus, certains chercheurs analysent le sens du mot agritourisme, tandis que d’autres tentent d’établir une typologie des formes d’agritourisme. Ces deux démarches sont ici présentées.

  • Pascale Marcotte, Laurent Bourdeau et Maurice Doyon (2006) étudient 33 travaux, sur 30 ans, concernant le tourisme lié à l’agriculture, dans le but de synthétiser le sens des mots « tourisme à la ferme », « agritourisme » et « agrotourisme ». Ces deux derniers termes (agri ou agro) se révèlent en fait équivalents. Les travaux analysés considèrent généralement que l’agritourisme fait partie du tourisme rural et qu’il se déroule au sein des « fermes en activité », bien que certains mentionnent l’existence d’autres lieux que les fermes. Les auteurs discutent alors des principales interrogations sur les contours de l’agritourisme. S’agit-il toujours d’agritourisme si le revenu « touristique » de l’agriculteur est plus élevé que son revenu « agricole » ? Ou si la vente directe attire davantage de résidents que de touristes ? Ou encore si l’offre est faite par un membre de la famille de l’agriculteur, par une coopérative, ou même par un entrepreneur non agricole ? Ces questions ne trouvent pas de réponse évidente, mais pour clarifier les choses et lever une confusion fréquente, les auteurs proposent de mieux distinguer le tourisme « à la ferme », mené par un fermier ou un membre de la famille sur la ferme, du tourisme « en milieu agricole », qui inclut la catégorie précédente et comprend plus largement d’autres types d’acteurs tels que des associations, des musées ou des coopératives. Ils formulent une définition de l’agrotourisme fondée sur « l’expérience touristique réalisée dans le milieu agricole ». De manière très intéressante, nous retenons que l’article présente deux visions du tourisme lié à l’agriculture, une vision 1 étroite « à la ferme » qui correspond plutôt à la perspective des producteurs, et une vision 2 plus large « en milieu agricole » qui correspond mieux à la vision des touristes.

  • Sharon Phillip, Colin Hunter et Kirsty Blackstock (2010) se fondent eux aussi sur la littérature antérieure. Parmi les 18 articles qu’ils étudient, presque tous se réfèrent à la « ferme en activité » (working farm). Pour définir l’agritourisme, ces auteurs proposent une typologie en cinq types, dont quatre concernent les fermes en activité, et un type résiduel concerne les fermes désaffectées (ex. : hébergement dans d’anciennes fermes). Les quatre premiers types se distinguent par la nature du contact qui lie le fermier aux touristes. Ce contact est qualifié de passif (ex. : hébergement), d’indirect (restauration), de direct et théâtralisé (démonstration de traite) ou encore de direct et authentique (le touriste travaille à la ferme). En référence à l’étude précédente, nous voyons que ces auteurs adoptent clairement la vision 1. Puis, reprenant cette typologie, Claudia Gil Arroyo, Carla Barbieri et Samantha Rozier Rich (2013) la soumettent au jugement de différentes parties prenantes. Ils concluent effectivement à l’importance du critère de ferme en activité pour déterminer ce qu’est l’agritourisme et insistent sur les « buts de divertissement ou d’éducation ». Ils confirment donc eux aussi la vision 1. Reprenant également cette typologie, Sharon Flanigan, Kirsty Blackstock et Colin Hunter (2014) la testent en menant une série d’interviews, ce qui les conduit à proposer des modifications, notamment deux types sur les cinq concernent maintenant le « hors ferme en activité », l’un concerne toujours l’hébergement dans d’anciennes fermes, l’autre les « interactions directes hors ferme » (ex. : musées, expositions agricoles). Ce faisant, il nous semble que ces auteurs élargissent implicitement leur vision de l’agritourisme, sans toutefois discuter ce point.

Pour compléter cette présentation de la littérature, signalons l’important courant du développement territorial (Disez, 1999 ; Bessière, 2000 ; Mamdy et al. , 2001 ; Gumuchian et Pecqueur, 2007 ; Lemasson et Violier, 2009), courant qui traite de l’intégration territoriale et des processus de patrimonialisation. Il s’intéresse à tous les secteurs économiques, parfois au tourisme et parfois à l’agriculture, mais rarement à l’intersection de ces deux secteurs. Pour des raisons d’espace et de méthodologie, la présente étude ne se réfère pas à ce courant. Il est cependant intéressant de signaler que Bernard Pecqueur (2001) a étudié l’effet d’un produit agricole patrimonialisé sur le développement territorial. Cet auteur observe qu’une AOP (appellation d’origine protégée) concernant une huile d’olive peut attirer les touristes et aimanter autour de lui – et donner du sens, colorer – d’autres biens et services ainsi valorisés. Pour qualifier le phénomène, il fonde la notion de « panier de biens et services territorialisés » (qui présente d’ailleurs des analogies avec la notion de gamme d’offres en marketing, ici utilisée).

En bref, les études sur la définition de l’agritourisme apportent des informations essentielles sur le phénomène agritouristique (importance, dynamisme). Elles font aussi apparaître des divergences sur les contours du concept. La vision 1 , largement dominante, prend essentiellement en compte quatre offres agritouristiques au sein de la ferme en activité. Le terme d’agritourisme désigne le tourisme à la ferme. La vision 2 , minoritaire, prend en compte une plus large palette d’activités agritouristiques menées par différents acteurs du territoire, en différents lieux. Les termes d’« agritourisme », de « tourisme lié à l’agriculture » et de « tourisme agricole » sont alors considérés comme similaires.

Recueils de données, une variété de formes d’agritourisme

Pour tenter de mieux comprendre ce qu’est l’agritourisme aujourd’hui, et pour identifier ses formes, nous avons mené des observations de terrain.

Méthodologie de l’étude

La présente étude adopte la grounded theory de Juliet Corbin et Anselm Strauss (2008) comme cadre méthodologique. Ce cadre est bien adapté pour construire des éléments de théorie à partir de matériaux qualitatifs. Il laisse toute liberté au chercheur dans le choix de ses moyens d’investigation, qui peuvent être variés et s’additionner au fil de l’avancement de la recherche (entretiens formels, documents de tous ordres et même expériences personnelles). La démarche scientifique doit être détaillée à chaque étape. Elle doit notamment comporter des réflexions et des étonnements fréquemment rédigés, afin de relier les découvertes de terrain à des théories et de faire émerger des généralisations. Comparativement à d’autres travaux sur l’agritourisme, et dans une logique de sciences de gestion, notre perspective est clairement orientée vers la satisfaction des clients, plutôt que celle des producteurs agricoles ou celle des territoires. Ces trois perspectives constituent en effet des manières différentes de considérer les problématiques territoriales, même si chacune incorpore les autres à différents degrés : les consommateurs, les producteurs, les développeurs (Mamdy et al. , 2001).

Trois phases d’investigation ont eu lieu. En phase 1, nous avons observé un grand nombre d’offres agritouristiques émanant de différents territoires, ce qui a montré le dynamisme du secteur et sa diversité. En phase 2, nous avons mené des observations participantes, en jouant nous-mêmes le rôle de touristes. Cette phase a permis d’observer des offres agritouristiques avec l’œil du client, de voir leur fonctionnement et l’engouement qu’elles peuvent susciter. En phase 3, nous avons procédé à une collecte de données plus formelle en interviewant des professionnels du tourisme, pour connaître les offres proposées sur le terrain. La partie qui suit rend compte rapidement des deux phases préalables, puis présente plus en détail la phase principale des interviews.

Phases préalables

La phase 1 a consisté à collecter de manière assez informelle une centaine de brochures, dans des offices du tourisme de différentes régions de France. Par ailleurs, quantité des sites web touristiques ont été consultés. De cette documentation, décryptée au fil de la collecte sur plusieurs mois, ressortent principalement trois remarques. 1) Les offices du tourisme mettent en avant beaucoup d’offres en lien avec l’agriculture. Certaines offres sont focalisées sur des attracteurs agricoles (ex. : musée de l’olive ou de la laine ; marché aux fleurs ou aux légumes ; fête de l’alpage ou des taureaux ; visite de miellerie ou de chèvrerie). D’autres touchent au monde agricole sans s’y focaliser (musée de l’histoire locale présentant les racines paysannes ; marché des artisans et des producteurs locaux ; fête du village avec défilé de chevaux ; randonnée avec des ânes ; sentier de découverte passant par des fermes). Le thème de l’agriculture au sein du tourisme apparaît donc comme foisonnant. 2) A l’opposé, Internet peine à identifier les offres agritouristiques. Lorsque l’on croise sur le web les termes « tourisme » et « agriculture », à part les offres d’hébergement rural, quasiment aucune offre ne ressort (concernant la France). Même en ajoutant des termes plus précis (comme musée, fête, séjour) et en indiquant des lieux qui hébergent de l’agritourisme, seule ressort une infime partie de ce que l’on sait exister sur le terrain. Nous constatons donc que le tourisme lié à l’agriculture, qui existe dans les faits, est mal reconnu, pas ou peu répertorié. 3) Les offres agritouristiques peuvent avoir lieu hors du cadre rural. Par exemple, un espace muséal vient d’ouvrir dans la ville de Bordeaux (Cité des civilisations du vin). Il a été conçu pour compléter la gamme œnotouristique de la région, à côté des visites de cave et de domaines. De même, des formes d’agritourisme peuvent exister en milieu balnéaire ou montagnard. Or, la littérature situe toujours l’agritourisme au sein du tourisme rural, lui-même défini de manière résiduelle par rapport au tourisme balnéaire, urbain et de montagne. Il semble que cette limitation soit aujourd’hui peu justifiée.

Dans la phase 2, plusieurs journées d’observations participantes ont permis d’engranger des connaissances et de mener des réflexions sur le secteur agritouristique. Nous avons parcouru des routes touristiques (route des vins en Beaujolais, route des olives en Provence), visité des exploitations (chèvreries en Isère et en Savoie, repas « accord mets vins » chez un vigneron en Côtes-du-Rhône), visité des caves à fromage (Roquefort, Beaufort), des alpages (en Belledonne, en Savoie) et des musées (du pastoralisme en Oisans, de la vigne en Savoie). Une des observations qui nous a le plus apporté pour alimenter cet article concerne la visite d’alpage en Savoie ( voir encadré 1 ).

Ce récit montre une gamme d’activités agritouristiques (une visite d’alpage, une visite de cave, une visite de musée, une dégustation, un point de vente) assurées non par des fermiers sur leur exploitation, mais par différents acteurs du territoire (un groupement pastoral, un restaurant et une coopérative agricole). Il fait aussi ressortir la dimension expérientielle de l’agritourisme mêlant découvertes et dégustations, et sa capacité à donner du sens tant à la période des vacances qu’à celle de la vie quotidienne qui suivra. Le marketing expérientiel est une importante source d’inspiration en tourisme (Caru et Cova, 2007 ; Frochot et Batat, 2013).

Les interviews d’offices du tourisme – méthode

L’intérêt du sujet se confirmant, nous sommes alors passés à une phase plus formelle de la démarche scientifique, en interrogeant des responsables d’offices de tourisme (OT) en zone de montagne et dans deux pays (France, Suisse). Ce choix a été fait pour diverses raisons. Les responsables d’OT sont des experts qui connaissent bien l’offre et la demande et sont d’excellents capteurs des tendances du marché. Les zones de montagne ont souvent conservé une forme d’agriculture relativement traditionnelle, du fait de leurs contraintes spécifiques (pente, petites parcelles). L’observation de deux pays permet des comparaisons entre massifs et contextes institutionnels différents. Au sein des zones de montagne, la stratégie d’échantillonnage (Corbin et Strauss, 2008) a consisté à repérer des OT a priori intéressants pour identifier les formes d’agritourisme. Le repérage s’est fait suivant les conseils d’experts régionaux en tourisme (deux en Suisse et deux en France) et la consultation des offres touristiques des territoires visés.

Plus précisément, nous avons interrogé dix OT dans deux pays (France, Suisse) qui couvrent deux massifs montagneux (Alpes, Jura). Les questions portaient sur les formes de tourisme agricole, à la ferme et hors ferme, sur l’opinion de l’expert concernant le potentiel de l’agritourisme, puis sur l’évaluation du caractère durable de cet agritourisme. Les zones observées s’avèrent assez homogènes. Elles offrent un tourisme d’été (randonnée, nature, parfois lacs) et d’hiver (ski nordique et alpin, raquette). L’agriculture subsiste en petite exploitation (élevage laitier, fabrication de fromage, fruits divers dont vignes). Les entretiens se terminaient par une collecte de brochures touristiques et le relevé des sites web conseillés.

L’exploitation des données a consisté à analyser les entretiens retranscrits pour identifier les offres agritouristiques, et à examiner les brochures et les sites web relatifs à chaque interview pour nous imprégner des détails (contenu exact de l’offre, périodes d’ouverture, prix). L’analyse comparative a permis de concevoir un classement des formes d’agritourisme qui convienne à l’ensemble des cas examinés. Afin de rendre compte de l’apport de chaque zone, face à la masse des informations recueillies, nous avons identifié une « activité clé » qui puisse caractériser chaque zone. Par exemple, dans le premier entretien il s’agit de l’hébergement à la ferme, dans le deuxième d’une grande fête du cheval, etc. (voir tableau 1 ). Les dix entretiens ont permis d’atteindre, sinon la saturation de l’information, du moins une certaine redondance concernant les formes d’agritourisme dans ces zones de montagne. Les deux derniers entretiens ont apporté des informations qui recoupent les formes identifiées précédemment.

Les interviews d’offices du tourisme – résultats

Les responsables d’OT décrivent des formes très diverses d’agritourisme. Certains décrivent des offres majoritairement à la ferme, conformément à la vision 1 de la littérature, et d’autres des offres réparties sur le territoire. Le tableau 1 synthétise les résultats. Il souligne visuellement la variété des offres, en particulier la répartition « à la ferme » et « hors ferme », afin de répondre à la problématique. Il identifie treize types d’offres (nommées activités dans le tableau).

Fig. 1

Tableau 1 : Synthèse des résultats, formes d’activités agritouristiques par zone observée

Tableau 1 : Synthèse des résultats, formes d’activités agritouristiques par zone observée
Source : Les auteurs

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Pour lire ce tableau, les formes d’agritourisme figurent en ligne et les dix interviews en colonne. Pour chaque entretien, les activités identifiées sont classées en fonction de leur importance et leur complémentarité. Nous distinguons : « l’activité clé » qui ressort comme l’activité la plus importante sur la zone (notée +++ ), puis les activités « importantes et liées à l’offre clé » (notées ++ ), et enfin les activités plus « mineures » (notées par un point). Il arrive que des activités soient « importantes mais non liées à l’offre clé » (notées par une étoile). Par exemple, en zone 2, l’activité clé est une grande fête autour du cheval de race Franches-Montagnes ; parmi les autres activités importantes certaines sont liées au cheval (ex. : hébergement en ferme équestre) et d’autres ne le sont pas (hébergement en ferme classique, sentiers du bio). Le tableau présente aussi l’opinion de l’interviewé sur le potentiel de l’agritourisme.

L’agritourisme à la ferme . Le tourisme agricole à la ferme montre ici une belle vitalité. D’après les responsables d’OT, les agriculteurs apprécient l’échange social avec les touristes et la meilleure maîtrise de leurs revenus, tandis que les touristes trouvent irremplaçable le contact direct avec les producteurs et la découverte des lieux de production. L’agritourisme à la ferme concerne effectivement les quatre activités répertoriées.

1) L’hébergement à la ferme est une activité importante, surtout l’été, qui peut représenter jusqu’à 10-15 % des nuitées (c’est le cas en zone 2, mais il n’y a pas d’estimation disponible pour les autres territoires). Des offres originales et innovantes apparaissent parfois, telle l’offre en réseau dite « aventure sur la paille » ( Encadré 2 ). Mais dans certaines zones pourtant très agritouristiques, cette activité est quasi nulle, en particulier lorsque les agriculteurs sont des éleveurs laitiers, accaparés l’été par le soin aux bêtes et le stockage du foin.

2) La restauration fleurit sur certains territoires, selon le format restaurant ou buvette notamment. Certains fermiers offrent la restauration sur leur ferme en hiver et dans leur chalet d’alpage en été (zone 4).

3) Les visites de ferme sont rarement conçues comme de véritables produits touristiques. Elles sont plutôt offertes pour répondre ponctuellement à une certaine curiosité et proposées gratuitement une fois par semaine à l’occasion d’une tâche agricole. Deux exceptions cependant sont intéressantes à mentionner. La zone 9 offre des visites d’alpage payantes, au cours desquelles le touriste peut participer à certaines tâches (appel du troupeau, traite, fabrication du fromage). La zone 7, face à une forte demande des touristes français et étrangers et des voyagistes, encourage les exploitants à proposer des visites de ferme sur une base régulière, tarifée, et si possible en plusieurs langues. Quelques fermes ont répondu, mais de manière encore embryonnaire et à une échelle largement inférieure à la demande.

4) La vente directe à la ferme se pratique sur tous les territoires, à des échelles variables. Les périodes d’ouverture sont souvent limitées à quelques heures par semaine.

L’agritourisme hors ferme . Les interviews témoignent de différentes formes d’agritourisme menées hors des exploitations agricoles.

1) L’hébergement dans d’anciennes fermes, ou dans des lieux folklorisés, est cité de manière marginale.

2) Les restaurants qui proposent des menus « terroir » sont considérés comme importants sur trois zones. La zone 8 est particulièrement engagée ; elle développe des filières contractuelles entre producteurs fermiers et restaurateurs, au bénéfice des deux parties et des touristes à l’affût de ces formules.

3) Les visites agritouristiques hors ferme concernent surtout les caves coopératives, à vin ou à fromage. Conçues au départ pour attirer les acheteurs, ces visites deviennent maintenant de véritables attractions touristiques (Encadré 1). Les visites peuvent aussi se dérouler en extérieur et s’intéresser aux particularités du terroir. Par exemple, en zone 6, des guides spécialisés proposent des « lectures de paysage » et expliquent les liens entre les sols, les pâturages fleuris, les ruminants et le goût du fromage.

4) La vente de produits régionaux hors ferme est souvent assurée par des magasins liés aux coopératives, très attrayants pour les touristes. Elle peut aussi être assurée par des marchés ou des magasins (de producteurs ou même généraux). Par exemple, la zone 8 encourage la vente de produits régionaux en fédérant les acteurs : producteurs (de lait, de fromage, de fruits et légumes), marchés locaux de villages, commerçants organisant des kiosques spécifiques.

5) Les musées jouent un grand rôle dans certains territoires ( Encadré 3 ). Ils peuvent être créés sur initiative privée (coopératives de production, affineurs ou négociants, associations) ou sur initiative publique ou mixte.

6) Les routes à thème constituent un attrait majeur pour la zone 5. Une ancienne route des vins a été récemment améliorée et revitalisée. La zone 8 présente aussi une route des fromages.

7) Les sentiers à thème invitent gratuitement le promeneur à une découverte en lien avec le territoire. Ils concernent plusieurs zones, allant des formats de douce promenade à la randonnée sportive. À noter aussi des sentiers équestres en zone 2.

8) Les séjours à thème sont proposés par quelques accompagnateurs de montagne qui aiment faire partager leur passion pour les alpages ou pour la vigne.

9) Les événements existent en grand nombre, surtout l’été, et assurent une double fonction. En interne, ils correspondent à une fête du territoire qui permet aux résidents de se fédérer autour de valeurs communes. En externe, ils permettent de mettre en valeur les produits régionaux et donnent une bonne image du territoire. Certains événements ont des racines anciennes ( Encadré 4 ), tandis que d’autres sont d’instauration plus récente. En zone 4, des événements privés sont organisés sous la forme de « repas accord mets-vins », à destination d’entreprises ou de groupes.

L’opinion des responsables d’OT sur le potentiel de l’agritourisme . Ce potentiel est considéré comme moyen par deux OT, « un complément à d’autres activités plus attractives ». Il est jugé comme fort par trois OT, « l’agritourisme impulse un cercle vertueux : il soutient l’agriculture locale, maintient les savoir-faire et les paysages, améliore l’image du territoire, ce qui attire les touristes ». Quant aux cinq autres OT, ils affichent un véritable enthousiasme ( Encadré 5 ). Nous remarquons qu’ils se situent tous dans des zones de longue tradition fromagère AOP (appellation d’origine protégée), ce qui influence sans doute cette opinion. Ces AOP ont en effet acquis une grande réputation et séduisent les touristes. Elles pérennisent des méthodes d’élevage et de fabrication traditionnelles (ex. : animaux nourris à l’herbe et au foin, fromages fabriqués avec du lait directement mis en œuvre). Elles s’appuient sur des cahiers des charges très précis.

Comparaison entre les deux pays . Les deux pays étudiés apparaissent finalement comme assez semblables sur le plan des pratiques d’agritourisme. Certes, de petites différences émergent, comme, pour la Suisse, un contact avec les agriculteurs qui semble plus naturel et, pour la France, une opinion des professionnels du tourisme plus enthousiaste. Mais dans l’ensemble, ces différences touchent peu les formes d’agritourisme que nous cherchons à identifier. Ces zones de montagne ont toutes conservé une agriculture traditionnelle, sont capables de proposer des produits régionaux de qualité et ont conscience de la complémentarité entre tourisme et agriculture. Les lois et les institutions des deux pays produisent finalement des effets assez semblables (ex. : des formations à l’accueil proposées aux agriculteurs, leurs offres répertoriées et mises en avant, des subventions au lancement de certaines initiatives).

Réflexions sur le développement durable . De manière surprenante, les territoires étudiés revendiquent peu leur contribution au développement durable, s’agissant d’agritourisme. Pour eux, en première réflexion, l’agritourisme ne pourrait être qualifié de durable que s’il s’appuyait sur une agriculture biologique certifiée, ce qui en l’occurrence n’est guère le cas. Cependant, en deuxième réflexion, les effets bénéfiques pour la planète de l’agritourisme, tel qu’observé dans ces zones de montagne, semblent indéniables. Une sorte de cercle vertueux s’instaure. Le tourisme soutient une agriculture peu intensive, qui sinon aurait déjà disparu ou serait en voie de disparaître. Les touristes achètent les denrées, en acceptent le surcoût, rehaussent la réputation du produit et du territoire, participent à l’échange culturel avec le monde agricole. En retour, cette agriculture contribue fortement à l’attrait touristique du territoire. Elle maintient de beaux paysages, conforte l’identité des lieux, permet une vie authentique tout au long de l’année. Cette agriculture contribue aussi à la préservation des biodiversités animale et végétale (races rustiques d’un cheptel qui fume les prairies), à la sauvegarde des savoir-faire agricoles, et à l’économie locale avec partage des revenus. Il semble donc que cet agritourisme réponde bien aux critères du développement durable inscrits dans la Charte du tourisme durable (Charte, 1995).

En résumé, les entretiens ont mis en évidence une variété de formes d’agritourisme dans ces zones de montagne. Treize formes sont identifiées, dont neuf ne sont pas cantonnées aux exploitations agricoles . Reflétant le dynamisme de l’agritourisme, les entretiens ont aussi permis de pointer de belles réalisations, stimulantes pour d’éventuels porteurs de projet. L’agritourisme ne dégrade pas l’environnement, il contribue au contraire à l’entretenir et à le préserver pour les générations futures.

Mais signalons que cet écho optimiste émanant de notre terrain doit être contrebalancé par le signalement d’échecs ou de dysfonctionnements observés par ailleurs. Certains offreurs de l’agritourisme s’insèrent peu ou mal dans les démarches collectives, phénomène observé au Royaume-Uni (Saxena et Ilbery, 2008) et en France dans le Massif central (Disez, 1999). Certains événements connaissent une croissance telle au fil des ans qu’ils risquent d’en perdre leur authenticité ; cela est observé en France à propos de la fête agricole « Les Grandes Tablées de Saumur » (Cantagrel et Sarrazin, 2009).

Proposition d’une approche élargie

Les résultats précédents suggèrent de reconsidérer l’approche dominante actuelle (vision 1), de pointer ses limites et de proposer une approche élargie de l’agritourisme (vision 2).

L’approche dominante (Phillip et al. , 2010 ; Arroyo et al. , 2013 ; Flanigan et al. , 2014) considère que l’agritourisme se situe dans des fermes en activité, sous la responsabilité des exploitants, et consiste en quatre activités. Pourtant, nous avons montré que des activités agritouristiques d’importance ont bien lieu hors ferme à l’initiative de différents acteurs du territoire. L’approche actuelle les ignore, ce qui constitue à notre avis une limite importante en termes de connaissance. Une autre limite peut être identifiée dans le fait que l’approche actuelle laisse l’essentiel de la responsabilité aux agriculteurs qui ont pour premier rôle la production agricole. Le tourisme restera donc toujours une activité secondaire pour eux. On peut y voir une sorte de paradoxe. Si un agriculteur rencontre le succès en agritourisme (ex. : visite de son exploitation à la demande de voyagistes) et qu’il délaisse son premier métier pour répondre à la demande en créant une société d’offres agritouristiques, il sort automatiquement de l’agritourisme au moment où il l’exerce pourtant le mieux. La vision 1 bride donc structurellement l’agritourisme par une définition trop étroite qui le condamne à la marginalité.

Si l’approche dominante actuelle correspondait sans doute à la réalité au début du phénomène agritouristique, les pratiques ont évolué, l’agritourisme a pris de l’importance et son périmètre s’est agrandi. Il est nécessaire de prendre en compte cette évolution. Nous proposons d’adopter une approche de l’agritourisme élargie aux territoires (vision 2) et, pour marquer la différence avec la vision 1, qui reste prégnante, nous qualifions cet agritourisme « d’intégré » au territoire :

L’agritourisme intégré est un tourisme lié au milieu agricole (lié à ses produits, ses procédés, ses producteurs, ses espaces, ses valeurs, sa culture). Il peut se situer en différents lieux (pas uniquement dans les fermes), être sous la responsabilité de différents acteurs du territoire privés ou publics (pas uniquement les fermiers), et concerner une grande variété d’offres (pas uniquement les quatre activités classiques).

Cette formulation ne définit pas vraiment l’agritourisme intégré (voir les limites en conclusion), mais elle vise à bien différencier l’approche élargie de l’approche dominante. L’approche élargie répond aux deux limites identifiées et devrait permettre à l’agritourisme de mieux se développer en étant mieux reconnu. Elle correspond en fait à un renversement de perspective , passant d’une vision où l’agriculture s’ouvre au tourisme à une vision où le tourisme s’ouvre à l’agriculture. Au lieu de prendre comme point de départ ce que peuvent ou veulent faire les agriculteurs, les territoires pourraient plus systématiquement partir de la curiosité des touristes à propos des produits agricoles et de leurs univers culturels et paysagers. Ils pourraient ainsi favoriser l’émergence de véritables produits touristiques – ludiques, créatifs, innovants – conçus pour répondre aux attentes des touristes.

Recommandations à l’intention des territoires

L’approche élargie, associée aux principes marketing, permet de formuler des recommandations à l’adresse des territoires qui souhaiteraient développer l’agritourisme. Nous pensons ici surtout aux territoires qui ont déjà des activités touristiques et des activités agricoles significatives (sinon la démarche sera plus difficile). Les territoires sont des entités complexes, influencés par de nombreux acteurs et dont les contours peuvent différer des contours administratifs (Meyronin, 2012). Ils sont pilotés par les pouvoirs publics et leurs satellites (ex. : communes, départements, régions, agences de développement, offices du tourisme), à qui s’adressent ces conseils. Dans ce qui suit, les préconisations sont étayées par l’identification de « bonnes pratiques » et par l’exemple de sites Internet sélectionnés parmi un grand nombre en 2014. (Le contenu de ces sites peut changer selon les saisons et évoluer au fil du temps.) Les deux premières recommandations sont directement issues des résultats de cette recherche. Les deux suivantes correspondent à des principes de marketing appliqués à l’agritourisme. La dernière vise à surmonter une difficulté de médiation maintes fois observée.

Prendre en considération l’agritourisme . Les produits de la terre et l’agriculture intéressent le public et peuvent constituer une ressource touristique. Les consommateurs se montrent curieux des aliments produits localement, de la manière dont ils sont élaborés et des éléments culturels qui les entourent. Ils aiment les explorer, les goûter et les rapporter en souvenir. Ils apprécient l’expérience unique de se trouver en immersion dans le monde agricole. Il est important pour eux d’avoir la preuve que ce qu’ils mangent provient vraiment de l’endroit visité. L’étude des brochures et des sites web montre que souvent les territoires mettent en avant leurs richesses naturelles (ex. : fiches randonnée) et culturelles nobles (ex. : châteaux, églises), mais rarement le patrimoine issu du monde agricole. Comme exemple de bonne pratique, remarquons que certains portails touristiques proposent des onglets de type « saveur » ou « terroir » qui présentent les produits alimentaires régionaux, ou des onglets de type « hébergement » qui relaient vers les fermes-auberges (sites < www.juratourisme.ch > ; < areches-beaufort.com >).

Considérer l’agritourisme au sens large . La nouvelle approche englobe dans l’agritourisme une grande variété de formes, que les territoires peuvent chercher à inventorier en s’appuyant notamment sur le tableau 1 et ses treize formes. Souvent, lorsqu’un territoire prend en compte l’agritourisme, il se limite à quelques aspects, même si d’autres richesses agritouristiques existent sur le territoire. Comme exemple de bonne pratique, notons que certains portails touristiques vont au-delà de la simple présentation des produits régionaux et mentionnent les visites de fermes, les musées, les marchés et les fêtes liés à l’agriculture. On peut toutefois regretter que les offres soient souvent éparpillées sous différentes thématiques, sans mise en valeur de leur cohérence agritouristique (sites < www.la-gruyere.ch > ; < www.thones-valsulens.com >). Signalons quelques sites web du secteur agricole, à vocation locale plus que touristique, s’avèrent attrayants et assez complets. Ils pourraient être davantage relayés par les portails touristiques (< www.terroir-juraregion.ch >, site intéressant mais peu relayé ; < www.saveurs-des-aravis.fr >, site intéressant et bien relayé par < www.thones-valsulens.com >).

Positionner les territoires et proposer une gamme d’offres agritouristiques. Les principes du marketing peuvent guider la construction d’une véritable politique agritouristique, au sein de la politique territoriale. Pour se positionner, les territoires peuvent chercher à mettre en valeur une de leurs spécialités (un aliment, une recette, une fête), ou chercher à combler un manque régional, tout en tenant compte de la concurrence des autres territoires. Le positionnement agritouristique peut être principal pour le territoire s’il a peu d’attraits par ailleurs (ex. : vin X), ou il peut être complémentaire à un autre (ex. : ski en positionnement majeur, fromage Y en mineur). La gamme d’offres à élaborer doit être cohérente et séduisante. L’expérience client sera d’autant plus forte que les éléments de la gamme seront mis en relation et entreront en résonnance (Encadré 1). Nos observations montrent que les territoires adoptent rarement un véritable positionnement stratégique concernant l’agritourisme et que la notion de gamme d’offres est peu employée. Exemple de bonne pratique : la zone 5 de nos entretiens vient de se repositionner stratégiquement sur « vin et montagne », ayant observé que d’autres territoires jouent la carte « vin et château ». Elle décline une gamme d’offres étendue et cohérente : route des vins, vente directe, musée de la vigne, sentiers thématiques, séjours thématiques, événements. Toutefois, nous n'avons pas trouvé de site web à montrer en exemple pour illustrer ce point.

Intégrer cette gamme d’offres agritouristiques au sein du territoire. L’offre agritouristique doit être cohérente avec l’offre touristique plus générale, et avec l’offre globale du territoire. Pour assurer cette cohérence, qui doit se construire au fur et à mesure du développement des projets, le marketing territorial peut constituer une voie, que nous suivons, sachant que d’autres types de démarches territoriales existent (voir ci-dessus littérature). Le marketing territorial expose les principes et les processus qui permettent d’augmenter l’attractivité des territoires à destination de trois cibles principales : les résidents, les entreprises et les touristes (Kotler et al. , 1993). Ces principes concernent par exemple la nécessité d’affirmer une identité territoriale, de faire participer les acteurs et de construire les projets en commun (Meyronin, 2012). Ils concernent aussi l’importance des temps longs, des hommes-ponts, des organes-relais et des textes fédérateurs (Valla, 2012). Les processus de mise en place du marketing territorial débutent par un diagnostic, puis se déroulent par étapes successives afin de sélectionner et de mettre en œuvre les projets, en fonction des ressources locales et du positionnement choisi (Chamard, 2014 ; Gollain, 2014).

Monter des formations de médiateur en agritourisme. S’ils veulent développer l’agritourisme, les territoires peuvent aussi agir à long terme grâce à la formation professionnelle. De nouveaux métiers pourraient émerger à l’interface des cultures touristique et agricole. Imaginons par exemple les métiers de guide agritouristique, de chef de projet agritouristique, ou encore de lecteur de paysage, pour lesquels un bouquet de compétences serait à constituer (médiation et interprétation, design de produit touristique, information et communication, international et langues…). Nos observations font ressortir que les personnes issues du monde agricole raisonnent rarement en termes de produit touristique et que les personnes issues de l’univers touristique ignorent souvent les richesses agricoles. En matière de bonne pratique, un entretien mené dans le canton de Genève (pour une autre étude) nous a permis d’identifier une maison du terroir fort intéressante. Entre autres activités, elle forme les guides touristiques spécialisés dans l’accueil des congressistes à faire apprécier la campagne agricole environnante et ses productions, contribuant ainsi à la mixité des cultures (site < www.geneveterroir.ch >).

Conclusion

Dans le but de mieux connaître le phénomène agritouristique actuel, cette recherche a mené des investigations dont les apports peuvent être soulignés.

  • Une liste d’activités est dégagée. La plupart d’entre elles n’avaient pas encore été clairement identifiées. Cette liste peut finalement être formulée de manière assez simple en douze activités (au lieu des treize annoncées, en liant routes et sentiers sous le terme d’« itinérance »). La liste comprend alors : les quatre activités offertes par un exploitant sur sa ferme (hébergement, restauration, vente, divers) ; plus ces mêmes quatre activités mais offertes par d’autres acteurs ; plus quatre autres types d’activités (musées, itinérance, séjours, événements). Cette liste constitue un inventaire non définitif, qui doit être discuté et validé.

  • Une nouvelle vision de l’agritourisme est proposée : l’«  agritourisme intégré  ». En identifiant les limites de la vision 1 (défendue par Phillip et al. , 2010 ; Arroyo et al. , 2013 ; Flanigan et al. , 2014), et en montrant comment la vision 2 dépasse ces limites, cette étude ouvre le champ de l’agritourisme et propose un nouveau cadre qui pourrait conduire à une refondation : en bref, faire passer l’agritourisme d’une activité marginale et résiduelle à une activité touristique pleine et entière.

  • Pour se situer par rapport aux travaux de Marcotte et al. (2006), cette recherche confirme la vision élargie identifiée par ces auteurs, mais avec quelques nuances. La principale différence réside dans le statut accordé à la vision 2 et dans le dégagement de sa portée heuristique. Tandis que pour ces auteurs les deux visions, étroite et large, sont compatibles en fonction des besoins ou des pays, pour nous la vision élargie doit être considérée comme supérieure, car elle fournit un meilleur cadre, tant sur le plan théorique (elle correspond mieux aux réalités actuelles) que pratique (elle permet un meilleur développement économique). Une autre différence concerne les zones rurales , qui ne sont pas toujours le support obligé de l’agritourisme. Certaines formes peuvent avoir lieu en milieu urbain, montagnard, ou en bord de mer (voir ci-dessus, phases préalables, phase 1).

  • L’agritourisme intégré pourrait devenir une tendance majeure du tourisme durable . Dans les zones de montagne observées, cet agritourisme soutient une petite agriculture qui préserve les espaces, les savoir-faire, la biodiversité et contribue à l’économie des populations d’accueil.

  • Un autre apport de cette recherche concerne l’étude de la nature sous un angle productif . La littérature en tourisme durable considère en général la nature sous l’angle des espaces sauvages ou protégés (Charte, 1995 ; Camus et al. , 2010). Or cette nature a été au fil de l’histoire largement modifiée par l’homme. Les paysages bucoliques qui nous charment, et même les forêts et les alpages, résultent du travail des agriculteurs (François, 2004). Ce phénomène pourrait être davantage pris en compte au sein du tourisme durable.

  • Les résultats sont traduits en cinq recommandations pratiques. Celles-ci pourront intéresser les territoires soucieux de développer l’agritourisme.

Les limites de cette recherche sont nombreuses. L’étude des seuls terrains de montagne doit être complétée, répliquée, notamment pour l’établissement de l’inventaire des formes. Les motivations des touristes n’ont été prises en compte que de manière indirecte, par les observations participantes et les interviews d’OT. Il serait intéressant d’interroger directement les touristes pour en savoir davantage sur ce qui les attire spécifiquement dans l’agritourisme. Une définition formelle de ce nouvel agritourisme n’a pas été développée. Cela nécessiterait à notre avis de préciser les intersections avec d’autres formes de tourisme, comme l’écotourisme ou le tourisme culinaire. Nous avons seulement évoqué (voir littérature et préconisations) la question de l’ intégration territoriale des gammes d’offres agritouristiques et celle des processus de patrimonialisation, or ces questions sont au cœur des préoccupations des territoires.

Au final cet article qui suggère une refondation de l’agritourisme devrait stimuler les recherches futures, au-delà du dépassement des limites précédentes. L’agritourisme ainsi considéré, orienté vers la nature productive, pourrait dans quelque temps devenir aussi important que l’écotourisme aujourd’hui, orienté vers la nature sauvage, lui-même embryonnaire à l’époque de la Charte du tourisme durable de 1995.