Sexualités touristiques

Tout ce que vous voulez savoir sur les sexualités touristiques. Ce qu’on en a su, ce qu’on en sait et ce qu’il reste à en savoir[Notice]

  • Jean-François Staszak,
  • Maria Gravari-Barbas et
  • Nelson H. Graburn

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  • Jean-François Staszak
    Département de géographie, Université de Genève ; jean-francois.staszak@unige.ch

  • Maria Gravari-Barbas
    Institut de recherches et d’études supérieures du tourisme (IREST), Équipe interdisciplinaire de recherches sur le tourisme (EIREST), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; maria.gravari-barbas@univ-paris1.fr

  • Nelson H. Graburn
    Institute of East Asian Studies, University of California, Berkeley ; graburn@berkeley.edu

Il y a quinze ans, Téoros titrait un numéro spécial « Tourisme et sexualité ». Le premier article, à valeur introductive, portait sur « Le tourisme sexuel : ses plaisirs et ses dangers » (Lévy et Lacombe, 2003). Le dossier reflétait bien l’approche qui avait prévalu dans la recherche jusqu’aux années 2000 quand il s’agissait d’analyser les rapports entre tourisme et sexualité. La question était essentiellement posée en termes de tourisme sexuel, soit, si l’on suit la définition alors communément acceptée, celui pratiqué par des personnes qui voyagent afin de recourir sur leur lieu de destination à des services sexuels marchands. L’optique était souvent celle d’une condamnation de pratiques dangereuses et immorales, à l’heure de l’explosion de la pandémie du SIDA, de la dénonciation de la prostitution, en particulier celle des enfants : on plaidait souvent pour une régulation, si ce n’est une interdiction du tourisme sexuel. Depuis, les travaux sur le tourisme sexuel se sont multipliés, mais les perspectives sur celui-ci et plus généralement sur les liens entre tourisme et sexualité ont changé. Ce numéro en est le reflet. La catégorie « tourisme sexuel » n’est plus considérée comme allant de soi et suscite désormais de nombreuses critiques (Oppermann, 1999 – qui en la matière fait référence ; Ryan, 2000 ; Jeffreys, 2003 ; McKercher et Bauer, 2003 ; Jaurand et Leroy, 2011 ; Carr, 2016). D’une part, existe-t-il un tourisme qui ne soit que sexuel ? Même les touristes sexuels ont sur leur lieu de destination des pratiques touristiques qui n’ont rien à voir avec le sexe et la prostitution : ils photographient les paysages exotiques, visitent les sites, vont au restaurant, achètent des souvenirs, etc. En outre, les services qui leur sont offerts ne se limitent pas toujours à la sexualité : ils s’agit aussi parfois de jouer le rôle de compagnons de voyage, voire de guides. La dimension émotionnelle est souvent importante : beaucoup de touristes sexuels cherchent, si ce n’est l’amour, une « girlfriend experience » (Garrick, 2005 ; Rivers-Moore, 2012 ; Gezinski et al., 2016). D’autre part, il est difficile d’identifier un tourisme qui ne soit pasdu tout sexuel. L’imaginaire qui motive le déplacement a bien souvent une composante érotique (voir les articles de Sabre et de Staszak, dans ce numéro). Il est alors improbable que les touristes n’aient aucune attente en la matière, et leur expérience sexuelle sur place sera probablement affectée d’une façon ou d’une autre par le cadre touristique dans lequel elle prend place. D’ailleurs, les red light districts (quartiers rouges) les plus fameux, comme Patpong à Bangkok ou De Wallen à Amsterdam, ne sont pas réservés aux touristes sexuels : ils constituent des attractions dont les guides touristiques conseillent sans beaucoup d’états d’âme la visite à tous les voyageurs (Sanders-McDonagh, 2017) : rares sont les touristes venus en Thaïlande ou aux Pays-Bas, hommes ou femmes, qui n’y font pas un tour, ne serait-ce que pour jouir du spectacle qui y est proposé. En quoi ceux qui regardent seraient moins des touristes sexuels que ceux qui touchent ? Enfin, la définition classique du touriste sexuel met l’accent sur l’intention du voyageur, qui ferait du commerce du sexe le but (unique ? essentiel ?) de son voyage. Seraient alors exclus du tourisme sexuel les situational sex tourists (O’Connell Davidson, 1996), qui recourent à l’offre prostitutionnelle locale, qui sont donc sollicités par les circonstances et sans l’avoir planifié avant leur départ. Les travailleuses du sexe concernées sont sans doute peu intéressées par cette distinction jésuite, qui n’apporte pas grand-chose à la compréhension du phénomène si ce n’est en attestant de la …

Parties annexes