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Fig. 1

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Nuria Elisa Morère Molinero, professeure à l’Université Juan Carlos de Madrid, dirige une monographie consacrée aux multiples formes qu’offre le tourisme culturel. À l’origine, le tourisme culturel avait pour objectif de faire découvrir le patrimoine culturel et le mode de vie d’une région et de ses habitants. Aujourd’hui, comme l’explique Morère Molinero, cette forme touristique est devenue un outil marketing d’attractivité locale et territoriale, symbole de développement économique et social. Cette monographie exhaustive s’organise autour de onze articles provenant de chercheurs hispanophones et francophones, avec des études de cas internationales, majoritairement menées le monde hispanique.

Les chemins religieux, les itinéraires et les routes trouvent écho dans une partie de cette monographie. Anna Trono et Luigi Oliva, Clara Martín Duque, ainsi qu’Isabel María Torres Martínez s’intéressent à cette nouvelle forme de patrimoine culturel. La route n’est plus seulement le lien entre deux destinations, elle est perçue comme un facteur de développement économique et culturel local. La question identitaire des routes à vocation historiquement religieuse questionne leur requalification touristique et patrimoniale. Sans apporter de solutions concrètes à cet enjeu propre au tourisme culturel, les auteurs alimentent la réflexion sur la dichotomie identité/tourisme. La question du tourisme et du patrimoine religieux amène José M. Lavin, Carlos Martínez Bonilla, Franklin N. Medina Guerra et Walter F. Viteri Torres dans une réflexion qui distingue le touriste religieux en recherche de spiritualité et le touriste en quête de dépaysement culturel. Les auteurs s’inspirent du modèle du touriste culturel de Tel Silberberg (« Cultural Tourism and Business Opportunities for Museums and Heritage Sites », 1995) et Melanie K. Smith (Issues in Cultural Tourism Studies, 2003) pour distinguer le profil des touristes qui participent aux fêtes religieuses du village de Patate en Équateur. Les auteurs, dans un contexte équatorien localisé, soulignent la nécessité pour les acteurs du développement touristique d’amener de nouvelles variantes dans les profils touristiques, notamment liées au tourisme religieux. Cependant la question de la reproductibilité de leurs résultats dans un autre contexte religieux aurait donné une plus grande crédibilité aux résultats qu’ils ont obtenus à Patate.

Une autre thématique qui est abordée dans cette monographie est les arts comme vecteur de tourisme culturel. Claude Origet du Cluzeau analyse intelligemment cette thématique, souvent discutée, critiquée ou acclamée, de l’émergence des arts contemporains et de leur promotion risquée par des opérateurs de la destination touristique vis-à-vis des touristes plus ou moins réceptifs à cette ressource culturelle. Le texte de Pilar Martino Alba identifie les œuvres littéraires comme sources de mise en désir de l’imaginaire vers la réalité touristique. La mise en tourisme d’une destination inspirée d’œuvres littéraires romancées n’est pas un phénomène nouveau et fait ici le lien avec la problématique de la mise en scène et de l’authenticité du lieu discuté dans le texte de Claudio Fabián Centocchi. La question de la folklorisation de la ville de San Antonio en Argentine est un des nombreux exemples d’altération des territoires et de l’identité culturelle à des fins d’attractivité économique. L’exemple d’un cas sud-américain permet au lecteur de sortir d’études de cas touristiques habituellement centrées sur l’Europe ou l’Amérique du Nord.

L’espace urbain occupe une place prépondérante dans cet ouvrage. Boualem Kadri et Mohamed Reda Khomsi, pour leur part, analysent culture, tourisme et patrimoine sous le prisme de la métropole. Leur choix dans cette monographie de Montréal, métropole nord-américaine, tranche avec les cas hispaniques et permet de faire une dichotomie « Vieux » et « Nouveau Monde », avec les concepts de culture, de patrimoine ou de métropole. Le cas des fortifications de la ville de Cartagena de Indias, étudié par Miriam Menchero Sánchez, confronte les limites géographiques opposant centre historique et périurbain, facteur d’avènement de catégories de monuments touristiques victimes de leur emplacement géographique. Oscar Navajas Corral et Julián González Fraile proposent un témoignage et un exemple de succès dans la patrimonialisation de lieux traumatiques et la notion de pardon. Ces auteurs amènent un autre regard sur le tourisme, souvent perçu comme nocif, qui peut aussi contribuer au bien-être des populations, par la réconciliation notamment. Cette géopolitique du conflit, passé ou actuel, joue un rôle essentiel dans le développement touristique culturel présent. L’étude de Saint-Louis du Sénégal par Abdoul Sow montre très bien comment la géopolitique structure le développement touristique. La menace terroriste dans le Sahel rappelle la destruction des mausolées de Tombouctou et comment la culture devient une cible du terrorisme.

Identité, acteurs et diversité

Globalement, cette monographie apporte des regards méthodologiques et des expériences multiples à travers des études de cas très variées. Les auteurs soulèvent certaines des grandes thématiques du tourisme culturel : la mise en patrimoine et en tourisme, l’importance et le rôle des acteurs de toutes les disciplines, la question de l’identité ou bien le regard des populations locales et touristiques sur l’usage du patrimoine. S’il mettent en lumière les défis conceptuels, méthodologiques et éthiques du tourisme culturel d’aujourd’hui et de demain, les auteurs sont plus souvent dans une logique de constat que dans l’apport de réelles solutions. Des analyses comparées de cas permettraient de confirmer ou d’infirmer les résultats présentés et leur reproductibilité dans d’autres cas. Les possibilités de développement dans le tourisme culturel doivent inciter l’ensemble des acteurs touristiques à élaborer davantage d’outils afin de préserver l’identité culturelle du patrimoine. La diversité des études de cas amène plusieurs pistes de réflexion et orientations méthodologiques autour de thématiques interdisciplinaires.

Le lecteur trouvera dans cette monographie un éclairage bienvenu sur les enjeux de développement du tourisme culturel. La rédaction d’une nouvelle monographie sur cette thématique qui ouvre les nombreux horizons des tourismes culturels existants ne pourrait être qu’appréciée.