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La ville industrielle, modèle économique-urbain dominant dans la plupart des capitales européennes jusqu’à la fin des années 1970, était une ville où résidaient majoritairement des familles qui travaillaient dans le secteur secondaire. Des travailleurs manuels, avec une faible capacité économique, vivaient ensemble dans des foyers pouvant regrouper plusieurs familles (Hamnett, 2000). Progressivement, les industries manufacturières ont quitté la ville-centre pour s’installer dans les périphéries urbaines. Dans le centre, ces industries manufacturières ont alors été remplacées par des entreprises appartenant à l’économie des services. Les conditions d’emploi ont changé ; elles se caractérisent par une flexibilisation du marché du travail, ce qui a transformé la structure socioéconomique de la population qui y réside (Buzar et al., 2005).

Parallèlement, depuis les années 1960, le tourisme international augmente significativement en Europe. Ainsi, certaines villes européennes, et particulièrement celles avec une offre culturelle et un patrimoine historique importants, ont accompagné la tertiarisation de leur économie d’un boom touristique sans précédent (Van Der Borg et al., 1996). Le renouvellement urbain des centres historiques qui s’embourgeoisent avec l’arrivée d’une nouvelle population et l’installation de nouvelles activités commerciales et culturelles fournit un espace plus accueillant à l’arrivée des touristes (García Herrera et al., 2007 ; Vives Miró, 2011). Plus tard, la démocratisation du tourisme urbain, permise notamment par l’offre de transport des compagnies aériennes à bas coûts, transforme les centres-villes en espaces de consommation massive (Füller et Michel, 2014). À Barcelone, le tourisme devient alors un secteur économique important qui représente 5,3 % du produit intérieur brut (PIB) de la ville (WTTC, 2017). Toutefois, le tourisme génère également certains effets négatifs qui seront en partie étudiés dans cet article.

Barcelone apparaît comme un espace privilégié pour étudier ce boom touristique et les possibles conflits générés par les usages de ces visiteurs. Depuis 2010, une explosion du nombre de touristes est constatée dans la ville (illustration 1). Cette croissance s’accompagne d’une augmentation de la capacité d’accueil (nombre de lits disponibles) et d’une diversification de l’offre de logement. Cependant, des divergences territoriales existent dans cette spécialisation touristique et certains quartiers concentrent l’arrivée massive de touristes, polarisant ainsi des problèmes de coexistence entre touristes et résidents (Duro et Rodríguez, 2015). En effet, certains résidents barcelonais (Assemblea de Barris pel Decreixement Turístic [Assemblée des quartiers pour la décroissance touristique] ou Sindicat de Llogaters i Llogateres [Syndicat de locataires]) dénoncent une incompatibilité des usages résidentiels et touristiques. Selon une enquête municipale de 2017, une partie importante des habitants de la ville ont pointé le tourisme comme le principal problème à Barcelone (Ajuntament de Barcelona, 2017). Cette enquête a permis de révéler deux raisons de ces inquiétudes. D’une part, les nuisances et la saturation des espaces publics et notamment dans les transports publics posent problème aux résidents de Barcelone. D’autre part, c’est l’incompatibilité des usages résidentiels et touristiques concernant le logement ou l’offre de commerces qui est mise en avant par les Barcelonais (Cócola-Gant, 2017). Le tourisme apparaît alors dans le débat citoyen comme une possible source de conflits.

Cet article souhaite contribuer à la discussion scientifique sur les conséquences du tourisme urbain et la cohabitation entre touristes et population résidente permanente[1]. Un intérêt particulier est porté à l’expansion de l’offre de logements à usage touristique à Barcelone. L’augmentation de ce type de logement est l’une des nouveautés les plus marquantes de ces dernières années en matière de tourisme, avec un nouvel acteur économique particulièrement puissant, Airbnb, la plateforme la plus importante de cette offre. En décembre 2016, elle proposait plus de deux millions de logements dans le monde et Barcelone est la ville espagnole avec le plus d’annonces Airbnb, se situant troisième au classement des villes européennes (Coyle et Yeung, 2016). Airbnb, en connectant l’offre et la demande de logements à usage touristique, a popularisé ce tourisme urbain. Ces dernières années, plusieurs études ont déjà discuté du rôle (pas toujours bon) que joue Airbnb sur le marché du logement (Samaan, 2015 ; BJH Advisors LLC, 2016 ; Lee, 2016). Similairement, cet article explore la relation entre l’augmentation des logements à usage touristique et l’évolution du nombre de ménages résidents permanents à Barcelone afin de comprendre les possibles effets négatifs de cette offre touristique.

Coexistence entre touristes et population résidente permanente, l’enjeu de l’accession au logement dans les zones touristiques

Pendant de nombreuses années, la littérature scientifique qui étudiait la relation entre le tourisme et la population résidente permanente s’est concentrée sur des zones rurales. Les enquêtes concluaient que l’arrivée d’activités touristiques en zone de faible densité de population était associée à un retour de la population et à un changement des comportements démographiques permettant de pallier le vieillissement de la population résidente permanente (Greenwood, 1972 ; Loukissas, 1982 ; Getz, 1986 ; Gill et Williams, 1994). À l’inverse, des publications plus récentes démontrent qu’il existe des conséquences négatives de la dépendance aux activités touristiques en zones rurales (Smith et Krannich, 1998 ; Heberlein et al., 2002 ; Hines, 2010).

Des études de cas révèlent que le développement du tourisme dans ces zones rurales a transformé la structure démographique de la population résidente permanente. Par exemple, John Gregory Peck et Alice Shear Lepie (1989) associent l’émergence de ce secteur économique avec la diminution de la taille moyenne des ménages résidents permanents, évolution qui se fait au profit du modèle de la famille nucléaire. Pour eux, l’une des raisons de cette diminution de la taille des ménages est l’insertion professionnelle des femmes dans les ménages où le revenu provient principalement des activités économiques associées au tourisme (Peck et Lepie, 1989 ; Haralambopoulos et Pizam, 1996 ; Buckley, 2012). Par ailleurs, une grande dépendance économique au seul secteur touristique modifie aussi le marché du travail et ses conditions d’emploi. En effet, une destruction des activités traditionnelles est observée ainsi qu’une précarisation des nouveaux emplois (Gibson, 2009). En outre, seuls les jeunes acceptent de s’accommoder de la précarité de ces emplois associée à un volume horaire important de contrats de courte durée (quelques mois). C’est ce que fait ressortir l’étude de Donald Getz (1986) sur les Highlands écossais. Le développement du tourisme a profité en particulier à des jeunes non écossais, mais aussi les zones touristiques sont peu attractives pour les familles avec enfants, comme c’est le cas dans cette région du nord du Royaume-Uni.

Concernant les zones urbaines, il est plus difficile de mesurer les conséquences de cette intensification touristique sur la structure démographique de la population résidente permanente. Certains notent une modification de la structure socioéconomique des travailleurs en lien avec l’activité touristique (Spirou, 2011). Néanmoins, un certain consensus existe pour dire que le processus de gentrification des centres-villes a été accompagné et même renforcé par le déversement sectoriel réalisé entre le secteur secondaire et le secteur tertiaire dont le tourisme fait partie, ainsi que la mondialisation des flux touristiques. Plus concrètement, des auteurs montrent la relation qui existe entre le développement du tourisme urbain et la gentrification. Parmi eux, Kevin Fox Gotham (2005) a été le premier à utiliser le concept de « gentrification touristique ». Selon lui, les deux mécanismes sont reliés et engagés par les mêmes acteurs dominants : promoteurs immobiliers, propriétaires, agences immobilières, entreprises du secteur touristique, etc. Ainsi, la gentrification touristique permet le renouvellement urbain en même temps que la transformation des espaces commerciaux et touristiques (Gotham, 2005 ; García Herrera et al., 2007). Gotham (2005) ajoute que ce concept de « gentrification touristique » permet l’unification des deux causes identifiées classiquement pour comprendre la gentrification, des évolutions à la fois de la demande (Ley, 1986) et de l’offre résidentielles (Smith, 1979). Ainsi, la seule volonté des acteurs dominants ne permet pas la réalisation de cette gentrification ; le désir des nouveaux habitants et des touristes de vivre dans, ou de visiter ces zones centrales, attractives culturellement avec un patrimoine historique rénové, permet aussi d’expliquer ce renouvellement urbain.

Luz Marina García Herrera, Neil Smith et Miguel Ángel Mejías Ver (2007) font un pas de plus en montrant que les deux procédés, gentrification et tourisme, s’autoalimentent (2007 : 277) :

Insofar as gentrified neighborhoods become tourist destinations themselves, by dint of their new or recaptured distinctiveness, the separate logics and motives of tourism and gentrification begin to blur: the one begins to feed the other, and the dilution of geographical distinctiveness is further exacerbated.

Par ailleurs, García Herrera et ses collègues (2007) tout comme Gotham (2005) s’accordent pour dire que la cause du déplacement d’une partie de la population résidente permanente en dehors du quartier concerné par cette gentrification touristique est l’augmentation des prix de vente et des loyers des logements de cette zone. La spéculation qui accompagne les prémices du renouvellement urbain provoque une augmentation des prix, ce qui en rend plus difficile l’accès pour les populations les plus vulnérables économiquement (Atkinson et Bridge, 2005). Pour Teresa Barata-Salgueiro, Luis Mendes et Pedro Guimarães (2017), ce terme de « gentrification touristique » permet de faire apparaître une transformation des usages résidentiels, commerciaux et de l’espace public des quartiers qui se gentrifient par le tourisme. Ces nouveaux usages correspondent aux besoins du consommateur éphémère, le touriste, mais aussi à ceux d’une population résidente permanente, qui peut également être temporaire et qui apprécie ces transformations (Cócola-Gant, 2017).

En d’autres termes, l’une des causes des conflits entre les anciens résidents et les touristes est l’usage différencié qu’ils font du logement. Pour illustrer cette concurrence entre ces deux groupes, l’exemple donné par la gentrification rurale est très évocateur. L’étude réalisée par Solana-Solana (2010) a notamment mis en évidence les inégalités qui se jouaient dans l’accès à la propriété avec l’accroissement du nombre de propriétaires de résidences secondaires. Pour l’auteur, le terme « gentrification rurale » décrit une amplification du nombre de résidences secondaires et, plus récemment, des locations à court terme qui vont occasionner une augmentation des prix du logement. Cette dernière était responsable d’une diminution de la population de résidents permanents, principalement les ménages les plus vulnérables économiquement, remplacés par des résidents de courte durée ou des touristes.

Malgré l’absence d’un corpus théorique sur la relation entre l’activité touristique et le dépeuplement des centres-villes de leur population d’habitants permanents, certaines études de cas permettent d’apporter des éléments de compréhension de ce phénomène. Les exemples des villes de Zagreb (Croatie) et de Venise (Italie) apportent des éléments manifestes permettant d’établir un lien entre le développement des activités touristiques et la diminution de la population (Kesar et al., 2015 ; Zanini 2017). Les deux études pointent le dépeuplement de l’hypercentre (zone la plus touristique) alors même que le nombre de logements n’a pas diminué. L’explication serait donc un changement d’usage de ces logements, c’est-à-dire qu’une partie du stock de logements a été convertie pour accueillir des touristes. L’un des éléments centraux pour expliquer ce dépeuplement et le départ des habitants permanents est le changement d’usage des logements disponibles dans ces zones touristiques qui abandonnent leur vocation résidentielle pour accueillir un visiteur de passage.

Néanmoins, la relation entre la baisse du nombre d’habitants permanents et le nombre de logements nécessaires pour accueillir la population résidente n’est pas automatique. En effet, le nombre de ménages peut rester stable, voire augmenter, alors même que la population décroît (Beauregard, 1993). D’ailleurs, l’une des caractéristiques principales de la seconde révolution démographique est justement la distorsion entre le nombre d’habitants et le nombre de ménages, puisque la taille des ménages se réduit toujours un peu plus (Buzar et al., 2005). Il est donc plus approprié d’utiliser le ménage comme unité d’analyse pour étudier cette demande résidentielle, comme nous le faisons dans cet article.

Certains auteurs justifient l’expansion du nombre de logements à usage touristique comme la conséquence de l’émergence d’un nouveau tourisme urbain (Füller et Michel, 2014). Ce nouveau tourisme, que Philippe Violier (2016) nomme la « troisième révolution touristique », est à la fois personnalisé et voit apparaître de nouveaux opérateurs économiques, tels Airbnb et TripAdvisor. Ce nouveau tourisme s’appuie sur la recherche du consommateur de vivre des expériences locales et authentiques à travers des itinéraires et des lieux où il peut trouver, voire rencontrer la population résidente permanente. D’autres remarquent que le développement de la plateforme Airbnb a permis de créer des connexions entre la vie des locaux et celle des visiteurs comme expérience touristique à part entière (Yannopoulou et al., 2013 ; Guttentag, 2015). C’est d’ailleurs comme cela qu’Airbnb se présente et séduit sa clientèle, en utilisant le slogan « Live Like a Local ».

Toutefois, on peut se demander si ce ne sont pas d’autres logiques qui permettent de comprendre le succès de la plateforme Airbnb et, plus largement, des logements à usage touristique. Du côté du client, ce type de logement, moins cher qu’une chambre d’hôtel, est l’un des facteurs importants qui influencent le choix du touriste pour son hébergement en faveur d’un appartement offert sur la plateforme Airbnb plutôt qu’un établissement hôtelier classique (Stors et Kagermeier, 2015). Du côté du propriétaire, ce nouveau modèle économique est aussi très rentable. Il est en effet plus facile de transformer un logement pour un usage touristique que de devenir un acteur à part entière du secteur hôtelier régulier (Zervas et al., 2014). De plus, la rentabilité d’un logement à usage touristique est de trois à quatre fois supérieure à celle d’une location traditionnelle (City and County of San Francisco, 2015 ; Ajuntament de Barcelona, 2016a ; Nieuwland et Van Melik, 2018).

Conséquemment, une partie importante des logements disponibles sur cette plateforme appartiennent à des entrepreneurs plutôt qu’à des individus convaincus par la tourism-sharing economy. Pour illustrer cette réalité, à Barcelone, presque la moitié des logements à usage touristique appartiennent à des individus qui possèdent deux appartements ou plus[2]. Ainsi, la plupart des touristes à Barcelone n’expérimentent pas le partage avec un résident, mais se logent chez un acteur du secteur touristique.

Comme le décrit Dayne Lee (2016 : 230), pour vivre comme un « local », qui plus est dans le logement d’un « local », les touristes prennent progressivement la place des habitants résidents permanents :

The first such mechanism is one of simple conversion: any housing unit that was previously occupied by a city resident, but is now listed on Airbnb year round, is a unit that has been removed from the rental market […] The second mechanism is “hotelization.” So long as a property owner or leaseholder can rent out a room on Airbnb for cheaper than the price of a hotel room, while earning a substantial premium over the residential market or rent-controlled rent, there is an overpowering incentive to list each unit in a building on Airbnb rather than rent to Los Angeles residents, thereby creating “cottage hotels.” This decreases the supply of housing and spurs displacement, gentrification, and segregation.

Enfin, si la présence de logements à usage touristique n’est pas un phénomène nouveau pour les cités balnéaires en Espagne (Baños Castiñeira, 1999), c’est plus récemment que ces logements apparaissent au sein des villes espagnoles. Avec cette expansion, incarnée par des plateformes comme Airbnb ou Homeaway, des études qui examinent l’impact de ces logements à usage touristique dans plusieurs métropoles mondiales telles que Los Angeles, la Nouvelle-Orléans ou encore Londres commencent à être publiées. Les résultats montrent que l’arrivée de ce type de logement en zone urbaine concurrence directement le secteur hôtelier classique (Zervas et al., 2014), le marché du logement et en particulier le marché de la location de logement pour les résidents (Llop 2017 ; Schäfer et Hirsch, 2017). Finalement, l’augmentation du nombre de logements à usage touristique dans un quartier va de pair avec un changement du type de commerces qui y sont implantés (Bock, 2015 ; Cócola-Gant, 2016 ; Llop, 2017).

Ainsi, les logements à usage touristique apparaissent comme une source de conflit entre différents secteurs et acteurs de la ville, comme en témoignent les actions citoyennes organisées par des collectifs d’habitants dans diverses métropoles du monde (notamment Berlin, Prague et Venise) pour dénoncer ce tourisme massif et défendre un bien basique et vital pour la population résidente permanente, le logement (Colomb et Novy, 2017).

Méthodologie et données utilisées

Avant de présenter la méthodologie de cette étude, deux précisions sont importantes. Premièrement, la population n’est pas ici considérée uniquement comme une somme d’individus comme c’est le cas dans la plupart des publications dont les thématiques sont le tourisme et la population (Gotham, 2005 ; García-Hernández et al., 2017 ; Zanini 2017). En effet, l’évolution du nombre d’habitants est la conséquence de nombreux changements qui n’ont pour la plupart rien à voir avec le phénomène étudié ici, le tourisme. Les variations naturelles de la population (naissances et décès), les phénomènes migratoires (entrées et sorties de la population résidente permanente) ou encore les évolutions successives de la taille et de la composition des ménages sont autant de facteurs qui vont être à l’origine de la variation du nombre d’habitants d’une ville. Pour pallier en partie cette aporie, dans cet article, ce sont les ménages qui sont utilisés comme unité d’analyse. Aussi, concernant la relation logement et ménage, il est considéré que chaque logement est composé d’un seul ménage qui peut regrouper plusieurs habitants, voire plusieurs familles dans certains cas.

Deuxièmement, le stock de logements joue un rôle essentiel dans l’augmentation ou la réduction du nombre de ménages résidents permanents dans une ville. En effet, alors que la construction de nouveaux logements favorise l’arrivée de nouveaux habitants, la destruction d’une partie du parc de logements atténue le champ des possibles de la population résidente permanente et, aussi, d’une population potentielle qui souhaiterait éventuellement élire résidence dans cette même ville. C’est pour cela que dans cet article le stock de logements sert de variable de contrôle dans l’étude de cette relation entre l’augmentation des logements à usage touristique et la variation du nombre de ménages résidents permanents.

La période étudiée commence en 2010 pour se terminer en 2016. Le choix de la date de début se justifie par le point d’inflexion observable pour cette année sur le graphique qui représente l’évolution du nombre de lits proposés aux touristes et du nombre de nuitées passées dans la ville de Barcelone (illustration 1). Les données officielles sur le nombre de ménages utilisés n’ayant pas encore été publiées pour l’année 2017 au moment de l’écriture de cet article, l’analyse s’arrête en 2016. Néanmoins, cette période est particulièrement intéressante pour étudier le développement de l’offre touristique, puisqu’en plus de vivre une exceptionnelle croissance touristique, elle a fait l’objet de choix politiques forts. En 2013, la Mairie de Barcelone décide d’un moratoire touristique, qui interdit l’obtention de nouvelles licences pour l’ouverture d’établissements touristiques dans certains quartiers (Ajuntament de Barcelona, 2013). En 2015, l’élection de la candidate Ada Colau à la Mairie de Barcelone favorise l’extension de cette suspension de nouvelles licences à l’ensemble de la ville, et cela, jusqu’à l’adoption d’un nouveau Plan spécial d’urbanisme de logement à usage touristique en 2017. Ce plan maintient l’interdiction d’attribution de nouvelles licences pour ouvrir des logements à usage touristique[3] (BOPP, 2017). Concernant la partie empirique et l’utilisation des données, ce travail repose sur plusieurs sources. Chacune de ces sources est présentée ci-dessous selon les variables utilisées et leurs caractéristiques.

Données sur les ménages

Le nombre de ménages est obtenu pour les années 2010 et 2016 grâce au Registre municipal d’habitants[4], aussi appelé « el Padró ». Il s’agit d’un registre administratif que la mairie de chaque municipalité espagnole utilise pour comptabiliser le nombre de résidents qui habitent sur son territoire. Il faut noter que l’inscription au Padró est considérée légalement comme une attestation de domicile. Pour cette étude, la variation relative du nombre de ménages à l’échelle de l’aire statistique basique (AEB[5]) entre 2010 et 2016 est utilisée.

Données sur le stock de logement résidentiel

Le cadastre de la ville est utilisé pour étudier l’évolution du nombre de logements entre 2010 et 2016. Ce registre recense l’ensemble des logements résidentiels existant à l’échelle des AEB selon la date de fin des travaux, la superficie (en mètres carrés) et le statut de propriété (personne juridique ou physique ainsi que nationalité de cette entité). De plus, cette donnée permet d’estimer l’évolution relative du stock de logements à usage touristique.

Données sur les logements à usage touristique

Les données pour examiner les logements à usage touristique proviennent de deux sources différentes qui correspondent à deux situations juridiques différentes. D’abord, il y a les logements à usage touristique de la liste officielle des entreprises et des établissements touristiques qui recense 9869 logements en juillet 2015 (Registre de Turisme de Catalunya, 2015). Les logements à usage touristique de cette liste disposent d’une licence d’activité touristique et leur activité locative est légale. Pour ces logements, nous disposons de l’adresse exacte, ce qui permet de les localiser avec précision dans l’AEB correspondante.

Cependant, cette liste semble sous-estimer le nombre réel de logements à usage touristique sur le marché. En effet, en raison du Plan de gestion des logements touristiques de 2013 (Ajuntament de Barcelona, 2013) défini par la Mairie de Barcelone, une interdiction d’ouverture de nouvelles licences pour les logements à usage touristique a été décidée dans le quartier de l’hypercentre, Ciutat Vella (numéro 1 sur l’illustration 2). Fin 2014, l’ensemble des licences pour les logements à usage touristique dans la municipalité de Barcelone avaient été attribuées (Ajuntament de Barcelona, 2014 ; Martí, 2016). Cette pénurie est l’une des causes de l’illégalité de certaines locations à usage touristique, c’est-à-dire la location de ces logements sans l’obtention préalable de la licence.

Afin de tenir compte de ces locations à usages touristiques qui ne possèdent pas de licences, les données d’Inside Airbnb[6] ont été utilisées. Ces données se composent du prix de la location, des commentaires laissés par les clients, du taux d’occupation du logement, des informations personnelles sur le propriétaire et de la localisation du logement. Pour cette dernière variable, si les annonces Airbnb sont géoréférencées sur la plateforme commerciale, l’adresse exacte est cachée et l’adresse récupérée sur Inside Airbnb peut varier de 150 mètres par rapport à l’adresse réelle. C’est d’ailleurs pour cela que travailler avec les « secteurs de recensement » qui ont une surface moyenne de 1,28 hectare serait impossible avec des données dont la marge d’erreur est de 2,25 hectares[7].

De toutes les annonces rendues disponibles par Inside Airbnb, seuls les logements entiers[8] ne possédant pas de licence touristique sont considérés[9]. Également, une distinction est faite entre les propriétaires qui louent leur(s) appartement(s) de façon systématique pour un usage commercial et de courte durée, et les propriétaires qui vont louer leur résidence principale de façon épisodique (par exemple lorsqu’ils partent en vacances). Une différence est donc faite entre des appartements qui n’assurent plus un usage résidentiel mais touristique et des résidences principales habitées par la population résidente permanente. Le seuil choisi pour différencier ces logements à usage touristique avec le reste des logements est le critère d’une location de plus de quinze fois par an avec en moyenne une location par mois[10]. Ce résultat est possible grâce à l’assemblage puis au tri des six bases de données obtenues par l’intermédiaire du Web scraping[11] du site Inside Airbnb.

Ensuite, la formule suivante permet de déterminer le poids relatif des logements à usage touristique (STRsi) pour l’ensemble des logements recensés dans chaque AEB :

où est le nombre de logements à usage touristique de l’aire statistique basique (i), est le nombre total de logements de la même aire statistique basique (i), et k est une constante (100).

Pour la ville de Barcelone, en additionnant les 9869 logements à usage touristique déclarés et les logements à usage touristique trouvés sur Airbnb et sans licence, 5978, on parvient à un total de 15 847 logements à usage touristique dans la capitale catalane.

Un des effets négatifs du tourisme urbain pour la population résidente permanente : la location à usage touristique

Entre 2010 et 2016, une croissance exceptionnelle des activités touristiques à Barcelone

Illustration 1 

Évolution du nombre de lits touristiques, de visiteurs et de nuitées à Barcelone (2001-2016)

Évolution du nombre de lits touristiques, de visiteurs et de nuitées à Barcelone (2001-2016)
Sources : Donnés de l’Enquête sur l’occupation des hôtels, du Registre des établissements touristiques et d’Inside Airbnb ; graphique réalisé par les auteurs.

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À Barcelone, l’une des villes les plus visitées en Europe[12], le nombre de touristes par an a augmenté de 4 838 438 personnes, passant de 7 876 562 touristes en 2010 à 12 715 000 en 2016, soit 7,9 fois plus que le nombre d’habitants à Barcelone (Turisme de Bacelona, 2016). L’illustration 1 montre également le doublement du nombre de nuitées, passant de 16 300 421 en 2010 à 31 981 434 en 2016 (Turisme de Barcelona, 2016). D’une part, cette augmentation a notamment été possible par l’ouverture de 67 954 lits entre 2010 et 2016, soit une multiplication par deux de la capacité d’accueil en six ans. Durant cette même période, le taux d’occupation hôtelier a également augmenté de 10 points, passant de 69 % à 79 % (Turisme de Barcelona, 2016). D’autre part, le développement de l’offre des logements à usage touristique et, dans une moindre mesure, l’augmentation du nombre de lits proposés par les auberges rurales et les auberges de jeunesse ont également contribué à rendre possible l’accueil de cette population de touristes. Selon les chiffres de l’institution Turisme de Barcelona, le nombre de lits offerts par les logements à usage touristique est passé de 40 462 en 2015 à 58 911 en 2016, soit une croissance de 45 %. Ces différentes données sur la période 2010-2016 témoignent bien de la hausse exceptionnelle du tourisme ainsi que l’évolution de l’offre touristique ces dernières années à Barcelone.

Évolution et distribution des logements à usage touristique à Barcelone

Comme indiqué plus haut dans la présentation des données, l’ensemble des logements à usage touristique est pris en compte dans l’analyse. Ainsi, pour 2016, 15 847 logements sont estimés comme faisant partie de cette catégorie dans la municipalité de Barcelone. À titre de comparaison, en 2005, seulement 1000 logements étaient à usage touristique et 85 % d’entre eux se trouvaient dans le quartier de Ciutat Vella, l’hypercentre (Castells, 2005). Trois ans plus tard, 2537 logements à usage touristique sont déclarés, dont 47 % sont localisés dans le quartier de Ciutat Vella (illustration 2) (Ajuntament de Barcelona, 2008). Cette première augmentation est à mettre en relation avec le plan d’usage des sols de 2005 de la Mairie de Barcelone qui limitait l’ouverture des établissements traditionnels de l’hôtellerie dans un hypercentre déjà saturé (Ajuntament de Barcelona, 2005). Par ailleurs, la facilité d’utilisation des plateformes telle Airbnb simplifie la transformation d’une location avec contrat à long terme en une location de courte durée. Également, la réussite commerciale et la popularisation de cette plateforme encouragent de nouveaux propriétaires à changer l’usage de leur(s) bien(s)[13].

Petit à petit, le marché des logements à usage touristique va alors se complexifier et dépasser la distribution spatiale limitée précédemment à l’hypercentre (illustration 2). Désormais, 90 % de l’offre de logements à usage touristique se concentre dans cinq quartiers. Dans le quartier de Ciutat Vella, coexistent une offre limitée de locations à usage touristique avec une licence touristique et une offre plus grande de locations à usage touristique sans licence (Ajuntament de Barcelona, 2016b ; Gutiérrez et al., 2017). Dans les quartiers limitrophes et autres quartiers touristiques comme le front de mer, ce sont principalement des logements à usage touristique avec une licence touristique qui sont proposés. Ces quartiers n’étaient pas concernés par l’interdiction de 2013.

Concernant spécifiquement le Passeig de Gracia situé dans le quartier de l’Eixample, la forte présence de logements à usage touristique sur et autour de cette avenue majeure de Barcelone s’explique par l’attractivité de cette zone, très appréciée par les investisseurs. L’offre de logements pour la population résidente permanente y est faible. En effet, ce sont principalement des locaux de bureaux ou des locaux commerciaux qui occupent l’espace. Finalement, et contrairement au slogan d’Airbnb, comme l’ont cartographié Albert Arias et Alan Quaglieri (2016), la localisation des logements à usage touristique est la même que l’offre de l’hôtellerie régulière.

Illustration 2 

Nombre de logements à usage touristique pour 100 logements. Municipalité de Barcelone en 2016

Nombre de logements à usage touristique pour 100 logements. Municipalité de Barcelone en 2016
Sources : Donnés du Registre des établissements touristiques, d’Inside Airbnb et du Cadastre municipal ; cartographie réalisée par les auteurs.

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Les locations à usage touristique, un élément disruptif de la relation entre stock de logements et nombre de ménages permanents dans la ville

En général, le nombre d’habitants, ou encore la densité de population, est souvent la variable utilisée pour planifier et mettre en place des politiques publiques, œuvrer à la construction d’infrastructures et développer des services publics. Cependant, comme on l’a vu précédemment, l’unité d’analyse qui semble la plus appropriée pour comprendre les besoins résidentiels à Barcelone est le nombre de ménages résidents. L’évolution de la population barcelonaise entre 2001 et 2016 se décompose en deux phases (illustration 3).

Illustration 3 

Évolution de la population, du nombre de ménages et de logements à Barcelone (2001-2016)

Évolution de la population, du nombre de ménages et de logements à Barcelone (2001-2016)
Sources : Donnés du Cadastre municipal et du Registre municipal d’habitants (el Padró) ; graphique réalisé par les auteurs.

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Une première s’étend de 2001 à 2006. Elle est marquée par un accroissement important de la population (environ 100 000 résidents supplémentaires), porté notamment par un phénomène migratoire sans précédent. En effet, l’Espagne, pendant ces quelques années, devient un pays d’immigration et non plus un pays d’émigration (Bayona, 2007). Lors de la seconde phase, la population se maintient avec une variation de 25 000 résidents entre 2007 et 2016 pour atteindre une population totale de 1 608 746 individus et 654 979 ménages en 2016.

Concernant la relation entre le nombre de logements et le nombre de ménages, entre 2001 et 2016, le stock de logements s’est accru de 46 632 logements. Il faut noter que cette croissance s’est également poursuivie pendant la crise financière alors même qu’en Espagne le secteur immobilier a été particulièrement ébranlé. Du côté des ménages, leur nombre augmente de 2001 à 2010, tandis qu’il diminue par la suite. Parallèlement, les données du cadastre et du « Padró » pour l’année 2010 montrent que 19,1 % des logements n’hébergeaient pas de ménages résidents permanents. En 2016, alors que le prix des locations a augmenté de 18,5 %[14] et le prix de vente de 19,09 % sur la période 2013-2016, le nombre de logements qui n’hébergeaient pas de ménages résidents permanents est passé à 20,6 %.

Pour expliquer cette hausse des prix, trois phénomènes apparaissent déterminants. D’abord, on observe une revalorisation des centres urbains comme espaces résidentiels dans de nombreuses métropoles mondiales et notamment en Espagne (López-Gay, 2014). Ensuite, dans les pays où les ménages sont très majoritairement propriétaires, la location devient une option pour l’émancipation des jeunes adultes, ce qui augmente la demande de logements à louer (Módenes et López-Colás, 2014). Enfin, l’installation du secteur des services et d’entreprises dans les centres urbains attire des cadres internationaux à haut pouvoir d’achat à Barcelone (Hutton, 2004 ; López-Gay, 2016). Ainsi, la montée des prix du logement est la conséquence d’une compétition avec de nouvelles populations dont les besoins résidentiels divergent.

La lecture de ces chiffres amène à se demander si la seconde décennie du XXIe siècle ne voit pas l’avènement d’une nouvelle relation entre ménages résidents permanents et logements. Traditionnellement, le logement était habité par une population résidente permanente. Pourtant une divergence est visible entre les deux courbes (illustration 3). Alors que le nombre de ménages diminue de 0,28 % entre 2010 à 2016, le nombre de logements augmente quant à lui de 1,68 % lors de cette même période. Une des hypothèses qui se dessine pour expliquer cette disjonction est l’apparition d’un nouvel usage, l’usage touristique. De la sorte, le logement à usage touristique aurait converti un espace traditionnellement résidentiel en un espace touristique.

Comme écrit précédemment, plusieurs recherches font état d’une spécialisation économique en faveur d’un tourisme urbain qui génère des conflits entre la population résidente permanente et les intérêts économiques de ceux qui profitent de ce nouveau marché (Kesar et al., 2015 ; Lee, 2016 ; Zanini, 2017). Historiquement, les usages des bâtiments évoluent selon le contexte économique. Afin de générer le maximum de profits, les investisseurs s’adaptent à la demande du moment. Dans les années 1980, le secteur immobilier à Barcelone n’investissait pas dans la construction d’hôtels mais dans celle de bureaux, ce qui permettait alors de doubler le rendement des biens. Pour anticiper les Jeux olympiques de Barcelone de 1992 et combler le déficit en nombre de lits touristiques à cette période, la Municipalité a cédé une partie des terrains qu’elle possédait et a incité la construction d’hôtels afin de pouvoir accueillir le public venu en masse pour cet événement international (Favà, 1988). Désormais, les usages touristiques sont bien plus rentables qu’avant, notamment grâce à la demande toujours plus grande portée par la croissance touristique décrite précédemment (Ajuntament de Barcelona, 2016a).

Pour tester l’hypothèse que l’augmentation du nombre des locations à usage touristique entraînerait la réduction, ou la stagnation du nombre de ménages résidents permanents, la relation entre croissance des locations à usage touristique, l’évolution du nombre de ménages résidents permanents et l’évolution du parc de logements est analysée pour les 233 aires statistiques basiques (AEB) (illustration 4[15]).

À l’échelle de la ville, la relation statistique entre l’augmentation de logements à usage touristique et l’évolution du nombre de ménages résidents a été testée et validée statistiquement[16]. De plus, sur la période étudiée, on observe que le stock s’accroît de 13 711 unités tandis que le nombre de ménages diminue de 1886 unités, c’est-à-dire qu’en six ans ce sont 15 597 logements qui se sont ajoutés sur le marché immobilier. Si l’on compare ce nombre avec le stock de logements à usage touristique officiel et estimé, soit 15 847 unités, on constate une différence de 260 logements. S’il est difficile de démontrer la causalité de cette relation, la concordance entre ces deux chiffres ouvre une voie de recherche pour analyser cette différence arithmétique à une échelle plus fine.

Ensuite, quand on analyse la relation entre l’augmentation de logements à usage touristique et l’évolution du nombre de ménages résidents par quartier, on remarque là aussi l’impact de ces logements sur la population de la ville. Sur les 233 AEB, il y en a 80 qui sont concernées par une forte augmentation du nombre relatif des locations à usage touristique sur l’ensemble du stock de logements (valeur supérieure à 2 % sur la carte[17]). Pour 73,75 % de ces AEB, soit 59 sur 80, cette pression touristique coïncide avec la réduction du nombre de ménages résidents permanents. Pour les AEB avec une faible pression exercée par les logements à usage touristique sur le stock de logements (moins de 2 % de l’ensemble de ce stock), 47,71 % des zones, soit 73 des 153 AEB, voient également une diminution du nombre de ménages résidents permanents.

Sur l’illustration 4, les AEB concernées par cette relation entre augmentation des logements à usage touristique et perte de ménages résidents permanents sont colorées en rouge vif. Ce sont les AEB du centre de la ville qui sont concernées et en particulier les quartiers de Ciutat Vella, l’Eixample, Sants-Monjuïc et Gràcia. Le cas particulier du quartier de Sant Martí est intéressant car il montre une augmentation forte du nombre de logements à usage touristique qui n’est cependant pas associée avec une perte du nombre de ménages résidents permanents. Dans ce cas, l’offre touristique est accompagnée d’une croissance importante du stock de logements, des constructions permises par le changement d’usage de terrains laissés à l’abandon par des industries.

Illustration 4 

Carte bivariée de l’évolution du nombre de ménages résidents et de la proportion du nombre de locations à usage touristique sur l’ensemble des logements à Barcelone (2010-2016) selon l’évolution du stock de logements

Carte bivariée de l’évolution du nombre de ménages résidents et de la proportion du nombre de locations à usage touristique sur l’ensemble des logements à Barcelone (2010-2016) selon l’évolution du stock de logements
Sources : Donnés du Registre des établissements touristiques, Inside Airbnb, Cadastre municipal et Registre municipal d’habitants (el Padró) ; cartographie réalisée par les auteurs.

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Ainsi, dans les zones où le nombre de logements à usage touristique est important, l’augmentation du stock de logements apparaît déterminante dans la capacité à conserver, voire à accroître le nombre de ménages résidents permanents dans ces mêmes zones. Pour illustrer cela, trois situations concernant le stock de logements sont cartographiées pour la période 2010-2016 (illustration 4) : lorsque le stock de logements a augmenté de plus de 3 %, lorsqu’il y a eu une réduction du stock de logements et lorsque qu’une augmentation modérée de la production a eu lieu (entre 0 et 3 %). Dans les AEB où la relation entre pression touristique et diminution du nombre de ménages résidents permanents est avérée, une situation qui concerne 59 des 233 AEB de Barcelone, seulement 13,5 % de ces zones connaissent une réduction de leur stock de logements. Autrement dit, pour 86,5 % de ces AEB, des ménages résidents permanents ont déménagé alors que le stock de logements est resté stable ou a progressé de plus de 3 %. Par ailleurs, pour les 95,2 % des AEB avec une forte pression touristique et une augmentation du nombre de ménages résidents permanents, le stock a augmenté et, pour 47,6 % d’entre eux, l’augmentation est supérieure à 3 %. Ainsi, l’augmentation du stock de logements apparaît indispensable, mais insuffisante pour compenser la demande touristique tout en continuant d’assurer la présence de ménages résidents permanents à l’intérieur des limites de la municipalité barcelonaise.

Conclusion

D’abord, rappelons que cet article a pour ambition d’élargir les connaissances sur le tourisme urbain et ses effets négatifs sur la population résidente permanente de la ville de Barcelone. C’est dans ce but que l’étude de la relation entre expansion du phénomène des logements à usage touristique et l’évolution du nombre de ménages résidents permanents a été réalisée. Également, l’introduction d’une perspective démographique et résidentielle enrichit la compréhension des enjeux d’une spécialisation de l’activité économique, comme le tourisme urbain, dans une métropole européenne.

Avec les résultats présentés, l’hypothèse initiale qui soutient que la forte croissance des logements à usage touristique entraînerait une diminution du nombre de ménages résidents permanents dans la ville de Barcelone ne peut être rejetée. À l’échelle de la ville, une relation faible existe entre l’augmentation des locations à usage touristique et l’évolution du nombre de ménages résidents permanents. Néanmoins, c’est dans le centre historique de Barcelone et les quartiers limitrophes que l’usage d’une partie significative des logements est devenu touristique. Dans le même temps, une réduction importante du nombre de ménages résidents permanents est constatée dans ces zones.

Dans certaines zones de Barcelone, l’augmentation du stock de logements a permis d’atténuer l’impact des logements à usage touristique sur la baisse du nombre de ménages permanents. La construction de nouveaux logements apparaît être la solution pour enrayer cette réduction. Cependant, la situation géographique de Barcelone, enclavée entre des montagnes, la mer et deux cours d’eau, laisse peu de marge de manœuvre puisque peu de terrains à bâtir sont disponibles et les zones denses centrales sont déjà saturées. Seul un changement d’usage des bâtiments déjà construits permettrait de récupérer de l’espace pour la population résidente permanente.

Finalement, cette étude a permis de développer une méthodologie applicable à d’autres métropoles européennes pour comparer les conséquences du développement du tourisme urbain et ses effets négatifs sur l’accès au logement de la population résidente permanente. Toutefois, Barcelone, comme d’autres villes européennes, est devenue une métropole avec un fort pouvoir d’attraction pour des talents originaires du monde entier, une population « flottante », venue pour des raisons universitaires ou professionnelles, qui s’installe dans la ville pour une ou plusieurs années. La prise en compte de cette population lors de prochains travaux semble importante pour rendre compte plus fidèlement de la compétition qui s’exerce dans l’accès au logement.