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Au cours des dernières décennies, notre monde a pris l’aspect d’un grand village, dans lequel les distances se sont réduites et les réseaux de communications se sont multipliés. Le développement des moyens de transport modernes facilite toujours davantage les déplacements des personnes d’un pays à l’autre et d’un continent à l’autre.

Dans ce contexte, les migrations ont pris une forme pour ainsi dire structurelle, devenant une caractéristique importante du marché du travail au niveau mondial, conséquence, entre autres, de la profonde influence exercée par la mondialisation. L’universalité de ce phénomène fait qu’il concerne toutes les nations, que ce soit comme pays de départ, de transit ou d’arrivée (voir OIM 2015). La distance géographique ne représente plus un obstacle insurmontable à la mobilité. Toutefois, les raisons de cette mobilité humaine mondialisée varient d’un continent à un autre, même si le manque d’équilibre social, économique et démographique au niveau régional et mondial en est la cause principale.

Vue de l’Afrique, les statistiques précises ou inexactes sur le nombre des migrants à travers le monde attestent qu’elle détient le record le plus élevé (Alladatin 2011). Le nombre croissant de ceux qui risquent leur vie reflète la profondeur du malaise d’un continent qui traîne encore les pieds pour fournir les conditions favorables à l’épanouissement de ses fils et ses filles. La migration semble en effet devenir permanente à cause de plusieurs facteurs politiques, environnementaux, économiques, idéologiques, culturels et religieux. II y a des tensions et des conflits, d’une part, à l’intérieur des États africains et, d’autre part, entre ces États (Tandian 2016).

Ainsi, avant d’être un thème théologique, le phénomène migratoire est une réalité cruciale qui pose un certain nombre de questions d’ordre éthique : les personnes, les familles, les peuples ont-ils droit à l’immigration ? Les États ont-ils le droit de refuser ou d’expulser des personnes migrantes ? Que pouvons-nous exiger des migrants qui sont accueillis chez nous ? À plus d’un titre, il est DEVENU urgent aujourd’hui de promouvoir un autre regard sur le fait migratoire et de construire un nouveau référentiel des politiques publiques, nationales et internationales, surtout celui des migrations. Pour ma part, j’ai tenté de comprendre le croisement des migrations africaines et les dynamiques religieuses issues des mobilités à l’intérieur de l’Afrique subsaharienne. Sur les routes de la migration, des espaces religieux s’ouvrent et se diversifient comme nous le montre Sophie Bava (Bava 2017 ; Bava et Picard 2010 ; 2014 ; Bava et Capone 2010 ; Bava et Boissevain 2014). Mon propos cible particulièrement le phénomène des migrants subsahariens dans leur diversité socioculturelle et religieuse. Leur itinéraire en écho de celui de certaines figures bibliques constitueront la trame de cette contribution qui s’articulera autour de trois parties.

En premier lieu, à partir de situations concrètes et de témoignages, j’aimerais clarifier les termes « migrant » et « réfugié », avant de faire une description globale de l’Afrique et les raisons de la tragédie des migrants — réfugiés africains, faite d’errance, de dénuement et de détresse spirituelle. Les images de migrants, emprisonnés, vendus, repêchés ou interceptés par les garde-côtes européens avant de pouvoir débarquer à l’île de Lampedusa et celles des centaines de migrants enjambant, au péril de leur vie, les barbelés de Ceuta et Melilla ne cessent d’être des images-chocs, révélatrices, non seulement des drames et des tragédies, mais surtout de l’ampleur des migrations irrégulières (1).

En marche avec eux, je tenterai de voir dans la seconde partie, quelques « lieux théologiques » : lieu de la souffrance de l’homme confronté au silence de Dieu, lieu fréquenté par Dieu, lieu où le migrant peut Le chercher et Le rencontrer. Je me réfèrerai à des réflexions théologiques et pastorales contemporaines telles qu’elles naissent parmi les migrants et dans les contextes de migration (2).

Il est bien connu, la société africaine repose sur des fondements tels que l’esprit communautaire, le sens de la solidarité, du partage et de l’hospitalité. À partir de cette dernière, la troisième partie donnera quelques éléments pour une pastorale des chrétiens migrants, hors des cadres normaux de la vie ecclésiale (3). Mais, auparavant, quelle différence pouvons-nous dégager entre migrant et réfugié ?

1. Migrant et réfugié, voyageur à la reconstruction de leur identité

Dans cette première partie, je vais d’abord clarifier les termes migrant et refugié, car les débats qu’ils suscitent sont souvent faussés en raison de leur emploi imprécis. Ensuite, dans le cadre général de l’Afrique, j’irai à la rencontre de ces visages de migrants et de réfugiés africains dans leur traversée du désert et de l’océan, pour, enfin, aborder la question de leur identité socioculturelle.

1.1 Clarification conceptuelle : migrant ou réfugié, un drame partagé

Ces deux termes sont couramment utilisés de façon interchangeable, alors qu’ils ont des significations propres qu’il importe d’avoir présentes à l’esprit si l’on veut répondre de manière adéquate aux réalités des populations concernées et permettre un accueil serein par tous.

Le terme migrant n’a pas de définition juridique. Généralement, il désigne une personne qui quitte son pays pour aller vivre dans un autre, pour quelque raison que ce soit, et ce de façon temporaire ou permanente. Certaines personnes se déplacent de leur propre gré, d’autres y sont forcées, notamment en raison des guerres, des persécutions, des famines ou encore des catastrophes naturelles. L’envie de se réaliser, le besoin d’échapper à d’incessantes formes d’injustice, la quête d’un emploi réconfortant et un avenir alléchant sont autant de raisons qui justifient la recrudescence du phénomène migratoire. Ces vastes mouvements de populations iront s’accélérant. En effet, « le gouvernement du mouvement constitue, au même titre que la crise écologique, l’un des défis majeurs de notre temps. La vieille catégorie politique de la « souveraineté (le droit de décider de qui doit être mis à mort) se confond désormais avec le droit de décider de qui peut bouger et à quelles conditions » (Mbembé 2017).

Quant au terme réfugié, il désigne, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), des personnes fuyant leur pays parce qu’elles craignent, à juste titre, d’y être persécutées du fait de leur identité (origine ethnique, nationalité, appartenance à un groupe social), de leurs convictions religieuses ou de leurs opinions politiques ; ce sont des personnes dont le gouvernement ne peut ou ne veut assurer la protection. Ces personnes déplacées ont, pour la plupart, perdu leur foyer et leur terre, là où, par exemple, l’agriculture est capitale pour la survie des familles (Bava 2016).

Entretenir une confusion entre refugiés et migrants peut avoir des conséquences graves. On utilise un ensemble de termes pour désigner les réfugiés ; qu’il s’agisse de « sans-papiers » ou de « migrants vulnérables », un réfugié, c’est un réfugié. En effet, résumer la situation à une « invasion de migrants » ou à un « flux migratoire » risque de légitimer les discours prônant le rejet de tous. D’un côté, la question de la migration est devenue très sensible, au point d’influer sur les relations entre les pays de départ et ceux d’arrivée. De l’autre côté, du fait des difficultés économiques et financières mondiales, la légitimité même des migrations internationales est devenue fragile, voire contestée. Si nous ouvrions une fenêtre sur l’Afrique, pour voir ce qui s’y passe ?

1.2 Fenêtre ouverte sur l’Afrique : visages des migrants entre paradoxe, désert et océan

Lorsqu’on regarde le panorama général de l’Afrique, outre les problèmes socioéconomiques, politiques et environnementaux, ce qui frappe l’observateur c’est la complexité de son paysage culturel et religieux. On peut distinguer des grandes aires religieuses correspondant à de grandes aires géographiques. Chrétiens, musulmans et adeptes de la Religion Traditionnelle Africaine (RTA) constituent une bonne partie de sa population. Il n’y a pas de doute que le culturel et le religieux débordent largement sur le public et le politique. Ils constituent une composante centrale des processus de changements sociopolitiques qui affectent le continent (Mbembé 1993). Notons aussi l’émergence de nouvelles figures de leaders religieux : ces pèlerins, guérisseurs, ou saints que l’on vient consulter avant d’émigrer afin d’obtenir leur bénédiction et leur protection ; les pasteurs missionnaires ou les cheikh-s (chef musulman) itinérants à la rencontre des adeptes (Bava 2010, 10).

À ce propos, soulignons que la complexité de la réalité musulmane est évidente dans le continent. Dans certains pays, les chrétiens n’ont qu’une citoyenneté de second rang. Dans d’autres, les éléments religieux et politiques ne sont pas suffisamment distingués. Il y en a qui font l’expérience d’actes et de comportements agressifs et violents, souvent liés à la montée du fondamentalisme. Malheureusement, la même violence existe du côté des chrétiens à l’endroit des musulmans vulnérables. En Centrafrique, par exemple, des dizaines de milliers de musulmans sont contraints de fuir les milices anti-balaka, majoritairement chrétiennes et animistes. Quand l’Afrique comprendra-t-elle que l’amour est plus important que la différence ?

Quant à la question des migrants, les médias ne cessent de nous relater chaque jour le drame de ceux qui se lancent sur les routes de l’espoir, qui souvent se transforment en non-retour. Qu’ils embarquent sur les berges sénégalaises, mauritaniennes, libyennes ou d’ailleurs, ils continuent de partir à tout prix, au péril de leur vie. Envers et contre tout, ils ont choisi de partir à l’aventure sur l’océan, au moyen de frêles embarcations, ou à travers le désert, dans des camions de bétails ou des containers.

Je voudrais évoquer trois expériences, parmi tant d’autres, pour tenter de rejoindre ces milliers de visages. La première expérience remonte à une dizaine d’années. C’est celle du 7 septembre 2007, lorsque des pêcheurs tunisiens ont été accusés par la justice italienne — disons plutôt européenne — pour avoir sauvé de la noyade, au large des îles Canaries, 44 Africains qu’ils avaient déposés à Lampedusa. Ou encore, de cette photo des 27 Africains accrochés à un filet de pêche au thon, pendant 3 jours, en pleine mer Méditerranée, à cause du refus du commandant du bateau traînant le filet de venir à leur secours (Dumonj 2007).

La seconde me ramène sur l’île de Niodior où est née Fatou Diome[1], auteure du livre intitulé : « Le Ventre de L’Atlantique » (Diome 2003). L’Atlantique, passage entre l’Afrique et l’Europe, en est aussi la barrière. Elle est une des ressources des habitants de cette île, mais aussi leur tombeau (Chevrier 2008).

La troisième expérience est celle de ces milliers de visages africains qui franchissent les frontières à travers le Sahara, l’autre « tombeau » des migrants, souvent livrés à des passeurs peu scrupuleux. Leurs témoignages de vie sont bouleversants. En général, un drame qui se passe en mer est visible. Par contre, en ce qui concerne les drames qui arrivent dans le désert, la situation est différente. Ce sont des migrants qui traversent des étendues énormes, dans des conditions très précaires. Ils sont parfois abandonnés lors de leur périple. Très vite, ils vont souffrir de la soif et la plupart d’entre eux sont simplement recouverts par le sable pour ne jamais être retrouvés.

Et que dire des scènes d’expulsion que nous voyons un peu partout en Europe ? Je pense au témoignage poignant d’un frère expulsé d’Italie après y avoir vécu cinq ans après un simple contrôle de routine. Ce jour-là, il n’avait pas ses papiers sur lui. Beaucoup de questions et de problèmes se mélangent : le droit d’émigrer, la manière de traiter les migrants, le vivre ensemble dans une société pluraliste, la traite des immigrés, le trafic des mineurs, la condition de la femme, le dialogue interculturel, la reconnaissance et la participation à la vie démocratique, la sécurité. Tout cela montre l’immense désillusion d’hommes et de femmes qui ont perdu tout espoir et ne voient plus d’avenir dans leur propre pays. Un jeune me disait un jour : « Quand on n’a plus d’espoir chez soi, on va le chercher ailleurs. » Ces différentes expériences nous montrent à la fois le paradoxe de notre monde et celui de l’Afrique en particulier.

Il y a d’abord le paradoxe qui s’impose à nous. La mondialisation exclut les pays du Sud, alors que les migrations les y insèrent. Le monde semble partagé entre nomades nantis et démunis, c’est-à-dire entre l’élite nomade qui voyage de son plein gré sans visas… et les pauvres, privés de leurs droits, qui voyagent par extrême nécessité. En d’autres termes, certains visent à une mobilité ascendante, ce qui signifie qu’ils aspirent à monter dans l’échelle de la richesse et du succès. D’autres, appelés migrants, réfugiés ou déplacés, doivent être toujours en déplacement pour assurer leur subsistance quotidienne ou pour soutenir leurs familles restées au pays. Au moment où les médias parlent de flux migratoires, paradoxalement, les autres, les Italiens, les Français, les Belges, les Hollandais, les Chinois, les Canadiens, les Américains, etc., sont sur les autoroutes, dans le désert, sur des bateaux de plaisance ou dans des avions, pour une autre forme de migration, cette fois-ci touristique ou aventurière.

Quant au paradoxe de l’Afrique, il nous est clairement décrit par le professeur Alphonse Quenum :

Plus que les autres continents, l’Afrique apparaît aujourd’hui comme le continent des paradoxes. Elle aime la solidarité et semble cultiver la division ; elle aime la vie et sème partout la mort ; elle recherche la fraternité, appelle volontiers tout le monde frère et est si facilement fratricide ; elle pratique l’hospitalité et jette malheureusement ses enfants comme des rebuts sur les routes du monde.

Quenum 1999, 235

1.3 Le migrant à la recherche de son identité socioculturelle

La question de la migration est souvent abordée comme un « objet » d’étude dont la finalité est de chercher les voies et moyens de la stopper. Les médias s’intéressent très souvent aux chiffres, c’est-à-dire au nombre de personnes qui périssent dans le désert du Sahara ou la Méditerranée. C’est l’expérience que relate ce journaliste, Jean Baptiste Sourou (2014). Son travail l’a conduit auprès de ces hommes, ces femmes et ces enfants qui quittent l’Afrique, voyageant dans des conditions inimaginables pour se retrouver à vivre dans des situations pires que celles qu’ils ont laissées derrière eux, si, entre temps, ils ne sont pas morts dans le désert du Sahara ou en Méditerranée. Il découvre ainsi que, derrière les chiffres, il y a des vies individuelles et des familles.

Le visage du migrant, étranger, errant, victime de la pauvreté n’est plus un « objet », et son identité ne peut plus être réduite à son manque, son instabilité, sa fragilité, son insécurité et sa souffrance. Au contraire, chacun de ces visages porte une richesse humaine et religieuse, une richesse à accueillir, non pas à craindre. Voilà pourquoi, « être migrant » exprime le dynamisme d’une identité qui se reconstruit chaque jour. Il s’agit d’une identité transnationale ou bi-culturelle qui, très souvent, s’attèle à idéaliser le pays d’origine et à créer des communautés itinérantes, afin de n’entrer en relation qu’avec des gens d’une même orientation culturelle ou religieuse.

1.4 Migration : lieu d’échange socioculturel de savoir et de savoir-faire

Je voudrais avant tout m’associer à ces chercheur-e-s qui tentent de montrer que la migration est une ressource importante pour un riche échange socioculturel entre pays de départ, pays d’installation et migrants (Gardelle, Jamid et Benguema 2016 ; Bredeloup et Zongo 2016). Le Laboratoire Mixte International de recherche MOVIDA (Mobilités, Voyages, Innovations et Dynamiques dans les Afriques méditerranéenne et subsaharienne) est l’un de ces pôles de réflexion. Il entend contribuer au changement de regard à porter sur les migrations africaines et les migrants africains. Ce réseau de chercheurs a pour ambition de s’organiser en plateforme de connaissances et de débats afin de réfléchir collectivement à la manière de revenir sur les idées reçues, tout en renforçant les capacités d’analyse et en aiguisant l’esprit critique des ONG, des politiques, et des migrants eux-mêmes. Bref, construire ensemble une expertise Sud-Sud !

Le professeur Aly Tandian, du GERM (Groupe d’Études et de Recherches sur les Migrations), soutient avec force la capacité de la migration à générer de la richesse[2]. Longtemps considérés comme peu productifs, les transferts de fonds, de biens, d’expériences et d’innovations sont devenus un facteur essentiel du développement des pays d’origine. Au Sénégal, par exemple, et dans bien d’autres pays africains, ces transferts permettent à de nombreuses populations d’avoir accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation et d’acquérir des biens de consommation vitaux.

Dans le même temps, les migrants contribuent au progrès et au bien-être des pays développés. Ils font souvent preuve d’esprit d’entreprise et sont à l’origine de la création de nombreuses entreprises. Les moins qualifiés jouent aussi un rôle crucial, en remplaçant des populations vieillissantes et en pourvoyant aux emplois créés par ce vieillissement. Ce faisant, les migrations peuvent être à la fois le signe et le vecteur d’un dynamisme économique.

La migration fait partie de la mondialisation du savoir. Elle tisse des réseaux internationaux assurant la circulation des idées et des connaissances d’un pays à l’autre. Elle alimente une trame humaine, dense et dynamique, reliant les cultures, les sociétés et les économies. Hautement qualifiés, ces entrepreneurs sont à la pointe de la recherche au service de l’innovation.

Ce parcours du migrant entre paradoxes, océan et désert, à la recherche de son identité socioculturelle et religieuse, montre qu’en accueillant la migration comme un fait appartenant essentiellement à la condition humaine, nous recevons en même temps une clé précieuse pour comprendre la vision biblique d’un Dieu qui instaure une alliance avec les hommes. Cette vision nous invite, elle aussi, à voir et à considérer les visages des migrants avec de nouveaux yeux et un nouvel esprit, afin de changer notre regard et nos approches pour explorer de nouveaux chemins. C’est l’objet de la seconde partie.

2. L’univers symbolique religieux du migrant africain : lieux privilégiés de la Théologique

Nous retrouvons ici une belle illustration du cercle herméneutique : la compréhension du phénomène migratoire nous permet de mieux comprendre le récit biblique (ce dont il parle, les expériences auxquelles il se réfère) et, par une sorte de retour, le récit biblique nous ouvre une compréhension inattendue des hommes et des femmes-migrants. Leur univers symbolique est aussi source théologique dans la mesure où l’expérience humaine contextuelle et historique est le lieu de la révélation divine. Cette utilisation de la migration comme catégorie de l’histoire du salut s’observe dans de nombreux textes et à différents niveaux. Elle traverse de part en part les écrits bibliques et dessine plusieurs perspectives. Nous avons d’une part une vision négative de la migration (châtiment), d’autre part, une vision positive (promesse de salut) et, enfin, une vision spirituelle (la marche du croyant).

2.1 Migration-châtiment et éloignement de Dieu

Il est frappant de constater que les premiers chapitres du livre de la Genèse nous présentent deux figures opposées du migrant. Il y a tout d’abord le récit de l’expulsion d’Adam et Ève du paradis (Gn 3,23-24). Le deuxième récit apparaît dans le « migrant meurtrier, maudit du sol », Caïn. Ce dernier est devenu apatride, suite à la malédiction divine pour le meurtre de son frère : « Tu seras un errant parcourant le monde » et Caïn de répéter, comme pour acquiescer, mais non sans insister sur l’angoissante fragilité de son nouveau statut : « Je serai errant et vagabond sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera » (Gn 4,12.14). Toutefois, Caïn ne doit pas errer sans protection : le Seigneur lui impose un signe afin de le soustraire à la vindicte. La migration de Caïn, tout comme celle d’Adam et Ève sont décrites comme un éloignement de Dieu : « Ainsi Caïn partit loin du Seigneur et s’installa à Nod » (Gn 4,16).

On peut retenir que, dans ces récits, la migration est présentée négativement, comme une expulsion qui brise la relation avec Dieu. Elle est la conséquence du paradis perdu et du péché. Aujourd’hui encore, beaucoup considèrent les migrants et les réfugiés comme un fardeau, les regardent avec suspicion ne voyant en eux que danger, insécurité, violence et menace. La représentation qu’on se fait d’eux alimente souvent le repli sur soi et provoque des réactions d’intolérance, de xénophobie et de racisme.

Pour les chrétiens, l’accueil des migrants est signe de l’importance attachée à la fraternité. Dans l’Église, il n’y a pas d’étranger : le baptême fait accéder, où que l’on soit, à la « citoyenneté » chrétienne et l’Évangile nous appelle à une fraternité universelle. C’est ce que nous rappelle le Pape François. Chacun de nous est responsable de son voisin. Nous sommes les gardiens de nos frères et soeurs, où qu’ils vivent. Entretenir de bons contacts personnels et savoir surmonter les préjugés et les peurs sont des ingrédients essentiels pour faire fructifier la culture de la rencontre, où l’on est disposé non seulement à donner, mais aussi à recevoir des autres. À la racine de l’Évangile, la rencontre et l’accueil de l’autre se relient à la rencontre et à l’accueil de Dieu : accueillir l’autre, c’est accueillir Dieu en personne ! La fraternité nous fait découvrir que les migrants sont une richesse, un don pour tous.

2.2 Migration-promesse de salut et marche avec Dieu

Une autre perspective considère l’expérience de migration dans un sens positif, non plus comme un éloignement de Dieu, mais plutôt comme une marche avec Dieu, marche qui conduit à un nouvel espace de vie et qui fait partie de l’histoire du salut. Le « migrant identitaire, béni de Dieu » (Gerber 2010, 1) c’est Abraham. « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai » (Gn 12,1-2a). La migration d’Abraham est la réponse confiante à un appel.

Abraham, dit l’Écriture, répondant à l’appel de Dieu, a quitté son pays natal pour rechercher la terre promise. Avec lui, la migration devient un élément essentiel de la promesse divine (Gn 12,1s). Même l’événement fondateur de l’identité d’Israël comme peuple, à savoir l’exode, utilise la catégorie de la migration. Cela sera bien résumé dans le credo primitif d’Israël en Dt 26,5b-10, prononcé à l’occasion de l’offrande des prémices : « Mon père était un araméen errant […] Il partit en Égypte où il vécut comme un étranger […] Le Seigneur nous a sorti […] de l’Égypte et nous a donné ce pays ».

La traversée du désert est le temps de l’errance (au sens que Heidegger donne à ce terme) où Dieu se manifeste comme Celui qui accompagne fidèlement son peuple, se lie par alliance avec lui et lui confie les dix Paroles de vie et de bonheur. La migration n’a donc pas seulement son but dans l’arrivée à destination, ou mieux la destination n’est pas simplement la terre, mais la vie solidaire, dans le droit et la justice, avec Dieu. Le message central du Deutéronome consiste en ceci : aimer Dieu, marcher (tout en observant sa loi) dans ses voies et vivre heureux dans le pays forment un tout inséparable.

Être en route, c’est être ouvert aux nouveaux espaces, c’est aussi se détacher du statu quo, s’attendre à tout. Celui qui est en route doit inscrire l’imprévisible. En même temps, il doit tenir qu’il est désormais partenaire de cet imprévisible (Kabasele Mukenge 2001). Cela se voit bien dans l’expérience de l’exil à Babylone : l’exil lui-même est présenté comme un châtiment, tandis que le retour est décrit comme un nouvel exode et une nouvelle occupation du pays.

2.3 Jésus, l’icône du migrant-refugié dans le Nouveau Testament

Les évangiles de l’enfance de Jésus (Lc 1,5-2,52) sont émaillés du motif de déplacement, depuis le voyage de Nazareth à Bethlehem, en passant par la fuite en Égypte. Contraints par une autorité étrangère, Joseph et Marie ont dû quitter Nazareth pour Bethléem. Jésus est donc né à l’étranger. Pour fuir la tyrannie et la violence, Joseph et Marie sont évacués en Égypte, jusqu’au moment où ils ont pu revenir dans leur pays. Plus tard, Jésus passe sa vie active comme un prédicateur ambulant, sans domicile fixe, et Luc raconte sa vie comme une montée vers Jérusalem, un long voyage qui le conduit « au chemin » de la croix.

Par l’incarnation, tout est désormais sacré (lieu digne de Dieu) : non seulement le temple, mais aussi le baraquement, la rue, l’hôpital, le bateau, la marginalisation, la prison. Partageant sa réflexion sur les migrants, à partir de son expérience à Lampedusa, le Cardinal Francesco Montenegro, archevêque d’Agrigente (Italie), reprenait cette conviction de Frei Betto :

« Nous cherchons Dieu dans le temple, mais Il se trouve dans une étable ; nous le cherchons parmi les prêtres, mais Il se trouve entre les pécheurs ; nous le cherchons libre, mais Il est prisonnier ; nous le cherchons revêtu de gloire, mais Il est ensanglanté sur la croix. Il est assis sur les marches de nos maisons, de nos immeubles, attendant un morceau de pain. » La migration est un « lieu théologique », lieu fréquenté par Dieu, lieu où nous pouvons Le chercher et Le rencontrer.

Montenegro 2015

Jésus peut être considéré comme une icône du réfugié. Joseph et Marie, quant à eux, sont l’image d’un foyer d’immigrés. L’Afrique a été une terre de refuge pour la Sainte Famille qui fuyait le pouvoir politique sanguinaire d’Hérode, en quête d’une terre qui leur promettait la sécurité et la paix (voir Benoît XVI, AfricaeMunus). La vie du croyant est comme une vie de nomade qui se déplace en terre étrangère, aspirant à sa vraie patrie, qui est la vie céleste (2 Co 5,1-10). En suivant l’itinéraire symbolique, entre les pays d’Afrique où règnent tensions et conflits frontaliers, et les pays d’accueil, « où ruissellent le lait et le miel » (Ex 3,8.17), cet itinéraire renvoie à la dépendance de chacun à l’égard de Dieu et à la solidarité de chacun envers son frère ou sa soeur. « N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges » (He 13,2). C’est justement de cette culture de l’hospitalité propre à l’Afrique dont nous voulons nous inspirer pour réinventer la pastorale du migrant.

3. L’hospitalité, pilier de la rencontre pour réinventer la pastorale du migrant

L’individu en Afrique est un être social, reconnaissant et respectant l’autre culturellement différent. L’éducation reçue par la famille et la société lui offre les capacités d’intégrer l’étranger qui vient à lui, même si ce dernier menace l’harmonie familiale ou villageoise. D’où l’hospitalité comme pilier de la rencontre avec l’autre.

3.1 « Ton étranger est ton dieu » : l’hospitalité, le pilier de la rencontre en Afrique

Pour Anselme Sanon (1970, 190) « exister c’est être quelque part de telle ou telle manière, donc se situer vis-à-vis de quelque chose ou quelqu’un, ce qui revient à dire qu’exister, c’est être accueilli ou pas accueilli, intégré ou pas intégré ». L’individu est éduqué à l’intégration et à l’hospitalité par la tradition familiale. Ainsi, l’étranger, qu’il soit un passant, un invité ou un visiteur a droit à un accueil enthousiaste car il est sans défense. Cependant, pour être admis dans la famille et le village d’accueil, il doit vivre au rythme de ses hôtes. Autrement dit, si comme étranger tu es reçu dans un village, danse au même rythme et à la même cadence que tes hôtes. Il est important aussi de mentionner que les traditions d’hospitalité sont aussi empreintes d’hostilité, car l’étranger qui vient menace incontestablement la cohésion. Être affaibli, il est cependant fort, car tout le bagage qu’il emporte le rend capable de briser l’unité homogène qu’il rencontre.

C’est l’expression du « Jatigiya » malien, de la « Teranga » sénégalaise, véritable tradition d’accueil et de plaisir de recevoir, « l’accueil-intégration » du burkinabé, « terre d’espérance et Pays de l’hospitalité » de la Côte d’Ivoire, et j’en passe. Ces concepts construisent de manière claire la valeur de la rencontre où, à travers la personne, s’offre l’humanité telle qu’elle s’est construite dans l’expérience d’un peuple, d’une communauté, d’une personne particulière. C’est donc le sens de l’hospitalité qui est accueil de l’autre en soi, dans son univers, tout en projetant dans celui de l’autre l’épaisseur culturelle d’humanité de sa communauté, de son pays et de son quotidien.

L’hospitalité vit à la fois de ce qui est donné et reçu. Les personnes déplacées « ont besoin d’une attention pastorale particulière qui respecte leurs traditions et les accompagne vers une intégration harmonieuse dans les réalités ecclésiales dans lesquels ils se trouvent devoir vivre. L’accueil aide à surmonter les difficultés et à tisser des liens. Que nos communautés chrétiennes soient vraiment des lieux d’accueil, d’écoute et de communion ! » (Pape François 2013). On assiste de plus en plus à la promotion d’une pastorale qui veut dédier de manière particulière la sollicitude de l’Église en faveur de la catégorie des personnes « en déplacement ». Dans leurs milieux d’accueil, ces dernières se retrouvent en raison de la nature de leur mouvement, dans des conditions sociales aussi différentes que contrastantes. Et, de plus en plus, leur présence suscite des réactions aux conséquences variées que l’Église, par sa sollicitude, essaie de résorber à travers des initiatives appropriées. « La circulation des individus suscite de nouvelles dynamiques religieuses et en réactive d’anciennes. La condition de migrant génère aussi de nouveaux modes d’investissements religieux, de nouvelles vocations et parfois des conversions » (Bava et Picard 2014, 2).

3.2 L’identité religieuse du migrant : une expérience de proximité de Dieu

Pour beaucoup de migrants, la foi représente un appui durant le voyage. Des rites religieux accompagnent souvent leur départ. Ils emportent des images ou des médaillons de saints qui les protègeront dans des situations périlleuses. Ils remercient Dieu dès qu’ils passent la frontière. Dans la plupart des cas, leur expérience de migration représente un test de leur foi en Dieu.

La migration est une expérience spirituelle ou une nouvelle chance offerte par Dieu afin de Le rejoindre. C’est un processus d’approfondissement de la foi. Dieu devient un compagnon de voyage, un Dieu qui voyage et ne reste pas de l’autre côté de la frontière. Il continue à parler le même langage. Il est une source d’espoir dans les moments de doute. Des expressions, telles que « Église de migrants », sont très importantes dans le processus de la reconstruction de leur identité. « Faute de reconnaissance juridique, politique ou sociale, c’est la reconnaissance religieuse », notamment par les fidèles de leur groupe d’appartenance, qui prime. Les migrants catholiques, par exemple, rejoignent une paroisse afin d’y rencontrer des compatriotes, de parler dans leur propre langue et de partager leur foi. À cause de cela, la foi acquiert une dimension communautaire et culturelle dans leurs communautés chrétiennes.

« L’offre religieuse, sur le marché tant spirituel que caritatif, influe également sur la fluidité de leur parcours religieux et leur univers symbolique » (Bava et Picard 2014,14). La communauté chrétienne devient une communauté de gens qui partagent identité, culture et/ou langage. L’Église devient la communauté de migrants qui luttent pour trouver une place dans la nouvelle société. Cette communauté chrétienne offre de l’aide aux migrants nouveaux venus, particulièrement à ceux qui sont forcés à rester sans papiers. Dans les « Églises de migrants », les migrants trouvent un réseau qui les aide, par exemple, à trouver une maison, à trouver du travail, à supporter les victimes du trafic des femmes, à apprendre la langue de leur nouveau pays, à recevoir de l’information légale, sociale et médicale, etc. Voici en exemple, une conversation qui illustre bien ce qui précède.

Au Maroc, à l’entrée d’une l’église (protestante), une femme aborde les fidèles avec un immense sourire de bienvenue : « Vous venez pour l’Église anglophone ou francophone ? » demande-t-elle à ceux qui semblent un peu perdus. Toute francophone qu’elle est, Isabelle (le nom a été changé), une Camerounaise, ne tarit pas d’éloges pour la Casablanca International Protestant Church (CIPC). « J’ai été transformée, ici, au Maroc. J’ai découvert mon identité en Christ Dieu. Ma foi a pris un sens ici, en terre musulmane », affirme-t-elle avec vigueur alors que le culte prend fin. Les fidèles discutent à présent entre eux dans la cour intérieure, un gobelet de café fumant à la main. Pour beaucoup, le culte du dimanche a d’abord été un lieu de rencontre.

Finalement, nous sommes une seule famille humaine qui, dans la multiplicité de ses différences, chemine vers l’unité, valorisant la solidarité et le dialogue entre les peuples. L’Église est mère et son attention maternelle se manifeste avec une tendresse et une proximité particulières envers ceux qui sont contraints de fuir leur pays et de vivre entre déracinement et intégration. Cette tension détruit les personnes. La compassion chrétienne, ce « souffrir avec », s’exprime avant tout dans l’engagement à connaître les événements qui poussent à quitter par force sa patrie et, lorsque c’est nécessaire, à se faire la voix de ceux qui ne parviennent pas à faire entendre leur cri de douleur et d’oppression. Nous ne devons pas avoir peur des différences. D’où la nécessité de valoriser la culture de l’autre.

3.3 Valorisation de la culture de l’accueil et de la rencontre avec l’autre

Un signe prophétique d’annonce d’un monde nouveau serait de créer une culture de l’accueil et de l’hospitalité comme antidote de tout un système d’exclusion de l’autre. Pour cela, il nous faut renforcer et encourager la création de structures interculturelles au niveau des communautés de vie chrétienne, au niveau paroissial et diocésain en mettant en valeur l’importance de l’accueil dans la tradition du migrant. Il s’agit d’apprécier les valeurs de l’autre, au-delà des nombreuses difficultés que comporte la convivialité avec des personnes différentes.

Il s’agit d’une invitation à passer du service d’aumônerie spécialisée à l’intégration et à l’accompagnement des migrants dans la vie. L’accueil ne suffit pas. Le droit à vivre et à travailler, à être pleinement une personne et le droit à l’intégration, à être une part active de la société d’accueil est fondamental. Se mettre du côté de celui qui est plus faible, c’est faire le choix de se mettre en exode vers une Église locale à multiples visages en respectant le patrimoine humain, spirituel et culturel de chacun. L’accompagnement des migrants ne peut se vivre individuellement. Il s’enracine dans le discernement en Église, dans des communautés qui, selon les lieux où elles se trouvent, permettent d’entendre l’appel et éventuellement de le vivre.

Dans cette perspective, il est important de considérer les migrants non seulement en fonction de la régularité ou de l’irrégularité de leur condition, mais surtout comme des personnes qui, une fois leur dignité assurée, peuvent contribuer au bien-être et au progrès de tous, en particulier lorsqu’ils assument la responsabilité de leurs devoirs envers ceux qui les accueillent, en respectant de façon reconnaissante le patrimoine matériel et spirituel du pays hôte, en obéissant à ses lois et en contribuant à ses charges (voir Pape François 2015). L’histoire lointaine et plus récente nous enseigne que les migrants, même dans les situations de déplacement les plus dramatiques, ont toujours apporté une contribution positive à leur pays d’accueil ; mais, plus important encore, ces migrants sont des femmes et des hommes qui, en vertu de leur humanité, possèdent le droit universel à la vie et à la dignité.

En guise de conclusion

Au-delà de la clarification conceptuelle que nous avons faite au départ, des problèmes, des risques et des difficultés affrontées par les migrants, ce que l’on oublie souvent, c’est que la mobilité fait partie de notre nature humaine, puisque l’être humain est avant tout un simple chercheur de bonheur (Goudjo 2007). La question n’est pas d’être pour ou contre la migration, mais de l’accepter comme un fait lié au désir humain le plus fondamental et donc, comme une donnée à gérer et un défi à relever. Ce qui anime ces nombreux migrants c’est le binôme confiance et espérance. Ils portent dans leur coeur le désir d’un avenir meilleur non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs familles et pour les personnes qui leur sont chères.

Ce qu’il y a de grand en l’homme, c’est qu’il est un pont, une ouverture, un lieu de rencontre et même de passage entre diverses pensées et productions, entre ce qu’il a été et ce qu’il peut devenir au contact des autres : c’est-à-dire, plus humain. Les différentes figures bibliques nous invitent à être des hommes et des femmes de frontières pour construire une culture de la rencontre, parce que la rencontre multiplie la capacité à aimer. La rencontre avec l’autre élargit le coeur. Elle aide à redécouvrir, formuler et mettre en pratique un nouveau chemin qui ne se contentera pas de copier ou de rejeter l’autre, mais de manière créatrice, permet de faire la synthèse de ce que nous avons de propre dans la culture.

Dans cette mission auprès des migrants, nous ne pouvons pas séparer les aspects « matériels » des aspects « spirituels » ; il s’agit bien d’accueillir et d’accompagner la personne dans son intégralité. Elle est écoutée avec tout ce qui fait sa vie, avec les questions qui l’habitent, ses doutes, ses souffrances, sa quête de sens, sa foi. Dans l’accueil à la Pastorale des Migrants, une personne n’est pas réduite au numéro d’un dossier concernant telle ou telle demande administrative, mais elle est d’abord accueillie comme une personne humaine, enfant de Dieu, qui a du prix à Ses yeux (voir Is 43,4).

Ayant le souci de la personne que nous rencontrons, en qui nous retrouvons le visage du Christ lui-même (Mt 25,31-46), nous sommes appelés à chercher avec elle un chemin : un chemin de vie, pour elle, pour sa famille. Si nous ne tentons pas de l’aider matériellement, il est inutile de lui dire combien Dieu l’aime ; cela ne peut avoir de signification dans la situation de détresse qui est la sienne. L’accueil humain et le spirituel de la Pastorale des Migrants vont de pair, dans le souci de la personne, dans son intégralité. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » (St Irénée) : au service de l’Évangile, nous accompagnons des migrants pour qu’ils puissent se mettre debout et vivre en dignité. La dynamique de notre engagement est toujours de créer des liens, permettre des passerelles, faire entendre la voix de ceux qui ne sont pas écoutés, ce qui exige parfois aussi une parole ferme et une interpellation des instances concernées.

Cet accueil des personnes et l’écoute de leur vie façonnent notre travail pastoral dans toutes ses dimensions. Elle nous permet une « expertise » à partir de la vie concrète des migrants : sur leur vie quotidienne et la réalité de leur pays, la diversité des cultures et les différentes expressions de foi, la religiosité populaire, l’interreligieux. Cette expertise nous permet de vivre d’une manière spécifique la pastorale de communion, au service de la catholicité de l’Église.

Pour terminer, je voudrais citer ce proverbe africain qui illustre la profondeur culturelle de la pensée traditionnelle africaine sur le vivre ensemble : « dans la forêt, quand les branches des arbres se querellent, leurs racines s’embrassent ». Les branches, c’est la diversité, les singularités qui distinguent et séparent. Les racines qui s’embrassent, c’est l’intangible, les valeurs profondes qui unissent. Le défi pour la vitalité de l’arbre entier, la société, consiste à ne pas couper, éliminer, masquer la diversité des branches, des communautés de la société mais de nourrir le tronc par le « vivre ensemble », par la dialectique de l’unité dans la diversité, et de faire en sorte que les racines qui s’embrassent puissent nourrir les branches qui se querellent.