Corps de l’article

La papauté de Jean-Paul II est indéniablement celle où les relations entre juifs et chrétiens sont devenues une grande priorité pontificale. Disons les choses sans détour : aucun pape avant lui n’a parlé de façon aussi déterminante, aussi abondante, des rapports entre l’Église et les juifs. Ses prédécesseurs immédiats, Jean XXIII et Paul VI, ont certes opéré des percées décisives, au cours de leur pontificat. Il suffit de songer notamment à l’élaboration du chapitre quatre de la déclaration Nostra Aetate au concile Vatican II. Mais ni l’un ni l’autre de ces grands papes n’a formulé la vision globale des liens entre chrétiens et juifs que nous a laissée Jean-Paul II.

Je veux ici souligner certains domaines où Jean-Paul II a apporté une contribution décisive, non seulement à une théologie constructive des relations entre chrétiens et juifs, mais également à un nouveau sens de la solidarité entre nos deux communautés de foi, une solidarité qui ne s’est pas démentie, même dans des moments de crise tels que la controverse entourant le couvent d’Auschwitz. Dans certains domaines, Jean-Paul II nous a donné des orientations claires quant aux voies que devaient emprunter nos relations mutuelles, sans nécessairement en développer toutes les implications. C’est ici que nous pouvons intervenir pour clarifier et approfondir davantage ses perspectives. En somme, Jean-Paul II a laissé à l’Église un héritage précieux dont les traits essentiels exigent de l’Église d’aujourd’hui et de demain un prolongement de la réflexion et de la mise en oeuvre amorcées.

1. L’antisémitisme

La première question que je veux mettre en relief est celle de l’antisémitisme. J’aborde ce volet central de l’héritage de Jean-Paul II pour deux raisons : d’abord parce qu’il a manifesté une attitude sans compromis à cet égard, dans ses critiques de cette haine et de ce mépris passés et présents envers les juifs et le judaïsme ; ensuite parce que son pontificat a imprimé une marque permanente sur le christianisme ou du moins sur le catholicisme — pour lui, l’antisémitisme ne pouvait être toléré par un Chrétien engagé. Jean-Paul II a condamné l’antisémitisme dans plusieurs discours et documents importants, le qualifiant de « péché », un mot qui constitue la plus forte expression religieuse d’une condamnation (Jean-Paul II 1994, 159). Mais il ne s’en est pas tenu à une condamnation verbale de l’antisémitisme. Il a aussi appelé à une action concertée des chrétiens et des juifs pour combattre les vestiges de l’antisémitisme et en prévenir toute nouvelle diffusion. L’accord fondamental signé entre Israël et le Vatican, au cours du pontificat de Jean-Paul II, comprend une disposition dans laquelle les signataires s’engagent à mener une action concertée contre l’antisémitisme (Accord fondamental 1993).

L’un des problèmes liés à l’antisémitisme, que Jean-Paul II n’a jamais abordé et qui demeure une question épineuse dans le dialogue, concerne le lien éventuel entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Un grand nombre de membres de la communauté juive d’aujourd’hui soutiennent que l’antisionisme constitue de fait la forme prédominante de l’antisémitisme d’aujourd’hui. Toutefois, des chrétiens font remarquer que toute critique de l’État d’Israël est taxée d’antisémitisme par certains leaders juifs. Cette divergence d’opinions, non résolue, a créé des tensions grandissantes dans les relations entre chrétiens et juifs, y compris dans le contexte même du dialogue entre chrétiens et juifs. Voilà une question où nous sommes appelés à dépasser l’héritage du pape Jean-Paul II. Je n’ai aucune solution facile à proposer à la tension actuelle concernant le débat antisémitisme-antisionisme. Certes, il peut y avoir parfois un lien direct, comme le notait un document de la Commission pontificale « Justice et Paix » (1988). Une déclaration subséquente de cette instance, préparée pour la Conférence des Nations Unies sur le racisme, en 2001, mentionne l’Holocauste et l’antisémitisme, mais omet toute référence directe à l’antisionisme comme forme possible d’antisémitisme, peut-être comme signe de la tension qui s’est développée à propos de l’association entre les deux phénomènes (Conseil pontifical « Justice et Paix » 2001).

Tout effort pour atténuer cette tension doit miser à mon sens sur quatre prémisses. Tout d’abord, Israël est un État politique légitimement constitué, un point de vue que Jean-Paul II endossait entièrement. Deuxièmement, il est nécessaire que les politiques du gouvernement d’Israël soient constamment soumises à la critique, tout comme les actions politiques des deux organes du pouvoir côté palestinien. Troisièmement, une telle critique doit éviter toute perspective de nature à délégitimer l’existence d’Israël, quelles que soient les réactions que puissent susciter ses politiques courantes. Finalement, dans toute analyse des rapports entre antisémitisme et antisionisme, on doit s’efforcer de comprendre l’attachement spirituel et théologique de beaucoup de membres de la communauté juive mondiale d’aujourd’hui à la terre d’Israël, même s’il n’est pas partagé par tous. Aucun dialogue n’est susceptible de s’amorcer sur la base d’une séparation totale des notions bibliques de la terre et de l’État moderne d’Israël. Par ailleurs, à mon avis, une association de ces deux éléments qui ne tiendrait pas compte de la nécessité d’une justice pour tous les peuples de la région fera aussi avorter le dialogue. À l’intérieur de ces paramètres, espérons-le, les juifs et les chrétiens pourront tenir une discussion constructive dans un cadre dialogal.

2. La Shoah

Tout le monde reconnaît que l’engagement ferme de Jean-Paul II à combattre l’antisémitisme tenait de son expérience personnelle de l’Holocauste. Il avait été témoin du mal perpétré par les nazis dans sa Pologne natale. Il a exprimé ce lien avec son expérience personnelle dans une allocution lors d’un Angelus, à Rome, en janvier 1995, à l’occasion du 50e anniversaire de la libération des prisonniers du camp de concentration d’Auschwitz :

À Auschwitz, comme dans les autres camps de concentration, sont morts en grand nombre des êtres innocents de différentes nationalités. Et, en particulier, les enfants du peuple juif, dont l’extermination avait été planifiée par le régime nazi, ont souffert l’expérience tragique de l’Holocauste […] L’évocation de ce triomphe du mal ne peut que nous remplir d’une profonde tristesse, dans une solidarité fraternelle avec tous ceux qui portent les cicatrices de ces tragédies.

Malheureusement, notre époque est toujours marquée par de grandes violences. Que Dieu empêche que demain nous pleurions d’autres Auschwitz de notre époque.

Prions pour que cela ne se reproduise pas. Plus jamais l’antisémitisme ! Plus jamais l’arrogance du nationalisme. Plus jamais de génocide !

Jean-Paul II 1995

À l’occasion de sa visite de 1987 aux États-Unis, Jean-Paul II a promis, au cours d’une rencontre avec les leaders juifs américains, la publication d’un document sur l’antisémitisme et la Shoah. Pour diverses raisons, notamment à cause d’une fuite prématurée de certains éléments de l’ébauche et de désaccords entre des cardinaux de la Curie au sujet de certaines parties de cette ébauche, la publication a été retardée considérablement. On espérait, dans des cercles catholiques et juifs, que le document annoncé aurait le statut d’une encyclique papale. Mais cette espérance a été déçue. La Commission du Vatican sur les relations entre les chrétiens et les juifs, dirigée alors par le cardinal Edward Idris Cassidy, a publié plutôt, en 1998, un texte intitulé, Nous nous souvenons : Une réflexion sur la Shoah (Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme 1998). Pour rehausser le statut du document de la Commission, on y a inclus une lettre du pape exprimant un fort appui à son contenu.

Le document sur la Shoah a été accueilli par des louanges et des critiques, tant chez les juifs que chez les catholiques (voir Banki et Pawlikowski 2001). L’affirmation ferme de la réalité de l’Holocauste par le pape et le Vatican coupait toute possibilité de négation dans les cercles catholiques. Le document exigeait en outre qu’une formation sur la Shoah soit donnée aux catholiques dans le monde entier. De plus, il reconnaissait un degré de complicité de la part de membres de l’Église, un groupe qui pouvait bien inclure certaines hautes autorités, selon le cardinal Cassidy.

Nous nous souvenons a été critiqué sur plusieurs points importants. En affirmant que c’était certaines personnes égarées et non « l’Église comme telle » qu’il fallait blâmer pour leur complicité dans la Shoah, il a suscité une controverse considérable parce qu’il tendait à séparer complètement l’Église de la réalité historique, notamment la collaboration et le silence durant la Shoah. Nous savons, par des gens qui lui en ont parlé, que le pape appuyait fermement cette distinction. Mais est-ce que « l’Église comme telle » peut être coupable des actes qu’elle a posés comme institution au cours de l’histoire humaine ? Jean-Paul II n’a pas résolu adéquatement ce problème, qui demeure encore un défi pour la communauté théologique chrétienne.

Ce document est aussi marqué par une image excessivement positive de l’action du pape Pie XII au cours de la période nazie et une exagération quant au nombre de catholiques qui ont sauvé des juifs. Voilà deux questions que les historiens catholiques et les historiens juifs doivent continuer d’explorer. Il est malheureux que la commission conjointe, établie par le cardinal Cassidy pour répondre à ces questions à la lumière des archives du Vatican rendues publiques par le pape Paul VI, se soit enlisée dans des controverses au cours du pontificat de Jean-Paul II. Si le pape lui-même avait manifesté un plus grand intérêt personnel envers les délibérations de cette commission conjointe, celle-ci aurait peut-être produit des résultats plus positifs.

3. Le couvent d’Auschwitz

Il y a une question où la prise de position de Jean-Paul II a finalement eu un effet décisif : celle du couvent d’Auschwitz. Cette affaire a constitué sans contredit le test le plus sérieux de l’engagement personnel envers les relations entre les catholiques et les juifs. La controverse avait des dimensions très profondes et elle était susceptible d’anéantir les progrès réalisés dans les relations de l’Église catholique avec les juifs, depuis la publication de Nostra Aetate à Vatican II (voir Rittner et Roth 1991).

Au début de la crise, Jean-Paul II n’a pas réagi immédiatement ; il a peut-être fallu des pressions de la part de leaders catholiques importants, tels que le cardinal Lustiger de Paris, pour qu’il s’en mêle. Mais, par la suite, il est intervenu directement auprès des moniales, leur demandant de quitter le périmètre officiel du camp de concentration pour se reloger ailleurs. Peu après, la crise s’est dénouée rapidement, la majorité des moniales acceptant d’établit leur monastère ailleurs. Quelques religieuses, dont la supérieure, qui s’opposaient à cette relocalisation, sont alors parties dans d’autres monastères.

L’intervention directe de Jean-Paul II a même contribué à faire évoluer la controverse vers une solution. Adjacent au nouveau monastère, le Centre pour le dialogue et la prière d’Auschwitz, dont la construction a été entreprise par la suite, est devenu un centre d’étude et de croissance spirituelle inspirant pour les gens qui se rendent sur le site mémorial d’Auschwitz-Birkenau. Et les rapports entre le Centre et le Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau se sont intensifiés : le Musée utilise régulièrement le Centre pour certains de ses programmes. Je le répète, rien de cela n’aurait été possible, à mon avis, malgré les efforts importants déployés par les leaders des communautés chrétiennes et juives, si Jean-Paul II était resté à l’écart de la controverse.

4. La reconnaissance de l’État d’Israël par le Saint-Siège

Jean-Paul II est intervenu également dans le dossier de la reconnaissance d’Israël par le Saint-Siège, un geste politique longtemps attendu. Tous ceux qui étaient engagés dans les relations entre les catholiques et les juifs savaient bien que chez de nombreux membres de la communauté juive, tant à la base que chez les dirigeants, une telle reconnaissance était considérée comme l’épreuve décisive de la crédibilité de l’Église catholique concernant son point de vue sur le judaïsme et le peuple juif.

Certaines personnes proches de Jean-Paul II m’ont dit qu’il avait à plusieurs occasions exprimé un intérêt sincère envers l’amélioration des liens entre le Vatican et Israël jusqu’à l’établissement de relations diplomatiques complètes, mais aussi qu’il était frustré par les restrictions que lui imposait à cet égard le Secrétariat d’État du Vatican. La reconnaissance d’Israël par l’Égypte et la Jordanie a certainement aidé Jean-Paul II à vaincre l’opposition interne au Vatican. Et la visite très positive effectuée par le pape en Israël a par la suite consolidé cette reconnaissance.

Dès 1984, Jean-Paul II s’était montré très sensible à la signification d’Israël pour les juifs. Dans sa Lettre apostolique Redemptionis Anno, publiée le Vendredi saint, il disait :

Pour le peuple juif qui vit dans l’État d’Israël et qui préserve sur cette terre de précieux témoignages de son histoire et de sa foi, nous devons demander la sécurité qu’ils désirent et la tranquillité à laquelle ils ont droit, qui sont la prérogative de toute nation et les conditions de la vie et du progrès de toute société.

Jean-Paul II 1984a

Jean-Paul II poursuit en parlant de manière émouvante de l’attachement du judaïsme envers la cité de Jérusalem. Et le 15 juin 1994, le Saint-Siège et le gouvernement d’Israël annonçaient conjointement l’établissement officiel de relations diplomatiques, à la suite des négociations continues amorcées lors de la signature d’un Accord fondamental, en décembre de l’année précédente (Accord fondamental 1993). Cet Accord fondamental représentait manifestement un succès important pour Jean-Paul II. Il faut noter que peu après la signature de l’Accord fondamental avec l’État d’Israël, le Secrétariat d’État du Vatican a établi des liens avec l’Autorité palestinienne également, probablement pour faire taire l’opposition à l’Accord fondamental.

Comme je l’ai écrit dans le volume commémoratif sur la création de relations diplomatiques, cette étape représentait plus qu’un simple accord diplomatique. Elle marquait en fait la répudiation finale de la théologie de l’errance perpétuelle de la communauté juive. Cette théologie, entretenue dans le christianisme depuis les Pères de l’Église, considérait comme impossible la restauration d’un État juif souverain ; cela faisait partie du châtiment encouru par les juifs pour avoir rejeté Jésus et l’avoir prétendument mis à mort (Pawlikowski 1996). Cette théologie s’est exprimée haut et fort lorsque Theodor Herzl s’est adressé au Vatican pour lui demander d’appuyer le mouvement sioniste au début du xxe siècle.

Malgré les réalisations positives du pontificat de Jean-Paul II, à l’égard des implications théologiques et politiques d’Israël pour le dialogue entre les catholiques et les juifs, ce pape a laissé à sa mort bien des questions non résolues sur ces deux plans. En théologie, une réflexion considérable s’impose sur la tradition de la terre biblique et le rôle qu’elle peut jouer, éventuellement, dans l’identité chrétienne. Est-ce que l’accentuation du lien sur le plan de la théologie fondamentale entre les juifs et les chrétiens, qui a été si caractéristique de la vision qu’avait Jean-Paul II des relations de l’Église avec les juifs, couvre aussi la tradition de la terre dans les Écritures hébraïques ? La théologie catholique peut-elle intégrer une notion de la « sacramentalité de la terre », défendue par Richard Lux (2010) ? Peut-elle s’approprier une « foi plantée dans une terre », comme l’exprime Walter Brueggeman (1977) ? Ou la « terre » serait-elle une catégorie théologique qui sépare les juifs et les chrétiens (Pawlikowski 2009) ?

Sur le plan politique, je dois avouer ici que je vois une détérioration rapide et sérieuse des relations entre juifs et catholiques à propos de la situation israélo-palestinienne, pour laquelle les écrits de Jean-Paul II ne nous sont pas d’un grand secours. Depuis quelques années, on a vu monter des tensions entre la communauté juive et de nombreuses parties du monde protestant et orthodoxe, y compris le Conseil mondial des Églises. Les désinvestissements constituent un noeud central des controverses. La majeure partie de la communauté catholique, y compris ses leaders, est restée à l’écart de cette tension croissante. Mais cette situation est en train de changer rapidement du côté des dirigeants catholiques, surtout chez le groupe d’évêques à qui avait été confié un rôle de supervision concernant la politique catholique à l’égard de la question israélo-palestinienne, qui a commencé à s’exprimer de manière de plus en plus critique envers les politiques du gouvernement israélien. Sans aller jusqu’à épouser l’approche du désinvestissement, appuyée par un certain nombre de dénominations protestantes, le langage des dirigeants catholiques s’est durci, entre autres dans des déclarations récentes qui utilisent le terme « prison » pour décrire les conditions de vie des Palestiniens, particulièrement ceux de la Bande de Gaza.

La question israélo-palestinienne est sans doute en train de prendre une place démesurée dans le dialogue entre les catholiques et les juifs. Une bonne partie des critiques du côté catholique ne sont pas « théologiques » en définitive, même si certains relents de la « théologie de la substitution » se profilent à travers la critique grandissante, notamment chez les chrétiens de Palestine. Elles concernent plutôt des actions concrètes sur le terrain, mettant en jeu des questions telles que les points de passages frontaliers et la confiscation des terres.

Je crois que cette controverse croissante pourrait devenir aussi sérieuse que la controverse du couvent d’Auschwitz et peut-être même davantage. Je ne peux pas entrer dans les détails dans le cadre du présent exposé. Mais je crois de plus en plus que tous ces problèmes doivent être mis sur la table et être abordés de front dans le dialogue, sinon nous risquons de voir s’effriter tous les acquis d’un demi-siècle d’évolution positive. Il y aurait bien des blâmes à décerner à cet égard et je ne suis pas prêt à les ajouter à la liste. J’ai moi-même soutenu récemment que toutes les grandes traditions religieuses présentes dans la région doivent commencer à créer une « théologie de l’appartenance » les unes à l’égard des autres (Pawlikowski 2011). Le besoin le plus pressant actuellement est celui d’une discussion franche et ouverte sur la situation, dans la mesure où elle a des répercussions sur les juifs et les chrétiens.

5. Le lien spirituel entre juifs et chrétiens

Je voudrais maintenant aborder des questions plus théologiques dans les écrits de Jean-Paul II concernant les relations entre juifs et chrétiens. Je veux ici souligner un thème cher à Jean-Paul II, depuis les débuts de son pontificat, celui du « lien spirituel » entre les deux communautés de croyants, un lien qui existe au niveau du fondement même de leurs identités respectives. Il a formulé ce thème très clairement au cours de sa visite historique à la synagogue de Rome, le 13 avril 1986 :

[…] l’Église du Christ découvre son « lien » avec le judaïsme « en scrutant son propre mystère » (Nostra Aetate, par. 4). La religion juive ne nous est pas « extrinsèque » mais, d’une certaine manière, elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés.

Jean-Paul II 1986a

Le sentiment qui sous-tend ce thème particulier chez Jean-Paul II est certes élogieux, tout comme un certain nombre d’autres thèmes semblables énoncés dans ses discours sur les relations entre juifs et chrétiens, mais le pape ne nous a jamais offert une réflexion plus approfondie sur les implications théologiques de sa notion des liens inhérents entre chrétiens et juifs. Nous restons donc avec un certain nombre de questions sans réponses.

Premièrement, une déclaration sur les liens inhérents entre les juifs et les chrétiens peut-elle être une proclamation unilatérale ? N’exige-t-elle pas une réponse positive du côté juif ? Il y a quelques années, j’ai soulevé cette question dans le magazine Moment (Pawlikowski 1990). La réponse, dans les lettres à l’éditeur, a été généralement négative du côté juif, y compris de la part du savant juif Irving Greenberg, renommé dans le dialogue entre chrétiens et juifs, dont la réponse a été publiée (Greenberg 1990). La réaction négative du côté juif s’enracinait largement dans la perception erronée que je posais la réciprocité comme condition de l’engagement chrétien dans le dialogue. Une telle réciprocité était considérée par de nombreux répondants juifs comme injustifiée, étant donné la longue histoire de l’antisémitisme théologique chrétien. À ma connaissance, aucun expert juif de renom n’a réagi positivement au thème fondamental développé dans les écrits de Jean-Paul II.

Je crois encore que ce thème offre des possibilités positives et je ne suggérais nullement qu’il devait faire l’objet d’une réciprocité simpliste. Ce que je voulais souligner, c’est que si des chrétiens, quel que soit leur niveau, souhaitent formuler une affirmation sur les liens inhérents entre les chrétiens et les juifs, il faut que ces liens soient reconnus par les deux communautés de croyants. Sinon, le thème n’a pas de véritable signification et il devrait être éliminé du vocabulaire du dialogue.

Je soupçonne que l’absence d’intérêt chez les experts juifs à l’égard de ce thème, dans lequel il y a en fait une forme voilée de rejet par respect pour l’apport global de Jean-Paul II au dialogue, s’enracine dans la conception que le pape a du judaïsme comme « intrinsèque » à l’identité chrétienne. Étant donné l’histoire théologique des relations entre chrétiens et juifs, lorsqu’elle est exprimée par la partie chrétienne, cette accentuation thématique pourrait bien apparaître à des érudits juifs comme une version nouvelle de l’ancienne perspective théologique voulant que tout ce qui est bien dans le judaïsme ait été en fait absorbé par le christianisme, laissant le judaïsme, après l’événement Jésus-Christ, sans réelle forme significative d’existence indépendante.

Jean-Paul II a donc placé les théologiens chrétiens et juifs contemporains dans un dilemme à propos de ce thème. Faut-il laisser tomber ce thème comme élément constitutif des interprétations théologiques futures entre l’Église et les juifs ? Sinon, comment pouvons-nous le déployer de manière à reconnaître au judaïsme une existence séparée significative bien qu’il soit lié au christianisme dans une certaine mesure ? Je penche vers la deuxième option, mais à la condition qu’une certaine reconnaissance de sa validité se développe du côté juif et à la condition que des érudits juifs et chrétiens puissent clarifier ensemble ces fils mal attachés que Jean-Paul II nous a laissés à propos de ce « lien ».

Il reste encore deux autres questions en rapport avec le vocabulaire du « lien », pour les deux communautés. Si le christianisme doit considérer le judaïsme comme une réalité interne, et vice versa, ne faut-il pas que les efforts déployés dans chaque communauté pour approfondir son identité théologique et ses valeurs morales prennent en compte le point de vue de l’autre communauté comme à une ressource fondamentale ? Par ailleurs, l’insistance du pape sur la relation tout à fait particulière entre les juifs et les chrétiens ne réduit-elle pas beaucoup trop la signification du dialogue avec d’autres communautés, en particulier avec l’islam ?

6. Un héritage vivant

Jean-Paul II a également décliné souvent dans ses nombreux discours sur les relations entre les chrétiens et les juifs l’idée que la tradition juive constitue un héritage indispensable pour les chrétiens, mais un héritage « vivant » sous la forme du judaïsme contemporain. Le pape s’est exprimé très clairement sur ce point, à de nombreuses occasions. Jean-Paul II, par ce thème de « l’héritage vivant », répudiait la mentalité séculaire cristallisée dans les images de l’Église et de la synagogue dans l’art chrétien, notamment sur le portail sud de la cathédrale de Strasbourg en France. Dans cette représentation, reproduite dans un grand nombre d’églises en Europe, l’Église revêt la figure d’une jeune femme, belle et brillante, tenant en main le livre des évangiles, tandis que le judaïsme est dépeint sous les traits d’une vieille femme voûtée et aveugle tenant un exemplaire de la Torah. Le message ne saurait être plus clair : avec la venue du Christ, le judaïsme est devenu une religion « morte », quelle qu’ait pu être sa grandeur avant l’Événement Jésus-Christ.

Mais Jean-Paul II, contrairement à l’artiste qui a gravé cette conception des choses dans la pierre, à la cathédrale de Strasbourg, considérait que la tradition juive, biblique et postbiblique, demeure une tradition de foi vivante à laquelle le christianisme peut continuer de puiser pour développer sa théologie et sa spiritualité. De fait, le christianisme doit s’inspirer du judaïsme pour être fidèle à lui-même. Jean-Paul II a tenu de tels propos dans deux discours importants. Le premier est une allocution prononcée devant la communauté juive de Mayence, en Allemagne, le 17 novembre 1980 (Jean-Paul II 1980). Reprenant alors quelques mots d’une déclaration des évêques allemands, qui parlaient de « l’héritage spirituel d’Israël pour l’Église », le pape a fait un ajout important et a souligné qu’il s’agit d’un « héritage vivant ». À ses yeux, la tradition juive est bel et bien vivante dans le culte et la pratique du judaïsme contemporain.

Le second discours date de mars 1982. S’adressant aux délégués de différentes conférences épiscopales venus à Rome pour échanger sur les relations entre chrétiens et juifs, Jean-Paul II livrait les réflexions suivantes :

Les chrétiens sont sur le bon chemin, celui de la justice et de la fraternité, en essayant, avec respect et persévérance, de se retrouver avec leurs frères sémites autour de l’héritage commun, si riche pour tous […] En faire l’inventaire en lui-même, mais aussi en tenant compte de la foi et de la vie religieuse du peuple juif telles qu’elles sont professées et vécues encore maintenant, peut aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église.

Jean-Paul II 1982

Le Dr Eugene Fisher, autrefois directeur des relations entre catholiques et juifs à la Conférence nationale des évêques catholiques des États-Unis et maintenant professeur invité à l’Université St. Leo, en Floride, a décrit de manière saisissante ce changement de perspective fondamental introduit par Jean-Paul II qui a remplacé l’ancien concept d’un judaïsme mort avec la venue du Christ, par un nouveau paradigme où l’on affirme la vitalité actuelle de la tradition juive, vitalité capable de dynamiser l’expression de la foi chrétienne à notre époque.

Fisher décrit cette nouvelle représentation comme suit :

Dans la perspective de cette vision papale renouvelée, nous pouvons imaginer sur le portail des cathédrales une nouvelle statue représentant la Synagogue, la tête bien droite, qui observe fidèlement l’alliance permanente avec Dieu, et une nouvelle statue représentant l’Église, affichant une humilité qui contraste avec l’air triomphant de jadis. Tout en étant distinctes, les deux figures proclameraient côte à côte la vérité divine qu’elles partagent mais qu’elles interprètent chacune à sa manière.

Fisher 1995, xxxv

Malgré la forte insistance de Jean-Paul II sur l’importance des Écritures hébraïques et des sources juives postbibliques pour l’intelligence religieuse chrétienne, cette perspective n’a pas pénétré vraiment la théologie chrétienne. Dans le domaine des études bibliques chrétiennes, il s’est produit un changement considérable dans la manière dont les livres des Écritures hébraïques sont appréciés et interprétés. L’évolution est généralement positive. Cela contraste avec l’attitude qui prévalait il y a quelques décennies, alors que l’Ancien Testament était surtout considéré au mieux comme un avant-goût de la foi chrétienne et au pire comme son opposé. On estimait alors que seuls les experts chrétiens pouvaient saisir le sens plénier, authentique, des textes de l’Ancien Testament. Il était donc hors de question d’inclure des spécialistes juifs, sauf exception, dans l’exégèse des Écritures hébraïques, dans des collections majeures de commentaires telles que la « Anchor Bible ». Et même un pionnier de l’amélioration des relations entre les chrétiens et les juifs tel que Mgr John Oesterreicher, qui a exercé une influence déterminante sur la rédaction du par. 4 de Nostra Aetate, n’a pas cru bon d’inclure de collaborateur juif dans les quatre premiers volumes de sa publication annuelle, The Bridge.

Et quand nous abordons les domaines de la théologie systématique et de la liturgie, je ne vois que très peu d’expressions de l’approche de Jean-Paul II concernant le rôle des Écritures hébraïques. Ce volet de la tradition biblique est soit ignoré, soit interprété selon les catégories classiques de la loi et de l’évangile. Au point de vue liturgique, on utilise abondamment les écrits prophétiques dans les textes cultuels et dans les hymnes, mais très largement selon un schéma simpliste de type « promesse/accomplissement ». Il reste manifestement beaucoup de travail à faire si la théologie catholique, dans toutes ses dimensions, compte prendre au sérieux l’héritage de Jean-Paul II dans ce domaine.

7. La séparation du judaïsme et du christianisme

Permettez-moi de mentionner un domaine de recherche que Jean-Paul II n’a pas abordé lui-même, mais qui est absolument essentiel pour les dimensions théologiques des relations actuelles entre chrétiens et juifs. Il s’agit d’un volet de la recherche auquel le regretté Anthony Saldarini et Daniel Harrington, deux experts associés au Boston College, ont contribué de manière importante : des travaux comme les leurs ont transformé de manière décisive notre compréhension de la séparation du judaïsme et du christianisme, au cours des premiers siècles de l’ère commune, et notre interprétation des textes pauliniens qui ont joué un rôle historique primordial dans l’élaboration des premières conceptions théologiques des relations entre chrétiens et juifs. Nos notions traditionnelles d’ecclésiologie étaient basées sur la croyance qu’au moment de la mort de Jésus au Calvaire, une nouvelle entité religieuse distincte, appelée l’Église, avait déjà été solidement établie en dehors du judaïsme ; or ceci est faux sur le plan historique, comme l’ont clairement démontré les chercheurs qui ont étudié comment les voies se sont divisées, même s’ils ne sont pas complètement d’accord sur les modalités de cette division (voir Becker et Reed 2002). La séparation elle-même s’est déployée sur plusieurs siècles et, pendant ce long processus, les liens du christianisme avec le judaïsme sont demeurés bien en place. Par ailleurs, les nouvelles recherches pauliniennes ont rendu complètement désuète la thèse simpliste, chrétienne ou juive, qui présentait Paul comme le fondateur d’une nouvelle religion (voir Bieringer et Pollefeyt 2012).

Malheureusement, je n’ai encore vu nulle part dans la théologie chrétienne une appropriation des résultats de ces recherches bibliques récentes. En ce qui concerne Paul, bon nombre de théologiens, sinon la plupart d’entre eux, continuent de s’y référer d’une manière qui ne reflète aucune connaissance de ces recherches. On ne peut pas affirmer que Jean-Paul II nous ait orientés dans le sens de ces nouvelles recherches. Mais si nous voulons honorer son héritage global concernant les relations entre chrétiens et juifs, cette compréhension modifiée des relations entre l’Église et la Synagogue, au cours des premiers siècles, doit devenir un pivot de l’interprétation théologique chrétienne. Permettez-moi d’ajouter que ces nouveaux développements sont aussi significatifs du point de vue de la théologique juive, mais il appartient aux experts juifs d’en mesurer les implications.

8. Le lien entre l’Église et la Synagogue

Le dernier volet des relations entre chrétiens et juifs que nous devons aborder, en rapport avec l’héritage de Jean-Paul II, concerne le lien entre l’Église et la Synagogue. Jean-Paul II a parlé de cette question dans plusieurs de ses discours, énonçant chaque fois la même position : l’alliance juive demeure, elle n’a pas été abrogée par l’événement Jésus-Christ, contrairement à ce que la plupart des théologiens, à commencer par les Pères de l’Église, proclament depuis des siècles. Une telle affirmation exige un ajustement majeur de la perception théologique que les chrétiens ont de leur identité. Voilà pourquoi l’universitaire canadien Gregory Baum, qui a participé à la rédaction de Nostra Aetate, proclamait que le quatrième chapitre de cette déclaration conciliaire constituait l’avancée la plus révolutionnaire du magistère ordinaire à avoir émergé de Vatican II (Baum 1986, 87).

Je voudrais ajouter quelques exemples des interventions de Jean-Paul II dans ce domaine, qui mettent en relief également le thème du lien inhérent que j’ai mentionné plus tôt. Dans ces déclarations, Jean-Paul II se réfère clairement à Nostra Aetate, mais aussi à Lumen Gentium, la constitution dogmatique de Vatican II sur l’Église, qui affirme la continuité des dons de Dieu au peuple juif. Dans le discours prononcé à Mayence, en 1980, où le pape a pour la première fois révélé ses intentions en rapport avec les relations entre chrétiens et juifs, ses paroles étaient sans détour : les juifs, a-t-il affirmé, en s’inspirant de saint Paul (Rm 11,29), sont « le Peuple de Dieu de l’ancienne Alliance, une Alliance qui n’a jamais été révoquée par Dieu ». Il a ensuite reconnu la « valeur propre et perpétuelle » à la fois des Écritures hébraïques et de la communauté juive qui témoigne du caractère sacré de ces textes (Jean-Paul II 1980).

Par la suite, Jean-Paul II s’est adressé à un groupe de représentants de diverses conférences épiscopales, en mars 1982. Il s’est inspiré de Rm 9,4-5, interprétant ce texte central concernant les juifs et le judaïsme comme un texte à lire au présent. Jean-Paul II a souligné que, « l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches » appartiennent au peuple juif. Mais il a tout de même souligné la portée universelle du salut offert dans le Christ (Jean-Paul II 1982).

Il a abordé le même thème dans plusieurs autres discours, y compris devant les dirigeants de la Ligue anti-diffamation, en mars 1984 (Jean-Paul II 1984b) : « Le respect dont nous parlons se fonde sur le lien mystérieux qui nous réunit, en Abraham, par l’intermédiaire d’Abraham, en Dieu qui a choisi Israël et qui a suscité l’Église à partir d’Israël. » Le pape a encore réitéré son point de vue, avec sa cohérence, au cours d’une visite en Australie, en novembre 1986 (Jean-Paul II 1986b) : « La foi catholique s’enracine dans les vérités éternelles des Écritures hébraïques et dans l’alliance irrévocable conclue avec Abraham. Nous tenons avec gratitude les mêmes vérités de notre héritage juif et nous vous considérons comme nos frères et nos soeurs dans le Seigneur. »

L’héritage théologique transmis par Jean-Paul II au christianisme contemporain est tout à fait décisif sur un point. Tout système christologique ou ecclésiologique qui cherche à se fonder sur l’idée que l’Église aurait remplacé le peuple juif dans la relation d’alliance avec Dieu est totalement inacceptable. Le judaïsme et le peuple juif continuent d’avoir une signification profonde en eux-mêmes et pour la communauté chrétienne. Pourtant, peu de théologiens systématiques chrétiens ont osé prendre au sérieux les propos de Jean-Paul II à cet égard. La même remarque vaut pour la plupart des éthiciens et des liturgistes chrétiens. Certes, comme nous le voyons dans le premier des trois exemples que j’ai mentionnés, Jean-Paul II a continué de mettre en relief le salut universel offert par le Christ. Le cardinal Walter Kasper, qui était président de la Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme, a également plaidé dans le même sens. Le défi pour nous aujourd’hui est de tenir les deux affirmations ensemble. Un groupe d’universitaires chrétiens d’Europe et des États-Unis a travaillé pendant quatre ans environ, avec le soutien explicite du cardinal Kasper, pour tâcher de répondre à la mégaquestion : « Comment les chrétiens peuvent-ils affirmer la continuité de l’alliance juive tout en soutenant que le salut universel est offert par le Christ ? » Il s’agit d’une question difficile, certes, mais qui demande à être traitée par un groupe de théologiens beaucoup plus large que celui qui l’a abordée jusqu’ici. Les résultats des quatre années de réflexion des théologiens européens et américains, accompagnés de réactions formulées par des juifs, ont été publiés dans un livre intitulé Christ Jesus and the Jewish People Today : New Explorations of the Theological Interrelationships (Cunningham et al. 2011). Le Boston College a été l’une des institutions qui ont soutenu ce projet.

9. La mission

L’un des aspects des relations entre les chrétiens et les juifs où les écrits de Jean-Paul II ne sont pas d’un grand secours est celui de la mission. Cette question a suscité beaucoup de controverses, au cours des dernières années, controverses déclenchées en partie par les écrits du cardinal Avery Dulles, aujourd’hui décédé, qui a tenté de ressusciter la notion d’une mission envers les juifs, en se fondant sur des passages de la Lettre aux Hébreux. La transformation de la théologie amorcée par Jean-Paul II, même si elle est restée inachevée, a manifestement dévalué les approches simplistes de la mission et de l’évangélisation, particulièrement en ce qui concerne les juifs. Si l’alliance juive est toujours vivante, comme l’affirmait Jean-Paul II, les juifs devraient-ils continuer d’être visés par l’effort missionnaire de l’Église ? Le cardinal Dulles a répondu par un oui sans équivoque. Le cardinal Walter Kasper, et un certain nombre d’entre nous, y compris moi-même, qui sommes engagés depuis longtemps dans le dialogue, avons répondu par un non catégorique. À mon sens, le pendule est en train de revenir vers notre position, après les interventions du cardinal Dulles qui l’ont poussé du côté de la « continuité de la mission ». Mais la question est loin d’être entièrement résolue et exige beaucoup plus de réflexion.

10. Une oeuvre à poursuivre

En somme, Jean-Paul II nous a laissé un héritage précieux, en ce qui concerne les relations entre chrétiens et juifs. Pourtant, un certain nombre de controverses ont été déclenchées à ce sujet durant son pontificat. Mais elles ont toutes été résolues, en fin de compte, y compris celle ayant trait au couvent d’Auschwitz. On pourrait cependant considérer comme une lacune du pontificat de Jean-Paul II le fait qu’il n’a pas institutionnalisé adéquatement l’engagement de l’Église à l’égard des relations entre chrétiens et juifs, malgré son investissement personnel profond en ce domaine, et qu’il n’a pas non plus nommé comme évêques des personnes qui partageaient ses convictions sur les liens entre l’Église et les juifs. En conséquence, dans de nombreux diocèses, nous souffrons aujourd’hui d’une certaine dégradation de l’engagement manifesté si fortement par le pape. Pour répondre à cette dégradation, il ne suffira pas de critiquer des gens ou de les pointer du doigt ; il faudra plutôt relever concrètement le défi auquel Jean-Paul II n’a répondu qu’en partie. Que l’Esprit nous insuffle la force de renouveler notre engagement à cet égard.