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Introduction : le retour de l’authenticité dans la postmodernité

Depuis quelques années, la société postmoderne occidentale est marquée par le retour en force de l’authenticité : manger des plats authentiques, meubler nos maisons avec des meubles authentiques, vivre dans des endroits authentiques ou éprouver des expériences et des émotions spirituelles authentiques. Utilisé partout, dans les médias, dans la publicité, dans les annonces de réunions spirituelles, ce mot connu par tous attire et envoûte. Toutefois, si nous nous posons la question : « qu’est-ce que signifie être authentique ? », « qu’est-ce que l’authenticité ? », ce mot si évident révèle sa nature floue, ambiguë ou plurielle.

Les chrétiens orthodoxes convertis du Québec, par exemple, expliquent leur choix religieux par le besoin d’une forme de spiritualité authentique et un désir de perfectionnement du soi. Cet effort quotidien n’est pas facile, surtout dans le contexte d’une pratique qui se déroule au sein de paroisses fréquentées par des orthodoxes natifs, dont la plupart ont un profil ethnique et culturel particulier : russophone, roumain ou grecque. Pour les communautés orthodoxes établies au Québec, la culture, l’ethnie et la langue nationale sont inséparables de la religion orthodoxe et, implicitement, de la volonté de préservation d’une identité authentique, c’est-à-dire des pays d’origine des croyants. Étant donné que les convertis sont, dans leur grande majorité, des Québécois, ex-catholiques, l’objectif d’être « des vrais orthodoxes » constitue un défi. De plus, leurs principes moraux, leurs conduites religieuses, leur quotidien spirituel ne sont pas les mêmes que ceux observés par les orthodoxes slavophones. Toutefois, tous revendiquent le droit de fréquenter les églises orthodoxes, au nom d’une foi orthodoxe « authentique ».

Dans le présent article, nous nous interrogeons sur l’authenticité religieuse, chez les convertis à l’orthodoxie du Québec. Notre réflexion part d’une recherche de terrain effectuée sur plusieurs années à Rawdon, village situé à 60 km au nord de Montréal, dans la région de Lanaudière. Cette recherche s’est déroulée dans le cadre d’une recherche d’équipe portant sur la diversité religieuse au Québec et menée par le groupe de recherche Diversité urbaine[1].

1. De l’éthique de l’authenticité à l’authenticité individuelle

Mais qu’est-ce que l’authenticité ? Dans son acception préromantique, un fait ou un objet « authentique » s’inscrit dans la longue durée et est la reproduction fidèle d’un modèle original, mythique, unique et porteur des valeurs absolues de beauté, de vérité et de bien (Carnevali 2011). Avec le romantisme de Rousseau, l’image de l’authenticité mythique entre dans une logique binaire, fracturée, qui signale la naissance de la modernité : nature/culture, individu/société, authenticité/aliénation, communalisme/individualisme (Carnevali 2011). Bref, l’authenticité est pensée comme le résultat des normes sociales, morales, politiques, comme valeur inaliénable, unique et universelle.

Avec la modernité, l’authenticité religieuse délaisse les trois principaux critères de la définition classique plus large : le critère temporel, c’est-à-dire la longue durée historique ou la tradition ; le critère spatial, c’est-à-dire l’ancrage dans un territoire stable ; le critère politique-idéologique, c’est-à-dire la nation et la culture (Hobsbawn 1992). Le regard sort du cadre normatif universel afin de se tourner vers la personne, car c’est elle qui possède le pouvoir de penser par elle-même. La direction du regard inverse la conception objective de la transcendance et de Dieu, pour faire place à la subjectivité de l’individu actif et doué de profondeurs intimes. Autrement dit, l’esprit moderne représente un « passage entamé d’ailleurs par le christianisme, d’une certaine forme d’extériorité à une plus grande intériorité qui est à la racine de l’affirmation de la vie ordinaire, de la valorisation du sentiment et de l’expression de soi » (Taylor 1994, 45). Il en résulte une rupture qui retient notre attention, celle de la vie ordinaire qui l’emporte sur la vie extraordinaire. Le quotidien de l’existence devient révélateur puisqu’il est unique. Dans la lignée d’Herder, dont Taylor reprend la pensée, chaque personne a sa propre mesure. La montée de l’individualisme marque ainsi une rupture radicale avec la pensée prémoderne ou préindustrielle centrée sur l’imitation de l’autre ou d’un modèle donné, universellement valable (Taylor 1994).

Larmore (2004) va plus loin que Taylor. Selon lui, le retour sur soi, exigé par la quête d’authenticité, peut se faire de deux manières : par la réflexion cognitive et la réflexion pratique. Une réflexion cognitive est liée à la connaissance du monde, de nous-mêmes et de nos raisons d’agir. Une réflexion pratique renvoie à l’engagement et à l’action (l’agency) : « Accepter une croyance ou accomplir une action d’une façon réfléchie consiste alors à faire ces choses en pleine conscience de ce que nous faisons et donc à assumer la responsabilité de tout ce que ces engagements comportent d’ordinaire » (2004, 44). L’« authenticité », dans son acception essentialiste, se voit remplacée de plus en plus par une pluralité de « régimes d’authenticité[2] » (Morisset 2009, 23) ou de « registres d’authenticité » (Moisa 2011), c’est-à-dire « de plusieurs formes de vérité acquises à l’intérieur de l’expérience individuelle créative (Zukin 2010 ; 2012, Moisa 2011) et des rapports sociaux dans lesquels l’individu s’engage (Moisa 2011 ; Grazian 2003 ; Wright 2009). Plus précisément, l’authenticité discursive se voit devancée par les pratiques et les expériences nourries par l’engagement (commitment) individuel réfléchi, qui complètent l’action cognitive, essentielle à la quête d’authenticité.

Comme nous allons le montrer dans le présent article, pour les convertis à l’orthodoxie, la notion d’authenticité spirituelle correspond à une vérité individuelle, personnelle, forgée à travers la pratique réfléchie et le cheminement quotidien, séparés de toute articulation culturelle dans le sens d’appartenance ethnique et/ou nationale. Cette vérité est complètement différente des orthodoxies nationales qui sont transportées par les immigrants, dans la diaspora (Pnevmatikakis 2013, 3), et qui continuent à articuler les pratiques et les discours religieux en fonction d’une référence originaire russe, ukrainienne, roumaine, etc. Malgré cette différence importante entre les deux groupes, la séparation entre la religion et la culture, dans le cas des convertis, n’est toutefois pas radicale : l’identité culturelle, québécoise « de souche », est activée lorsque l’authenticité de la pratique et de l’identité spirituelles est mise en doute.

Enfin, bien qu’adeptes d’une spiritualité libre de toute contrainte, les convertis cherchent une attache spatiale et sociale. Cette recherche s’accompagne d’un besoin de reconnaissance de leur propre authenticité spirituelle. À quoi bon être un « bon orthodoxe », si cette expérience intérieure n’est pas partagée et reconnue en tant qu’« authentique » par les gens qui vivent les mêmes sentiments, les mêmes expériences, qui ont un parcours spirituel similaire ? Dans le présent article, nous explorons donc la nature de l’authenticité religieuse revendiquée par les convertis à l’orthodoxie, tout en prêtant attention au quotidien de la pratique spirituelle individuelle, à la mobilité spirituelle et spatiale, aux conduites religieuses et aux sociabilités spirituelles créées lors de ce processus d’accomplissement de soi spirituel. Nous comparons la sémantique de l’authenticité, développée par les convertis, avec celle qui est formulée par les orthodoxes natifs, afin de faire ressortir les déclinaisons actuelles de l’authenticité religieuse.

Abandonner l’approche essentialiste de la définition de l’authenticité offre deux avantages : premièrement, cela permet d’adopter une perspective relativiste selon laquelle l’authenticité est subjective et se décline différemment d’un individu à l’autre, d’un groupe à l’autre. Ces déclinaisons dépendent du type de connaissance et d’expérience personnelle qui détermine la « rectitude du regard » que l’individu pose sur la vérité recherchée, concept heideggérien auquel nous référons dans notre analyse. Le concept de « rectitude du regard » (Heidegger 1986) est le fruit du décryptage heideggérien de l’allégorie platonicienne de la caverne. Contrairement au paradigme chrétien de la connaissance, qui repose sur une opposition fondamentale entre le monde terrestre et la Vérité (Dieu), la quête de vérité platonicienne centrée par le retour vers soi implique le détournement de tout ce qui est extérieur. C’est justement cette deuxième étape de la connaissance, exprimée dans la descente vers soi, et le constat de sa propre ignorance qui amènera Foucault à voir la conversion comme étant « l’une des plus importantes technologies du soi du monde occidental » (Foucault 2001, cité par Mossière 2012). Ce qu’Heidegger apporte de nouveau par rapport à la quête de vérité platonicienne et l’interprétation de Foucault, et qui est très pertinent pour le parcours du converti à l’orthodoxie au-delà de l’acte même de la conversion, est la nature du rapport établi entre soi et la vérité recherchée, rapport qui n’est ni direct ni dual. Le lien entre le sujet et la Vérité, dans son acception intériorisée, subjective, est filtré par une succession d’« évènements » extérieurs, c’est-à-dire des expériences qui ont le pouvoir de transformer les deux parties. L’insertion des évènements (qui, dans l’allégorie platonicienne, prennent la forme de la lumière du feu, de l’intensité de la lumière extérieure ou de la paroi) provoque chez chaque individu une « rectitude du regard », une adaptation perfectible et sans fin de l’Être et de l’essence même de la vérité, de Dieu (Heidegger 1986). Cet ajustement est à la fois réflexif, par la pensée, et expressif, par le discours.

En plus des dimensions réflexive et discursive, la rectitude du regard est inséparable de la pratique performative entendue comme un ensemble d’exercices d’entraînement simultané du corps, des émotions et de la raison (Butler 1990). Le caractère quotidien, répétitif et de la performativité spirituelle et religieuse des convertis en général révèle, selon Mossière (2012), le fait que le processus de quête de vérité constitue « un médium bien plus qu’un but ». Plus qu’un travail de soi, ce que nous allons appeler le rythme spirituel performatif a, en fin de compte, une fonction ontologique, car « sa force est l’action, la répétition qui ordonne, qui donne forme à ce qui n’est pas encore formé[3] » (Deleuze et Guttari 1987, 313). L’ajustement de regard à travers la réflexivité, la discursivité et le rythme performatif assure ainsi le passage de l’être du statut d’objet passif, qui reçoit l’enseignement (le modèle chrétien), à l’état de sujet, actif, autonome et suffisamment puissant pour agir et entamer une transformation de soi et du monde.

Deuxièmement, l’authenticité est toujours relationnelle. L’authenticité subjective évolue et se définit toujours par rapport aux autres, qui partagent ou non les mêmes convictions et les mêmes expériences. L’authenticité est donc inséparable d’une socialité qui est « tout ce que les individus recèlent comme pulsions, intérêts, buts, tendances, états et mouvements psychologiques, pouvant engendrer un effet sur l’autre ou recevoir un effet venant des autres » (Simmel 1998, 32). Ces socialités spirituelles et sociales créent une « normalisation éthique de l’esthétique » de « l’être-ensemble » (Simmel 1998, 45) et entraînent automatiquement une redéfinition de l’authenticité spirituelle. Le fonctionnement de l’authenticité religieuse postmoderne semble ainsi sortir des grandes structures éthiques intégratrices et dominatrices pour faire valoir le local, l’interaction, la pratique rythmée par le quotidien et les sociabilités dans leur acception affective, intime, mais aussi flexible et mouvante.

2. La communauté monastique orthodoxe d’expression française de Rawdon

En 1991, Mgr Séraphim, évêque d’Ottawa et du Canada (Église orthodoxe en Amérique), décide de fonder à Rawdon la communauté missionnaire Saint-Séraphim-de-Sarov, devenue communauté monastique en 1999, regroupant les moines d’expression française, au Canada. Le siège de la communauté se trouve au skite (ermitage) orthodoxe, bâti en 1977-1978, par le hiéromoine Grégoire Papazian. Arménien originaire d’Égypte, il construit aussi une petite chapelle adjacente, dédiée à la Transfiguration-de-Jésus-Christ. Le bâtiment est situé à côté du cimetière et de l’église orthodoxes dédiés à Saint-Séraphim-de-Sarov, fondés respectivement en 1962 et en 1966, par la communauté orthodoxe russe de Saints-Pierre-et-Paul de Montréal[4]. La décision d’installer le siège de la communauté monastique à Rawdon vient de l’existence, de longue date, d’une communauté orthodoxe hors de Montréal. Cet environnement est bien plus approprié à la vie monastique, à la retraite et à la méditation envisagées par les moines orthodoxes que le milieu urbain montréalais.

La fondation de la communauté monastique attire à Rawdon plusieurs adeptes : des moines et des moniales orthodoxes d’origine belge, française, québécoise ou lituanienne. Au début, ils font de courts séjours de retraite et de méditation au skite. Certains finissent par s’acheter des maisons à Rawdon pour être proches du lieu de culte. Bien qu’active juridiquement, cette communauté est fragilisée par le départ des moines vers d’autres régions canadiennes, afin de fonder leurs propres communautés monastiques, indépendantes de tout groupe ethnique. Actuellement, monseigneur Irénée (Rochon), évêque de la ville de Québec et auxiliaire de l’archevêque du Canada, est le dernier moine orthodoxe francophone à venir passer du temps au skite et à y conduire des offices.

Les moines sont, en grande partie, d’anciens catholiques qui, après un long processus de pèlerinage interconfessionnel, ont décidé de s’intégrer au monachisme orthodoxe. Presque tous ont suivi des cours de théologie au séminaire Saint-Serge à Paris, très connu et réputé dans le milieu théologique orthodoxe de la diaspora. Bien que la grande majorité des moines connaisse le slavon, leur but est de mener les offices en français, afin d’élargir la communauté et d’attirer le plus de francophones possible. C’était le principal moyen de donner une nouvelle vie et un nouveau souffle au lieu, de plus en plus affaibli à cause du départ ou du décès de la génération fondatrice. Quant aux convertis à l’orthodoxie qui ont fréquenté le skite de la Transfiguration, leur nombre a varié, au fil des années, entre 20 et 7 personnes, hommes et femmes, âgés de 50 à 80 ans, pour atteindre, en 2011, le nombre de 3 personnes qui continent à habiter à Rawdon.

Le lieu est partagé par deux groupes de spiritualité orthodoxe : les orthodoxes de la paroisse Saint-Séraphim-de-Sarov, des croyants et des pratiquants d’expression slavophone, originaires de la Russie ou de l’ex-espace soviétique, d’une part et les orthodoxes de la communauté monastique Saint-Séraphim-de-Sarov, des convertis à l’orthodoxie qui, dans leur grande majorité, sont des Québécois, ex-catholiques, d’expression française, d’autre part. Bien que tout le monde s’y réunisse pour exprimer et pratiquer une appartenance religieuse et spirituelle, orthodoxe, la cohabitation n’est pas facile (Moisa 2011, 67). La tension principale se situe autour de la revendication faite par les deux groupes orthodoxes qui s’attribuent une identité spirituelle exprimée par l’énoncé « être un vrai orthodoxe ».

3. Le monachisme orthodoxe, une spiritualité bien particulière et peu connue

Les orthodoxes convertis viennent de familles catholiques pratiquantes, allant à la messe chaque dimanche. Leurs récits évoquent toujours la scène classique de la maman qui, assise sur une chaise berçante, tient dans ses bras un bébé et est entourée par les autres enfants agenouillés, en train de dire une prière à la Vierge Marie. Comme bien des Québécois, l’éloignement de l’Église catholique n’implique pas l’abandon de la foi, mais les engage dans une recherche individuelle qu’ils qualifient de « spirituelle » : « Pendant plusieurs années, j’ai continué à chercher dans plusieurs directions, tout en ayant la foi. C’est la pratique, c’est la morale ou l’ingérence de l’Église catholique dans la vie privée que je n’aimais pas » (Marie, 68 ans). Dans la majorité des cas, la découverte de l’orthodoxie est tardive et elle survient après l’expérimentation de plusieurs formes de spiritualité, dont la plupart sont d’origine extrême-orientale (bouddhisme, yoga, formes de méditation hybrides). En reprenant les termes de Danièle Hervieu-Léger, la majorité des convertis à l’orthodoxie sont « des convertis esthétiques » (1999), c’est-à-dire des gens hautement scolarisés, professeurs d’université, détenteurs de doctorats, artistes, peintres. Selon les croyants, la quête spirituelle doit être accompagnée par la connaissance scientifique, complémentarité qui confère une valeur « d’authenticité » à l’identité et à la pratique religieuses ou spirituelles adoptées.

Le quotidien orthodoxe du converti ne se réduit pas à la liturgie de dimanche ou aux grandes fêtes religieuses. Il est rythmé et structuré par les prières, dont les Matines, le matin et les Vêpres, le soir. La semaine qui précède la fête pascale et Noël, la naissance de Jésus Christ, les convertis et les moines se rassemblent dans des séances prolongées de prière et d’adoration. Cette orthopraxie, qui distingue les adeptes du monachisme orthodoxe du reste des orthodoxes natifs et membres de la paroisse, se combine avec l’étude systématique, en groupe et autodidacte, des livres saints, des textes bibliques, théologiques ou scientifiques. La littérature la plus souvent évoquée est celle sur la pensée symbolique, les textes des grands théologiens orientaux et, surtout, les écrits et les conférences d’Annick de Souzenelle[5]. Les convertis font des séjours périodiques au Centre des rencontres spirituelles de Béthanie, en France. Il s’agit d’un centre de retraite et de prière orthodoxe francophone fondé et dirigé par le père Alphonse et son épouse, Rachel[6]. Presque tous les moines et les convertis ayant vécu à Rawdon sont déjà allés au moins une fois à Béthanie, pour visiter, assister aux cultes, aux prières, se former en participant à des conférences ou à des formations spirituelles ou faire une retraite de plusieurs semaines. Pour plusieurs, il s’agit d’un changement radical de vie. L’objectif des pèlerins de Béthanie est de faire de l’orthodoxie un style de vie.

Par rapport à d’autres formes de conversion, le cheminement du converti à l’orthodoxie comporte ses particularités. Le baptême catholique est reconnu par l’Église orthodoxe. Toutefois, un converti à l’orthodoxie ne peut pas communier sans avoir reçu la confirmation. Or, pour être confirmé, il doit appartenir à une paroisse orthodoxe. Le désir du converti de pratiquer l’orthodoxie d’une manière individuelle et personnelle se heurte donc à un double défi venant du fonctionnement de base de l’Église orthodoxe. Premièrement, dans l’aspect territorial, le paroissien doit appartenir à un lieu, à une église orthodoxe ou à un monastère ; deuxièmement, l’aspect social exige de vivre la foi orthodoxe en communauté, à l’intérieur d’une paroisse ou d’une communauté monastique. D’ailleurs, la sémantique du « vrai orthodoxe », revendiquée par le converti, se forge à l’intérieur de ses essais permanents d’accommoder ses exigences personnelles et celles venant de l’extérieur.

4. Le monastère, lieu d’attache et de reliance

Les convertis découvrent habituellement le site de Rawdon grâce aux moines orthodoxes qui, à la fin des années 1990, se rassemblaient au sous-sol de l’église Saint-Benoît-de-Nursie, à Montréal. Une fois le service régulier installé et la communauté monastique fondée, ils commencèrent à venir et même à vendre leurs maisons pour s’installer à Rawdon. La décision de déménager à Rawdon est alors essentiellement liée au besoin d’encadrement de la vie et du cheminement spirituels : « C’était une évidence intérieure : si je voulais continuer à avancer au rythme auquel je souhaitais avancer, il fallait que je consacre plus de temps à la prière, à la méditation, aux offices » (Marie, 68 ans). L’avancement spirituel n’est pas aléatoire, il est guidé par les initiés, c’est-à-dire les moines de la communauté monastique.

Si, au tout début, la décision des russophones de venir à Rawdon est sentimentale, animée par le besoin de se retrouver dans un environnement qui rappelle celui du pays d’origine (Moisa 2010), celle du converti est bien pragmatique : c’est le seul endroit où ils peuvent vivre leur nouvelle spiritualité en français et où ils bénéficient d’un accompagnement dans leur perfectionnement spirituel. D’ailleurs, l’intérêt de la petite chapelle de la Transfiguration provient de son histoire récente, qui débute dans les années 2000, avec l’arrivée et l’installation à Rawdon d’un moine qui conduit alors le service régulier en français et qui devient un vrai guide pour les convertis. Sa présence attire ainsi plusieurs francophones convertis à l’orthodoxie qui viennent à Rawdon dans le but d’y faire des retraites spirituelles plus ou moins prolongées, de prier, de demander conseil, de célébrer de grandes fêtes telles que Noël ou Pâques. Selon les convertis, ce n’est pas la valeur historique du lieu qui importe, comme c’est le cas pour les russophones, mais la présence d’une figure emblématique, circonstancielle, celle du moine francophone, qui fait le contact entre une orthodoxie authentique, recherchée, et les besoins spécifiques des convertis, qui veulent vivre l’orthodoxie en français. Le lieu permet de pratiquer une vie contemplative, encadrée et éloignée du monde, mais aussi de bannir la solitude par le développement d’un réseau de reliance[7] (Clausse 1963, 8) avec des gens qui partagent les mêmes valeurs spirituelles.

La présence continue de moines francophones, dans la première moitié des années 2000, constitue par conséquent un motif d’attraction supplémentaire, pour certains adeptes qui déménagent à Rawdon. La proximité spatiale entre les maisons et le lieu de culte officiel est un choix rationnel, pratique. Tous les convertis qui vivent à Rawdon sont des retraités. Certains sont malades, d’autres plus âgés. Ils évitent de sortir en voiture l’hiver ou de parcourir de longues distances à pied, l’été. Ainsi, la résidence est choisie en fonction du positionnement par rapport au lieu de culte et non par la recherche d’un voisinage ethnique ou parental.

Notre recherche s’est déroulée entre 2010 et 2013 et nous avons interrogé les trois convertis qui habitent toujours à Rawdon et trois moines, dont deux sont partis fonder leur propre monastère ailleurs. Contrairement à Montréal où, selon les connaissances que nous avons jusqu’à présent, il n’y a pas de groupe de convertis à l’orthodoxie qui revendique une forme de spiritualité inspirée du monachisme, Rawdon se distingue par l’existence, officielle et reconnue par l’Église orthodoxe en Amérique, de la communauté des moines francophones en Amérique du Nord. Le nom de « communauté monastique » fait référence à l’existence d’un siège territorial fixé dans le skyte et la chapelle de la Transfiguration, situés à l’intérieur du site orthodoxe de Saint-Séraphim-de-Sarov, rattaché à la cathédrale montréalaise de Saints-Pierre-et-Paul. La « communauté » désigne aussi les fidèles (convertis) et les moines. Enfin, elle exprime une spiritualité centrée sur une orthopraxie bien plus stricte que celle des orthodoxes natifs et membres de la paroisse Saint-Séraphim-de-Sarov. Ces différences, à la fois dogmatiques et culturelles, conduisent à l’existence, sur le même lieu de culte, de deux groupes de croyants. Ainsi, le groupe de convertis et de moines de Rawdon ne se définit pas en tant que communauté par rapport à d’autres communautés semblables, mais par rapport aux orthodoxes natifs, russes et russophones ayant fondé et enraciné l’orthodoxie à Rawdon. Malgré la diminution des fidèles, la communauté continue à exister et à être reconnue en tant que telle. Toutefois, nous allons voir qu’au fil du temps, l’association entre le territoire et la communauté de foi, essentielle dans l’orthodoxie (Rousselet 2007, 63-85), qui avait été à la base même de la fondation de la communauté monastique, s’est adoucie pour faire place à la création d’un réseau spatial bien plus large et très flexible, structuré essentiellement par les déplacements des moines. La communauté de foi se maintient toujours. Elle continue à s’adapter et à se transformer, tout en conciliant mobilité et attache.

5. Le pouvoir de la tradition, entre l’émotion et le savoir

Pour les convertis, la notion de tradition tient un rôle important dans la définition du « vrai » orthodoxe. Mais il ne s’agit pas d’une tradition cimentée dans la longue durée, attachée à l’évolution de l’Église orthodoxe, russe ou autre. Les convertis se revendiquent d’une autre tradition, qui précède toute forme d’institutionnalisation religieuse, d’hégémonie ecclésiastique ou d’Église ethnique, synonyme pour eux de décadence de la « vraie » foi. Il s’agit plutôt d’une tradition enracinée dans la philosophie chrétienne enseignée par les pères de l’Église et par les apôtres, c’est-à-dire d’un retour aux textes chrétiens originaires : les évangiles et la Bible. Une place spéciale est occupée par la Philocalie, qui évoque le mode de vie des grands ermites qui ont vécu au Moyen-Orient. Le retour vers les racines spirituelles qui précèdent la période dominée par les institutions ecclésiastiques est considéré comme l’unique voie vers une véritable vie spirituelle.

Selon les orthodoxes natifs, l’orthodoxie ne s’apprend pas, car elle est incorporée au baptême ainsi qu’à la pratique familiale et communautaire quotidienne. Pour le converti, « être un vrai orthodoxe » n’a rien à voir avec cette tradition culturelle et familiale. Être un vrai orthodoxe implique l’apprentissage individuel du dogme, de l’histoire de l’Église, des pratiques, des rituels, des chansons liturgiques et, parfois, de la langue du culte — dans notre cas, le slavon. La seule autorité qu’ils reconnaissent, après Christ, est celle du père spirituel ou du moine. Bien que le converti soit respectueux à l’égard du moine, la relation qu’ils entretiennent avec lui est différente de celle existant entre le prêtre et les croyants. Elle prend la forme de l’échange et du partage de l’expérience spirituelle : « Souvent, lorsque j’appelais père X (le moine) pour demander des conseils ou pour avoir des éclaircissements par rapport à ce que je vivais au plan spirituel, il me disait : “Vous savez, j’apprends de vous autant que vous apprenez de moi” » (Jean, 60 ans). Loin de représenter une autorité dont le rôle est d’enseigner aux néophytes, le moine ou le père spirituel orthodoxe est un accompagnateur, lui-même en processus d’amélioration de sa vie spirituelle et qui s’enrichit de la sagesse des autres membres de la communauté monastique.

Les réunions chapeautées par les moines servent à l’apprentissage et à la transmission de la pratique et de la conduite orthodoxes : comment chanter les chants liturgiques, comment prier, comment comprendre les textes liturgiques, etc.

C’était important pour moi d’aller à l’église. C’était important pendant les sept années, pendant que père X était là ! Parce qu’avec lui, tous les chants orthodoxes, tous les tons, je les ai appris avec lui, au quotidien. Simplement, à l’oreille, comme ça. Une fois le père X parti, il n’y a plus eu d’office pendant la semaine. Il n’y avait que les liturgies du dimanche, c’est tout. Dans la foulée de ce que je viens de dire, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que je fais ici maintenant ? Puisque je suis venue ici pour ça.

Marie, 68 ans

Pour le converti, la présence du moine et des pères spirituels est essentielle. Le moine est un modèle de prière, de comportement, de l’accomplissement de la « vraie » orthodoxie. Il est la figure authentique de l’orthodoxie. Contrairement au prêtre qui est la figure du pouvoir ecclésiastique et de l’autorité divine sur terre, le moine est davantage un modèle de savoir spirituel, moral et performatif.

Les convertis ne sont pas des récepteurs passifs d’une vérité absolue, transmise et enseignée par une figure d’autorité et de pouvoir, mais des êtres qui acquièrent l’enseignement d’une manière réfléchie et qui cherchent à se perfectionner en permanence. Souvent, ils parviennent à mieux connaître l’histoire de l’Église, les textes saints et la signification des rituels que les orthodoxes natifs. Ce qu’ils recherchent dans la présence du moine, c’est de bien s’outiller pour leur quête personnelle de spiritualité et d’avoir une confirmation de la rectitude de leur cheminement et de leur regard sur la vérité absolue. Une fois certain de la maîtrise de ces outils, le converti peut devenir autonome et suivre son cheminement à sa manière. L’intégration de la spiritualité orthodoxe et l’affirmation de l’authenticité orthodoxe passent ainsi par le savoir qui devient source de légitimation, d’autorité individuelle et de pouvoir (Foucault 1969), face aux orthodoxes natifs, qui situent leur vérité dans une logique d’héritage et d’intériorisation d’un savoir-faire à la fois culturel, spirituel et performatif, depuis l’enfance et depuis un pays d’origine orthodoxe (Moisa 2011).

La connaissance réflexive de l’orthodoxie est accompagnée par une sensibilité émotionnelle, presque mystique et panthéiste, qui réactualise une présence divine qui remonte aux origines de l’existence individuelle : « Étant enfant, je me réfugiais souvent dans la forêt et je priais. Il y avait beaucoup de monde à la maison et beaucoup de bruit. Je priais loin, dans la forêt. Alors, sans le savoir, j’avais une disponibilité vers la vie spirituelle » (Marie, 68 ans). L’image du lien sensible de l’enfant avec le monde naturel intègre tous les vocables de la pureté divine. Cet imaginaire est ramené dans le présent et décrypté à l’intérieur d’un discours nécessaire à la fondation et à l’affirmation d’une identité orthodoxe authentique. Cette relation a priori avec la nature et, implicitement, avec Dieu, est jugée authentique, car elle est vécue en dehors de l’espace de la cité, c’est-à-dire de la cité ecclésiastique et de l’institution familiale. Contrairement au registre d’authenticité des orthodoxes natifs, dont les racines sont bien ancrées dans une biographie religieuse historique qui renvoie au pays d’origine et à l’histoire de l’Église orthodoxe en Russie, les racines des convertis se nourrissent de la découverte d’une biographie spirituelle qui authentifie le savoir et la réflexivité orthodoxes.

6. Territoires et réseautages spirituels

À la différence des communautés ethniques et historiques, où la communauté d’esprit converge avec la communauté culturelle, les convertis s’engagent dans des structures sociales qui se rapprochent du concept de « néotribu » de Mafesolli (1988) ou de communitas de Victor Turner (1990). Leur communauté spirituelle est très flexible. Malgré les exigences dogmatiques et institutionnelles de l’Église orthodoxe, qui requiert d’être membre d’une paroisse, c’est-à-dire d’appartenir à un territoire et au groupe de croyants qui habitent ce territoire, la communauté monastique a un fonctionnement spatial et social qui lui est propre. Les fidèles qui habitent à Rawdon se rencontrent assez souvent, non pas à l’église, mais dans l’espace domestique, pour discuter des passages bibliques ou pour prier. Ils vont aux liturgies et aux offices, s’il y en a. Mais ils se déplacent également en fonction des pères spirituels, des moines qui ont fondé leur propre monastère ailleurs, au Canada (à Lachute, à Amos, en Abitibi-Témiscamingue, ou à Montréal, à l’église Saint-Benoît). De temps en temps, ils se rendent en France, à Béthanie.

Dans les années 2000, les rencontres de moines et de convertis avaient lieu aussi dans la « maison blanche » située en face du skyte et où résidait de manière permanente le moine en exercice. Après les offices, dix à quinze personnes entouraient les moines et écoutaient l’histoire de leur cheminement spirituel. Souvent, les discussions portaient sur des textes bibliques, sur la vie des saints et des pères de l’Église, etc. Au coeur de l’échange et du partage spirituels se trouvait toujours le vécu personnel et individuel de chacun. Il ne s’agissait pas d’une biographie historique, mais spirituelle et qui, pour les membres de la communauté monastique, avait une valeur didactique et exemplaire. Cette double valeur vient justement du caractère unique, hors du commun, de chaque expérience, de chaque trajectoire spirituelle.

Depuis quelques années, il n’y a plus de moine francophone à Rawdon. Le profil des convertis, toujours en quête d’une forme de spiritualité authentique, a permis à la communauté d’exister autrement que par l’ancrage territorial. Par exemple, l’une des converties est en contact permanent avec son père spirituel qui a fondé un monastère orthodoxe en Abitibi. Parfois, elle se rend là-bas pour prier, se confesser, discuter ou pour suivre les offices de la semaine sainte qui précède Pâques. L’échange passe aussi par le support virtuel ou un moyen de communication tel que l’Internet ou le téléphone.

Si, pour les immigrants, le chez-soi et l’église ont les mêmes fonctions de transmission indifférenciée des valeurs morales, spirituelles, familiales, culturelles et ethniques, ce n’est pas le cas pour les convertis. Avant le départ des moines, la vie spirituelle des convertis se déroulait entre le skite et les maisons des membres de la communauté. L’une des converties, qui habite près du skite, raconte que le moine et les autres membres de la communauté avaient l’habitude de venir chez elle régulièrement pour échanger et partager leurs expériences spirituelles autour d’un repas ou, tout simplement, du foyer. Il s’agissait d’une convivialité spirituelle, comportant une dimension pédagogique et d’accompagnement essentielle au cheminement spirituel de chaque disciple. Malgré cette complémentarité, ces réunions à la maison n’intègrent pas la famille. Tous les convertis sont des retraités. Ils vivent seuls, dans des maisons privées. Les moines vivent dans la chasteté, ils n’ont pas le droit de se marier. La maison est donc un canal de transmission de la spiritualité orthodoxe entre les membres qui partagent la même foi exclusivement.

7. Rythmes performatifs, entre la plénitude spirituelle et la solitude sociale

La séparation opérée entre la vie spirituelle et la vie familiale conduit à une organisation du quotidien et du lieu domestique selon une orthopraxie centrée sur la prière, la méditation et le jeûne. Le salon accueille essentiellement les photos de famille, les tableaux artistiques dans le cas des peintres, mais aussi une ou deux icônes placées, conformément au dogme religieux orthodoxe, au coin ouest de la pièce. Par contre, les endroits privés, tels que la chambre à coucher ou le bureau de travail, servent de lieux de prière et de méditation. Par exemple, une convertie fait ses matines et ses vêpres chaque jour, dans la chambre à coucher, où elle a aménagé un petit autel de prière et où elle expose les icônes les plus significatives pour elle. La présence de la Bible, des livres des saints et des pères de l’Église, une bougie, mais aussi des oeufs de Pâques peints complètent l’aménagement religieux du lieu.

Le choix du lieu de prière dépend dans la majorité des cas de l’état de santé de la personne :

J’ai fait plusieurs essais avant d’arriver à cette solution. C’est vraiment LA solution [soulignement de l’interlocutrice], celle qui me convient le mieux. Parce que moi, en me levant le matin, je prends des médicaments. En principe, je devrais attendre une heure avant de manger. Alors, je prends cette heure pour faire tout de suite les matines. Je prends les médicaments et je fais les matines. Après ça, bon, je vais aller manger, me mettre au travail. Il s’agit de moments de transition qui sont plus ou moins longs puisque comme avant on avait l’habitude de faire les offices avec père X, ça a pris du temps avant de prendre tout en charge personnellement et de tout faire ici.

Marie, 68 ans

L’ensemble des récits des convertis indique que la maladie est très présente dans leur parcours spirituel. La prière et la méditation représentent un mode d’accompagnement spirituel de la douleur, de la souffrance physique ou psychique. Le quotidien est adapté en fonction des besoins personnels et souvent, il fait abstraction de l’ordre cérémoniel et officiel du calendrier ecclésiastique. Après le départ des moines, plusieurs convertis ont décidé de vivre leur spiritualité à la maison :

Une voix intérieure m’a dit : « Ta vie spirituelle doit maintenant être plus intériorisée. » J’ai pris mes livres, j’ai commencé à faire mes offices, toute seule… Ça m’a permis vraiment de découvrir une autre dimension, toute une autre dimension, beaucoup plus personnalisée, beaucoup plus intériorisée, beaucoup plus méditative aussi, de la vie spirituelle… Si je commence à lire les matines le matin et si j’arrive sur un passage qui me touche profondément, je vais rester sur ça ! Je n’ai pas nécessairement à aller faire tout l’office pour faire l’office. Je vais méditer celui-là (soulignement de notre interlocutrice) qui vient de m’être donné. Point ! Même chose pour les vêpres.

Marie, 68 ans

Cette intimité spirituelle permet au croyant de développer une relation libre, sans contrainte institutionnelle, avec Dieu. À l’intérieur de l’espace domestique s’institue ainsi une autre dimension spatiale, verticale et mystique. Le lieu passe par un processus de conversion du profane en un lieu spirituel : la machine à coudre est convertie en lutrin, le vieux meuble se transforme en autel, l’ancien bureau de création devient un support pour les livres et pour la prière. L’espace suit le rythme de conversion et de perfectionnement de son habitant. Il acquiert ainsi une autre dimension, différente du reste de la pièce. Il devient un lieu spirituel, avec toutes les qualités de canal médiateur entre le croyant et Dieu :

Une fois ici, je suis dans un autre espace. Je suis dans mon espace de prière. Il y a comme une énergie particulière dans ce petit coin maintenant. C’est vraiment spécial […] T’as vu les anges, la hiérarchie angélique [le lieu de prière est orné en son centre d’une icône orthodoxe] ? C’est père Y qui me l’avait donnée. Maintenant, je ne suis plus seule : les anges prient avec moi. Ils sont derrière moi pour me supporter [elle rit].

Marie, 68 ans

Donc, les rythmes spirituels performatifs transforment, non seulement le croyant, mais aussi le monde environnant, en instaurant des topographies spirituelles essentielles à l’existence du converti en tant qu’orthodoxe authentique.

Cependant, cette plénitude spirituelle correspond à une solitude sociale. La majorité des convertis vivent seuls. Soit divorcés, soit veufs, ils décident de déménager à Rawdon et d’y vivre seuls, pas loin de la communauté monastique. Bien que les fêtes permettent le rassemblement de la famille, tout se passe dans la sphère de la célébration laïque. Souvent, les exigences de la vie spirituelle orthodoxe l’emportent sur les rencontres familiales.

Parfois, j’explique à mes filles que je ne peux pas venir, car il y a des offices à l’église. Il est arrivé à plusieurs reprises qu’aux fêtes, soit Noël ou Pâques, je ne me sois pas présentée parce que j’allais aux offices. Pour moi, la veillée pascale c’est sacré. Je ne peux pas la manquer. Je vais aller au monastère ou à la paroisse Saint-Benoît. J’ai besoin d’avoir ces offices-là qui sont des moments clés dans l’année liturgique.

Marie, 68 ans

Sans qu’il se cache, l’attitude du converti orthodoxe est plutôt discrète, destinée à ne pas incommoder les proches. Dans la majorité des cas, les enfants des convertis sont soit des athées, soit des catholiques non pratiquants. Les préoccupations spirituelles de l’orthodoxe leur semblent exotiques et étranges (Hélène, 38 ans, athée et fille de Marie). S’il y a une résistance de la part des membres de la famille, elle ne vise pas la défense d’une appartenance religieuse comme elle pourrait l’être dans les familles catholiques toujours pratiquantes. Il s’agit d’une résistance intime, dans laquelle l’enfant revendique le droit de primauté dans la vie du parent. « Pour moi, ce sont des affaires très bizarres ! » (Hélène, 38 ans, fille de Marie). Notre interlocutrice articule sa phrase avec un fort accent québécois, ce qui évoque d’une manière subliminale la relation mère-fille particulière, privilégiée, mais aussi la distance qu’elle instaure entre sa culture d’origine (québécoise) et celle de son choix religieux. Ces interrogations sont des signaux envoyés par les enfants, qui revendiquent une propriété affective, intime, de la mère. Le quotidien spirituel du converti se déroule par conséquent en toute discrétion. À cet égard, le converti ne cherche pas tant à se protéger lui-même qu’à éviter d’ébranler le sentiment de sécurité des proches.

La séparation entre la vie de famille et la vie spirituelle s’accentue lorsqu’il s’agit des cérémonies de passage, comme l’enterrement. Tel que nous l’avons déjà observé chez les orthodoxes natifs, le cimetière est un territoire symbolique très fort, qui matérialise l’enracinement dans le territoire québécois (Moisa 2013). Le désir du converti d’être enterré au cimetière orthodoxe déclenche des craintes parmi les membres de sa famille quant au cérémonial et aux obligations d’après les funérailles. Selon les rites orthodoxes, l’enterrement dans un cimetière orthodoxe témoigne de l’appartenance religieuse et spirituelle du défunt à l’orthodoxie. L’absence de transmission intergénérationnelle ou de partage spirituel sur la base d’une tradition culturelle commune génère des hésitations et des frictions entre le converti et sa famille. Si, pour notre convertie, le cimetière est un lieu de retrouvailles (c’est au cimetière que son époux a été enterré) et de communion totale avec la spiritualité orthodoxe et avec Dieu, pour les enfants, il constitue pour l’instant un lieu étranger, menaçant même. Ce sentiment provient justement de la portée symbolique de l’enterrement au cimetière, qui exigera une implication active de la part des membres de la famille et donc, une forme de partage temporaire d’une pratique religieuse qui ne correspond pas aux convictions des jeunes.

Conscient des enjeux de ses choix ainsi que de la brèche ouverte entre son quotidien spirituel et sa vie de famille, le converti cherche des moyens de la colmater. Par des gestes très subtils, très discrets, le converti crée des ponts qui le relient notamment à la génération des petits-enfants. La transmission spirituelle n’a pas comme prémisse un devoir intergénérationnel et familial ou un projet apostolique, mais la conviction selon laquelle tout être est apriori habité par quelque chose de particulier, de spirituel. Ce sont les enfants qui s’ouvrent le plus, car ils incarnent la pureté et l’innocence, et ils sont toujours engagés dans une forme de connaissance sensible du monde. La définition du « vrai orthodoxe » passe ainsi par le processus d’activation de cette sensibilité individuelle, à la fois esthétique et émotionnelle, vers tout ce qui relève de l’ordre de la prière, de la méditation, des sons liturgiques, des peintures sacrées.

8. Vivre l’orthodoxie en français : enjeux discursifs et performatifs

Pendant les années 2000, la communauté monastique est très active, surtout grâce à la présence constante du père Daniel, qui reste à Rawdon pendant sept ans. Puis, un prêtre belge vient renforcer le groupe. Entre 2000 et 2008, la petite chapelle de la Transfiguration accueille les deux communautés : en été, la petite chapelle de la Transfiguration et le skite sont fréquentés par les membres de la communauté monastique francophone, qui célèbre ses offices quotidiennement, tout au long de la semaine. Les liturgies ont lieu exclusivement en français. Les livres et les bibles utilisées sont en français. À l’exception d’une Russe maîtrisant le français qui vient parfois aux vêpres, le soir, les Russes ne sont pas du tout présents. Le dimanche, les russophones se rassemblent dans la chapelle voisine où le prêtre et le moine officient ensemble. À ce moment précis, les membres de la communauté monastique se joignent aux membres de la paroisse orthodoxe russe. La liturgie se déroule en slavon, avec des segments en anglais et en français. La majorité des moines francophones connaissent ou ont commencé à apprendre le slavon, notamment les prières et les chants liturgiques. La même situation s’applique aux adeptes de la communauté monastique.

Malgré la présence du français dans la liturgie, « à chaque dimanche, tout le monde devenait russe » (Marie, 68 ans). En fait, tous les convertis choisissent Rawdon pour pouvoir vivre l’orthodoxie en français. « Moi, je ne voulais pas aller chez les Russes ou chez les Grecs ou chez les Roumains », affirme une convertie à l’orthodoxie qui vit à Rawdon depuis une dizaine d’années déjà. « Moi, je voulais vivre l’orthodoxie dans ma langue » (Michel, 65 ans). L’appropriation et l’usage du lieu par les convertis passent obligatoirement par la création d’un environnement francophone. Pour les convertis, la présence du français comme langue du culte est aussi importante que le russe ou le slavon pour les orthodoxes russophones. La différence majeure est que, au départ, pour les convertis, l’exigence d’avoir la liturgie en français n’était pas animée par une volonté, consciente ou non, de préservation d’une identité culturelle et nationale, comme ce fut le cas pour les orthodoxes natifs (Moisa 2012). Le français constituait tout simplement l’instrument indispensable à la compréhension des textes liturgiques et bibliques, c’est-à-dire un moyen de communication et d’échange avec les guides spirituels, un outil de perfectionnement spirituel et performatif. Selon les convertis, le vrai « orthodoxe » ne se définit pas selon la langue de culte, mais en fonction du respect des normes de prière, de méditation et de comportement chrétien. Quant à la langue, ils adoptent un discours universaliste et égalitaire selon lequel « la vraie orthodoxie n’a pas de langue. Un vrai lieu orthodoxe doit accueillir les orthodoxes de toutes les langues, car les croyants sont tous égaux devant Dieu » (Michel, 65 ans).

Toutefois, le registre d’inauthenticité au sein duquel les convertis côtoient la « vérité » des orthodoxes natifs bouscule cette harmonie spirituelle et entraîne un décalage entre le quotidien spirituel et la contingence historique. En dépit de son discours selon lequel « la spiritualité n’est pas la culture », le converti doit défendre son identité spirituelle avec les mêmes moyens que les autres orthodoxes. Les divergences linguistiques touchent ainsi des références politiques et sociales jusqu’alors évacuées du quotidien spirituel. Premièrement, ils refusent le slavon dans lequel ils voient une forme d’exclusion qui contrevient au discours universaliste de la religion. Deuxièmement, le malaise linguistique s’amplifie avec la priorité accordée à l’anglais comme langue seconde du culte, geste qui réveille et réactualise chez les francophones orthodoxes des enjeux identitaires linguistiques franco-anglais qui ont marqué et marquent toujours la province de Québec. Ce questionnement identitaire plus large fait surface lorsque les russophones mettent en doute la légitimité des francophones de fréquenter et de s’approprier le lieu orthodoxe. « Ils [les Russes] étaient insultés qu’ils [les moines] fassent les offices en français. Je n’ai jamais compris : en quoi ça peut les déranger qu’on fasse les offices en français, quand ils n’y sont même pas ? Ils avaient l’air de réagir comme si on avait violé leur territoire » (Moine orthodoxe, 72 ans).

Avant les années 1960, la majorité des immigrants avaient comme deuxième langue l’anglais. Après les changements de la politique linguistique de la province, les russophones étaient devenus trop âgés pour s’engager dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. La plupart d’entre eux conservèrent une vision de l’anglais comme langue de la réussite sociale et économique, en terre québécoise et montréalaise, en particulier. Cette réalité locale afflige les Québécois francophones qui considèrent ce compromis avec l’anglais comme une offense à l’adresse de « leur » société et/ou de la société dans laquelle les « autres » ont choisi de vivre. C’est dans ce registre, à la fois linguistique et identitaire, que les Québécois francophones cherchent leur légitimité dans l’usage et l’appropriation d’un lieu leur permettant de vivre une spiritualité qui relève de leur propre choix. Ces références sont intégrées dans la définition du « vrai orthodoxe » affirmée par les convertis à l’orthodoxie, ce qui, indirectement, légitime leur droit de pratiquer leur foi, tout comme les autres orthodoxes.

Au sein de ces tensions, l’appropriation du lieu de culte officiel est essentielle, car elle implique la stabilisation d’une identité spirituelle en formation. Or, la stabilisation passe par la valorisation et la reconnaissance du converti en tant qu’orthodoxe à part entière, de la part des orthodoxes natifs. Par ailleurs, à la différence des communautés culturelles qui viennent de s’établir au Québec, les Québécois ne sentent plus la nécessité de défendre un territoire qui, a priori, est le leur. De plus, la vie spirituelle ne leur semble pas être liée aux enjeux identitaires qui tiennent du quotidien laïc et citoyen. De là, l’étonnement des orthodoxes francophones à l’égard du comportement défensif des orthodoxes russophones.

Malgré les départs successifs des moines, et malgré l’échec des initiatives individuelles et personnelles de francisation du lieu, certains ponts de communication et de convivialité se sont néanmoins créés. Cette évolution provient d’une initiative interne de la communauté russophone orthodoxe et d’une réalité sociale, économique et démographique avec laquelle cette dernière est aux prises depuis quelques années. Premièrement, les jeunes des familles russes, nés au Québec après les années 1960, parlent de plus en plus français. Deuxièmement, le vieillissement de la population de même que le départ des jeunes vers la métropole font en sorte que le nombre de fidèles est très faible, ce qui remet en question le fonctionnement de la petite communauté. Les membres de la paroisse sont donc contraints de chercher une autre clientèle.

Cette géographie confessionnelle-ethnique-linguistique, qui se dessine à l’intérieur du lieu religieux, est symptomatique de la manière dont la quête d’authenticité et la rectitude du regard sont travaillées, en fonction de la confrontation individuelle à une pluralité d’appartenances, qui peuvent être utilisées comme leviers de pouvoir pour exclure (Adorno 2003 [1964] ou, au contraire, inclure un individu ou un groupe spirituel ou social de la cité : Zukin 2012, 283). Malgré le discours explicite des convertis, selon lequel la vie spirituelle n’est pas la culture, ces registres font surface ou s’activent au moment où l’authenticité spirituelle subjective est remise en question. Ceci démontre que les scissions, les rassemblements et les mobilités spirituelles ont des racines plus profondes, qui dépassent le registre religieux. La question du « vrai » orthodoxe devient sensible au contact de l’autre, différent par la culture, par la langue, ou par le trajet spirituel. Ainsi, le fait de revendiquer un lieu spirituel n’est pas lié au fait d’avoir choisi la religion ou non, mais à la portée symbolique du territoire religieux qui offre la possibilité d’être reconnu en tant que « même », c’est-à-dire en tant qu’orthodoxe à part entière, tout comme les orthodoxes slavophones. Les références culturelles qui traversent le quotidien spirituel des convertis ne sont pas toujours actives. Elles le deviennent lorsqu’elles sont bousculées (Heidegger 2011, 20) et remises en question. Ce n’est pas le cas des orthodoxes uniquement, cela touche tout lieu religieux.

Conclusions : pour une authenticité spirituelle subjective

Selon les convertis, l’authenticité spirituelle renvoie à une tradition forgée, non pas dans la longue durée, mais à un moment qui précède l’institutionnalisation de la religion chrétienne. La valeur de ce moment est amplifiée par l’expérience mystique et le témoignage individuel des pères de l’Église ; elle a donc plus de valeur que le dogme de celle-ci. Ainsi, l’authenticité des convertis à l’orthodoxie intègre les expériences extraordinaires à l’intérieur du cheminement ordinaire de chaque individu, en lui conférant valeur et autorité. Cette intégration de l’extra-ordinaire dans la pratique rompt avec la définition moderne de la connaissance ou de l’authenticité cognitive. Selon les convertis, le vrai orthodoxe adopte une connaissance totale, scientifique et spirituelle, et du monde et de Dieu. Cette connaissance s’associe à une orthopraxie formée de prières, de méditations et de disciplines corporelles (le jeûne) qui, en rythmant le quotidien, deviennent un mode de vie et une partie de l’être authentique. La complémentarité entre le savoir, le croire et la pratique, entre la pensée, l’émotion et la discipline du corps se trouve à la base même de la construction du moi authentique. L’authenticité individuelle postmoderne se définit ainsi dans l’effacement de la vision manichéenne de la modernité, à travers un travail permanent d’harmonisation des trois dimensions de la quête de vérité et de perfectibilité du soi.

L’authenticité individuelle ne correspond pas à la solitude spirituelle, au contraire. Dans cette quête d’authenticité et de perfectionnement du soi, l’autre est recherché. Mais cet autre ne se situe ni en position de pouvoir ni en position d’autorité (religieuse) : il adhère aux mêmes convictions et au même cheminement spirituel que les convertis. Étant donné que les relations ne sont pas du type domination, l’enseignement moral et l’expérience spirituelle passent par l’échange et le partage. Cette logique induit une flexibilité du réseau de sociabilité qui n’attache pas et n’oblige pas. Elle solidarise les individus autour du projet commun, total, d’amélioration du soi spirituel, moral, physique, social. Cette solidarité particulière qui assure et renforce l’unicité de chaque individu est cimentée justement par l’absence de relation contractuelle. Moine, novice ou avancé dans le cheminement, chacun a sa propre valeur, car il est porteur d’une histoire unique, donc authentique. Ainsi, l’authenticité est synonyme d’unicité dans la diversité. Partagée, l’histoire personnelle a le pouvoir d’enrichir les autres et de les faire avancer à leur manière, selon leurs propres besoins, sur le cheminement vers la Vérité, vers Dieu.

Dans un contexte de postmodernité et la croissance de la mobilité spirituelle et spatiale, l’individu n’est plus à l’écoute des grandes recettes de l’authenticité, élaborées par la hiérarchie sociale dans la longue durée. L’authenticité est une valeur, une conduite et un mode de vie en continuelle amélioration et transformation, en fonction de l’expérience intime de chacun. Construite sur trois dimensions, réflexive, contemplative-émotionnelle et performative, l’authenticité subjective est intériorisée et connectée à un réseau social et spirituel, nourri par le même type d’engagement spirituel et par les mêmes valeurs morales. C’est à travers la reconnaissance du soi dans les autres que l’authenticité subjective se renforce et se stabilise en tant que système de valeurs communes et en tant que ressource de légitimation identitaire. Ces nouvelles socialités spirituelles et sociales se solidifient et se multiplient, à travers le partage, la reconnaissance et l’empathie émotionnelle, intellectuelle et performative. Elles créent de véritables solutions de rechange aux sociabilités traditionnelles, comme la famille, la paroisse, la nation, etc. Autrement dit, elle prend la forme de « rythmes », tels que définis par Deleuze où

[…] il n’y a pas le rythme du violon, il y a le rythme du violon qui répond au piano et le rythme du piano qui répond au violon. C’est une notion commune à ce moment-là. Vous savez la notion commune de deux corps, le corps du piano et le corps du violon, sous l’aspect, sous tel ou tel aspect, c’est-à-dire, sous l’aspect du rapport… du rapport qui constituera telle oeuvre musicale et qui forme le troisième corps[8].

Spatialement, les convertis à l’orthodoxie oscillent entre une spiritualité domestique individuelle, coupée de la tradition familiale, et une intimité sociale et spirituelle située en marge des grands systèmes culturels qui incluent les religions officielles. À l’intérieur de cette mouvance permanente, l’intimité de la maison acquiert une importance particulière : elle est toujours l’endroit où le converti retourne et se réfugie, pour pouvoir vivre la spiritualité en toute tranquillité, à sa guise. La séparation du foyer de la vie familiale permet l’instauration d’une autre dimension spatiale, verticale et spirituelle, où le contact intime avec Dieu se vit au quotidien, dans le concret. L’église et les lieux de culte officiels ne constituent ici que des lieux de passage. Les réunions de prière et les retraites spirituelles créent des sociabilités temporaires, mais pas nécessairement fragiles. Si la présence physique est de courte durée, la présence spirituelle est permanente et active, à travers les résonances spirituelles rythmées par les paroles, les témoignages, les expériences qui marquent et agissent sur chaque individu, en l’enrichissant et en l’accompagnant dans son cheminement spirituel personnel.

Toutefois, les liens avec les systèmes hégémoniques de véridicité et d’authenticité ne sont pas complètement coupés. Le fait que la petite communauté monastique soit accueillie dans une structure traditionnelle plus grande, religieuse et culturelle, celle de la communauté russe orthodoxe, agite le confort microsocial et la vision oecuménique de l’orthodoxie promue par les convertis. La cohabitation se transforme en lutte de pouvoir, lorsque la légitimité de l’existence de l’un ou de l’autre est menacée. Afin de se faire une place dans cette proximité religieuse et spirituelle, les convertis doivent s’imposer, mais avec les mêmes moyens que les orthodoxes natifs et ethniques, c’est-à-dire en activant l’ensemble des arguments culturels et nationalistes forgés dans la longue durée. Une fois leur identité et leur légitimité stabilisées, ils retournent dans leur intimité spirituelle, dans leur quotidien discret, flottant, mais sécurisant.