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L’on parle d’un taux de croissance de 5 % pour l’ensemble du continent africain, dans le cours de cette dernière décennie. Le continent de tous les malheurs serait enfin en train de sortir de son marasme légendaire. Le continent, qui a donné à l’ensemble de l’humanité des raisons de penser que la misère et la pauvreté étaient le lot d’une race et d’une culture, serait en train d’entrevoir une embellie de sa situation économique, ce qui ferait de lui le continent de l’avenir et de toutes les espérances. Pourtant, l’on sait que malgré la valse des discours propagandistes des pouvoirs autocratiques postcoloniaux dans les instances internationales, malgré l’utopie de l’émergence et les lieux communs idéologiques de « l’hospitalité africaine » et de sa « joie de vivre », l’Afrique n’a jamais été autant en crise. L’on sait que rien aujourd’hui ne laisse entrevoir un tel optimisme. Les chantres de la renaissance africaine ainsi que les nostalgiques de sa grandeur perdue sont tous aujourd’hui conscients que la crise africaine a atteint un seuil critique et semble se généraliser assez pour que l’on parle désormais d’une crise protéiforme plutôt que d’une simple crise économique et sociale. Au-delà d’une histoire chaotique marquée par la traite et la colonisation, et par-delà les affres actuelles de la mondialisation néolibérale, c’est la crise de l’homme africain qu’il faut envisager et résoudre. L’infrastructure économique et la superstructure politique désastreuses n’achèvent pas l’explication du marasme du continent noir. Faut-il peut-être objectivement y adjoindre, dans un lien de complémentarité et d’interaction, la crise endogène de l’« Homme » africain et de ses valeurs profondes, que les diagnostics de tous bords semblent aujourd’hui révéler ? Changer la situation africaine reviendrait donc à changer le sujet africain. La renaissance africaine sera concomitante avec la renaissance du sujet africain ou ne sera pas. La mauvaise réappropriation de son histoire ainsi que sa mauvaise et douloureuse posture sur l’échiquier de la planète monde, les atavismes idéologiques qui ont imprimé dans sa conscience l’idée qu’il était le rebut de l’humanité et la boue des places publiques, les fortes turpitudes d’une culture éclectique qui le placent sans cesse dans une logique de dissonance culturelle[1], font de lui un être humain en crise. Le projet global et le plus ambitieux sera de changer le sujet africain. Le changer, c’est faire advenir un être nouveau, imprégné d’idéal, sujet libre, assumant son histoire, et détaché des conditionnements d’un grégarisme accablant (avec pour vitrine le tribalisme), et porté vers l’avenir, non seulement proche, mais lointain, à la dimension de l’infini et de l’éternité. Cet Homme nouveau aura en perspective le Bien, le Beau et le Vrai. Il ne s’agit pas seulement de l’« homme éthique », dont ont parlé de nombreux penseurs africains[2], mais bien de l’« homme spirituel », qui saura harmonieusement articuler le spirituel et le temporel, tant dans sa conscience que dans son agir, et qui en définitive reconnaitra au spirituel la primauté sur le temporel ou, mieux, verra dans la « noosphère » l’accomplissement de la « biosphère ». Cela nous semble être la condition première, s’il veut échapper aux considérations ventriloques qui, dans les contextes politiques et sociaux dans lesquels il évolue, obstruent considérablement son élan vers le bien commun. Nous nous inscrivons à notre tour dans la droite ligne de ceux qui espèrent et attendent l’avènement du nouvel Homme africain. Comment cela se fera-t-il ?

Les diagnostics de crise et les tentatives de solutions qui se sont multipliés et succédés au chevet de l’Afrique malade ont jusqu’alors pris très peu en compte la propension au religieux et au surnaturel qui aujourd’hui, parfois pour son malheur[3], semble caractériser l’Afrique. L’Afrique serait le continent du religieux. La paléontologie et les sciences connexes établissent avec certitude que l’humanité a pris naissance en Afrique dans la latitude se situant dans la région du Kenya, de la Tanzanie et de la Somalie, dans un axe Nord-Sud qui descend jusqu’en Afrique du Sud. Or, un tel être humain ne pouvait qu’être noir, au vu de la très forte présence des rayons ultra-violets dans ces régions, la mélanine servant de protection à l’organisme qui risquait une irrémédiable destruction des cellules[4]. Cet humain, l’homoerectus, qui deviendra en Occident au fil des glaciations l’homme de Cro-Magnon, est déjà un homoreligiosus. Son rapport à la nature est conditionné par sa relation à la transcendance. Celle-ci est si immanente que la nature devient une escarcelle de la divinité. Cet humain, en déifiant la nature, développe une culture faite d’un ensemble de croyances et de mythes qui tendent, d’une part, à apprivoiser de manière empathique la nature et, d’autre part, à lui demander les moyens de sa survie. Ainsi sont nées les religions traditionnelles africaines, qui ont connu un essor considérable au fil des siècles et qui ont survécu aux conquêtes musulmanes et à l’évangélisation chrétienne, surtout missionnaire, du xixe siècle. Sur ces nombreuses couches de religiosité vient aujourd’hui se greffer celle, non négligeable, des nouveaux mouvements religieux et sectes, nés de la poussée de l’évangélisme et du pentecôtisme américains. Il n’est guère exagéré de parler aujourd’hui d’une diffraction kaléidoscopique du paysage religieux africain, qui trouve un terreau de choix dans une culture où la transcendance et l’immanence semblent s’imbriquer. Certaines critiques philosophiques et théologiques ont difficilement convaincu du contraire[5]. En plus de ses gisements naturels du sol et du sous-sol, l’Afrique semble constituer aujourd’hui le plus vaste gisement spirituel et surnaturel de la planète. Son quotidien est hanté par des forces suprasensibles et irrationnelles auxquelles elle croit. Des prédicateurs véreux, jouant sur cette crédulité légendaire et populaire, extorquent les masses et vendent l’illusion d’un bonheur et d’une sécurité que seules garantissent les pratiques de prières d’exorcisme et de bénédiction. Un pasteur congolais décrit avec précision ce phénomène au coeur de sa capitale :

Fourmillement dans la capitale congolaise des rassemblements et groupes de prières organisés dans les maisons, les bars, et les débits de boissons, dans les rues et les marchés publics. Les prédicateurs évangélistes s’improvisent même dans les bus et les trains. On ne sera pas surpris de les rencontrer bientôt dans les avions et les bateaux qui sont la propriété des Congolais fortunés […] Dans plusieurs quartiers de Kinshasa, les guérisseurs et prédicateurs passent encore d’une rue à une autre chaque matin, parfois à partir de 4 heures, criant à tue-tête, proclamant que chez eux on opère des miracles, la chance sourit aux chômeurs qui trouvent carrément un emploi, les pauvres deviennent des fortunés, les affamés jouissent de l’abondance, les femmes stériles conçoivent, des célibataires y trouvent des partenaires.

Des voyants et des anti-sorciers, parlant au Nom de Jésus-Christ, sillonnent les rues pour dénoncer les sorciers, prêchant les messages qui unissent et cassent aussi souvent les clans et les familles […] Il existe même un groupe de prière dans une des communes de la cité, organisé et dirigé par les enfants de moins de 12 ans qui eux aussi prétendent avoir reçu la mission de chasser les démons, de désavouer les sorciers, annonçant ainsi le message du salut en Jésus-Christ.

Masamba Ma Mpolo 2002, 27-28

Ce foisonnement du religieux et, plus sérieusement, l’inflation de l’action des forces surnaturelles dans le quotidien africain ont déjà été épinglés et stigmatisés dans bien des ouvrages comme étant incompatibles avec le développement, car leurs mécanismes et leurs fonctionnements sont contraires aux principes rationnels et efficients de la « technoscience ». Pire, ces croyances et pratiques avilissent l’humain africain et le réduisent à n’être qu’une marionnette aux mains des forces irrationnelles et invisibles[6]. Ces croyances impotentes ont plus gravement encore, dans bien des cas, induit des comportements irrationnels et immoraux[7]. Il est donc de bon ton et peut-être urgent, peut-on facilement conclure, de faire l’impasse sur le religieux et le surnaturel, si l’on veut penser le développement de l’Afrique. Mais la question du religieux et de l’invisible est-elle si définitivement incompatible avec le développement socio-économique de l’Afrique ? Peut-on si péremptoirement écarter le spirituel de la sphère du progrès économique et de l’humanisation du continent noir ? Comment articuler le spirituel et le temporel et les intégrer dans le processus de l’avènement de « l’Homme nouveau africain », facteur inconditionnel de la renaissance africaine ? En d’autres termes, quel est l’apport du religieux dans le processus de développement du continent ? Comment articuler et conjuguer harmonieusement les forces dynamiques, objectives et universelles de la « technoscience » et les élans, en apparence rétrogrades, subjectifs et irrationnels vers le surnaturel et la quête intérieure ? Telles sont les questions auxquelles nous tâcherons de répondre et qui constitueront le propos de cet article. Dans la quête d’une mystique appropriée pour le développement de l’Afrique, nous commencerons par l’analyse des grandes articulations des religions traditionnelles africaines avant d’engager une réflexion plus marquée sur l’apport possible d’une mystique chrétienne dans le développement de l’Afrique et, surtout, sa contribution pour l’avènement de l’Homme nouveau, agent principal et incontournable du développement du continent.

1. La mystique des religions traditionnelles africaines

Les religions traditionnelles africaines ont structuré et conditionné la vie sociale, politique et éthique de l’Afrique, avant l’avènement des religions instituées. Elles étaient le ciment, le lieu d’harmonisation du corps social. La relation à la transcendance avait une traduction morale et éthique dans la fruste quotidienneté. La conséquence éthique de la relation avec la ou les divinités reposait sur un ensemble de croyances, elles-mêmes traduites en des cultes et des rites, favorisant la relation au transcendant. La plénitude d’être était au bout d’une probité morale et d’une soumission à l’ordre surnaturel. Les religions traditionnelles africaines favorisaient une réalisation pleine et holistique de la personne humaine, du moins dans ses ambitions.

[Elles] représentent pour l’homme qui la vit et pour sa société, un ordre à la fois de légitimation en tant qu’elle détermine une manière particulière de penser la vie, un ordre de signification, en tant qu’elle propose des valeurs et un ordre de régulation, en tant qu’elle est normative. Ainsi, la religion est censée fonder toute l’organisation sociale, pénétrer tous les secteurs de la vie de l’homme et lui tracer le chemin en vue de son épanouissement plénier.

Mundaya 1994, 158

Les religions traditionnelles africaines constituaient de toute évidence le socle de la vie du Négro-Africain. La religion était l’étalon d’évaluation de son insertion dans le tissu sociopolitique, ainsi que la norme de régulation de ses comportements. La quête permanente du transcendant donne à sa vie un caractère sacral et sacré, renforcé par le caractère fondamentalement immanent de cette transcendance. L’immanence de la transcendance se manifeste dans les médiations. Les chaînons inférieurs du divin : les ancêtres, les esprits supérieurs et les vivants pourvus d’autorité ont pour rôle de conduire au transcendant et de le rendre moins inaccessible et plus efficient. Vincent Mulago[8] a plus que quiconque mis en lumière ce rôle harmonisant et structurant des religions traditionnelles africaines. Il montre, sur la base d’études approfondies, que ces religions ne négligent aucun aspect de la vie humaine. Pour lui, les religions traditionnelles africaines promeuvent l’union vitale et constituent des lieux de cohésion et d’équilibre du sujet. L’union vitale est à comprendre comme « une relation d’être et de vie de chacun avec ses descendants, sa famille, ses frères et ses soeurs de clan, son ascendance et avec Dieu, source ultime de vie, et une relation ontique analogue de chacun avec son patrimoine, son fonds, avec ce qu’il contient ou produit, avec ce qui y croit et y vit » (Mulago 1979, 44). Ainsi, dans la vie du Négro-Africain des religions traditionnelles, le profane et le sacré s’imbriquent et se confondent. La religion imprègne toute sa vie et conditionne son existence. Il n’existe pas un ailleurs de la foi autrement que dans le concret historique des sujets. Ces sujets sont insérés dans une famille et un clan, eux aussi structurés par le religieux et le sacré. Le transcendant, le groupe d’appartenance et le sujet sont réduits à ne former qu’un tout. Dans le sujet individuel concret se trouve l’ensemble. Aucun élément de la triade n’est détachable du reste. Dans une telle configuration, l’invisible se confond avec le visible. Ceci fait dire à Elungu que « le sacré de nos sagesses traditionnelles, leur certitude centrale n’est ni l’homme, ni la nature, ni même Dieu, mais tout cela appréhendé du point de vue de la vie concrète individuelle qui est aussi essentiellement la vie du clan, en liaison immédiate avec le visible et l’invisible » (Elungu 1979, 92). Mundaya résume pertinemment cette vision holistique, globalisante et structurante des religions traditionnelles africaines, en ces termes :

Toute la vie est placée sous le signe de la transcendance, de sorte que l’organisation sociale, politique et économique reste en relation avec les systèmes de croyances et de représentations religieuses, les techniques comme celles du forgeron, du tisserand, du paysan, toutes les activités : cueillette, pêche, chasse, agriculture, élevage, artisanat sont liés à des croyances et des pratiques religieuses. De même, les fonctions sociales du prêtre-devin, du magicien, du guérisseur, du Père ou de la mère de famille sont régies par ces mêmes croyances et pratiques. La religion est donc le milieu nourricier des civilisations africaines, le fondement des certitudes sociales qui ne sont pas seulement de l’ordre du pensé ou du compris, mais procèdent aussi de l’expérience vécue au point de s’imprimer dans le corps, dans l’affectivité, dans tout l’être de l’Africain.

Mundaya 1994, 159

Les religions traditionnelles, dans leur terreau primitif, travaillaient au bonheur de l’être humain, en l’insérant dans une harmonie équilibrante avec la nature, le clan et la transcendance. La réconciliation avec le tout conditionnait sa stabilité et son progrès psychique, humain et spirituel. Les crises et les angoisses existentielles dans ce registre sont moins fréquentes ou plutôt inexistantes, puisque l’individu est en harmonie avec le grand tout, ce qui rend difficile la faille ontologique très souvent liée aux ruptures entre les instances de la personne humaine. Du fait de son adhésion par la foi à la transcendance, il réalise son équilibre spirituel. Par l’harmonie qu’il entretient avec le clan ou la famille, il garantit son équilibre humain et par sa symbiose avec la nature, il stabilise son équilibre et assure son bien-être physique par un respect de sa mère nourricière. Mais, aussi mirobolant et idéalisant que soient les points d’équilibre énumérés, force est de constater que la configuration générale des religions traditionnelles africaines, telle que mise en lumière ci-dessus, peut difficilement éviter cinq écueils incompatibles avec le surgissement de l’Homme nouveau. Il s’agit de : l’utilitarisme, la non-objectivation de la nature, la sacralisation du pouvoir, le grégarisme et, plus sérieusement, l’éclipse de la subjectivité.

1.1 L’écueil de l’utilitarisme

Les religions traditionnelles africaines dérivent d’un orageux désir de survie et se situent dans la droite ligne d’un utilitarisme invétéré qu’impose la nécessaire harmonie. Le fonctionnel est le principe des valeurs, tant sur les plans cognitif que pragmatique. Les rites cultuels sont pensés pour garder l’individu dans l’équilibre avec la triade Dieu-nature-clan. Les cultes traditionnels s’appuient sur des croyances qui personnifient la nature et rendent efficients les ancêtres et les esprits par-delà la mort. La transcendance déploie ses faveurs en fonction des sacrifices et des libations qui lui sont offerts. Une telle religion attend de la nature, du clan, des ancêtres, des esprits et de Dieu la sécurité sanitaire, matérielle, psychique et spirituelle. Aucune gratuité n’est au coeur de la démarche religieuse. Le sujet doit sans cesse quêter un bien-être entièrement et radicalement subordonné à une relation utilitariste avec les forces naturelles ou surnaturelles. L’affirmation de Mundaya ne manque pas de clarté :

Du point de vue de la vie concrète et pratique de chaque jour, les croyances et pratiques religieuses offrent une garantie de l’existence. Pour se protéger d’un cas de malveillance, pour avoir de la chance dans ses entreprises, ou du succès dans la vie, pour obtenir guérison contre une maladie, pour éviter ou vaincre la stérilité, etc., le Négro-africain sait quels rites et pratiques accomplir ou qui il faut consulter (devin, féticheur, guérisseur…). Rien dans sa vie ne peut être sans solution.

Mundaya 1994, 160

Nous sommes ici au coeur d’une mystique religieuse utilitariste qui ne peut s’exprimer qu’en fonction du besoin immédiat et temporel du sujet. Le spirituel est entièrement subordonné au temporel. Il est au service d’un être d’instincts et de désirs, limité dans la temporalité. L’immanente transcendance réduit l’horizon d’une éternité qui élèverait le sujet et le projetterait au-dessus de l’harmonie sensible. La supra-harmonie, qui consiste dans la béatitude après la mort, est évoquée dans les croyances des religions africaines. Il s’agit du monde bienheureux des ancêtres, qui ont été des êtres d’une certaine probité morale. Ceci est limité aux croyances. Le culte ne prévoit aucunement des rites pour acquérir cette probité. Les vivants ont essentiellement une relation temporellement et très souvent matériellement intéressée avec les ancêtres, les esprits et Dieu. De sorte que l’on peut affirmer sans ambages que la quête de survie explique et structure les religions traditionnelles africaines. Le sujet réalise son projet immédiat qui consiste dans l’équilibre avec les harmoniques du bonheur qu’exige son contexte social. Il n’envisage pas ou très peu la question de la supra-harmonie que peut lui rappeler l’ardeur de la force vitale qui l’anime. Le sujet est situé et limité. Il vit moins dans la perspective de l’éternité et privilégie l’horizon immédiat d’un bien-être palpable et concret. Cette exigence religieuse pourrait réduire à terme les capacités du sujet à se projeter dans un avenir conséquent, même pour des projets temporels d’ordre économique, social ou politique. Le hic et nunc peut aisément régir les actes quotidiens et paralyser les facultés d’imagination et d’inventivité du sujet.

1.2 L’écueil de la non-objectivation de la nature

La transcendance-immanence débouche également sur une autre conséquence non moins inquiétante. Il s’agit de la diffraction du divin dans le réel et la perte de l’objectivation de la nature qui est à l’origine de tout développement. On assistera donc à un univers sacral ou sacré qui échappe à la distinction sujet-objet, distinction au fondement de la transformation de la matière. Le sujet vit empathiquement avec la nature et se soumet servilement à la transcendance, elle-même diffractée dans la matière. Le sujet, la transcendance, la nature et les ancêtres ne font qu’un. De là découle la pratique rituelle de la vénération des arbres, des rochers, des montagnes et des forêts sacrés, qui sont par excellence les lieux de l’épiphanie du divin et de la présence des ancêtres. C’est ainsi que se comprend le célèbre poème « souffles » de Birago Diop (1960) dont voici un extrait :

Ecoute plus souvent

Les Choses que les Etres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Ecoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots :

C’est le Souffle des Ancêtres morts,

Qui ne sont pas partis

Qui ne sont pas sous la Terre

Qui ne sont pas morts

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit,

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans l’Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :

Les Morts ne sont pas morts.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans le Sein de la Femme,

Ils sont dans l’Enfant qui vagit

Et dans le Tison qui s’enflamme.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans le Feu qui s’éteint,

Ils sont dans les Herbes qui pleurent,

Ils sont dans le Rocher qui geint,

Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,

Les Morts ne sont pas morts.

Une telle spiritualité, dans son souci de cohésion de l’être, dans sa frénésie pour l’harmonie du divin et de l’humain, de la nature et de la surnature, du spirituel et du temporel, met à mal le principe premier de la science qui est l’autonomie des réalités et leur objectivation. L’incompatibilité semble irréductible entre la sacralisation-déification de la nature et les principes de la science et de la technique. L’ouverture à la temporalité qu’offre la mystique des religions traditionnelles africaines n’aboutit pas à l’autonomie du temporel, qui est l’immédiate condition d’un développement économique basé sur la transformation de la matière. L’imbrication inextricable du divin et de l’humain, de la nature et de la surnature, ne permet simplement pas la distanciation transformatrice au coeur de tout développement, même si elle corrige par certains côtés la perspective irrespectueuse et destructrice de la nature qu’offre le spectacle désolant des catastrophes écologiques à répétions, générées par la course au profit et le fléau consumériste occidental.

1.3 L’écueil de la sacralisation du pouvoir

La sacralisation des réalités temporelles au coeur des religions africaines a, comme conséquence politique, la sacralisation du pouvoir. Le chef traditionnel qui très souvent cumule la fonction de prêtre est déifié et exerce ses fonctions à vie. Aucune perspective démocratique n’est à envisager, et tout contre-pouvoir est considéré comme malsain pour le corps social, et doit être éradiqué. Son pouvoir est d’ordre divin, donc éternel. Il a droit de vie et de mort sur ses sujets. Le monolithisme devient le facteur primordial de la stabilité politique et sociale. La peur et la terreur imposent la paix des cimetières. La « thanatocratie » régit la vie politique et sociale. Doit-on voir dans cette sacralisation du pouvoir l’origine de la léthargie légendaire du continent africain à embrasser les principes démocratiques de gouvernement ? Tout porte à le croire. Ici, le sujet qui se sait assujetti par un pouvoir sacré, contre lequel il est impuissant, entre dans un défaitisme caractérisé et, plus grave, intériorise le complexe du dominé et de l’esclave. Il se déresponsabilise et démissionne devant la prise en charge de son destin et, ce faisant, laisse passivement prospérer les pouvoirs autocratiques et sanguinaires.

1.4 L’écueil du grégarisme

Du fait de la fusion de l’individu dans l’équilibrante harmonie, et à cause de ce lien grégaire et étroit qu’il entretient avec l’ensemble du clan, les individualités disparaissent progressivement au profit de l’irréductible communautarisme qui régit tant la conscience que l’agir des individus. L’autonomie du sujet ainsi que sa liberté se trouvent compromises. Il ne se définit et ne se pense que par rapport au tissu communautaire, clanique et familial. La communauté définit et trace sa weltanschauung. Les individus sont appelés à se soumettre aux impératifs claniques, même irrationnels. On comprend ici très aisément l’irrationalité foncière du tribalisme, qui rend inapte toute construction sociale à l’échelle politique. La pression clanique et tribale annihile la capacité de l’individu à s’ouvrir à l’universel et obstrue sa faculté de jugement. Son discernement est constamment biaisé par l’exigence de la protection et de la sauvegarde du groupe. Cette réalité se traduit par des choix politiques sans consistance, sinon une consistance tribale. Les programmes politiques, même les plus pertinents, n’ont aucune valeur devant l’impératif tribal de gestion de la chose publique. Les luttes claniques pour la gestion du pouvoir, très fréquentes en Afrique, sont des traductions de cette vérité.

Le grégarisme est aussi perceptible dans la gestion des biens individuels. L’individu n’a pas le droit de connaître une prospérité matérielle, s’il ne peut y entraîner l’ensemble de la famille ou du clan. Parce que la prospérité est solidaire, le parasitisme de l’immense majorité des membres de la famille ou du clan réduit à néant les efforts parfois titanesques des individus pour assurer leur survie, au coeur d’un univers économique féroce. Bien malheureux sera celui qui, au coeur d’une famille, sera le seul à pouvoir gagner sa vie !

1.5 L’écueil de l’éclipse de la subjectivité

L’évolution de l’individu dans un univers grégaire, assujetti à la nature, au clan et aux esprits, peut entraîner la fâcheuse conséquence de l’éclipse de la subjectivité. Le sujet est pris dans l’étau d’un univers où il ne peut s’épanouir qu’en dépendance exclusive aux forces hétérogènes. Ses aspirations profondes sont voilées et étouffées sous le diktat de la triade nature-clan-divinité. Il devient l’instrument, l’objet des déterminations extérieures et peut même servir de simple objet de sacrifice sur l’autel de la survie du clan ou de la divinité. Le vodu[9], religion du Dahomey, actuel Bénin, illustre aisément nos propos. Les croyances et rites vodu ont essentiellement pour fonction d’attirer les faveurs des divinités pour s’assurer une vie harmonieuse et heureuse. Certaines de ces divinités sont très souvent d’une grande cruauté et réclament du sang. D’où la grande propension aux sacrifices rituels dans cette religion. Ces divinités sont réparties en catégories hiérarchiques avec, à leur tête, l’inaccessible Mahou. Ces divinités se manifestent dans les forces de la nature comme la mer, la terre le feu ou la foudre. Hevieso est le dieu de la foudre, Sapata est le dieu de la terre. L’être humain essaie tout au long de sa vie de se concilier toutes ces divinités et forces de la nature. Il vit sans cesse dans un régime de terreur. Les humains sont à leur merci et elles ne sont apaisées que par le sang. Le sujet, s’il survit à la pression clanique et familiale, disparaît devant la divinité. La pléthore de sacrifices, dans ces religions, atteint son apogée dans le sacrifice d’un enfant impubère pour empêcher que la divinité de la mort n’ôte la vie du roi. Cette pratique rituelle magique est relatée par Adoukonou (1980 ; cité dans Awasi 2002, 105).

Dans un tel contexte, la survie de l’individu est très faiblement fonction de ses virtualités et de ses ressources endogènes. Il semble incapable d’autodétermination et s’en remet au bon vouloir des forces qui régissent la nature. L’imprégnation religieuse de la sphère humaine peut entraîner le risque de dédouaner l’homme de ses responsabilités et d’inscrire son destin dans le tourbillon des forces transcendantes et irrationnelles. La crise anthropologique, caractéristique de l’Afrique dont a parlé Engelbert Mveng, peut trouver ici un écho important[10].

La libération anthropologique de l’homme noir n’est pas synonyme, bien entendu, de son refus de la transcendance. Il ne s’agit pas de professer un athéisme latent ou militant, pour réhabiliter et sauvegarder l’autonomie du sujet. Il ne s’agit pas pour celui-ci de se positionner loin de toute exigence de donation et d’adoration. Mais bien d’adhérer, de se donner et d’adorer une transcendance qui le fait exister, qui l’élève, le restaure et l’humanise. Les divinités des croyances des religions traditionnelles africaines devront correspondre à ces impératifs, pour que le sujet africain quitte la peur morbide de l’invisible et accepte d’exister comme sujet libre, opérant des choix responsables, sous le regard et avec le secours de la bienveillante transcendance.

Par-delà les écueils, les religions traditionnelles africaines disposent d’énormes atouts, propices au développement intégral du continent noir et au surgissement de l’Homme nouveau. Ces atouts se résument dans la puissance de ses symboles, dans la non-dissociation de l’ordre symbolique et spirituel de l’existence humaine concrète, et dans le principe de solidarité que génère une telle épistémologie.

1.6 L’atout et la puissance des symboles

Le symbolisme est constitutif des religions traditionnelles africaines et, partant, de toute la culture africaine qu’aucun projet de développement ne saurait occulter. Ce faisant, il devient impossible de penser le développement de l’Afrique sans une prise en compte radicale de tout l’univers symbolique africain, héritage des religions traditionnelles africaines. Selon l’éminent théologien et sociologue Jean-Marc Ela, « La civilisation africaine est une civilisation du symbole » (Ela 2009, 59). Le symbolisme régule la vie de l’individu dans sa relation avec l’altérité, la nature et la transcendance. Car, dit Jean-Marc Ela,

Dans la mesure où le rapport de l’homme à l’homme, de l’homme à la nature passe par l’invisible qui constitue le lieu symbolique où toute réalité peut advenir à un sens, le vrai réel est invisible et le visible n’est qu’apparence : tout est symbole. L’Africain vit ainsi dans une « forêt de symboles », mode privilégié de sa relation à l’univers.

Ela 2009, 59

De ce recours permanent au symbole découlent deux atouts majeurs, pour le nouveau sujet africain et son développement : la structuration de sa personnalité sur la base d’une identité forte et stable, et la question du sens, indissociable de toute problématique liée au développement.

1.6.1 La question de l’identité

L’on sait que la question de l’identité africaine aujourd’hui fait encore couler beaucoup d’encre et de salive. La crise ontologique profonde du sujet africain n’est plus à démontrer. Elle est liée à sa douloureuse et humiliante histoire, au contact de la civilisation occidentale : traite et colonisation ont imprimé en lui le complexe du dominé, l’ont éloigné de l’estime de soi et l’ont handicapé dans le processus d’affirmation de soi, sur l’échiquier de la planète et des civilisations. Ses efforts titanesques pour s’élever au-dessus de ces humiliations sont sans cesse réduits à néant par les atavismes idéologiques de type raciste et la spirale infernale d’une mondialisation marchande et centrifuge qui l’a propulsé bien loin de la périphérie, le contraignant à s’identifier aux nouveaux modèles de sujets et de développements, loin de ce que fut jadis son mode d’appréhension de la réalité. Or, l’on sait qu’il n’y a pas de développement véritable sans une assise identitaire forte qui n’empêche pas l’ouverture aux autres réalités, mais qui reste au-delà de tous les changements, donnant au sujet d’être sujet, lui définissant son ipséité. Le sujet africain est parfois en crise, du fait de cette absence d’identité. Déchiré entre les exigences d’une modernité de plus en plus contraignante, qui donne l’illusion d’être incontournable, et les valeurs fondamentales de sa culture, il est perpétuellement en dissonance, et son identité mouvante va d’une valeur à une autre en fonction des nécessités, sans qu’il parvienne à s’établir dans la vérité au sujet de son être. Or, le symbolisme récurrent des religions traditionnelles africaines, qui a fortement imprégné la culture du continent, a ceci d’édifiant qu’il est un système de représentations que seul peut comprendre et vivre le membre du groupe structuré par ces représentations. La question de l’initiation devient ici capitale, puisqu’elle est le lieu du surgissement de l’identité. La conscience d’appartenir à un groupe structuré par un système symbolique forge indéniablement une identité au sujet qui y adhère. Cette identité s’acquiert par l’initiation à ce monde symbolique. L’identité stable du sujet ainsi acquise lui permet d’entrer dans une équilibrante harmonie avec les autres, la nature et Dieu. Cet équilibre est indispensable à tout processus de développement véritable. Le système symbolique des religions traditionnelles africaines peut contribuer à forger une identité africaine stable.

1.6.2 La question du sens

L’ordre symbolique est généré et porté par la question du sens. Les réalités apparentes renvoient à des réalités non apparentes, cachées par le sens. Les réalités visibles renvoient aux invisibles et les invisibles se donnent à contempler dans les visibles, moyennant l’herméneutique inhérente à l’ordre symbolique. Le tout n’est donc pas de percevoir et d’appréhender une réalité telle qu’elle se donne, mais de lui trouver le sens sans lequel la réalité en question se dissout dans le néant. Quand il s’agira du développement, cette quête de sens liée à l’ordre symbolique permettra d’éviter l’absolutisation des biens de consommation, fléau le plus destructeur du développement économique selon les critères actuels. Le capitalisme marchand est guidé par la course au profit, un profit qui trouve sa finalité en lui-même et exclut ainsi une frange importante de la population mondiale des biens de la terre. La logique exclusiviste et consumériste de l’ordre économique néolibéral signera sans aucun doute sa perte. La question du sens ne peut être dissociée de celle du développement. Sinon, le sujet ne sera plus qu’une valeur marchande, au coeur d’un système économique totalitaire qui aura déifié l’argent et conduit le sujet à l’adorer. La spéculation financière et les crises bancaires à répétition en sont d’irréfragables illustrations. La quête de sens qui est au coeur des religions traditionnelles africaines et de la culture africaine dans son ensemble peut lui permettre d’éviter ce fléau, et le sujet africain pourra ainsi donner à l’acquisition des biens visibles son sens véritable qui est le bien-être de l’humain et l’action de grâces à Dieu, source de tout bien.

1.7 L’atout de la non-dissociation du spirituel et du temporel

La question de la non-dissociation du spirituel et du temporel est étroitement liée à celle du sens. Ici, le temporel ne trouve de sens que dans le spirituel. Les deux réalités se rencontrent et s’imbriquent en vue d’une seule et même finalité : l’élévation de l’humain au-dessus des vicissitudes de l’instinct. Dans l’unique prise en compte du temporel, celui-ci est soumis au diktat de l’instinct. Incapable de se projeter dans un au-delà de l’immédiat, il subit les lois récurrentes de l’inconditionnelle satisfaction du désir. L’imbrication du spirituel et du temporel inhérente aux religions traditionnelles africaines permettra au sujet africain de se projeter dans un au-delà de sens et des valeurs éternelles, s’il évite le piège de l’instrumentalisation de l’invisible en vue de la satisfaction des nécessités immédiates de son existence, écueil que nous avons relevé plus haut. Les réalités éphémères d’une existence terrestre le renverront et le situeront plus profondément à leur source, dans les biens invisibles et éternels auxquels il aspire.

En outre, cette imbrication du temporel et du spirituel donnera au sujet africain un regard nouveau sur la nature. Si la nature est habitée et dispose d’une âme, elle ne peut être saccagée et détruite, comme ce que nous offre à l’heure actuelle la plus grave et désastreuse crise écologique que l’humanité ait connue. Le salut de l’humanité étant étroitement lié à la sauvegarde de la nature, une mystique du respect de la nature qu’offrent les religions traditionnelles africaines devra être au coeur de la question du développement en Afrique. Il s’agit d’une question cruciale, liée à un enjeu de taille, celui de la survie de l’humanité.

1.8 L’atout d’une épistémologie globalisatrice

La connaissance, dans la culture africaine, se distingue radicalement d’une épistémologie occidentale marquée par la démarche cartésienne du doute et de la dissection du réel afin de mieux l’appréhender et de certifier a posteriori sa véracité. L’épistémologie africaine est englobante et synthétique, portée et structurée par un ordre symbolique. Ce faisant, tout est dans le tout, et la pensée ne se déploie que sur un mode solidaire. Ainsi, la perception du réel renvoie à une infinie variété de symboles et de subjectivités, qui rend inapte toute tentative d’évolution en vase clos. La question de la solidarité devient alors le coeur du développement. Il n’est pas à penser un développement qui ne soit collectif. L’ascension sociale d’un sujet devrait entraîner celle des autres, à condition que la mentalité parasitaire soit expurgée. Cette solidarité rejoint toutes les autres instances de la vie. La solidarité du sujet avec la nature, les autres et Dieu. La légendaire hospitalité africaine et son sens de solidarité jadis appréciés trouvent partiellement ici une explication.

En définitive, de nombreux aspects des religions traditionnelles africaines ont contribué à l’harmonie et à l’équilibre des peuples noirs. L’intuition première et radicale de l’existence et de l’action de Dieu, dans le cours de l’histoire humaine, la forte propension à la solidarité générée par cette foi ainsi que le respect de la nature, demeurent déterminants pour une herméneutique et une inculturation de l’Évangile de Jésus Christ, de même qu’ils constituent des lieux théologiques d’envergure. Mais il est juste de reconnaître qu’aux côtés de ces atouts majeurs, de graves dysfonctionnements subsistent et appellent à l’examen de ce que l’on peut tirer de la mystique chrétienne. Car l’on ne peut, sans purification préalable, fonder le développement de l’Afrique sur la base d’une mystique des religions traditionnelles africaines. Il nous reste à chercher ce que l’on peut tirer du christianisme.

2. La mystique des confessions chrétiennes

Il ne sera pas question ici de présenter exhaustivement les grands axes de la spiritualité chrétienne, mais de penser une théologie mystique qui serait en adéquation avec l’impératif de développement sociopolitique et économique de l’Afrique. Comme nous l’avons souligné, tout porte à croire que l’Afrique posséderait à l’heure actuelle les plus importants gisements spirituels de la planète. Au coeur de ces gisements, figure en bonne place le christianisme exploré et adapté de différentes manières, selon différents procédés, parfois sans respect du message originel. Des syncrétismes sont nés, en conformité avec le besoin africain de vivre le message évangélique sur la base de son histoire, de sa culture et de ses impératifs de survie, dans un contexte où les forces transcendantes prennent soin du quotidien de l’humain et assure son harmonie. Jésus, le Fils de Dieu révélé, devient à certains endroits le féticheur, le guérisseur ou le proto-ancêtre, en fonction de la nécessité utilitariste d’une inculturation de folklore, qui voudrait immerger le divin dans l’espace-temps en lui faisant jouer le rôle d’un garçon de course, sur l’arrière-fond à peine mitigé des croyances des religions traditionnelles africaines. Nous nous écartons définitivement de cette perspective.

De même, nous posons d’emblée — sans besoin de démonstration, car ne constituant pas notre propos — les limites non seulement théologiques, mais simplement de bon sens à l’inflation d’une théologie de la prospérité, qui fleurit en Afrique aujourd’hui. Nous voulons trouver ce qui dans le substrat de la spiritualité chrétienne aide à façonner l’Homme nouveau et attendu pour que l’Afrique se relève. Les tentacules d’une mondialisation religieuse, avec son pan syncrétique, tentent aujourd’hui, sur le continent africain, d’étouffer l’originalité du message de l’Évangile que le Christ sauveur apporte à l’humanité. Une mystique, chrétienne à la source, entrevoit une éternité par-delà le temps, articule harmonieusement dans une relation complémentaire et interactive l’ordre temporel et l’ordre spirituel. Elle est mystique de communion et non d’asservissement, qu’elle soit vis-à-vis des hommes de la nature ou de Dieu. Vis-à-vis de Dieu, la communion peut déboucher sur une transformation radicale du sujet qui, imprégné du divin, devient théophore et théoforme sans cesser d’être créature. Et nous voici devant le sujet attendu : l’Homme nouveau, qui ne peut se contenter d’être un « homme éthique » (parce qu’incapable par lui-même) et qui doit, pour sa pleine humanisation, devenir « homme spirituel ». En adaptant la célèbre déclaration de Malraux à notre propos, nous pouvons affirmer que l’Homme nouveau africain sera spirituel ou ne sera pas. Essayons de le démontrer. Mais auparavant, présentons les spécificités marquantes de la mystique chrétienne.

2.1 L’éternité est l’horizon de la mystique chrétienne

Que votre coeur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père : sinon vous aurais-je dit que j’irai vous préparer le lieu où vous serez ? Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi.

Jean 14,1-3

Les notes de l’apparat critique des traducteurs de la TOB, dans sa version intégrale, sont assez précises pour éviter toute ambiguïté. Elles coupent court à tout débat sur les sens du terme « maison » et de la phrase de la seconde partie du 2e verset : « sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? » Reprenons-les in extenso :

La maison étant le lieu où l’on réside de façon stable, l’expression avait été appliquée au temple qui était le lieu de la présence de Dieu au milieu de son peuple (Ex 33,7. 40, 34-38 ; Nb 12,7 ; 2S7, 13-14 ; Ps 69,10). L’image fut ensuite utilisée pour désigner la transcendance de l’existence divine : on dira symboliquement que la maison de Dieu est établie dans les cieux.

Quant au verset 2b, les traducteurs précisent : « Par son passage dans la gloire, Jésus va assurer à tous les croyants la possibilité de s’établir pour toujours dans la communion du Père, dans la vie nouvelle ». Aucun doute désormais sur le caractère transitoire des réalités créées et visibles, sur leur simple médiation vers les fins éternelles auxquelles l’être humain est destiné. À ce stade, l’articulation du spirituel et du temporel se déploie dans une logique de subordination du second règne au premier. Le temporel suit la courbe contrastée de l’ellipse qui disparaît dans l’éternité. Ici, les réflexions sur les enjeux économiques, politiques et sociaux dépasseront l’individu pris isolément avec ses désirs primitifs, tout comme elles transcenderont l’immédiateté et la trivialité d’une mentalité magique. Ces réflexions s’inscriront nécessairement dans la perspective de la gestion du bien commun et se projetteront dans des projets à très long terme, ceci pour en faire profiter de nombreuses générations dans l’avenir. La force propulsive de l’éternité extrait l’individu de la propension rétrograde à l’assouvissement de l’instinct et brise l’irrépressible force du hic et nunc. Son univers est celui des autres, et le divin l’aide à les servir. Le bien commun est au coeur de la spiritualité chrétienne et l’altruisme lui sert de support. Cet altruisme, à son tour, a comme support l’éternité. Dans cette configuration, le développement évite, d’une part, la mauvaise gestion du bien commun et, d’autre part, il se déploie dans des projets à long terme, avec à la clé le bien-être sécurisé pour les générations futures. Malheureusement, l’Afrique offre le désolant spectacle de politiques résolument ventriloques, limitées dans l’étau de l’assouvissement instinctif, clanique ou familial. D’où les nombreux détournements de fonds et la politique des prébendes qui ont ruiné la crédibilité morale et éthique de nombreux pays africains, toujours en tête de liste des pays les plus corrompus de la planète.

Une mystique des réalités éternelles a un triple avantage. D’une part, elle contribue à sortir l’Africain de l’idée que le bonheur réside dans l’assouvissement inconditionnel des biens temporels, ce qui pourra l’amener à prendre ses distances par rapport aux pratiques occultes et magiques d’acquisition des biens, que vendent à tour de bras guérisseurs, marabouts, sorciers et charlatans, le dispensant de l’effort et de l’ascèse nécessaires à tout développement individuel et collectif. Cette mystique des réalités éternelles peut aider à éloigner les ombres du nombrilisme et graver en lui la perspective du bien commun, au coeur de tout progrès social. Jacques Maritain nous aide à préciser que ce bien commun, qui est à la fois matériel et éthique, requiert une constante subordination du matériel à l’ordre moral, avec en vue le bonheur supra-temporel de l’individu. Il écrit :

Ce bien commun temporel n’est pas fin ultime ; il est ordonné à quelque chose de meilleur ; le bien intemporel de la personne, la conquête de sa perfection et de sa liberté spirituelle. C’est pourquoi la juste conception du régime temporel a un second caractère, elle est personnaliste. J’entends par là qu’il est essentiel au bien commun temporel de respecter et de servir les fins supra-temporelles de la personne humaine. En d’autres termes, le bien commun temporel est fin intermédiaire ou infravalente. Il a sa spécification propre, par où il se distingue de la fin dernière et des intérêts éternels de la personne humaine ; mais dans sa spécification même est enveloppée sa subordination à cette fin et à ces intérêts, dont il reçoit ses maîtresses mesures ; il a sa consistance propre et sa bonté propre, mais précisément à condition de reconnaitre cette subordination et de ne pas s’ériger en bien absolu.

Maritain 2000, 140

La mystique des réalités éternelles a comme second avantage de favoriser l’entrée de l’esprit dans l’espace de l’infiniment grand et de décupler sa force imaginative et créatrice. Penser en termes d’éternité dégage l’esprit de l’étroitesse de vue caractéristique des politiques sans envergure qui ont contribué au marasme politico-économique de l’Afrique. La perspective des réalités infinies et éternelles nous met devant notre finitude et nous révèle que nous n’oeuvrons pas nécessairement pour jouir dans l’immédiat du fruit de nos efforts, et que par conséquent nos projets de développement devront nécessairement tenir compte des générations futures. En nous situant dans les limites d’une humanité marquée par la finitude, la mystique des réalités éternelles nous rappelle notre condition « pérégrinante » et nous inscrit dans la tension de l’espérance qui n’a pas pour finalité la cité terrestre, mais le Royaume éternel, lieu de l’accomplissement de toutes choses et de la vision béatifique. La condition pérégrinante du sujet lui rappelle que les biens visibles ne peuvent assouvir son immense soif de plénitude. Il réalise alors que rien de ce qui est fini ne peut le combler. Il comprend que la logique du consumérisme a quelque chose de mensonger et que le lieu du bonheur n’est pas l’inconditionnelle satisfaction des besoins matériels ni même la rage libertaire, mais bien l’adhésion à l’espérance, à l’infini de l’amour. Décrivant le drame d’une société permissive et libertaire, le cardinal Ratzinger écrivait :

Maintenant que l’on a pleinement savouré les promesses de la liberté illimitée, nous commençons à comprendre à nouveau l’expression « tristesse de ce monde ». Les plaisirs interdits perdirent leur attrait dès l’instant où ils ne furent plus interdits. Même poussés à l’extrême et indéfiniment renouvelés, ils semblent fades, parce qu’ils sont tous finis et qu’il y a en nous une faim d’infini. Aussi voyons-nous aujourd’hui dans le visage des jeunes gens une étrange amertume. La racine la plus profonde de cette tristesse c’est l’absence d’une grande espérance et l’inaccessibilité du grand Amour. Tout ce qu’on peut espérer est connu, et tous les amours sont l’objet d’une déception due à la finitude d’un monde où les formidables succédanés ne sont que le piètre masque d’un désespoir abyssal.

Ratzinger 2005, 87

Le caractère pérégrinant de l’humain situe la cité terrestre dans une autonomie relative. L’Homme nouveau, imprégné de la mystique de l’éternité, échappera à la logique utilitariste de l’immédiateté et de l’instant, pour embrasser sa véritable destinée qui est supra-temporelle. Maritain renchérit :

Cette cité est une société non pas de gens installés dans des demeures définitives, mais de gens en route. C’est là ce qu’on pourrait appeler une conception pérégrinale de la cité. Le besoin paradoxal d’un être attiré par le néant de passer au surhumain, fait qu’il n’y a pas pour l’homme d’équilibre statique, mais seulement un équilibre de tension et de mouvement.

Maritain 2000, 143

Cela déterminera l’esprit chrétien, au coeur du continent, à s’engager résolument dans la transformation sociale, loin de tout esprit de résignation et de défaitisme. Il ne prendra pas prétexte du caractère transitoire de la cité terrestre pour fuir l’impératif de lutte contre les injustices et les maux qui minent le monde. C’est la cité terrestre qui prépare la cité future. Car :

Le chrétien à vrai dire n’est jamais résigné. Sa conception de la cité vise de soi un aménagement de la vallée de larmes procurant un bonheur terrestre, relatif, mais réel, de la multitude assemblée ; une structure bonne et vivable de l’existence du tout, un état de justice, de prospérité et d’amitié, rendant possible à chaque personne l’accomplissement de sa destinée.

Maritain 2000, 145

Cette destinée ne s’achève aucunement dans le temps, et les lueurs du progrès technique et la civilisation de consommation ne peuvent l’accomplir. Le sujet comprend alors le sens véritable du développement, que les nombreuses encycliques des papes ont rappelé, depuis Populorum progressio jusqu’à Caritas in veritate. Jean-Paul II écrivait, en 1987 :

La conception « économique » ou « économiste » liée au vocable développement, est entrée elle-même en crise. Effectivement, on comprend mieux aujourd’hui que la pure accumulation des biens et de services, même en faveur du plus grand nombre, ne suffit pas pour réaliser le bonheur humain. Et par suite, la disponibilité des multiples avantages réels apportés ces derniers temps par la science et la technique, y compris l’informatique, ne comporte pas non plus la libération par rapport à toute forme d’esclavage. L’expérience des années les plus récentes démontre au contraire que, si toute la masse des ressources et des potentialités mises à la disposition de l’homme n’est pas régie selon une intention morale et une orientation vers le vrai bien du genre humain, elle se retourne facilement contre lui pour l’opprimer.

Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, §28

Le travers hédoniste de l’homme est ici épinglé. Jouant sur cette disposition humaine, surtout dans un contexte de clochardisation des masses, de misère rampante et indescriptible comme celui de l’Afrique, les sectes chrétiennes évangéliques et pentecôtistes développent aujourd’hui sur le continent des théologies absurdes qui feraient de la cité terrestre la finalité de l’homme, avec son corollaire d’instrumentalisation du divin et de la surnature à des fins de prospérité matérielle, obtenue à la faveur des prières, des jeûnes et, surtout, des offrandes faites aux gourous religieux. Ces théologies de la prospérité travaillent à l’infantilisation des masses crédules qui espèrent voir leur situation matérielle s’améliorer, au lendemain d’une prière, d’un exorcisme ou plus rapidement après une offrande faite au pasteur. C’est ainsi que beaucoup de ces prédicateurs de la prospérité bâtissent des empires financiers sur cette naïve crédulité, encouragée par des conditions de vie infrahumaines.

Le troisième avantage de la mystique des réalités éternelles réside dans la conscience qu’a le sujet de n’être qu’un simple intendant des biens qui lui sont confiés par le maître. Il travaille à faire fructifier ses talents, dans l’attente du jour des comptes. Il a conscience qu’au-dessus de lui se trouve celui qui a créé les mondes et lui a donné « la vie, le mouvement et l’être ». Il sait qu’au jour des comptes, la justice, et elle seule, triomphera, et non le népotisme. Dans une telle perspective, c’est le code éthique à sa source et le fondement qui lui est rappelé. Il est incité de ce fait à travailler sans nonchalance et à fuir les sirènes de l’inertie et de la paresse, pour ne pas s’entendre dire :

Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai pas répandu. Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers : à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents […] Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors : là seront les pleurs et les grincements de dents.

Mt 25, 26-30

La conscience qu’a le sujet d’avoir à rendre compte lui permet de construire un code éthique qui l’aide à la gestion harmonieuse des réalités terrestres et lui inspire des idéaux de justice, d’équité et de paix. Il sait que le monde évolue sous le regard de Celui qui l’a créé et qu’il ne peut se défaire de Lui sans tomber dans l’inhumanité et le chaos. Il évite de ce fait le drame du discours religieux dominant, orchestré par les sectes, au coeur du continent, discours selon lequel le monde est à la merci des forces des ténèbres qui le régissent et l’orientent irréversiblement vers le chaos. Ce faisant, la sécurité ne se trouve que dans ces groupuscules et ces Églises dites de réveil. Ce discours encourage le pernicieux afropessimisme, aux conséquences désastreuses pour l’imaginaire africain. Il ne s’agit pas, bien entendu, de remplacer ce discours « satanocratique » par un autre théocratique. Mais bien de réguler l’ordre temporel, en harmonie avec l’ordre spirituel, en sauvegardant l’autonomie des deux réalités, sous le bienveillant regard de la divine providence.

2.2 La mystique chrétienne est trinitaire

La particularité du Dieu chrétien réside dans la communion intime des trois personnes divines qui ne font qu’un. Cette réalité divine chrétienne est à plus d’un titre source d’inspiration pour le développement du continent africain et, plus encore, pour la structuration humaine, morale et spirituelle du sujet chargé de ce développement. Limitons-nous aux principes d’incommunicabilité et de circumincession qui régissent la Trinité.

2.2.1 Principe d’incommunicabilité et développement

Dans le principe d’incommunicabilité qui régit la Trinité, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont à penser dans leur différence et dans leur spécificité propres. Ce principe récuse la prépondérance de l’Un. Il postule que la différence est la médiation selon laquelle doit être pensée la vie du Dieu Unique. Les différences sont inhérentes à la réalité de Dieu. Les rôles des trois figures divines sont loin d’être interchangeables. C’est bien pour cela qu’elles se distinguent en Père, Fils et Esprit Saint. Leur manière d’être est irréductible. Le Père est Père, le Fils reste Fils, et l’Esprit aussi reste identique à lui-même. Le Père ne peut devenir le Fils et le Fils ne peut devenir le Père. C’est ce que la théologie chrétienne a désigné sous le terme « d’incommunicabilité ». Cette propriété intradivine ne signifie pas absence de communion ou de communication. La communion et la communication existent bel et bien dans les personnes divines, mais elles sont médiatisées par leur différence. Leur différence est la condition de leur communion ou de leur communication. Les différences ne sont pas à prendre ici dans le sens de la répétition du même, sinon on éviterait difficilement le piège du trithéisme. Elles sont une manière spécifique à chaque figure trinitaire de faire exister le même et unique Dieu. Les différences sont constitutives de la vie intratrinitaire et sont au contraire facteurs de communion.

Notons ici la différence d’avec les divinités des religions traditionnelles africaines. La différence est déjà inscrite au coeur du divin. Il y a déjà dans le divin une distanciation nécessaire à l’autonomie de chaque figure. Chacune des figures se déploie dans une singularité et un rôle spécifiques. La différence des personnes exclut la tyrannie de l’Un. Les personnes divines s’inscrivent dans un mutuel respect qu’exige leur différence. Il s’ensuit qu’elles ne peuvent se déployer hors d’elles-mêmes sans ce même principe de respect. La trinité économique devient alors Dieu qui respecte l’humain et sauvegarde sa liberté et son autonomie.

Une application sociopolitique de ce principe laissera à chaque individu et chaque corps social une autonomie réelle et contribuera à mettre en déroute l’actuel culte de la personnalité, présent à tous les niveaux de la vie africaine, depuis la famille jusqu’à la superstructure politique. La raison du plus fort, du plus riche, du plus influent, qui saborde le principe de subsidiarité inhérent à tout vrai développement, est une sérieuse menace pour l’Afrique. Les pouvoirs autocratiques et sanguinaires qui prospèrent en Afrique sont l’illustration de cette mystique de l’Un comprise comme négation de l’altérité et de la différence. Les principes élémentaires de la bonne gouvernance présupposent cette prise en compte de la différence et de l’autonomie. Le principe d’incommunicabilité conditionne la circumincession.

2.2.2 Principe de circumincession et développement

Vue sous l’angle des différences, la vie de Dieu n’est plus rapport à soi, dans une contemplation close. Elle est désormais ouverture, puisque chaque personne de la Trinité ne subsiste que dans son rapport aux autres personnes. Les différences ne sont donc pas dépréciatives. Elles sont au contraire facteur d’intégration et de communion. Dieu n’est plus identité à soi-même, pure contemplation de soi qui le comblerait. La perfection de Dieu n’est pas suffisance à soi-même ou absence de l’autre dans la réalisation de soi. Une idéologie de l’identité ne peut engendrer que de l’inégalité. La contemplation narcissique, comme idéal de perfection, est ici écartée et la vie divine devient communion différenciée et ouverte. Le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, le Père est dans l’Esprit et l’Esprit dans le Père, Le Fils est dans l’Esprit et l’Esprit dans le Père, de sorte qu’en chacune des personnes se retrouvent les deux autres. C’est ce que la théologie chrétienne a par ailleurs désigné sous le vocable de circumincession. Elle présuppose l’ouverture ad intra des personnes entre elles, condition de leur ouverture ad extra.

Cette possibilité d’une interprétation non narcissique et d’une ouverture ad extra est offerte par l’Esprit Saint qui, de par son rôle créateur et dynamique, brise une possible suffisance des figures du Père et du Fils, en suscitant d’autres différences. L’Esprit Saint intègre dans la communion divine ce qui n’est pas divin et réalise de ce fait l’union de la créature avec Dieu. Il est facteur d’amour et de communion, agent de la sortie de Dieu de lui-même vers les autres. L’Esprit Saint exclut donc toute interprétation narcissique de Dieu. Il est ouverture, source de communication et de partage. Les qualités inventées pour désigner le Dieu de la métaphysique ontothéologique ne conviennent pas ici. Les attributs comme « l’immutabilité » ou « l’impassibilité » militent plus pour la figure d’un Dieu enfermé dans une autocontemplation dépréciative de toute altérité, suffisance heureuse en elle-même. Ces attributs déprécient l’originalité chrétienne de la vie différenciée de Dieu, ouverte à l’humanité, ouverture qu’illustre l’Incarnation.

Sous un angle sociopolitique et économique, le principe de circumincession invite à un engagement solidaire de toutes les composantes sociopolitiques et religieuses, et à quitter la logique de l’enferment tribal ou religieux qui détériore le tissu relationnel africain et paralyse tout projet de développement. Les guerres ethniques, tribales et religieuses, au coeur de l’Afrique, ont leur origine dans une stratégie d’exclusion, ourdie par des programmes politiques qui travaillent exclusivement à l’ascension ethnique ou religieuse au détriment du mérite. Une mystique chrétienne, si elle doit aider au développement de l’Afrique, doit sans cesse rappeler que Dieu est différence et communion. Qu’aucun projet ne saurait aider au développement s’il exclut une constituante du corps social.

2.3 La mystique chrétienne est union à Dieu

La particularité de la mystique chrétienne est étroitement liée à la spécificité de la nature divine. Le Dieu chrétien se démarque tant du Dieu des religions primitives que de celui des philosophes.

Les divinités des religions primitives, même si elles se caractérisent par une certaine immanence, ne sont pas moins distantes des humains. Ceux-ci doivent constamment travailler à apaiser leur courroux. Elles ne sont pas d’emblée engagées dans une logique d’amour, mais de tolérance. Elles tolèrent l’humain, à condition que celui-ci satisfasse à ses exigences. D’où la peur et la terreur qu’elles peuvent inspirer.

Le Dieu des philosophes, quant à lui, est impersonnel dans sa substance, puisqu’il n’est qu’une idée, fruit de l’intellection humaine. Ce Dieu est un simple concept qui fige le réel pour expliquer le monde. Il est le point ultime d’explication des choses, dans un univers hiérarchiquement ordonné, régi par la loi de cause à effet. Il est l’idée qui contient toutes les choses. Il s’immobilise à la pointe verticale de la pyramide des idées construites par la raison humaine. Il est l’idée suprême et absolue sous laquelle se rangent toutes les autres, de nature et de degrés inférieurs. Le temple de ce Dieu est le cerveau humain. Par conséquent, c’est son intelligence que l’humain contemple et adore. Ce Dieu des philosophes est encore loin d’être le Dieu chrétien.

Le Dieu du christianisme est Amour. « Dieu est Amour ; qui demeure dans l’Amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jean 4,16). En se définissant comme Agapè, il ouvre la possibilité à l’être humain d’entrer en relation avec lui. Il cesse d’être le Dieu impassible et intransigeant des religions primitives pour se doter des sentiments qui sont ceux de l’humain. Il n’est plus le Dieu tapi dans l’écrin de sa majesté ou dans le mystère de son tabernacle. Il prend la condition de l’être humain et s’ouvre à lui dans la perfection de sa charité. L’humain peut désormais faire l’expérience de Dieu. Il peut désormais entrer dans le processus de divinisation qui est une caractéristique fondamentale de l’expérience spirituelle chrétienne. C’est le refrain connu de nombreux Pères de l’Église : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (Irénée de Lyon). Cette communion de l’humain avec le divin donne lieu à l’expérience mystique. Cette expérience, pour éthérée et extratemporelle qu’elle puisse paraître, a une portée temporelle d’envergure. C’est ce qu’il nous faut examiner.

La philosophie de Bergson peut être considérée comme l’illustration de cette quête de l’expérience de l’humain et du divin, à laquelle il applique le concept de « mysticité ». Dans son ouvrage, Les deux sources de la morale et de la religion, publié en 1932, Bergson explique la mysticité comme étant l’expérience fondamentale que fait une personne qui entre en communion avec le principe primordial qui l’a conduit à l’être. Ce retour au principe premier n’est pas l’oeuvre de l’intelligence, mais de l’« intuition ». L’intuition étant cette capacité spirituelle par laquelle nous coïncidons et communions avec une réalité vivante. C’est ce qui nous permet de saisir de l’intérieur une réalité. La première réalité que nous révèle l’intuition est notre propre moi. Développée, cette intuition peut nous conduire au principe premier, là où le philosophe ne peut parvenir. Seul le mystique peut y parvenir. L’expérience mystique remet profondément en cause les conditions naturelles de l’existence humaine. Parce qu’elle ouvre sur le transcendant et associe l’humanité dans une même unité, elle permet de dépasser ce que Bergson appelle la « morale close » et la « religion statique » pour entrer dans la « morale ouverte » et la « religion dynamique ».

L’expérience mystique transforme l’être de fond en comble et semble l’extraire du temps. Il vit dans une communion certaine avec le principe premier. Cette expérience, du fait de sa nature spécifique de communion avec l’invisible, est très souvent extraordinaire et peut se décliner en extases, visions, ravissement ou contemplation. De tels phénomènes sont assez inquiétants et, d’un point de vue rationnel, s’inscrivent bien plus facilement dans l’étiologie des maladies mentales, aux confins de la folie. Bien plus, le subjectivisme caractérisé de telles expériences leur enlève la possibilité de s’inscrire dans le champ de l’objectivité et de se prêter à une étude rationnelle, encore moins de participer à la transformation du monde. Ce subjectivisme est essentiellement éthéré et donc inapte à l’action. C’est justement contre cette conception de la mysticité que s’élève Bergson. Il est vrai que l’expérience mystique commence dans la solitude, par la prière ou l’oraison, et s’élève au-dessus de toutes les formes sensibles et de toutes les forces de l’imagination pour s’installer dans un repos, hors de tout langage et de toute conceptualisation. Elle est essentiellement apophatique. Mais là n’est pas, pour Bergson, l’achèvement de la vie mystique. Si la communion au divin nous fait entrevoir son Amour, elle ne nous transforme pas nécessairement en Amour. Il faudra l’action pour que cette transformation soit complète. « Le mysticisme vrai et complet, dit-il, est action » (Bergson 1932, 240). Ce sommet n’est atteint que dans le christianisme. « Le mysticisme complet est en effet celui des grands mystiques chrétiens » (Bergson 1932, 240). Ce retour au temps et à l’action, qui est le sommet de la mystique chrétienne, est provoqué par l’expérience de la nuit spirituelle. En cela, Bergson entend, dans la droite ligne des mystiques du carmel, l’expérience de la déréliction, de l’abandon de Dieu. Cet abandon est pour le mystique source de grande angoisse et de terrible sécheresse. Il ne s’appartient plus et la perte de sa volonté crée un vertige ontologique qui le met dans une passivité propice à faire de lui l’instrument de Dieu dans le monde. Sa volonté désormais est celle de Dieu, et sa force est dans la radicale disponibilité à l’oeuvre divine en lui. Il quitte les sommets de la contemplation pour s’immiscer dans le réel et faire ainsi rayonner l’amour de Dieu dans le monde. Le mysticisme n’est donc pas la fuite du réel, mais un élan vital extraordinaire que favorise l’union à Dieu. Il est, selon ses propres expressions, un « immense élan », une « poussée irrésistible », « une surabondance de vie » (Bergson 1932, 246). À ce stade, le mystique ne peut pas éviter de s’engager dans la transformation du réel. Il ne peut plus se dérober à l’action. Mais il s’agit d’une action désormais renouvelée, traversée par l’énergie créatrice divine. Bergson restera très impressionné par les grandes actions opérées par les mystiques chrétiens. L’authentique mystique se distingue par cette facilité à quitter la « foi savoureuse » pour s’engager dans la construction du monde. Son expérience le renvoie aussitôt vers le monde, puisqu’elle ne le fait pas disparaître en Dieu. Il restera une créature, mais transfigurée par l’expérience du divin. Celle-ci pousse le mystique à se détacher de soi et de toute chose. « Plus de retour inquiet sur soi-même, l’objet n’en vaudrait matériellement pas la peine et prendrait moralement une signification trop haute. C’est maintenant d’un détachement à chaque chose en particulier que serait fait l’attachement à la vie en général » (Bergson 1932, 255). Le mystique est en quelque sorte métamorphosé et peut traduire et rayonner dans ses faits et gestes la volonté divine. En entrant dans l’expérience de Dieu, le mystique s’inscrit nécessairement dans une logique de relation qui éloigne de lui toute velléité d’isolement et d’enfermement sur soi et lui donne d’oeuvrer uniquement pour l’intérêt commun et pour les idéaux du Bien, du Vrai et du Beau.

La mysticité bergsonienne est visiblement une fidèle interprétation de la mystique chrétienne, telle que nous la révèlent les traités de théologie mystique et les hagiographies. Cette fidélité à la tradition spirituelle chrétienne s’explique chez Bergson par son rapprochement très étroit avec la spiritualité catholique et, plus précisément, avec la spiritualité carmélitaine ayant, plus qu’aucune autre, mis en lumière les états de vie mystique.

Appliqué au contexte africain, le foisonnement des expériences spirituelles pourrait favoriser de telles transformations intérieures, qui feraient éclore une moisson de mystiques chrétiens. Ceux-ci, transformés par l’expérience de communion avec Dieu et détachés d’eux-mêmes et de leurs intérêts, travailleraient sans relâche à la transformation de leur contexte, sans attendre d’autre récompense que la satisfaction de savoir qu’ils répondent à la volonté divine d’être là où ils sont des adjutores dei, chargés de distiller dans l’histoire humaine, des rayons de l’amour éternel de Dieu.

Ceci renvoie à la vocation chrétienne première qui est la sainteté. Les saints ne sont-ils pas ceux qui ont fait, à un degré inouï, l’expérience de Dieu et de la fraternité ? La sainteté n’étant rien d’autre que la traduction dans le temps, par le biais de la charité, de la fidélité à Dieu. L’exigence de cette fidélité et de cette charité, si elle devait s’inscrire au coeur des contextes politiques et religieux de l’Afrique, les transformerait radicalement et, bien plus que les plans structurels, serait facteur de progrès et d’humanisation du continent. Des humains régénérés par l’expérience de la communion avec Dieu, détachés de la quête de soi et mus essentiellement par l’intérêt supérieur du bien commun, changeraient le visage de l’Afrique. L’Homme nouveau que nous appelons de tous nos voeux est bien celui-là. Il n’agit pas par fidélité à un code éthique. Mais il est mû par le principe premier dont il a fait l’expérience ; il a laissé fondre sa volonté dans la sienne, et oeuvre dans le monde en vue du règne des fins. Cet Homme nouveau se recrutera dans toutes les sphères de la vie sociale. Jacques Maritain exprimait en 1945, dans un contexte où l’existentialisme athée succédait aux totalitarismes, l’idée d’une nouvelle chrétienté qui aurait la sainteté pour toile de fond. Il écrivait :

Un nouveau style de sainteté, une nouvelle étape dans la sanctification de la vie séculière sera appelé par un nouvel âge de civilisation. Non seulement l’esprit du Christ se répandra dans la vie séculière et cherchera ses témoins parmi ceux qui travaillent dans les chantiers et les usines, les oeuvres sociales, la politique ou la poésie, aussi bien que parmi les moines voués à la quête de la perfection ; mais une sorte de divine simplification aidera les hommes à comprendre que la perfection de la vie humaine ne consiste pas dans un athlétisme stoïcien de vertu, ni dans une application livresque et humainement élaborée de recettes de sainteté, mais dans un amour qui grandit sans cesse, malgré nos méprises et nos misères, entre le Moi incréé et le moi créé, et que tout dépend de cette descente de la divine plénitude dans l’être humain […] et qui opère en l’homme la mort et la résurrection ; et que la sanctification de l’homme a sa pierre de touche dans l’Amour du prochain, qui lui demande d’être toujours prêt à donner ce qu’il a de lui-même, et finalement de mourir en quelque manière pour ceux qu’il aime.

Maritain 1945, 375 ; cité par Mougel 2008, 64

En capitalisant toute l’énergie spirituelle chrétienne à l’oeuvre sur le continent africain, en mettant à contribution toutes les Églises chrétiennes et en exploitant les valeurs positives des religions traditionnelles africaines, on parviendrait à extraire de la confusion actuelle l’Homme nouveau qui changera le visage du continent noir.

Outre ces aspects, certains mystères au sein même de la spiritualité chrétienne peuvent faciliter l’entrée dans cette mystique du développement, que nous avons tenté de mettre en lumière. Le professeur Benjamin Sombel Sarr en énonce quelques-uns, dans son dernier ouvrage 2011, 73-75). Il parle entre autres de la mystique du multiplicateur du pain, de la mystique du semeur et de la mystique de l’eucharistie.

La mystique chrétienne, si elle veut contribuer au développement de l’Afrique, devrait éviter entre autres deux écueils : l’écueil d’un spiritualisme éthéré et celui de la compromission avec un ordre social et politique injuste.

2.4 L’écueil d’un spiritualisme éthéré

La théologie du « salut des âmes », prêchée de manière exclusive dans les premières heures du christianisme en Afrique, a généré chez certains chrétiens un sens de déconsidération des réalités temporelles, de déresponsabilisation vis-à-vis de la question politique et du développement économique et social. Cette théologie considère que l’âme est la seule instance de la personne humaine qui mérite attention et soins, car elle seule est appelée au salut, le corps n’étant qu’un simple écrin pour l’âme. Sur le plan pastoral, cette théologie s’est manifestée avec perfection dans ce qu’Albert Nolan décrit comme une consommation sacramentelle.

L’Église est comme une agence qui fournit au peuple les sacrements ou des services rituels […] Ces produits ou services sont considérés comme nécessaires aux personnes pour obtenir le salut ou la santé de leurs âmes […] L’église est ce supermarché du spirituel ou du sacramentel. En travaillant selon ce modèle, la paroisse et les responsables de la pastorale essaient de vendre la marchandise à toujours plus de gens possibles pour la santé de leurs âmes. Cela signifie que l’on s’efforce de trouver le nombre maximum de personnes avec le minimum d’exigences ou de demandes.

Poursuivant plus loin sa réflexion, Albert Nolan renchérit :

On ne doit pas alors s’étonner, lorsque, dans une paroisse, on lit une lettre pastorale ou une encyclique sur la justice sociale, qu’elles ne produisent aucun effet. Les fidèles ne voyant l’Église que d’après ce modèle, jugent comme une inconséquence, un non-sens, l’intervention de l’Église dans des questions d’ordre politique […] De moins en moins de gens éprouvent la nécessité de sauver leurs âmes et de faire usage des services de l’Église. Ceux qui veulent autre chose comme la justice, la libération et la paix regardent ailleurs. À la racine du problème, se trouve la nécessité de changer ce type d’Église […] Il faut s’orienter vers un type d’Église telle que le décrit si bien Evangelii nuntiandi, une Église préoccupée du salut et de la libération totale de la personne, de la société de l’univers matériel.

Nolan, cité par Ela 2009, 155-156

2.5 L’écueil de la compromission avec les pouvoirs politiques injustes

La sortie de la théologie du salut des âmes doit aller de pair avec une dénonciation vigoureuse des structures d’exploitation qui laissent l’Afrique dans son éternel état de marginalisation et de pauvreté. Le sujet africain devrait être informé de manière rigoureuse sur les conditions socio-économiques de son espace de vie, prendre conscience des mécanismes d’exploitation qui maintiennent des millions d’hommes et de femmes dans des conditions de vie inhumaines. Ceci exclut de fait une compromission, même tacite, avec les pouvoirs injustes qui sèment la désolation et la mort. Le sujet africain doit se situer obligatoirement dans la posture du prophète qui dénonce le mal et les injustices de toutes sortes, pour qu’advienne un monde de justice et de paix. L’Église, sur le continent africain, a souvent pris parti pour les pouvoirs en place, se montrant timide dans la dénonciation des injustices. La tentation est d’autant plus grande qu’elle se considère comme une institution oeuvrant essentiellement pour le salut des âmes.

Conclusion

L’évolution de nos réflexions nous a conduit à considérer les différentes harmoniques des religions traditionnelles africaines et à statuer sur leur pertinence, dans le processus de changement mental, éthique et spirituel nécessaire à une anthropologie du développement. Il est apparu que les religions traditionnelles africaines offraient de très larges atouts, malgré les insuffisances réelles que nous avons épinglées : la question de l’autonomie des réalités humaines, le rapport au pouvoir, le visage intransigeant des divinités et la perte consciente ou inconsciente de la subjectivité, qui ne favorisent pas une spiritualité du développement apte à relever l’Afrique de son marasme légendaire. Du côté du christianisme, nous avons relevé de nombreux aspects déterminants pouvant entrer en complémentarité avec les atouts des religions traditionnelles africaines et aptes à forger une personnalité africaine nouvelle, capable de prendre en main le destin d’un continent marginalisé et infantilisé. Il nous est apparu que le spirituel n’était pas incompatible avec le développement sociopolitique et économique, bien au contraire, qu’il était sa condition. L’articulation du spirituel et du temporel est donc plus que vitale, dans un continent aux ressources spirituelles exorbitantes qui, quand elles ne sont pas exploitées à dessein, peuvent plutôt oeuvrer pour son malheur. La mystique chrétienne offre à l’humain des possibilités inouïes pour se transcender. Du fait de l’expérience fondamentale de communion avec Dieu au coeur de la spiritualité chrétienne, le sujet s’élève au-dessus de l’instinct et du temps, et embrasse l’éternité. Ce faisant, la transformation du réel se trouve nécessairement inscrite dans la perspective d’un règne des fins, où la charité triomphe sur l’égoïsme. Il est évident qu’un tel idéal requiert pour sa réalisation une mobilisation de toutes les composantes et structures chrétiennes présentes sur le continent, dans un dialogue franc et juste avec les religions traditionnelles africaines. À l’évidence, une telle mobilisation semble utopique au regard des pesanteurs liées aux velléités identitaires, même très présentes au sein d’une même confession. Reste à présent à jouer sur le principe de subsidiarité, en espérant que de proche en proche, l’impératif de survie et de développement du continent fasse prendre conscience d’un autre impératif, celui de faire concourir à cette fin, les incroyables potentialités spirituelles dont regorge le continent, berceau de l’humanité.