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Construction des identités religieuses — prise 2Hommage à Jean Duhaime[Notice]

  • Alain Gignac

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  • Alain Gignac
    Exégèse néotestamentaire, Université de Montréal (Canada)

Autour de 2014-2015, lorsqu’il avait été question d’offrir à Jean Duhaime des Mélanges et que des collègues avaient été sollicités en ce sens, il s’est avéré que plusieurs contributions n’entraient pas dans le cadre strictement exégétique (biblique) envisagé au premier abord pour Construction des identités religieuses à l’époque de Second Temple. Il y avait un reste. Si bien que la revue Théologiques a pu envisager de publier un numéro en hommage à son ancien directeur, qui serait complémentaire au volume paru chez Peeters dans la collection « Biblical Tools and Studies » (Gagné, Gignac et Oegema 2016) et qui porterait sur le même thème : la construction des identités religieuses. Comme en cinéma, il s’agit d’une « prise 2 ». En introduction à ce premier livre dont le présent numéro est le compagnon, la carrière de Jean Duhaime — son itinéraire, son « identité » de chercheur — a déjà été présentée et je n’y reviendrai pas (Gagné, Gignac et Oegema 2016, 2-4). J’aimerais plutôt ici tenter une lecture transversale du numéro : ce que les articles nous disent de l’identité religieuse. Il ne s’agit pas d’offrir un résumé des articles (puisque chacun a le sien, en français et en anglais), mais d’indiquer leur(s) convergence(s) et leur divergence(s) éventuelles, et surtout de souligner en quoi ils nous donnent à penser. D’emblée on remarque une réelle pluridisciplinarité : exégèse biblique linguistique (Gignac), analyse du discours (Salib), observations ethnographiques (éventuellement participatives : Heymann, Roda), histoire (Robinson), théologie (J. Duhaime), socio-linguistique (Anctil), droit (B. Duhaime et Labadie), critique textuelle (Flint). Et le noyau dur du dossier porte plus spécifiquement sur l’identité juive (Heymann, Roda, Robinson, J. Duhaime, Anctil, B. Duhaime et Labadie) — un sujet qui tenait à coeur à Jean Duhaime et auquel il apporte à nouveau sa contribution. Alain Gignac, en ouverture, propose une analyse discursive du plus court écrit du Nouveau Testament, qui tient en une page : le billet à Philémon (Phm), attribué à Paul de Tarse. L’exégèse n’est-elle pas l’art de gloser en vingt pages ce qui tient en une seule, pour en extraire la substantifique moelle (ceci exprimé avec un brin d’auto-ironie) ? Gignac voit en Phm la construction d’une identité messianique nouvelle, où les rapports de fraternité se télescopent et s’entrechoquent avec les rapports sociaux hiérarchiques du ier siècle, sans les élider ou se substituer à eux. (Ce qui introduit d’emblée, pour ainsi dire, une tension voire une aporie au coeur même de la posture messianique chrétienne.) Pour quiconque accorde une importance à cet écrit en apparence anecdotique et quelque peu superficiel, soit à cause d’une appartenance à la communauté chrétienne, soit à cause d’un intérêt pour la spiritualité messianique, Phm témoigne d’un discours qui cherche à opérer chez ses protagonistes des passages et des transformations, et par là, chez un éventuel lecteur, une opération analogue. Autrement dit, le discours adressé par Paul à Philémon propose un monde possible et une identité nouvelle au lecteur en quête de sens — sans bien sûr pouvoir les imposer. Si le Nouveau Testament constitue l’ADN de l’expérience chrétienne, c’est qu’il trace un chemin, propose une trace, dans son énonciation même, plus que dans ses énoncés — un chemin que le lecteur et la lectrice sont invités à emprunter pour construire leur identité. En poussant plus loin la métaphore, on pourrait dire que, tel l’ADN, le Nouveau Testament — et même le petit papyrus envoyé à Philémon — constitue le code qui permet de reconstituer dans l’aujourd’hui de la lecture les protéines qui permettront de fabriquer un corps ecclésial ou une identité messianique, un ADN qui nous laisse …

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