Corps de l’article

1. Introduction

1.1 En guise d’ouverture

Au début de cet article, il semble opportun de dire un mot sur le titre choisi. Celui-ci fait bien sûr référence au fameux épisode du jugement de Salomon, alors que ce dernier, devant le dilemme qui se pose à lui par la présence de deux femmes se disant chacune mère de l’enfant vivant, décide de trancher la question par l’épée : « Coupez en deux l’enfant vivant... » (1R 3,25). L’histoire se finit bien, puisque l’une des deux protagonistes en présence se voit remettre l’enfant. Affaire classée, la renommée de la sagesse du roi gagne toute la population.

On souhaiterait que pareille clarté surgisse quand vient le temps de traiter de la royauté unifiée, mais il n’en est malheureusement pas ainsi. À l’instar des deux femmes qui présentent des points de vue diamétralement opposés, des camps s’affrontent depuis maintenant plusieurs décennies pour tenter de savoir si l’archéologie prouve ou non l’existence d’une royauté unifiée à l’époque du Fer en Israël. À question complexe, réponses contradictoires. À ce stade-ci des recherches, impossible de donner raison à l’une ou l’autre partie. C’est pourquoi les données fournies dans ce qui suit serviront essentiellement à tracer un portrait global et partiel de la situation, et à offrir un éventail des arguments en présence. Chacun aura ensuite le loisir de trancher, s’il le juge à propos.

La trame sur laquelle se tisse le débat depuis quelques décennies, entre les défenseurs de l’historicité des traditions relatives à la royauté unifiée et ceux qui la contestent, se trouve parfaitement résumée dans ces quelques lignes de Soggin :

L’empire de David et de Salomon [...] soulève bien plus de problèmes que nous ne pourrons jamais en résoudre. Les sources qui s’y réfèrent sont toutes d’origine tardive et reflètent par conséquent les problématiques caractéristiques des époques postérieures de plusieurs siècles, à un moment où le peuple, désormais réduit au seul royaume de Juda, vivait des expériences profondément traumatisantes. [...] Il faut donc prendre sérieusement en considération l’éventualité que l’on ait affaire à une construction postérieure, pseudo-historique et donc artificielle, qui tend à glorifier un passé qui n’a jamais existé pour compenser un présent morne et gris [celui de l’exil ou du post exil].

Soggin 2004, 56

À partir de cette première citation, qui situe déjà Soggin dans l’un des camps, trois questions couvrant l’ensemble du débat se posent :

  1. Est-il possible de relier des découvertes archéologiques directement avec David et/ou Salomon ?

  2. Est-il actuellement possible de distinguer ce qui est proprement du xe s. de ce qui appartient aux siècles précédents et suivants ?

  3. Les découvertes archéologiques datées entre le xie et le ixe siècle soutiennent-elles le texte biblique concernant la royauté unifiée ? Autrement dit, si le texte biblique n’existait pas, le matériel archéologique permettrait-il de conclure à l’émergence d’une royauté forte, telle que le Premier Testament décrit les règnes de David et de Salomon ?

1.2 Problèmes soulevés sur l’historicité depuis les travaux des années 1980

Voilà déjà un bon moment que les questions d’historicité se posent par rapport aux récits bibliques. Depuis les années 1930, les grandes écoles allemandes (principalement représentées pas Alt, Noth et von Rad) se trouvent contestées par les ténors de l’école américaine (dont les principaux étaient Albright, Wright et Bright)[1]. Le fossé s’est creusé dans les années 1970 et 1980, quand les recherches exégétiques ont concentré leur attention sur la rédaction finale des textes bibliques, ébranlant du même coup ce qui semblait acquis par les recherches historico-critiques menées jusqu’alors. Les remises en questions quant à l’historicité des récits portant sur les patriarches, puis sur Moïse et l’exode, et finalement sur l’émergence d’Israël, ont occupé les spécialistes pendant la majeure partie de ces années. Les histoires anciennes d’Israël avaient jusqu’alors présenté le déroulement de l’histoire biblique de façon assez linéaire, suivant le schéma proposé par les textes bibliques. En 1984, une première « Histoire d’Israël » propose de faire débuter cette histoire avec la royauté unifiée (Soggin 1984), intégrant ainsi toutes les périodes antérieures dans la préhistoire d’Israël. On croyait avoir réglé les principales difficultés, mais un nouveau problème se présenta, celui de la royauté unifiée. Le débat fait maintenant rage autour de cette période, avec la même virulence et les mêmes positions opposées que celles observées pour les périodes antérieures. Pour certains, la question semble réglée. Soggin, par exemple, a réédité son histoire d’Israël en précisant que le changement le plus substantiel de sa nouvelle édition consistait à inclure David et Salomon dans la préhistoire (Soggin 2004, 55 ; original italien 2002). Le retrait des appendices portant sur l’archéologie et la chronologie, sans en préciser les raisons, laisse soupçonner que les débats controversés ont motivé cette décision.

De nombreuses controverses, héritées des recherches exégétiques et historiques, émergent de courants assez campés sur leurs positions. Il importe d’en donner quelques grandes caractéristiques, puisqu’ils seront les principaux protagonistes dans la suite.

1.3 Les thèses qui s’affrontent

Bien que des nuances doivent être formulées pour chacun des groupes suivants, une définition générale de leurs positions servira d’aide-mémoire.

1.3.1 Minimalistes – déconstructionistes – post-modernistes (nihilistes)

W. Dever est l’un des auteurs qui utilise le plus souvent, et le plus agressivement, cette terminologie. Il appert, de la première partie de son What the Biblical Writers Know and When did they Know It (Dever 2001) et de plusieurs de ses publications subséquentes, qu’il ait opté pour une guerre de tranchée avec tout ce qui ne correspond pas à ses positions personnelles[2]. Ses attaques contre les thèses de Lemche (1998), Davies (1992), Thompson (1999) et van Seters (1993), pour n’en nommer que quelques-uns, sont virulentes. Dever (mais il n’est pas le seul) reproche aux minimalistes de dénaturer le texte biblique en ne le considérant que comme une composition très tardive (iiieiie siècles AÈC) sans aucune valeur historique (voir à ce propos les remarques contraires de Davies (2005, 118-129). S’agissant de légendes et de propagande, il ne saurait être question, pour ceux que l’on qualifie de minimalistes, d’utiliser quoi que ce soit de la Bible à des fins de reconstitutions historiques, y compris pour la période de la royauté unifiée. On leur reproche aussi de mal utiliser les données archéologiques ou de carrément les ignorer (Ortiz 2004, 211 ; Dever 1997, 217).

1.3.2 Maximalistes – biblicistes

À l’opposé des minimalistes, les maximalistes ont un préjugé très favorable pour le texte biblique et l’utilisent abondamment pour étayer leurs thèses. On leur reproche souvent de ne pas avoir d’esprit critique par rapport à la composition de la Bible, et de prendre cette dernière presqu’au pied de la lettre. Ils reconnaissent parfois que le texte biblique peut contenir des exagérations, mais s’y réfèrent tout de même, considérant que celui-ci est digne de confiance.

1.3.3 Révisionnistes

Les révisionnistes se situent à la frontière entre les maximalistes et les minimalistes. Ils ont un regard plutôt critique sur les textes bibliques, tiennent souvent compte des avancées de l’exégèse biblique dans leur traitement du texte, et tentent de construire une histoire d’Israël qui allie exégèse et archéologie. On ne s’étonnera pas de voir les révisionnistes considérer les livres dits « historiques » comme une composition d’époque exilique ou postexilique qui contiennent, peut-être, quelques souvenirs anciens (Finkelstein et Mondot 2003, 15 ; Soggin 2004, 48). La figure de proue de cette tendance est sans conteste I. Finkelstein. Le premier ouvrage majeur destiné au grand public, La Bible dévoilée (Finkelstein 2002), a lancé un débat passionné tant dans la communauté scientifique qu’auprès des lecteurs de la Bible. Son deuxième ouvrage, Les rois sacrés de la Bible (Finkelstein et Silberman 2006), ne mit pas fin à la polémique, bien au contraire.

1.4 Archéologie biblique ou archéologie syro-palestinienne ?

Bien qu’il se soit fait beaucoup de travail sur les textes bibliques portant sur la période de la royauté unifiée, certains ont déploré que ces études n’aient pas suffisamment tenu compte des données de l’archéologie (Finkelstein 1996, 177).

Au cours de la première moitié du xxe siècle, des expéditions anglaises, françaises et allemandes firent en Palestine des découvertes majeures qui font encore école. Plusieurs de ces fouilles étaient menées dans le but, souvent avoué, de prouver l’historicité de la Bible. Paraphrasant le titre de l’ouvrage de F. Delitzsch, Babel und Bibel, on parlait de Trowel and Bible. L’école américaine, avec W.F. Albright à sa tête, a marqué cette façon de mener les travaux archéologiques, avec les travers qui accompagnaient l’interprétation des données recueillies. On partait trouver ce que l’on savait que l’on voulait trouver. Dever, bien que formé à l’école américaine, fut l’un des premiers à tenter de sonner le glas de l’appellation « archéologie biblique », suggérant que l’on utilise plutôt un terme plus scientifique, soit « archéologie syro-palestinienne », moins teinté de connotations religieuses (Dever 1980 et 1982).

Le terme s’est suffisamment imposé dans les cercles scientifiques pour qu’une revue aussi importante que The BiblicalArcheologist, après 60 ans, change son nom pour devenir Near Eastern Archeology en 1994. Mais tous n’ont pas suivi le mouvement. La très conservatrice Biblical Archeology Review compte encore des milliers d’abonnés, et offre toujours un contenu très proche des positions traditionnelles de l’archéologie biblique classique. Malgré que, dans les années 1980, Dever ait été l’un des premiers à promouvoir l’appellation « archéologie syro-palestinienne », certains s’interrogent sur les intentions réelles qu’il avait quand il a formulé cette proposition. H. Shanks, pourtant assez proche de Dever, signalait que ce dernier ne désirait pas l’abandon du travail associé à la Bible, mais seulement l’abandon sémantique du terme « archéologie biblique » (Shanks 1981, 56). L’un des élèves de Dever révèle : « One of the reasons he gave us [his students] for his name change was his hope that the more neutral name would attract more government grants and provide archeology with a firmer financial foundation » (Younger 2004, 44).

Devant le peu de retombées concrètes que ce changement a apporté, et constatant que les tenants de l’archéologie biblique étaient mieux financés,

[...] Dever began to soften his anti-biblical archeology crusade and began to talk about a « new biblical archeology ». Dever began to realize that if biblical archeology is to survive in the US, churches, synagogues and other entities that have a natural interest in and love for the Bible are going to have to take a lead in providing support.

Younger 2004, 45

Quelles qu’aient été les motivations profondes (avouées ou inavouées) de Dever et ses positions souvent assez proches des maximalistes (même s’il s’en défend constamment), plusieurs archéologues ayant travaillé sur les problèmes liés à la royauté unifiée se réclament davantage d’une approche plus scientifique de l’archéologie, ce qui ne fait pas disparaître pour autant les tenants de l’archéologie biblique. Un point intéressant à signaler : parmi les archéologues israéliens, ceux qui sont de tendance maximaliste-archéologie biblique proviennent de l’Université hébraïque de Jérusalem (Yadin, Shiloh, A. Mazar et E. Mazar), alors que les minimalistes/révisionnistes-archéologie syro-palestinienne sont rattachés à l’Université de Tel Aviv (Aharoni, Herzog, Ussishkin, Finkelstein, Kempinski). Il existe un clivage important entre les deux universités, et celui-ci se vérifie dans les interprétations proposées par les différents groupes au sujet des données à associer ou non à la période qui nous occupe.

2. Quelques sujets de débat sur l’archéologie du Fer II

Les écoles et tendances générales maintenant connues, la section qui suit s’intéressera à quelques aspects techniques débattus qui touchent de près au problème de la royauté unifiée.

2.1 La chronologie désynchronisée

Du point de vue archéologique, la période de la royauté unifiée appartient à la grande époque du Fer qui s’étend, grosso modo, de 1200 à 586 AÈC. Or, la fourchette chronologique dans laquelle est située la royauté unifiée est large, ainsi que l’indique le tableau suivant qui donne un aperçu partiel, mais significatif, de la diversité des propositions :

-> Voir la liste des tableaux

Le fait que les chercheurs états-uniens parlent de Fer I C-II A pour la période des xe-ixe siècles, alors que les Israéliens optent pour Fer II A-B (qu’ils peuvent ensuite décliner en sous-périodes), complique les discussions.

Les divergences portant sur la chronologie ne sont pas banales ou futiles car, au final, elles concernent la reconnaissance ou non d’un grand état d’Israël à l’époque ancienne, paradigme de certains Sionistes contemporains qui s’inspirent de ces données pour promouvoir un même grand Israël pour aujourd’hui (Liverani 2012, 17). Les données archéologiques étant associées à des périodes historiques, celles qui sont les plus sensibles ont trait à la période du Fer II A, traditionnellement située entre 1000 et 925 (période correspondant à David-Salomon jusqu’à l’expédition de Shéshonq). Sur la base de la présence ou non de poteries philistines sur certains sites où ont été identifiées des strates du Fer I et du Fer II, Finkelstein a ouvert une controverse, proposant de modifier cette chronologie traditionnelle en la remplaçant par une fourchette temporelle allant de 930/920 à 830 AÈC pour le Fer II A, ce qu’il a qualifié de « Low Chronology » (Finkelstein 1995 et 1996). Cette proposition a été loin de faire l’unanimité, bien au contraire. A. Mazar, entre autres (voir aussi Ben-Tor 2000), s’est opposé à cette Low Chronology et y est allé de sa propre proposition qu’il a baptisée « Modified Convential Chronology ». Cette dernière englobe le Fer II A dans la période allant de 980 à 840/830 AÈC (Mazar 2006a et 2007). D’autres ont proposé 950-800. Or, l’option pour ou contre l’une ou l’autre de ces propositions a des répercussions directes sur l’interprétation des données archéologiques recueillies, car celles-ci, selon qu’elles sont liées à l’une ou l’autre option chronologique, feront associer les données avec l’époque de David et Salomon, ou pas (Finkelstein et Piasetzky 2011, 50 ; Mazar 2011). Le sujet continue d’être débattu, chacun défendant ses options avec conviction et passion. Les positions sont actuellement irréconciliables.

2.2 La céramique comme outil de datation

La céramique représente assurément l’artéfact le plus utilisé pour la datation des strates archéologiques. Toutefois, aucun consensus n’existe sur sa portée réelle ni sur son utilisation effective pour la datation des strates du Fer II A-B. Après des décennies de comparaisons et d’élaborations typologiques, on s’interroge quant à savoir si cette typologie est bien établie ou si elle peut encore être modifiée. Cette question, Ortiz la pose (Ortiz 2004) au sujet de la Low Chronology de Finkelstein, venue rompre le consensus que semblaient partager les archéologues jusqu’en 1995. Ortiz conteste les conclusions de Finkelstein basées sur la poterie philistine et privilégie la thèse de la datation traditionnelle de la céramique du Fer (Ortiz 2004, 122).

Parmi les éléments typologiques les plus souvent avancés on retrouve, au premier rang, la question de l’apparition de la « red-slipped burnished ware » qui caractériserait l’époque du Fer II[4]. Il est clair que la poterie a subi des modifications majeures entre le Fer I et le Fer II ; de nouvelles formes sont apparues et des styles originaux ont émergés au xe siècle (Mazar 2007, 118 ; 2010, 33), mais les changements survenus sur les formes et les techniques de décoration ont été en vigueur pendant une grande partie du Fer II (Herr 1997, 127). Les modifications apportées à la poterie permettent-elles de conclure que nous avons affaire à un développement géopolitique, comme le suggère A. Mazar :

This change can be detected in many other parts of the country at almost the same time, and may be regarded as reflecting geopolitical developments that took place during the 10th century BCE, perhaps related to the emergence of the Israelite state ?

Mazar 2010, 33

Le saut herméneutique qui fait passer de la céramique à la géopolitique semble un raccourci dangereux, davantage motivé par une volonté de faire correspondre les données avec la monarchie unifiée biblique, que de reposer sur de simples constats archéologiques. D’autres que Mazar sont aussi prêts à faire ce saut (Herr 1997, 117 ; Dever 1997, 230).

Par ailleurs, un problème maintes fois formulé consiste à faire remarquer que l’évolution de la poterie à l’époque du Fer II A ne permet de fournir qu’une datation très approximative. Contrairement à la poterie philistine ou à celle de l’époque du Fer II B, la poterie du Fer II A est devenue objet de vives disputes (voir Steiner 2001, 281 ; Finkelstein 1990 ; Wightman 1990 ; Finkelstein et Mondot 2003, 76 ; Liverani 2012, 15), car elle peut être confondue avec des poteries de la fin du Fer I jusqu’au début du Fer IIB (Finkelstein 2005, 204). Ce qui peut paraître fiable pour certaines époques, ne semble pas l’être pour le Fer II A, ce qui complique grandement les choses.

Le recours à la poterie et l’hyperspécialisation que requiert son interprétation, sans parler des sous-distinctions qui ont fait leur apparition depuis quelque temps, font dire à Joffe :

To narrow ceramic dates down to half or even quarter century intervals is the quintessence of wizarding power, based on general principles and experience. There is also an impulse to specificity born of the desire to relate archaeological data to historical accounts. Every dot must have its date in order to enter the story.

Joffe 2007, 17[5]

Un constat s’impose donc : la céramique ne règle pas les problèmes liés à l’époque de la royauté, elle les amplifie. Les tenants des diverses chronologies la font jouer chacun selon ses perspectives et ses interprétations, et rien ne semble vouloir calmer le jeu pour le moment.

2.3 Agriculture en terrasse

Parmi les nombreux arguments avancés pour promouvoir l’émergence d’une royauté centralisée à Jérusalem au xe siècle, certains ont fait valoir que l’agriculture en terrasse marquait un point tournant dans l’histoire d’Israël, car seul un pouvoir centralisé pouvait mettre en place des politiques susceptibles de mener à bien une telle entreprise. Cette idée, déjà formulée par de Geus en 1975 dans PEQ, fut développée par Harel (1977). Dans un article de 2001, Gibson étudie en détail les données disponibles concernant les quelques fouilles qui ont été menées sur des sites qui montraient des traces d’agriculture en terrasse. Contrairement à ce qu’affirment les tenants de la thèse royale, Gibson démontre que ce type d’agriculture remonte déjà à l’époque de l’Ancien Bronze, et même à la préhistoire (Gibson 2001, 129 et 134), qu’il a été fait à petite échelle de l’Ancien Bronze jusqu’à l’époque du Fer II B (pas avant le viiie s. donc), période où il se répand à grande échelle (Gibson 2001, 113). Il conclut :

[...] terracing was clearly only practiced on a limited scale during the Early Bronze Age and this situation was characteristic of the highlands with very little change until the eighth century BCE. No evidence supports the theory that the early Israelites (or Proto-Israelites) were responsible for inventing or introducing terracing into the highlands c. 1200 BCE. They simply made use of an existing technology without any special adaptations or innovations. This refutes the suggestion made by Dever (1992, 79), without any supporting evidence, that terracing, if it existed prior to the early Iron Age, had to have been unsystematic.

Gibson 2001, 140

Les conclusions contradictoires, encore une fois, invitent à la prudence et à la modération dans la formulation de positions qui se voudraient tranchantes en faveur de l’existence ou non de la royauté unifiée, et de son influence sur l’évolution de la société du Fer II A.

2.4 Les inscriptions anciennes

Parmi les données qui retiennent souvent l’attention, il faut certes signaler l’existence de quelques inscriptions anciennes. Elles sont relativement rares pour l’époque de la royauté unifiée, rareté qui leur confère une valeur argumentative tout aussi relative que ce qui a été relevé jusqu’à maintenant. Jusqu’à tout récemment, les inscriptions les plus importantes étaient la stèle de Shéshonq, la stèle de Dan et celle de Mésha auxquelles se sont ajoutées l’abécédaire de Tel Zayit et l’inscription de Khirbet Qeiyafa. Or, les trois premières inscriptions proviennent de l’extérieur du pays et n’ont pas été trouvées in situ, ce qui constitue un handicap du point de vue archéologique (Finkelstein 2007, 111 ; 2010, 7). De plus, elles datent toutes de périodes postérieures à la royauté unifiée. Il est indéniable qu’elles fournissent de précieuses informations qui peuvent aider à comprendre partiellement le type de relations qui existaient entre Israël et ses voisins, mais leur utilisation reste sujette à caution, et ne permet certainement pas de régler la question de la chronologie de l’époque du Fer en Israël (Ussishkin 2008, 219).

Le cas de la stèle de Mésha est sans doute le plus délicat. À l’instar de ce qui se trouve sur la stèle de Dan, Lemaire (1994) propose de lire la mention byt dwd dans une portion très abîmée de la stèle. Il est toujours délicat en épigraphie de combler des vides, mais l’hypothèse de Lemaire n’est pas invraisemblable et permettrait de considérer que les Moabites reconnaissaient que le territoire de Juda était gouverné, à leur époque, par un descendant de la famille davidique. Ceci ne saurait toutefois constituer une preuve de l’existence d’une grande royauté unifiée à l’époque du Fer II A.

Après les doutes qui ont surgi en 1993 à l’annonce de la découverte de la stèle de Dan, la plupart des auteurs reconnaissent désormais l’existence du syntagme byt dwd, sans pour autant donner exactement la même portée à l’expression[6].

Finkelstein, pourtant si critique à l’endroit de tout ce qui concerne la royauté unifiée écrit : « [...] l’historien retiendra surtout, outre l’existence historique des rois David [7] et Salomon, celle d’une royauté unifiée à partir de Jérusalem. Reste qu’il ne s’agissait sans doute pas d’un “empire”, mais plutôt d’une sorte de “chefferie” ou d’un royaume commençant ». (Finkelstein et Mondot 2003, 77). Cette notion de chefferie (chiefdom) est assurément très différente de celle d’un état central tel que l’interprète Halpern en parlant de la même expression, tirée de la même stèle (Halpern 1996, 74) : « The presence of a central state in the tenth century is confirmed, just as the mention of “the house of David” in the Tell Dan stela should lead us to expect ». L’expression byt dwd prend donc une coloration totalement différente selon les thèses que l’on compte défendre.

La stèle de Shéshonq représente un cas particulier. Elle occupe une place centrale dans les débats archéologiques, surtout ceux qui ont trait aux questions de chronologie. 1R 14,25-28 signale une montée de Shishaq (nom biblique de Shéshonq) contre Jérusalem la 5e année de Roboam (autour de 925 AÈC). Cette notice biblique, la découverte de l’inscription de Shéshonq sur le temple de Karnak, ainsi que celle d’une portion de stèle découverte à Megiddo en 1929, sont amalgamées par divers auteurs qui voient dans l’événement rapporté un élément essentiel pour la datation des niveaux de destruction du Fer II A (selon Dever 1997, 239 ; aussi Albright, Yadin, Kenyon, Aharoni, mentionnés par Mazar et Halpern : Mazar 2007, 124 ; Halpern 1996, 73). Les niveaux d’occupation qui sont directement antérieurs à ces destructions sont donc nécessairement antérieurs à 925 AÈC. Pour les maximalistes, le souvenir du passage de Shéshonq ne saurait être le seul fruit de l’imagination d’un auteur du viie siècle ou postérieur (Mazar 2007, 124) ; le texte biblique doit refléter une réalité ancienne conservée dans les annales judéennes (disparues), et l’archéologie permettrait de prouver cette réalité historique.

L’association de niveaux de destruction avec le passage de Shéshonq entraîne cependant certains problèmes, comme ce fut le cas pour les niveaux de destruction de plusieurs sites du Fer I associés pendant longtemps avec les prétendues campagnes militaires de Josué. Un niveau de destruction ne révèle rien en lui-même quant aux causes de la destruction, celles-ci pouvant avoir été le fait de conflits militaires, de catastrophes naturelles ou accidentelles, etc. Peut-être Shéshonq est-il réellement venu en Palestine pour y contrôler les voies commerciales (Blakely 2002, 52). L’itinéraire proposé par l’inscription du temple de Karnak est difficile à établir, mais il semble se concentrer sur le territoire philistin (avec extension au nord du Négev, Arad entre autres) et les villes du nord (dont Megiddo, Taanach, Beth Shean), et ne témoigne de rien qui pourrait correspondre à un système politique ou militaire unifié qui aurait alors dominé le pays (Tubb 2010, 2). Plus troublant encore, la ville de Jérusalem, décrite par les maximalistes comme un centre politique et économique important à l’époque de David et Salomon, n’est mentionnée nulle part sur l’inscription de Shéshonk, pas plus que de nombreuses villes importantes de Juda. Mazar reconnaît cette absence de Jérusalem (pourtant la seule ville signalée dans le texte biblique !) mais ne s’en formalise pas : cela « does not mean much — if the city surrendered, perhaps there would have been no reason to mention it ; or alternatively, its mention could have appeared on one of the broken parts of the inscription » (Mazar 2007, 124), argumentation plutôt étonnante si l’on pense que Jérusalem était apparamment une ville importante, fortifiée et puissamment construite comme le laisse entendre Mazar plus loin dans son article (p. 125s). S’ajoute à ces observations le fait que la portion de stèle découverte à Megiddo n’a certainement pas été laissée sur place par un conquérant qui aurait abandonné la cité en ruines. Elle a dû être érigée dans une ville encore active, comme témoignage de son appartenance à l’Égypte. Les niveaux de destruction de Megiddo, que certains attribuent à Shéshonq, et ceux d’autres villes du nord, pourraient dès lors être le résultat des attaques de Damas à une période postérieure à 925 AÈC, neutralisant ainsi l’intérêt de l’inscription de Shéshonq comme ancrage archéologique et chronologique de la fin du Fer II A (Ussishkin 2008, 223 ; 1990, 73 ; Finkelstein 2013, 75-83).

L’utilité des rares inscriptions anciennes retrouvées jusqu’à maintenant[8] s’avère donc relativement limitée et peu concluante pour savoir si un royaume unifié, fort et étendu, a réellement existé à l’époque du Fer II A. Même l’inscription de Shéshonq invite à la prudence et ne saurait être évoquée sans circonspection.

2.5 La datation au Carbone 14

Les avancées scientifiques des techniques de datation au C14 et la diminution des coûts d’utilisation de cette méthode d’analyse ont conduit plusieurs chercheurs à presque troquer la céramique pour le noyau d’olive. Le recours au C14 a considérablement augmenté ces dernières années, et ses conclusions alimentent la controverse, surtout, mais pas exclusivement, entre A. Mazar et Finkelstein. D’un côté, Finkelstein affirme que la datation au C14 de plusieurs niveaux de destruction de nombreux sites dans le nord d’Israël fait remonter les datations de 1000-980 à 920-900 AÈC (Finkelstein 2007, 114), une différence de près de 70 ans qui transfère des données associées par certains à la période de la royauté unifiée à celle de la royauté divisée. Sur la base de résultats du C14, Finkelstein (2010, 10) conclut que les strates de destructions attribuées à Shéshonq conviendraient mieux aux assauts d’Hazael menés dans le nord du pays. Mais Mazar et Ramsey (2008) offrent une interprétation diamétralement opposée aux études publiées en 2007 par Finkelstein, critiquant son échantillonnage, ses bases de comparaison mathématiques et les méthodes d’analyse utilisées[9]. Finkelstein persiste en 2010 :

Based on 385 measurements, from 21 sites, measured in three laboratories by three different methods, Sharon et al. [« Report on the First Stage of the Iron Age Dating Project in Israel : Supporting the Low Chronology » Radiocarbon 49 (2007), 1-46] put the transition in the second half of the 10th century BCE. According to them, of the 36 possible statistical interpretations of these results, 35 fit the Low Chronology.

Finkelstein 2010, 11[10]

La guerre des chiffres est alors lancée, chacun faisant intervenir des statistiques contradictoires allant dans le sens désiré par l’un ou l’autre des camps. L’utilisation parfois abusive du C14, sous prétexte qu’il s’agirait d’une méthode d’analyse plus objective et neutre que la datation de la céramique ou de la stratigraphie, est décriée par les personnes chargées de mener ces analyses et de fournir les résultats. Elles avancent qu’avant d’utiliser le C14, il serait préférable de présenter les données archéologiques (stratigraphie et poteries). On pourra alors faire des comparaisons régionales et, peut-être ensuite, faire intervenir les analyses de C14. Certains ont tendance aujourd’hui à inverser les rôles sous prétexte d’une science plus exacte du C14, exactitude qui s’estompe dans le cas des courtes périodes recherchées (Singer-Avitz 2009, 71). On l’a bien compris dans les problèmes soulevés précédemment : la question de la datation de la transition entre le Fer I et Fer II A est importante car elle a un impact sur le fait que David et Salomon sont situés ou non dans la période pauvre ou glorieuse, archéologiquement et épigraphiquement. Le problème c’est que les marges de différences du C14 sont d’environ 20 à 100 ans (parfois plus), suffisamment en tout cas pour ne pas régler le problème chronologique que l’on voudrait solutionner avec cette technique (Singer-Avitz 2009, 28 ; Ussishkin 2008, 226).

3. Survol de quelques questions liées à certains sites archéologiques

1R 9,15.19 sont sans conteste les versets bibliques les plus souvent cités dans la controverse entourant la question de la royauté unifiée. Ils indiquent les travaux de construction qu’aurait entrepris Salomon à Jérusalem, Megiddo, Hazor et Gézer, entre autres. Évidemment, les archéologues n’ont pas manqué d’investir les lieux depuis le début du xxe siècle pour tenter de retrouver des traces de constructions. De grandes expéditions ont été menées sur ces sites, plus d’une fois d’ailleurs. Il n’est pas possible dans le cadre du présent article de faire état de tous les arguments évoqués par les auteurs en faveur de l’une ou l’autre thèse. Un rapide survol permettra toutefois de tracer un portrait général qui indiquera bien où campe chacun des chercheurs et à quelle école il appartient. À la suite de Yadin, les maximalistes voient dans certaines constructions la preuve de la grandeur du royaume unifié de David et Salomon (Fritz 1996, 189 et 195 ; Herr 1997, 123 ; Dever 1997, 227), les révisionnistes y voient le témoignage de l’importance des constructions du royaume d’Israël de la royauté divisée.

3.1 Megiddo

  • La porte à tenailles (loc 2156) est datée du xe s. par Albright, Yadin, Dever et Shiloh, mais du ixe s. par Herzog, Ussishkin, Wightman et Finkelstein.

  • Les constructions publiques (loc 6000 à l’est de la porte à tenailles[11], loc 1723 et 1482 au sud du site et qualifiés de palais), sont datées de l’époque salomonienne par Yadin, Shiloh (1993, 1017), Fritz (1996, 193), mais de l’époque d’Achab par Finkelstein (Finkelstein et Mondot 2003, 16 ; 2007, 115).

3.2 Gézer

  • La porte de Gézer de la strate VIII est datée du xe s. par Herzog, du xe ou ixe s. par Ussishkin et du ixe s. par Wightman et Finkelstein.

  • Le mur externe du chantier I (loc 9011) est attribué au Récent Bronze par Wright, Lance et Dever, mais à la période du Fer par Kempinski, Finkelstein, Zertal, Bunimowitz et Ussishkin. Ce mur est un important objet de controverse entre Dever et Finkelstein/Ussishkin depuis plus de 20 ans, le premier interprétant les trouvailles associées au mur externe comme étant indépendantes de la porte à tenailles, les seconds considérant que les deux structures sont contemporaines.

3.3 Hazor

  • La porte de Hazor est datée du xe s. par Yadin, Dever et Fritz, peut-être du xe s. par Herzog et Finkelstein et du ixe s. par Wightman, Aharoni et Ussishkin.

On notera que les pseudo écuries, d’abord attribuées à Salomon sur la base de 1R 9,17 sont maintenant quasi unanimement liées à l’époque d’Achab (parmi les exceptions on retrouve Blakely 2002). Quant aux portes à tenailles que certains dataient exclusivement au xe s., on en a trouvé à Tel ‘Ira dans le Négev de l’époque du viie s., d’autres à Lakish IV et Ashdod IX du Fer II (mais pas salomoniennes), et finalement à Dan et Hazor (chantier K) d’avant la royauté. La configuration de ces portes ne peut donc être évoquée sans autre forme de procès pour vanter le génie des ingénieurs salomoniens.

3.4 Khirbet Qeiyafa

Bien qu’il ne fasse pas encore partie des grands classiques des sites archéologiques, le petit site de Khirbet Qeiyafa, situé dans la Vallée d’Élah, risque de prendre de l’importance dans les prochaines années. Il s’agit d’un site très particulier car il ne recèle qu’un seul niveau d’occupation, assez bien daté des xie-x s., et possède des fortifications, dont une porte à 2 tenailles. Le site pourrait certainement fournir des informations très utiles sur les artéfacts à associer à cette période de l’histoire, si les données ne sont pas trop forcées dans un sens déjà voulu par les archéologues. Malheureusement les responsables de la fouille (Garfinkel et Ganor 2008) s’empressent d’associer le site à la figure de David [12]. D’autres n’ont pas hésité à sauter rapidement aux conclusions et à faire le lien entre ces fortifications et l’émergence de la royauté israélite (Mazar 2010, 50) qui serait déjà bien organisée (Shanks 2009). Sans doute vaut-il mieux suivre la prudence de Tubb (2010, 1) et considérer que le site sera plus intéressant pour l’analyse de la poterie que pour les conclusions que l’on pourrait tirer d’une association avec une grande entreprise unifiée : « there is certainly no evidence to suggest that there was an overarching policy of defence, imposed by a centralized government and designed to ensure the protection of a larger polity or kingdom ». Même la courte inscription découverte dans un petit locus à gauche de l’entrée fortifiée est déjà sujette à interprétations divergentes, certains l’utilisant pour affirmer qu’elle constitue un élément majeur pour retracer le développement de l’écriture dans les premières années de la royauté unifiée (Mazar 2010, 50 ; Shanks 2009, 42), alors que d’autres contestent cette interprétation (Finkelstein 2010, 17 ; 2013, 92 et Rollston 2012, 70), ce dernier s’employant à démontrer que l’écriture n’est pas hébraïque, mais phénicienne.

3.5 Jérusalem

Jérusalem à elle seule est un cas particulier. Centre de toutes les disputes, elle enflamme les passions et se trouve au coeur des controverses les plus importantes concernant l’existence ou non d’une royauté unifiée splendide et puissante. Les difficultés de fouiller la région de l’Ophel sont notoires et les résultats obtenus au cours des très nombreuses campagnes menées dans cette portion de la ville sont assez maigres. Trois raisons majeures sont évoquées pour expliquer les difficultés à tirer des conclusions quant à l’existence ou non d’une ville royale : 1) Les fouilles butent sur le problème de la présence des habitants palestiniens installés de longue date sur l’Ophel et impossibles à déloger ; 2) les matériaux ont été réutilisés au cours des siècles subséquents ; 3) la configuration abrupte de l’Ophel a provoqué l’érosion des éléments qui ont pu appartenir à cette période (Couturier 2008, 375 et 378 ; Mazar et Mondot 2003, 112 ; Mazar 2007, 127). Ces arguments, rejetés par Finkelstein (2007, 113), sont remis de l’avant par le même Finkelstein (Finkelstein, Koch et Lipschits 2011, 8) dans sa proposition de situer la ville de David entre la structure à degrés et l’esplanade des mosquées.

La question du temple de Jérusalem se règle assez rapidement du point de vue archéologique puisqu’il est impossible de fouiller sur l’esplanade des mosquées. L’archéologie est donc silencieuse sur le sujet, même si de nombreuses études tentent d’en retracer la configuration sur la base du récit biblique. Il reste tout de même étonnant de lire la déclaration suivante d’A. Mazar :

Yet, is it feasible that such splendid structures stood in tenth-century Jerusalem ? One may doubt that Solomon’s kingdom was strong and rich enough to afford such buildings and furnishings. It may well be that the biblical description is based on the shape of the Temple at the time of the writing — the eighth to seventh centuries, when Jerusalem was at its peak — and even then it seems to be much exaggerated [...] Such a city cannot be imagined as a capital of a large state like the one described in the Bible, but it could well serve as a power base for local rulers like David and Solomon, providing that we correctly define the nature of their kingship and state.

Mazar 2007, 129

La structure à degrés (Stepped-Stone Structure) pose certaines difficultés depuis l’époque de sa découverte. Les auteurs ne s’entendent pas sur la date exacte de son apparition dans le paysage de Jérusalem, ni sur sa fonction précise. Il semble qu’elle ait été érigée dans la période de transition entre le Récent Bronze et le Fer I (Herr 1997, 125 ; Mazar 1997, 51), et aurait continué de servir aux époques subséquentes. Eilat Mazar, entre autres, propose d’y voir le Millo (remplissage) de la tradition biblique, ou les bases de la citadelle de Sion (Mazar 2006b, 17). Finkelstein, de son côté, suggère qu’une partie de cette structure est postérieure à la royauté unifiée (Finkelstein 2007, 113) car de la poterie datant du ixe s. et au-delà, aurait été trouvée dans les degrés.

Le « palais de David et de Salomon » a fait l’objet de nombreuses recherches depuis plus d’un siècle, mais personne n’est arrivé à le localiser. E. Mazar croit toutefois avoir découvert les vestiges de ce palais (Mazar 1997, 1997b, 2006b), ce qu’appui Amihai Mazar (2010, 34-50). D’après les recherches et les déductions d’E. Mazar, tirées du texte de 2S 5,17, ce palais se trouvait au nord de la structure à degrés, à l’extérieur d’une zone fortifiée de la ville cananéenne (Mazar 2006b, 70). Dans les courtes présentations de ses trouvailles, on est frappé de constater à quel point ses conclusions archéologiques reposent sur une lecture littérale des textes bibliques, ce que lui reprochent d’ailleurs Finkelstein (2010, 14), ainsi que Reich (2011, 265) et Faust (2012, 47)[13]. Elle écrit : « Incidentally, there is no reason to doubt the accuracy of the Biblical description », (Mazar 1997, 53, je souligne), idée qu’elle formule à nouveau en 2006 (Mazar 2006b, 17). Une partie importante de son argumentation repose sur une lecture pour le moins douteuse de 2S 5,17 où David, devant la menace philistine, descend vers la citadelle (metsudah). Elle interprète ce verbe « descendre » comme la preuve que David est « descendu » de son palais situé au nord de la défense cananéenne de l’Ophel, vers la forteresse de Sion qui se trouvait alignée avec la structure à degrés. Il semble plus raisonnable de penser que l’auteur biblique fait allusion à la forteresse située dans la région d’Adoullam et dont il est question en 1S 22,4-5 ; 24,23, emmenant ainsi David près du Val des Rephaïm où il pourra affronter les Philistins. L’interprétation étonnante du texte par E. Mazar n’enlève rien au fait qu’elle ait pu trouver une construction importante au nord de la structure à degrés[14] ; des interprétations très différentes peuvent toutefois être formulées à propos de ses trouvailles, dont l’idée que les éléments architecturaux qu’elle a repérés (notamment le magnifique chapiteau proto-égéen qui offre des parallèles non équivoques avec ceux retrouvés à Ramat Rachel et à Samarie et qui datent de l’époque de la royauté divisée) puissent être liés à une construction datant entre la fin du xe s. et 800 AÈC, peut-être un centre administratif du ixe s. (voir Halkin 2006, 46 et Finkelstein, Koch et Lipschits 2011).

De la royauté unifiée, Jérusalem ne révèle finalement pas grand-chose aux archéologues[15]. Faut-il dans ce cas accepter cette sage phrase : l’argument a silentio est toujours délicat à manier, et l’absence de témoignage archéologique n’est pas nécessairement un témoignage de non-existence historique ? Ou plutôt se tourner vers celle-ci : « The intensive archeological work in the City of David in the last century (probably unparalleled in anywhere else in the region), renders the “absence of evidence is not evidence for absence” argument irrelevant in this case » (Finkelstein, Koch et Lipschits 2011, 2 n. 2) ? Devant les silences, chacun y va de ses hypothèses et reconstructions, suivant quasi littéralement les notices du texte biblique, ou privilégiant une approche critique, convaincu qu’il ou elle a raison.

4. Archéologie et Bible sont-elles compatibles ?

Ainsi, les rapports entre Bible et archéologie ne sont pas simples et les réponses que l’on peut tenter d’apporter aux questions de l’une comme de l’autre ne peuvent se formuler simplement. Dans le cas de la Bible, comme dans celui des données archéologiques, les problèmes herméneutiques complexes font nécessairement appel à la subjectivité des chercheurs. On aura beau tenter de faire croire que seules les données objectives des artéfacts parlent par elles-mêmes (« I would let the stones speak for themselves. Either they would corroborate the palace theory or refute it », Mazar 2006b, 70, je souligne), le chercheur devra toujours rendre compte de ses données et les articuler dans un discours qu’il faudra aussi interpréter. Bartlett (2008) a de très bonnes réflexions à ce propos, dont celle-ci, qui peut paraître aller de soi, mais que l’on semble avoir du mal à considérer :

First, any such history would be no more “objective” than the scholars who wrote it ; all archaeological discoveries need interpretation, and their interpretation will depend upon the historical presuppositions and concerns of the interpreter. Second, archaeological evidence always has gaps and is never complete ; surveys do not see everything, excavation is necessarily selective, and in any case much of the evidence has already suffered human or natural destruction. There is no doubt that the historian should draw upon all available sources, whether literary or artefactual. The only serious question is how they should be used.

Bartlett 2008, 574 ; voir aussi Blum 2010 et Villeneuve 2012

4.1 Les tenants de l’archéologie biblique

Bien que certains en appellent à la foi seule pour alimenter leur rapport à la Bible, ne trouvant aucune raison valable de faire confiance à l’archéologie (Halkin 2006, 46), cette science qui peut conduire le croyant de passer de la foi à la perte de la foi [16], ce n’est pas l’avis de tous ceux qui pratiquent l’archéologie biblique. Au coeur des convictions qui guident les tenants de l’archéologie biblique se trouve une foi profonde en la vérité de la Parole de Dieu, et l’archéologie devient un outil au service de cette Parole. L’archéologie apporte des preuves tangibles, palpables, que la Parole de Dieu est vérité. On recherche des arguments « that permit us to link the archeological records to the events described in the Bible » (Harrison 2003, 28), dans le cas qui nous occupe ici, ceux qui pourront rendre compte de l’existence d’une royauté unifiée ayant contrôlé toute la Palestine, de Dan à Beersheva, et même au-delà entre 1000 et 930 AÈC. L’expression un peu candide de E. Mazar, qu’elle place dans son article consacré à l’archéologie de Jérusalem, témoigne assez bien de l’état d’esprit des tenants de l’archéologie biblique : « One of the many things I learned from my grandfather [Benjamin Mazar] was how to relate to the Biblical text : Pore over it again and again, for it contains within it descriptions of genuine historical reality » (Mazar 2006b, 21) ou encore : « The Biblical narrative, I submit, better explains the archaeology we have uncovered than any other hypothesis that has been put forward » (Mazar 2006b, 70). Les tenants de l’archéologie biblique sont souvent de très bons archéologues, mais malheureusement de moins bons exégètes.

4.2 Les tenants de l’archéologie syro-palestinienne

Il ne faut pas confondre les tenants de l’archéologie syro-palestinienne avec les minimalistes. Ces derniers ont rarement recours à l’archéologie, pour des raisons épistémologiques qui leur sont chères. Les vrais tenants de l’archéologie syro-palestinienne se caractérisent par une propension à privilégier d’abord les données archéologiques, quitte à les confronter ensuite aux textes bibliques que les données archéologiques éclairent ou obscurcissent. Bien qu’il soutienne, à la différence des minimalistes, que la plus grande partie des textes bibliques a été compilée bien avant la destruction du premier Temple (587 AÈC) — ce qui, à ses yeux, donne une crédibilité historique au contenu de ces textes —, Finkelstein affirme qu’il accorde une importance centrale aux données archéologiques : « Pour moi, si la lecture critique des textes est importante, c’est l’archéologie qui constitue le joyau de la couronne » (Finkelstein et Mondot 2003, 15). Sans être aussi poétique, Miller affirmait déjà la même priorité au milieu des années 1970 : « My contention is that archeology, sociology, and other such disciplines, should be allowed to speak first with their own voice, without prompting from the Hebrew Bible, before we jump ahead to “biblical archeology” and “biblical sociology” kind of arguments » (Miller 1977, 21 ; voir aussi Joffe 2004 et Silberman 2007).

4.3 Bible et archéologie en complémentarité

Outre ces deux écoles aux présupposés forts différents, une troisième voix se fait entendre, celle qui en appelle à une considération de l’ensemble des données, dans le respect des paradigmes méthodologiques de chaque secteur. Dans cette approche, toutes les sources disponibles doivent être mises à contribution, dans le respect des différences et des questions auxquelles ces différentes sources peuvent apporter un éclairage (Bartlett 2008, 575-576 ; Couturier 2008, 367 ; Finkelstein et Mondot 2003, 76 ; Herr 1997, 115-117 ; Römer 2012, 24-25 ; Silberman 2007, 10 ; Soggin 2004, 43). Römer résume très bien cette complémentarité :

L’exégèse historico-critique et l’archéologie, en tant que sciences humaines au service de la reconstitution du passé, ont certainement vocation à travailler ensemble, chacun dans son rôle et selon ses compétences propres. Les archéologues ont besoin des biblistes car la Bible est une source majeure ; et les biblistes ont besoin des archéologues pour donner chair à leurs reconstitutions.

Römer 2012, 25

Younker propose, dans une perspective de cohérence plutôt que de correspondance, d’envisager la Bible et l’archéologie non pas de façon perpendiculaire, mais parallèle, considérant qu’elles se

[supplement/complement], but rarely [intersect]. For true understanding to emerge, we must look beyond a « prove the Bible » (or « disprove ») synthesis and draw on a coherence theory model. [...] The relationship between the Bible and archeology is fluid, not static. Both can help us better understand the other, but neither can, nor should, be used as a critique of the other. They must live separately and be blended and amended together cautiously.

Younker 2004, 42

5. Conclusion

Ce qui précède aura tracé un trop bref portrait de la situation des discussions archéologiques entourant la question de l’existence ou non d’une royauté unifiée en Israël à l’époque du Fer. Bien que partiel et limité, ce qui est présenté permet néanmoins de constater à quel point les hypothèses de solutions sont diverses et comment celles-ci reposent sur des arguments contradictoires, voire opposés, pourtant tirés des mêmes données archéologiques. Faudrait-il trancher la question à la manière autoritaire de Salomon, et déclarer l’une des parties victorieuse ? Dans nos sociétés modernes, une telle façon de procéder ne recevrait certes pas les louanges qui accompagnent le geste du monarque dans le texte biblique. Bien qu’il soit impossible, à ce stade-ci des débats, d’arriver à des consensus qui permettraient de rallier les camps diamétralement opposés, un certain nombre de considérations qui orientent le jugement dans une direction plutôt qu’une autre peuvent toutefois être formulées.

D’abord, l’interprétation des données archéologiques sur la base d’une lecture littérale et non critique des textes bibliques n’est plus recevable aujourd’hui. Les avancées majeures dans le domaine de l’exégèse sont trop importantes pour qu’on les ignore totalement et volontairement. S’il est vrai que les conclusions tirées de l’étude des textes bibliques ne reçoivent pas toujours l’assentiment général, elles ont tout de même le mérite de questionner les textes et de tenter de mieux en comprendre les phases de composition et de transmission. En ce qui concerne la période de la royauté unifiée, les couches rédactionnelles deutéronomistes, pour ne nommer que celles-là, teintent l’ensemble des récits. Cette donnée fait consensus dans la communauté scientifique. Il faut savoir et pouvoir en tirer les conséquences dans l’ensemble du processus d’interprétation d’une découverte archéologique. Faire l’économie des analyses sérieuses et méthodiques des textes bibliques conduit inévitablement à des propositions d’interprétation des données archéologiques teintées d’un conservatisme récupérateur au service d’une idéologie religieuse, voire, dans le pire des cas, politique (lire à ce sujet Dauphin 2005 et 2008).

Cette première considération en appelle une autre, qui concerne la recherche exégétique. Les dernières décennies ont vu se multiplier les hypothèses et les propositions concernant la rédaction des textes bibliques, y compris ceux des premiers Prophètes. Il serait utile et souhaitable, à ce stade-ci, que l’on tente de dégager un certain nombre de pistes susceptibles de rallier la majorité des chercheurs. La multiplication des propositions concernant la composition des textes bibliques devient un obstacle majeur dans l’établissement de bases solides pour tenter de résoudre certains problèmes traités dans le présent article.

Par ailleurs, il est urgent, du côté des recherches archéologiques, que l’on propose de nouvelles études exhaustives sur la typologie de la céramique à l’époque du Fer. La céramique demeure l’artéfact privilégié pour tenter de construire une chronologie, mais son association avec telle ou telle période ou sous-période demeure un sujet de profondes controverses. Ces dernières ne s’estomperont pas tant et aussi longtemps que l’on n’établira pas une base commune et solide de comparaison. Le travail s’annonce difficile et ardu, mais il s’impose si l’on veut pouvoir réduire l’écart qui divise actuellement les diverses écoles.

Finalement, il serait peut-être sage de déclarer, pour quelques années, un moratoire sur tout travail ou interprétation qui voudrait lier Bible et archéologie. Les travaux à réaliser évoqués plus haut, tant en exégèse qu’en archéologie, demandent du temps et beaucoup de labeur. S’accorder une période au cours de laquelle les exégètes et les archéologues mèneraient leurs recherches dans le respect de leurs compétences propres, sans faire appel au travail des uns ou des autres, pourrait permettre de faire émerger de nouveaux paradigmes actuellement insoupçonnés à partir desquels une nouvelle mise en dialogue pourrait ensuite s’amorcer.