Liminaire

Une décentralisation salutaire de l’Église catholique ?[Notice]

  • Ignace Ndongala Maduku

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  • Ignace Ndongala Maduku
    Institut d’études religieuses, Université de Montréal (Canada)

Depuis la publication en 2013 de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, par le Pape François, la décentralisation est au coeur de nombreux travaux en théologie catholique. Le terme de décentralisation est cependant extérieur au discours théologique. Il appartient à l’horizon structurant de la science politique où il entre en résonance avec une certaine réalité sociale et politique, organisée et structurée autrement par rapport au centre (Alcaud et Bouvet 2004). Le terme de décentralisation s’entend comme le complément indissociable d’un processus de modernisation et de démocratisation volontariste (Baguenard 2004). Tout bien considéré, il constitue une constellation sémantique avec les termes d’autonomie, de régionalisation et de fédéralisme. Il s’ouvre aussi à d’autres horizons de signification, trouvant dès lors des applications dans des domaines aussi divers que l’administration, le droit, la géographie, les finances, les sciences de l’éducation. En théologie, le terme de décentralisation est opératoire dans plusieurs disciplines : liturgie, droit ecclésiastique, pastorale, catéchèse, ecclésiologie. L’usage de ce terme en théologie n’est cependant pas nouveau. D’aucuns corrèlent sa compréhension à la centralisation romaine. Ce dernier terme renvoie à l’histoire, à « une histoire, toujours significative » (Chenu 1979). En effet, la dénomination reçue et le contenu déterminé du terme de centralisation en font un mot-événement (Moirand 2007). Son inscription dans le discours théologique ne va pas sans son association avec d’autres énoncés ou d’autres images stockées en mémoire, ni son lien avec des formulations antérieures, le déjà-dit, le déjà-énoncé dont témoigne la circulation de ce terme dans l’histoire. La centralisation romaine a une histoire complexe. Elle a traversé les siècles et les critiques les plus vives n’ont pas réussi à l’éradiquer de l’Église. C’est un phénomène qui s’accommode d’une exaltation de l’autorité du Pape et de l’érection des traditions disciplinaires et liturgiques de l’Église de Rome en un modèle pour les autres Églises. Elle est la résultante d’une évolution progressive qui s’est étalée sur plusieurs siècles, entraînant dans les faits l’uniformisation et la bureaucratisation de l’Église catholique, la centralisation des décisions, le renforcement et l’élargissement de l’administration, la surévaluation de la prééminence de l’évêque de Rome et du rôle de la papauté dans l’Église, et enfin, la réduction de l’unité de l’Église à l’uniformité (Schatz 1992). La centralisation n’a pas cessé de fluctuer au gré des événements politiques et ecclésiaux divers. Comme le reconnaît le théologien J. Ratzinger, elle a imprimé à l’Église catholique l’image d’un État centralisé, heureusement et pertinemment remise en cause par le concile Vatican II (Ratzinger 1971). Cela noté, il convient de ne pas perdre de vue que les lieux institutionnels promus par le dernier concile n’ont pas entièrement résolu le centralisme doctrinal, disciplinaire et pastoral. C’est ce qu’attestent les synodes et les statuts des conférences épiscopales dont la compétence doctrinale a été contestée. L’involution vers la centralisation s’illustre aussi par une révision à la baisse des compétences du synode des évêques et des conférences épiscopales, avec en conséquence l’affirmation de la priorité unilatérale de l’Église universelle sur les Églises particulières, la réduction de l’exercice de la collaboration épiscopale au plan régional et la révision à la baisse du statut canonique des conférences épiscopales, la subordination du magistère reconnu aux conférences épiscopales au magistère de l’Église universelle (Legrand 1999 ; 2001). L’on peut dès lors s’interroger à la suite de G.Thils : « Unité catholique ou centralisation à outrance ? » (Thils 1969). L’alternative postulée jadis par le théologien belge est au coeur du débat sur le fonctionnement institutionnel de l’Église catholique. S’y coltinant en son temps, K. Rahner avait plaidé pour une « décentralisation », dans l’Église, dénonçant au passage le péril d’une centralisation trop poussée (Rahner …

Parties annexes