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Comme son homologue japonais le manga, le manhwa coréen trouve son origine dans la tradition épique et l’art pictural oriental (surtout chinois) fondé sur la ligne. Moins connu que le manga, le manhwa présente des caractéristiques uniques, enracinées dans l’histoire et la culture coréennes, qui font de la BD sud-coréenne une des plus dynamiques d’Asie. Son origine s’inscrit dans un contexte de conflit coréano-japonais : le premier manhwa fut publié en Corée en 1909, un an avant l’annexion de la Corée par le Japon. Longtemps interdit pendant la période de colonisation japonaise (1910-1945), le manhwa fut ensuite soumis à une forte censure sous la dictature militaire jusqu’à sa véritable libération, dans les années 1980.

La traduction des mangas en langues occidentales remonte aux années 1960 et 1970 en France et aux États-Unis, à la suite de la diffusion de dessins animés japonais lancés par la série à succès Goldorak en 1978. Publié d’abord dans des revues, le manga ne connaît un véritable essor sous forme de BD que dans les années 1990, surtout avec Dragon Ball – édité en français à partir de 1993 chez Glénat –, qui marque le point de départ de l’explosion du manga en France. La traduction des manhwas est plus tardive ; elle se situe à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ; Angel Dick est ainsi le premier manhwa paru en français chez Kana, en 1996. Comme les films coréens, qui sont appréciés pour leur côté plus réaliste que les films japonais, les manhwas abordent des sujets relatifs à l’histoire, à la vie du peuple et à la critique de la société, loin des robots et scènes violentes de combats ou des histoires à l’eau de rose ; ils attirent souvent un public adulte ou, du moins, plus âgé que le manga.

Bien qu’ils présentent des différences, manga et manhwa se rejoignent dans l’importance du graphisme et de l’image, et dans l’environnement du tout-à-l’image : tant les sons (via les onomatopées) que les mouvements, émotions ou sensations (via les idéophones) sont omniprésents dans l’image et placés hors des phylactères (ou bulles). Nous employons ici le terme onomatopée au sens restreint[1] pour désigner les mots mimétiques qui imitent des sons ou des bruits et qui agissent comme une sorte de bande sonore. Absents de la BD occidentale et donc caractéristiques des mangas et manhwas, les idéophones[2] sont des mots mimétiques qui imitent un mouvement tant physique (geste, mimique, déplacement) que sensoriel ou psychique (émotion, état d’âme), ou encore qui peuvent suggérer un aspect, une texture, introduisant ainsi une dimension cinétique et même émotionnelle. La bande dessinée coréenne est donc pour ainsi dire animée et elle transmet tout via l’image sous une forme cinétique et non sous une forme statique comme la BD occidentale : « La bande dessinée [occidentale] est d’une part visuelle, d’autre part auditive et aussi cinétique. Elle transmet de l’image, du son et du mouvement, mais contrairement au film, elle le fait sous une forme statique et graphique » (Herkman, 1998, p. 26, cité par Ylä-Outinen, 2009, p. 9). Il n’est alors pas étonnant qu’en coréen (ou en japonais jadis[3]) le terme manhwa 漫畵 puisse désigner tant une bande dessinée qu’un dessin animé. La bande dessinée coréenne (ou japonaise) est d’ailleurs le plus souvent conçue pour être portée à l’écran, ce qu’illustrent souvent les plans de coupe. Les mots mimétiques coréens sont pour cette raison infiniment plus nombreux que dans la BD occidentale. Ils ont une place prépondérante dans les images et donc dans l’oeuvre, au point de pouvoir déstabiliser le lecteur occidental néophyte.

Les études sur la traduction des mots mimétiques sont en général à l’état embryonnaire, voire inexistantes en français, et portent pour la plupart sur le rendu de ces mots dans les oeuvres littéraires (Jeanmaire, 2011 ; Inose, 2009 pour la traduction des mots mimétiques japonais en espagnol). Les stratégies observées en traduction littéraire s’avèrent d’ailleurs fort différentes de celles qui sont employées pour traduire les mangas ou les manhwas (voir Jeanmaire, 2011 et Inose, 2009). Si la traduction des onomatopées dans les mangas et les manhwas est un défi moins ardu à relever[4], il n’en va pas de même des idéophones, pour lesquels les traducteurs doivent élaborer des stratégies que nous analyserons plus loin. Dans la présente étude, nous nous limiterons à la traduction en français des idéophones coréens des manhwas, mais nous remarquons les mêmes stratégies dans la traduction en espagnol (Inose, 2009) et en français des idéophones japonais des mangas et dans celle en espagnol des idéophones coréens des manhwas.

Nous présenterons, avec exemples à l’appui, les diverses façons dont les idéophones des manhwas sont traduits en français, ceci dans le but d’évaluer leur efficacité à reproduire le sens et les sensations véhiculés par les idéophones ainsi que leurs effets musicaux, rythmiques, visuels et graphiques, et même parfois leur charge émotionnelle, sans oublier leur degré effectif d’iconicité. Enfin, nous décrirons nos propres solutions de traduction.

1. Les idéophones, signes-énoncés de la bande animée (BA) coréenne

1.1. Particularités des idéophones coréens dans la BA

Les idéophones existent en français, mais ils sont le plus souvent intégrés dans le lexique (lexicalisés) et, sur le plan morphologique, ils sont moins directement imitatifs, donc moins visibles et davantage implicites (p. ex. dodeliner [< dod-, radical exprimant le balancement] et bouffi [< bof-, radical exprimant le gonflement]). Certains idéophones fonctionnent tels quels, c’est-à-dire sans l’apport d’un suffixe dérivationnel (p. ex. zigzag vs zizaguer ou crac vs craquant/craquer pour les onomatopées) ; ils sont alors plus apparents. Il en existe en français, mais ils sont peu nombreux et presque toujours employés en tant que catégories lexicales au sein d’une phrase ou d’un énoncé et non sous la forme autonome de signes-énoncés. De plus, ils relèvent généralement du registre familier ou enfantin : dare-dare, ric-rac (adverbe), guili-guili (nom). Ainsi, en français, rares sont les idéophones qui, tels glagla ou brr brr, peuvent apparaître dans la BD en tant que signes-énoncés.

En revanche, dans la BD coréenne, où ils sont omniprésents, les idéophones peuvent non seulement fonctionner sans l’apport d’un suffixe, en tant qu’adverbes au sein d’une phrase, mais aussi sous la forme autonome de signes-énoncés. Ils font partie intégrante de l’image, accompagnant les actions et les mimiques (expressions) des personnages, produisant des effets visuels, rythmiques, cinétiques, émotionnels. Les idéophones coréens sont le plus souvent redoublés (p. ex. 주뼛주뼛 juppyeot juppyeot, marquant l’hésitation), et il existe toute une palette de nuances selon que la voyelle est du yin ou du yang (connotation dépréciative ou méliorative) et que la consonne est douce, forte, voire aspirée, graduant son intensité. Ainsi, 뚱뚱 ttungttung (voyelle du yin), qui suggère l’obésité, s’oppose à 똥똥 ttonttong (voyelle du yang), qui évoque l’aspect grassouillet ou potelé d’un bébé. L’hésitation qu’induit 쭈뼛쭈뼛 jjuppyeot jjuppyeot (consonne forte) est plus marquée que dans 주뼛주뼛 juppyeot juppyeot (consonne douce) ; 콱 k’wak (consonne aspirée) [action de saisir avec fermeté] est plus fort que 꽉 kkwak (consonne forte). Par ailleurs, il est possible de réduire la brutalité ou la rapidité du mouvement ou du déplacement en allongeant la voyelle de l’idéophone. Par exemple, 꽈악 kkwaak est plus lent (moins brusque) que 꽉 kkwak. De même, l’aspect furtif de l’apparition ou du mouvement dans 슥 seuk (consonne douce) sera intensifié dans 쓱 sseuk (consonne forte), et sera au contraire plus lent et plus visible dans 스윽 seueuk. L’allongement de la partie médiane d’un idéophone peut également augmenter son intensité : 주륵 jureuk décrit des larmes moins abondantes que 주르르르르륵 jureureureureureureuk.

Ainsi, les idéophones ou plus généralement les mots mimétiques coréens, en tant que signes-énoncés, véhiculent dans la BD coréenne un sens, une sensation, et sont aussi des éléments graphiques qui font partie intégrante d’une composition, du dessin (v. section 1.2., exemples 1 à 6). Ils constituent avec l’image dans laquelle ils sont incrustés un iconoterme[5], c’est-à-dire un ensemble indissociable de verbal et de visuel établissant une relation d’interdépendance, de synergie. Une telle symbiose permet de renforcer la dynamique iconotextuelle, forme hybride entre la BD et le film.

Les mots mimétiques coréens se distinguent par leur dimension graphique, esthétique propre à la langue coréenne : « dans les mangas [ou les manhwas], la relation est forte entre l’esthétique même du signe graphique, sa perception, et la sensation que véhicule l’onomatopée » (Nouhet-Roseman, 2010, p. 167). Dans les mangas et les manhwas, tout passe par l’image : actions, expressions, émotions, sensations, ce qui explique leur omniprésence et leur importance, et partant l’absence générale de texte narratif. Ainsi, comme traduire ne se limite pas à la dimension sémantique, il convient de prendre en compte les dimensions esthétique (graphique) et émotionnelle, et donc non seulement de traduire l’iconoterme, mais aussi de le dessiner.

1.2. Effets graphiques des mots mimétiques coréens dans la BA

Outre la taille, qui permet de graduer l’intensité (ce qu’on trouve aussi dans la BD occidentale[6]), la forme des caractères module l’effet produit sur le lecteur. « Elles [les onomatopées au sens large] sont écrites différemment du reste du texte […]. […] elles transmettent un message à travers un mot, mais ce mot est très souvent une partie importante de l’image qui exprime sa signification aussi dans son apparence » (Herkman, 1998, p. 50, cité par Ylä-Outinen, 2009). Ainsi, dans l’exemple 1 ci-dessous, l’idéophone 스물스물 seumulseumul, qui évoque le mouvement sensoriel du sang qui coule et qui démange (comme si des insectes vous parcouraient le corps), permet au lecteur coréen, à travers la forme des caractères coréens, de visualiser et de ressentir d’autant mieux ce mouvement. Dans l’exemple 2, l’onomatopée imite le bruit du tonnerre, mais, en même temps, par sa taille et sa forme, elle fait penser à la foudre et au tonnerre.

La forme des caractères peut représenter l’objet lui-même, comme dans l’exemple 2 ci-dessus, ou symboliser un état d’âme comme dans l’exemple 3 ci-dessous, où le sourire radieux du personnage est renforcé par un des caractères coréens transformé en fleur épanouie. Elle peut également symboliser une sensation physique ou psychique : dans l’exemple 4, 어찔어찔 eojjileojjil, imitant l’étourdissement, est ressenti grâce à la forme des caractères, qui ont aussi le « tournis ».

Il arrive même que la forme des caractères soit combinée à une couleur afin de rendre l’image encore plus forte. Dans l’exemple 5 ci-dessous, les caractères sont imprimés en rouge dans l’original, ce qui suggère la colère; la couleur des caractères, associée à leur forme, pareille à des dents qui grincent, renforce l’expression du visage et ainsi l’impact visuel.

Par ailleurs, les idéophones de mouvement sont souvent accompagnés de traits qui soulignent le mouvement, ce qui renforce l’illusion cinétique. Dans l’exemple 6, 꾸벅 kkubeok imite le hochement de tête, et les traits permettent au lecteur de mieux visualiser le mouvement du personnage.

Enfin, comme l’a noté Hänninen (1994, p. 85, cité par Ylä-Outinen, 2009, p. 11), « les lettres peuvent suivre la direction du mouvement et, de cette manière, elles renforcent l’illusion cinétique et dirigent le regard du lecteur ». Dans l’exemple 7, l’onomatopée imite le bruit d’une averse et donne l’impression que ce sont les lettres qui pleuvent, pour finir sur le sol.

Ainsi, tout comme les onomatopées constituent la bande sonore de la BD en introduisant une dimension acoustique, les idéophones viennent ajouter du mouvement, donnent du relief à l’image, lui confèrent une dimension cinétique, comme si le dessin s’animait tel un dessin animé.

2. Quelles stratégies de traduction adopter face aux idéophones, signes-énoncés de la BD coréenne ?

Face à ces signes-énoncés, plusieurs stratégies s’offrent au traducteur. L’omission pure et simple est communément pratiquée, ces signes étant sans doute considérés comme superflus. Certains traducteurs, se souciant du signifiant et de l’image (dimension graphique) véhiculés par les caractères coréens, se contentent de les importer, pratiquant ce que Delisle (1993) ou Ballard (1997) nomment le report, sorte de sous-titrage dans une autre langue, en l’occurrence dans la langue source ; les caractères sont alors indéchiffrables (pareils à des hiéroglyphes). D’autres, mettant davantage l’accent sur le signifié, soit leur substituent un sens sous forme d’énoncé court (ex. regard intense), soit redoublent un mot de formation non imitative pour lui en donner l’apparence (hésite hésite). D’autres encore mettent l’accent non pas sur « le sens de la langue, mais [sur celui] du discours ou de la parole » (Ladmiral, 1986 et 2010), autrement dit, sur l’effet produit par l’iconoterme, en rendant l’idéophone par une interjection ou par un mot de formation expressive (ou aux sonorités suggestives) exprimant la même sensation, en se basant aussi sur la situation de communication et les éléments extralinguistiques tels que le contexte, les images ou les mimiques des personnages.

2.1. Omission pure et simple ou report

Peut-être jugés par le traducteur comme superfétatoires, l’image se suffisant à elle-même, les idéophones, en particulier ceux qui expriment une action ou qui comportent un déplacement ou un mouvement, disparaissent parfois purement et simplement dans la version française. Certains traducteurs jugent bon de supprimer grand nombre d’entre eux (tant les onomatopées que les idéophones) pour ne pas trop déstabiliser le lecteur francophone, habitué aux normes de la BD franco-belge. C’est notamment le cas des idéophones difficiles à rendre en français. Ainsi, 스윽 seueuk [mouvement furtif] et ses variantes se voient souvent gommés. Dans les exemples 8a et 8b, le chat, héros de la BD, assis sur un banc jouxtant celui de la jeune fille, lui demande du feu voyant qu’elle est en train de s’allumer une cigarette. Si la jeune fille est effrayée, ce n’est pas parce que le chat lui demande du feu, mais parce que le chat tourne furtivement la tête, ce que comprend le lecteur coréen grâce à la présence de 스윽 seueuk.

D’autres traducteurs ou éditeurs, jugeant importants le signifiant et l’aspect graphique de l’iconoterme, et sans doute aussi par souci d’authenticité et afin de répondre aux attentes du public visé, importent tels quels les mots mimétiques (ou une partie d’entre eux), en particulier les idéophones ; ils pratiquent ainsi le report. Est-ce un choix de l’éditeur, une stratégie du traducteur ou une combinaison des deux ? Certaines maisons d’édition optent pour cette stratégie, ne traduisant pas tous les iconotermes voire n’en traduisant aucun. Par exemple, l’éditeur Paquet précise au verso de la page de faux titre de La Bicyclette rouge : « Note de l’éditeur : Nous avons laissé les onomatopées en coréen, sauf cas exceptionnel où leur traduction nous semblait nécessaire à la bonne compréhension de l’ouvrage. » Il revient non seulement plus cher de gommer un iconoterme que de l’importer tel quel, mais en plus, sa suppression peut altérer le dessin. L’éditeur Tonkam, pour les mangas, cherche le même nombre de lettres dans les deux langues pour ne pas modifier le dessin. Les partis pris des éditeurs en la matière montrent qu’ils se soucient du rendu des iconotermes. En outre, les lecteurs potentiels, férus du monde de la BA sud-est asiatique, préfèrent conserver cette authenticité, l’exotisme (idiosyncrasie) et le graphisme d’origine, ne serait-ce que pour son impact esthétique, comme l’explique Jüngst (2006, p. 249) : « Often onomatopoeia is left in the Japanese katakana [or Korean] alphabet. This is not only cheaper as it saves retouching the picture; it also has a strong aesthetic impact. »

Le report peut se faire en hangeul (alphabet coréen), mais aussi par une transcription phonétique en lettres latines, comme l’illustrent les exemples 9 et 10.

Que les idéophones soient reportés en caractères coréens ou en lettres latines, ils resteront le plus souvent opaques, même si le contexte et l’image (l’expression du visage notamment, personnage étonné, en colère, les traits soulignant un mouvement ou un déplacement), ainsi que la forme, voire la disposition graphique des caractères, permettent parfois au lecteur de deviner leur sens ou la sensation qu’ils véhiculent. Autrement dit, certains signes-énoncés peuvent se passer de « sous-titres ». Ils n’ont pas toujours besoin d’être lus, mais seulement d’être perçus, ressentis par le lecteur : « As the shapes of the letters help to decipher whether the onomatopoeia is meant to represent a pleasant or an unpleasant sound, knowledge of katakana [ici caractères coréens] is not even needed. » (Jüngst, 2006, p. 249)

De même, leur simple report en lettres latines peut être compréhensible grâce au dessin, au contexte et aux traits symbolisant le mouvement (exemple 12), mais autant alors adopter la solution plus exoticisante et moins onéreuse, à savoir le report en hangeul.

Il est également indéniable que les onomatopées n’ont pas non plus besoin d’être toutes sous-titrées. Notamment, dans le cas d’une scène de combat violent, le simple report en hangeul suffit au lecteur : inutile de chercher un bruit équivalent dans la langue cible, ce qui pourrait de surcroît surcharger inutilement le dessin et donc l’altérer.

Cependant, le contexte, le dessin, la forme et la disposition graphique des iconotermes ne suffisent pas toujours. Souvent, le lecteur cible a le sentiment de passer à côté de quelque chose et ne saisit pas le sens et encore moins les nuances. Dans l’exemple 10, ossaaak (case supérieure) évoque les sueurs froides qu’a le jeune homme suivi par une jeune fille au visage ensanglanté (case inférieure), ce que ne peut ressentir le public d’accueil. Dans l’exemple 9, le jeune homme, auparavant allongé dans son lit, tourne la tête et se redresse brusquement, car la jeune fille qui est dans sa chambre vient de lui dire qu’elle le trouvait beau, ce qu’exprime le premier idéophone 슥 seuk [mouvement furtif] vu précédemment (exemple 8). Le second idéophone 벌떡 beoltteok [redressement rapide et soudain] de l’exemple 9 (v. aussi exemples 25 et 27] permet au lecteur source de comprendre qu’il se lève d’un bond de peur qu’elle l’embrasse.

La combinaison (report + transcription) n’est guère plus efficace et elle a l’inconvénient de surcharger inutilement l’image. De plus, on perd l’impact visuel. À noter que cela peut être un choix de l’éditeur. Par exemple, l’éditeur Kana conserve les caractères d’origine, que les iconotermes soient traduits ou transcrits en lettres latines.

Dans l’exemple 13, l’idéophone 슥 seuk/suuk exprime la rapidité du geste dissimulé de celui qui tend la main au jeune homme pour se réconcilier avec lui et qui le prend ainsi par surprise. Dans la case précédant l’exemple 13, le jeune homme avait grincé des dents de colère, éprouvant de la rancune à l’égard du personnage qui tend la main. La présence de l’idéophone aide à la compréhension de la surprise ressentie par le jeune homme en voyant son ami lui tendre la main, alors que celui-ci vient de grincer des dents de colère.

2.2. Restitution sémantique et redoublement

Lorsque le traducteur fait appel à des mots, il les redouble souvent pour leur donner une apparence d’iconoterme, d’idéophone. Toutes les catégories de mots (noms, adjectifs, verbes, etc.) peuvent être ainsi redoublées.

Dans les exemples 14a et 14b, 흐느적 heuneujeok ou 흐물럭 heumulleok, exprimant le manque d’énergie, la mollesse, est rendu par la répétition de l’adjectif mou : moumou, le petit garçon étant « libéré » après avoir déféqué non sans difficulté. Le redoublement de mou confère à ce mot des sonorités suggestives ou les renforce. Cependant, la forme « molle » (sans énergie) des caractères coréens, qui s’accorde avec la mollesse de ses bras ou de son corps, n’est plus visible dans la forme des caractères latins. L’idéophone ramollo, terme aux sonorités suggestives ou mot-signe (terminologie de Ballard, 2000), rendrait de manière habile la sensation de manque d’énergie suggérée par l’idéophone original, et ce, d’autant plus que ramollo est aussi composé de trois syllabes et qu’il présente des sonorités communes avec heumulleok.

Le redoublement de verbes (hésite hésite), de substantifs (exemple 15) ou de syntagmes (exemple 16) s’avère aussi peu convaincant.

Dans l’exemple 15, courbette courbette évoque trop explicitement le hochement de tête de l’iconoterme d’origine 꾸벅꾸벅 kkubeok kkubeok et rend moins bien compte de la force expressive de l’idéophone coréen. Le rendu est néanmoins habile, car il comporte le même nombre de syllabes (deux) que l’iconoterme d’origine et, surtout, trois sonorités communes (kkubeok kkubeok/courbette courbette) : /k/, /u/, /b/. La courbette faisant référence à l’inclinaison de tout le corps et non uniquement de la tête, on pourrait lui préférer incline incline ou mieux encore hoche hoche, aux sonorités suggestives. Notons aussi que le rendu français n’a pas tenu compte de la disposition de l’idéophone coréen : la traduction française ne conserve pas l’amenuisement de la taille des kkubeok kkubeok, figurant la perspective en V de la « grosse » tête au premier plan et des pieds joints plus fins en bas. Le traducteur a par ailleurs conservé l’épaisseur des caractères et la couleur de l’original. Dans l’exemple 16, l’iconoterme 우글~ 우글 ugeul~ ugeul suggère une ambiance tumultueuse et grouillante de monde ; il a été restitué sémantiquement par du monde du monde ~ du monde du monde. Le recours au redoublement d’un verbe aux sonorités suggestives tel que grouille grouille, qui présente des sonorités similaires (ugeul ugeul/grouille grouille : la vélaire /g/ et les liquides /l/, /r/, /j/), permettrait de préserver le trait musical et de renforcer l’iconicité de l’idéophone d’origine.

On rencontre également des cas où les mots ou syntagmes de formation non expressive ne sont ni redoublés, ni allongés, et où seul le sens est restitué ; le rendu est alors moins efficace. Ainsi, dans l’exemple 17, 화끈 hwakkeun, évoquant le rouge (le sang) qui monte aux joues, a été traduit ici par gros fard.

Somme toute, lorsque les idéophones sont remplacés par des mots, qu’ils soient redoublés ou non, et même s’ils présentent des sonorités suggestives, le rendu est adéquat en regard des normes littéraires cibles, mais la restitution est avant tout sémantique, trop explicite ; la valeur iconique disparaît. Le plus souvent, le recours à cette stratégie prive le lecteur des composantes orale ou musicale, rythmique, visuelle et émotionnelle véhiculées par les idéophones d’origine. L’image reste statique, le dessin n’est plus animé. Le lecteur cible est donc privé de la dimension cinétique.

2.3. Interjection

Les idéophones peuvent être rendus par des interjections qui fonctionnent également sous la forme autonome de signes-énoncés et qui peuvent apparaître, comme dans la BD occidentale, en dehors des bulles, à l’instar des onomatopées. L’accent n’est alors mis ni sur le signifiant ni sur le signifié, mais plutôt sur l’effet produit sur le lecteur par l’iconoterme coréen. Que l’on opte pour le « sous-titrage » ou le remplacement de l’idéophone d’origine, le recours à des interjections qui illustrent une sensation ou une émotion semblable a le double avantage d’être perceptible par le lecteur cible, et, lorsqu’elles sont de formation onomatopéique ou lorsqu’elles ont des sonorités suggestives, de préserver la valeur iconique du mot mimétique ou phonosymbolique d’origine.

Les traducteurs font généralement appel à des interjections proches des onomatopées (le plus souvent monosyllabiques) et dites « primaires » (selon la terminologie de Richet, 2001, p. 83 ; ex. psst, euh !), par opposition aux interjections dites « secondaires », qui sont « fondées sur des mots normaux devenus interjections » (ex. mince, bon sang) (ibid.). Par ailleurs, même si le personnage ne prononce aucun mot dans le texte source (il ne s’agit pas du contenu d’une bulle, mais d’un signe-énoncé imitant le plus souvent un mouvement), les interjections, qui ont une fonction expressive (souvent suivies d’un point d’exclamation ou d’interrogation), traduisent efficacement les idéophones. Le lecteur source perçoit donc ce mouvement par la présence d’un idéophone, le lecteur cible, par la présence d’une interjection. Ainsi, les idéophones exprimant la surprise 깜짝 kkamjjak, mais aussi 흠찟 heumjjit ou 움찔 umjjil [surprise accompagnée d’un tressautement], sont souvent traduits par l’interjection hein ! sinon ah ! ou Oh là !, sans redoublement, comme en coréen.

Dans l’exemple 18, le jeune homme est surpris par les propos de la coiffeuse, qui le rendent jaloux, car il éprouve de l’attirance à son égard. Dans l’exemple 19, le locuteur lui propose de les rejoindre dans leur bande pour faire de la moto. Surpris par cette proposition inattendue, le jeune homme sursaute légèrement et a un mouvement de recul, d’où l’idéophone 움찔 umjjil rendu par l’interjection hein ? À noter que, dans l’exemple 18, encore une fois, la forme ainsi que l’épaisseur des caractères renforcent la surprise. De même, les interjections marquant l’embarras ou l’hésitation telles que euh… ou ses variantes reproduiraient avec effet l’idéophone 우물주물 umul-jumul, suggérant l’hésitation, solution qui évite la simple restitution sémantique trop explicite de hésite hésite (voir section 2.2).

Les traducteurs recourent moins souvent aux interjections secondaires, issues de mots ne s’apparentant pas aux onomatopées ou aux idéophones, comme dans l’exemple 20. Dans cet exemple, le personnage chute, se relève, puis dévale la pente. L’idéophone 우두두!! Ududu !!, qui exprime une course effrénée (lorsqu’il dévale la pente), a été remplacé par l’interjection secondaire allez !, comme si le personnage s’encourageait.

2.4. L’iconoterme et le tout-à-l’image

Une dernière stratégie, plus créative, consiste à rendre un idéophone non seulement par un mot de formation expressive (onomatopée ou idéophone) ou aux sonorités suggestives, mais aussi de manière plus suggestive, plus imagée que par un rendu sémantique trop explicite du type grouille grouille ou que par une interjection primaire rapportant la pensée ou les paroles d’un personnage, à savoir par un signe-énoncé ou un iconoterme. Cette stratégie permet de transmettre au lecteur et de préserver, au-delà du sens, les effets sonores, visuels, voire rythmiques, que recèlent les idéophones coréens. Le signe-énoncé d’origine est rendu par un autre signe-énoncé (sorte d’émoticône ou cinéticône), et restitue ainsi en français toute la force expressive/imagée ou iconique de l’idéophone d’origine, activant l’imagination sonore, voire visuelle, et l’émotivité du lecteur-déchiffreur, qui sont un peu délaissées dans cet environnement du tout-à-l’image.

2.4.1. Idéophone signe-énoncé et recours à l’anglais

Rendre un idéophone coréen par un idéophone signe-énoncé français paraît certes la stratégie la plus fidèle. Cependant, comme nous l’avons dit précédemment, il existe très peu d’idéophones en français pouvant fonctionner dans la bande dessinée sous la forme autonome de signes-énoncés. Néanmoins, les idéophones glagla et brrr... brrr..., par exemple, traduisent bien les effets sonores et visuels des idéophones exprimant un frisson ou un tremblement marquant une sensation de froid tels que 부들부들 budeulbudeul, 우들우들 udeuludeul, 덜덜덜 deoldeoldeol, ou une sensation de peur comme 오싹 ossak (v. exemple 10). Dans l’exemple 21, le cinéticône hop, marquant un élan, un saut, une escalade, mais aussi la soudaineté ou la rapidité d’un procès, reproduit habilement 벌떡 beoltteok, qui évoque un redressement rapide et soudain.

Redoublé, hop hop hop permettrait de préserver les composantes phonosymbolique et rythmique de l’iconoterme d’origine udeudeu de l’exemple 20.

L’anglais disposant de plus de ressources que le français pour rendre les idéophones, beaucoup de verbes (ou noms) anglais de mouvement ou d’action (parfois associés à un bruit ou à un son), pour la plupart d’origine imitative ou expressive, ou aux sonorités suggestives (mots-signes), apparaissent dans les traductions françaises, tant dans les manhwas que dans les mangas (ex. slip [glisser]). En ce sens, l’anglais peut être plus adapté que le français pour rendre compte des mouvements et des sensations ou émotions véhiculés par les idéophones coréens. Par ailleurs, comme le précise Valero Garcés (2008, p. 238-239) au sujet de la traduction des mangas, les traducteurs préfèrent souvent faire appel à l’anglais afin de créer un effet exotique. Cependant, beaucoup de ces mots anglais ne sont accessibles qu’aux lecteurs avertis ou aux francophones qui ont une parfaite connaissance de l’anglais ; c’est par exemple le cas de thump [frapper, cogner], thud ou thunk [bouger ou tomber avec un bruit sourd], twitch [se crisper], leap [bondir, jaillir], rub [frotter] et flinch [tressaillir]. Le lecteur néophyte, qui n’est pas féru de mangas ou de manhwas, aura de la difficulté à associer un sens à ces mots mimétiques (idéophones), malgré l’image et le contexte. Ainsi, gasp, qui évoque le souffle coupé par la surprise ou la peur, se substitue souvent aux idéophones relatifs à la surprise tel 화들짝 hwadeuljjak [surprise avec un sursaut]. Cependant, l’image ne suffit pas toujours à bien saisir le sens véhiculé par l’idéophone d’origine, comme en témoigne l’exemple 22, où l’expression du personnage suggère plus la colère que l’étonnement. Il va de soi que l’interjection hein ? est plus facilement accessible que gasp pour un lecteur francophone.

Les idéophones relatifs à un mouvement rapide, brusque ou furtif (벌떡 beoltteok [redressement rapide et soudain], 스윽 seueuk [mouvement discret, feutré]) sont remplacés le plus souvent par woush (variante de whoosh, imitant un mouvement rapide et soudain accompagné par un bruit de course précipitée ; voir l’exemple 23 ci-dessous) ou (h/z)wip < whip (exemple 24). Les lecteurs peuvent comprendre ces idéophones anglais, surtout lorsque figurent des traits de mouvement qui l’accompagnent. Cependant, l’idéophone anglais pop suggérerait mieux une apparition furtive et aurait le mérite d’être transparent pour le lecteur francophone néophyte.

Il est par ailleurs possible de rendre un idéophone coréen par un mot mimétique anglais à la fois idéophone de mouvement et onomatopée (imitant en même temps un mouvement et un bruit), ce qui confère un effet de mouvement et un effet sonore. Par exemple, woush et snap (faire un geste vif pour saisir/attraper qqch. avec un bruit sec) restituent de manière pertinente les idéophones 화악 hwaak (action soudaine) et 꽈악 kkwaak (action de saisir ou serrer fortement ou fermement). Dans l’exemple 25, l’homme se précipite (WOUSH) pour sauver de justesse le bébé d’un accident en l’attrapant d’un geste vif (SNAP).

Comme nous l’avons vu plus haut (exemple 17), 화끈 hwakkeun évoque les rougeurs du visage ; dans l’exemple 26, celles-ci sont dues à la timidité. Le mot imitatif flush peut faire penser à la couleur rosée des joues, mais il illustre davantage le bruit d’un écoulement d’eau, du moins pour un lecteur francophone. Si flush concorde difficilement avec le dessin et la situation, blush serait non seulement plus cohérent, mais aussi transparent pour le lecteur francophone, car il désigne en français un fard à joues.

Une autre stratégie, illustrée par les exemples 27 à 31, consiste à créer un idéophone d’apparence anglaise en ne conservant que le radical d’un verbe français (avec ou sans altération), lequel est le plus souvent d’origine imitative ou recèle des sonorités suggestives, ce qui confère un degré d’iconicité très fort au néologisme. Cette stratégie montre le côté créatif du traducteur ou de l’adaptateur.

L’iconoterme 파바바바 pabababa [frottement énergique] a été traduit par FROTFROTFROT, le personnage se frottant très énergiquement les cheveux, ce qu’illustre aussi l’idéophone d’origine.

Outre le redoublement, l’allongement de la voyelle médiane ou celui de la consonne finale (bien qu’il n’y ait pas d’allongement dans le mot mimétique d’origine) renforce également les sonorités suggestives du radical verbal. Même lorsqu’il n’y a pas redoublement, seul le radical du verbe est conservé (gliss < glisser + allongement du i et du s dans l’exemple 28).

Bien qu’étant une onomatopée, l’iconoterme deureureuk 드르륵, qui imite le bruit d’une porte qui coulisse, a été rendu par une sorte d’idéophone en français grâce à l’allongement de la voyelle i et de la consonne finale s : GLIIISSS, ce qui lui confère l’apparence d’un idéophone français (néologisme) et renforce ainsi son degré effectif d’iconicité. De plus, même si gliss(er) n’est pas de formation imitative, il s’agit d’un mot aux sonorités suggestives. Pour les mêmes raisons, crisp < crisper traduit habilement l’idéophone 꾹 kkuk décrivant un poing serré dans l’exemple 29 ci-dessus.

Certains préfèrent angliciser ces radicaux verbaux, sans doute pour renforcer le degré d’iconicité du mot mimétique d’origine.

Dans la case précédant l’exemple 30 (v. exemple 19), le chef d’une bande de motards a proposé au jeune homme de faire partie de sa bande, ce qu’il accepte d’un hochement de tête, symbolisé par l’idéophone 끄떡 kkeuteok [hochement de tête]. Hocher devient hosh pour traduire ou « sous-titrer » l’idéophone coréen, solution qui permet d’éviter le rendu sémantique trop explicite de courbette courbette, incline incline ou même hoche hoche (v. exemple 15). De plus, encore une fois, les traits accompagnant le mouvement renforcent l’effet cinétique et aident à mieux comprendre l’iconoterme coréen. De même, dans l’exemple 31, où un homme touche tendrement le visage de sa petite amie, tush, tiré de toucher (de formation imitative < toc), reproduit efficacement le mouvement et même la charge émotionnelle véhiculés par l’idéophone 스윽 seueuk (voir supra). Comme le notent Ceglia et Caldesi Valeri, « [t]ranslating psychological onomatopoeias is fundamental for the narrative tissue and for the relationship with images » (2002, n.p.). L’anglicisation pourrait néanmoins égarer le lecteur qui pourrait chercher une signification du côté anglais en pensant, dans le cas de hosh, à « hush hush » ou à « hash ». Le lecteur-déchiffreur pensera difficilement tout de suite à l’idée de hochement, car celle-ci ne provient que du signifié, non du signifiant, graphique ou sonore. Cependant, dans la perspective d’ensemble d’un ouvrage, le recours tantôt à l’anglais, tantôt au français, et même, comme dans les exemples qui précèdent, à du français anglicisé, pourrait désorienter le lecteur ; en effet, l’hétérogénéité de l’ensemble l’obligerait à faire un effort interprétatif qui le freinerait dans sa lecture.

2.4.2. Onomatopée

La langue française disposant de peu d’idéophones signes-énoncés (ou iconotermes), il est plus aisé de rendre un idéophone coréen par un son, donc par une onomatopée. Imitant une ambiance tumultueuse et grouillante de monde, l’onomatopée brouha brouha ou brouhaha traduirait bien les composantes sonore et visuelle de l’idéophone ugeul-ugeul (v. exemple 16). L’onomatopée frr frr (ou ses variantes frrt, frtt), qui suggère le bruit d’un frottement, d’un froissement ou même d’un glissement, rendrait parfaitement l’idéophone pabababa reproduisant le frottement tonique de l’image (exemple 27). Le recours à cette stratégie permettrait aussi de transmettre au lecteur francophone la sensation induite par 슥 seuk de l’exemple 8 : l’onomatopée sshh restituerait avantageusement le mouvement furtif du chat surprenant la jeune fille, car, en plus de l’aspect furtif, la chuintante /ʃ/ produirait un sentiment de peur, perceptible dans la sifflante de l’idéophone d’origine seu(eu)k. Une autre solution serait l’onomatopée ksssss, qui figure le bruit que font parfois les chats quand ils sont agressifs.

Il s’avère moins aisé de restituer un idéophone imitant une sensation physique ou un mouvement sensoriel et/ou psychique. L’onomatopée chliss chliss traduit bien le mouvement sensoriel de démangeaisons induit par l’idéophone 스물스물 seumulseumul (v. exemple 1). Srich srich renforcerait le côté désagréable provoqué par cette sensation physique, reproduisant le bruit strident d’une craie qui grince sur un tableau.

Cette stratégie présente néanmoins des limites et s’avère parfois opaque. Dans l’exemple 33, on voit bien les seins de la coiffeuse, mais le lecteur comprendra cependant difficilement, malgré le contexte, que flop imite le balancement des seins. Le redoublement de flop (flop flop) illustrerait mieux ce mouvement sensuel, même si les sons que recèle flop flop paraissent un peu secs (l’occlusive finale), voire triviaux, un peu éloignés de la sensualité ronde et chaleureuse de chulleong, bien qu’évoquée par la forme des « o ».

2.5. Report et disposition graphique (calligrammes)

Lorsqu’aucune stratégie n’est convaincante, la solution que nous proposons est le simple report en lettres latines, en « dessinant » le sens, en l’évoquant par sa disposition graphique (calligrammes). Le verbe anglais flop (ou flap), d’origine imitative, a donné naissance en français à une onomatopée reproduisant le bruit du flottement ou du claquement d’un tissu au vent, du frémissement d’un éventail, de l’envol d’un oiseau. Les mouvements de tissu ou de cheveux flottant au vent sont souvent traduits par l’onomatopée flop/flap (exemple 34). Le flap nous paraît néanmoins un peu sec, pour le mouvement féminin et sensuel de la longue chevelure de la jeune fille. Surtout, on peut déplorer le peu de sonorités communes représentées par le son plus doux et étiré de sallang 살랑. Le simple report en lettres latines – Sallang – rendrait non seulement plus fidèlement la composante orale ou musicale de l’idéophone original, mais dessinerait aussi, sous la forme d’un S étiré, le trajet des cheveux dans l’espace, leur mouvement ondulant, ainsi que la sensualité et la féminité de la jeune fille.

Dans l’exemple 35, même si l’onomatopée floc imite en français le bruit du choc d’un corps mou (ici les seins de la jeune fille) heurtant une surface dure ou inversement, la sensation physique de bien-être douillet pour le jeune homme, procurée par le contact avec les seins généreux de sa petite amie (derrière lui sur la moto), représentée par l’idéophone 말캉 malkang, sera difficilement perçue par le lecteur francophone. L’interjection Mmm illustrerait mieux la sensation de bien-être du jeune homme, et ce, d’autant plus qu’elle possède des sonorités communes avec l’idéophone d’origine malkang. Cependant, Mmm priverait le lecteur de l’idée de contact des seins avec le dos du jeune homme. Une solution serait alors de faire épouser à l’interjection redoublée Mmm Mmm l’avancée de la poitrine – tendance « calligrammatique » – reprécisant l’origine de ce bien-être (qu’on pourrait aussi croire être celui de la jeune fille). Une autre solution serait le simple report en alphabet latin de l’idéophone coréen, mais le mot tenterait de « dessiner » le sens, de l’évoquer par sa disposition graphique.

Conclusion

Afin que la bande animée coréenne reste animée aussi en français, il serait plus aisé d’en faire un film d’animation. Cependant, pour garder le support papier, les traducteurs-adaptateurs doivent faire preuve de créativité pour y ajouter du son, du mouvement et des charges émotionnelles. Le report a le mérite de répondre aux attentes du lecteur averti, féru de manhwas, mais il se fait souvent au détriment du sens (« sous-titrage » dans la mauvaise langue). A contrario, la stratégie de reformulation du sens avec ou sans redoublement ne transmet au lecteur que le sens, mais le prive le plus souvent des composantes orale ou musicale, rythmique et visuelle véhiculées par l’idéophone d’origine. Cette restitution sémantique s’avère trop explicite. En effet, l’effort « phonique » du lecteur est en quelque sorte interrompu, son « imagination sonore » aussitôt entravée – or c’est là une des spécificités, un des attraits du manhwa et de ses idéophones, que d’activer en sourdine cette « imagination sonore », voire visuelle et émotionnelle dans cet environnement du tout-à-l’image. Dans cette perspective, le recours à un iconoterme (souvent une onomatopée) de même valeur sémantique, sorte d’émoticône ou cinéticône, permet de préserver, au-delà du sens, la force expressive ou imagée/iconique du mot mimétique d’origine. Le public d’accueil peut ainsi en ressentir l’impact sonore, visuel et émotionnel.

Lorsque cette stratégie fait défaut, la solution que nous proposons est le recours au report, si sa transcription en alphabet latin « dessine » le sens, l’évoque par sa disposition graphique. Un éditeur, qui proposerait un marque-page avec au verso une présentation de l’alphabet coréen (hangeul), permettrait aux esprits curieux de déchiffrer peu à peu les mots mimétiques coréens reportés et ainsi de mieux les entendre, de mieux les ressentir dans la version originale. S’approcher des rendus coréens permettrait au lecteur de découvrir comment on entend le monde dans la péninsule coréenne.