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  • Alexis Nouss

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  • Alexis Nouss
    Université de Montréal

Si Antoine Berman insista sur la nécessité d’une archéologie de la traduction, c’est une autre notion foucaldienne que je retiendrai pour présenter les articles qui suivent, celle de discursivité, définissant l’ouverture d’un champ de réflexion non pas sur mais à partir d’un auteur. Que l’on soit d’accord ou non avec ses thèses, qu’elles puissent être prolongées ou révisées, il est malaisé de penser la traduction aujourd’hui en ignorant les paramètres théoriques dégagés par la pensée d’Antoine Berman. Une douzaine d’années après sa si regrettable disparition, il ne s’agit pas de dresser un bilan ou d’évaluer un héritage mais d’examiner comment les analyses bermaniennes rencontrent les préoccupations actuelles de la traductologie. Premier constat : la traductologie francophone s’est développée en lisant Berman — comme on dit avoir grandi en écoutant Bach et/ou les Beatles : en d’autres termes, la discipline a vu son champ s’affermir, intellectuellement et institutionnellement, en parallèle avec la diffusion des ouvrages d’Antoine Berman. Il figure désormais parmi les auteurs enseignés et nombre de recherches se situent dans son sillage ou, du moins, font référence à son oeuvre. Deuxième constat : il est reçu dans son originalité mais également en reconnaissant son inscription dans un courant que l’on ne qualifiera pas de littéraliste  mais qui accorde à la « lettre », lorsqu’elle est bien comprise, un rôle crucial dans le travail traductif. En retour, sa démarche éclaire et prolonge celles d’autres théoriciens, de Benjamin à Meschonnic en passant par Steiner. Troisième constat : l’interdisciplinarité qu’il préconisait et pratiquait de manière pionnière a été suivie et s’est même ouverte à d’autres domaines des sciences humaines. Quatrième constat : il est permis d’évoquer une traductologie francophone, non territoriale ou langagière mais épistémologique, en ce qu’un certain rapport au savoir a façonné un savoir de la traduction spécifique. Une telle orientation est notamment repérable par rapport aux approches positivistes ou cognitivistes en vogue dans d’autres traductologies. Les articles ici rassemblés reprennent la configuration de la méthodologie bermanienne en ses diverses dimensions. La réflexion éthique (Sherry Simon, Jean-Marc Gouanvic, Barbara Godard), à laquelle son nom est souvent associé, est étayée par l’interrogation philosophique (Marc Nichanian, Alexis Nouss) et prolongée par un questionnement politique (Paul Bandia). Le lien de la théorie à la pratique, qui dissout de fait la distinction catégorielle, guide les études relevant de la « critique des traductions » (Gillian Lane-Mercier, Marc Charron). La notion de « tradition-de-la-traduction » prouve sa pertinence d’une application à une aire géographique et culturelle précise (Georges Bastin). Ces divers axes entrent au demeurant en résonnance avec la contribution de Leo Tak-hung Chan et avec les titres choisis pour les comptes rendus du présent volume, comme en un dialogue avec les visées de la traductologie bermanienne. Un tel ensemble prouve, d’une part, si besoin en est, que la traductologie existe bel et bien et que, d’autre part, elle possède aussi une traduction, en l’occurrence celle de la pensée d’Antoine Berman.

Parties annexes