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Depuis la publication du tout premier numéro de la collection « Que sais-je ? » fondée en 1941 par Paul Angoulvent, les Presses Universitaires de France ont fait paraître près de 3700 titres. Dans cette « encyclopédie au format de poche[1] », deux titres seulement sont consacrés à la traduction. Pour une collection traduite en 43 langues et diffusée à 150 millions d’exemplaires, c’est peu. Très peu, même, quand on connaît l’importance que revêt la traduction dans tous les domaines de la connaissance, la genèse des langues, la naissance et la fécondation des littératures, la circulation des idées, le progrès scientifique et le métissage des cultures. Il est vrai que la traduction n’est pas totalement absente d’autres numéros de la collection. Il en est question, par exemple, dans La Littérature au XVIIe siècle (Roger Zuber, no 95), La Littérature comparée (Yves Chevrel, no 499), Histoire du livre (Albert Labarre, no 620), Les Ordinateurs électroniques (Pierre Demarne et Max Rouquerol, no 832), La Linguistique appliquée (Charles Bouton, no 1755), Le Colinguisme (Renée Balibar, no 2796) et sans doute dans de nombreux autres titres.

En 1959, à l’époque des premiers balbutiements de la traduction automatique, Émile Delavenay avait signé La Machine à traduire (no 834), numéro qui faisait alors le point sur ce qui était encore une innovation chargée de promesses. Compte tenu de l’évolution qu’ont connue depuis lors la traduction automatique et la traduction assistée par ordinateur, ce numéro n’a plus guère qu’une valeur historique. Il ne figure plus d’ailleurs au catalogue des PUF. Seuls les historiens y trouvent encore quelque utilité.

Il faudra attendre pas moins de quarante ans avant que paraisse le deuxième « Que sais-je ? » consacré uniquement à la traduction. Il s’intitule tout simplement La Traduction (no 3688) et est sorti des presses en novembre 2003. Son auteur, Michaël Oustinoff, est maître de conférence à Paris III, Sorbonne Nouvelle. Collaborateur à la revue Palimpsestes, publiée par les Presses de la Sorbonne Nouvelle, M. Oustinoff est l’auteur, entre autres, de Bilinguisme d’écriture et auto-traduction. Julien Green, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov (L’Harmattan, 2001), ouvrage tiré d’une thèse soutenue en 1997.

La quatrième de couverture nous indique l’orientation générale que l’auteur a choisi de donner à son ouvrage, classé par les PUF dans la catégorie des « Ouvrages généraux - Histoire et critique littéraires » : « Au-delà de la formule traduttore, traditore, quels mécanismes se mettent en place lorsqu’il s’agit de traduire une langue ? Faut-il que la traduction s’efface pour que l’oeuvre semble conçue dans la langue d’arrivée ou préserver les particularismes de la langue d’origine ? Cet ouvrage présente l’histoire, les théories et les opérations linguistiques et littéraires de cette activité si spécifique : la traduction. » La quatrième de couverture nous indique donc que l’auteur a traité des aspects cognitifs et linguistiques de la traduction, des manières de traduire (cibliste et sourcière), de traduction littéraire et, enfin, d’histoire et de théorie de la traduction. Le programme est intéressant en soi, mais il est très incomplet comme nous le verrons.

Six chapitres structurent La Traduction : I – Diversité des langues, universalité de la traduction; II – Histoire de la traduction; III – Théories de la traduction; IV – Les opérations de la traduction; V – Traduction et interprétation; VI – Les signes de la traduction. Après avoir lu ce « Que sais-je ? », je me suis demandé : Cet ouvrage fait-il véritablement « le point des connaissances actuelles[2] » sur la traduction ? Une personne cultivée, étrangère au domaine, qui souhaite se renseigner sur la traduction, pourra-t-elle acquérir en lisant ces 128 pages une bonne vue d’ensemble de cette pratique multiséculaire ? L’étudiant inscrit dans une école de traduction et d’interprétation qui se destine à cette profession qu’exercent de nos jours des dizaines de milliers de traducteurs et traductrices dans le monde pourra-t-il puiser dans ces pages des renseignements utiles sur son futur métier ? Autrement dit, ce numéro fait-il véritablement le tour de la question, est-il un autre de ces  petits livres qui "collent à l’actualité[3]" et brossent un panorama plus ou moins complet d’un sujet ? Malheureusement, force est de reconnaître que ce n’est pas le cas. De manière générale, on peut dire que l’auteur ne semble pas avoir une vision très précise de l’importance de la traduction dans l’histoire intellectuelle, comme phénomène culturel et comme profession. Dans plusieurs chapitres, l’information est lacunaire. On note aussi des répétitions et des digressions qui viennent « brouiller » les développements. L’auteur a du mal à se défaire d’une vision toute linguistique de la traduction : « La traduction est d’abord une opération linguistique » (p. 121). En fait, c’est l’article de Roman Jakobson, « Aspects linguistiques de la traduction » (1959) qui semble avoir le plus inspiré M. Oustinoff, car il le cite abondamment dans tous ses chapitres. On en vient même à se demander si l’auteur n’y voit pas le texte fondateur de la traductologie moderne...

Le premier chapitre s’ouvre, comme cela était prévisible, sur le récit de la Tour de Babel (Genèse XI, 9). On se demande ensuite où l’auteur veut en venir. Après une brève mention de la Septante et de la pierre de Rosette, est évoquée l’hypothèse de Sapir-Whorf à laquelle succède un chapelet de citations ou de références à Martinet, Green, Mounin, Derrida, de Saussure, Humboldt, Mallarmé, Jakobson, Vinay et Darbelnet, Barthes, Hagège, Henriette Walter, Freud, Kandinsky et d’autres encore. Tout cela dans une quinzaine de pages qui se terminent par une critique très sommaire des « unités de traduction » que l’auteur propose de remplacer par des « unités différentielles ». Rien de très convaincant pour une tentative qui vise à présenter la diversité des langues, leurs visions du monde et les opérations fondamentales du langage. Cette entrée en matière n’est pas très réussie.

L’histoire de la traduction fait l’objet du chapitre II. Au lieu de suivre la voie chronologique, l’auteur opte pour une présentation « thématique ». Il subdivise son chapitre ainsi : 1. L’esprit et la lettre; 2. Les belles infidèles; 3. L’époque contemporaine. Contrairement aux deux premières, la troisième subdivision peut difficilement être considérée comme un « thème ». À la lecture, on se rend compte de fait que les trois parties suivent plus ou moins l’ordre chronologique et nous mènent de Cicéron au XXe siècle. L’auteur a largement puisé, semble-t-il, dans l’ouvrage de Michel Ballard, De Cicéron à Benjamin (1992). On aurait aimé que Les Traducteurs dans l’histoire (1995), construit sur neuf thèmes, soit au moins cité en référence, tout comme plusieurs autres ouvrages récents en histoire de la traduction. De ce point de vue, c’est l’indigence totale. Ce n’est pourtant pas la matière qui manque : mon cd-rom sur l’Histoire de la traduction recense plus de 2700 titres sur le sujet.

Pour le thème « Les belles infidèles », l’auteur passe en Angleterre. Il évoque les noms de Florio, traducteur de Montaigne, de North, traducteur de Plutarque, de Tyndale, le traducteur-martyr de la Bible – tous des incontournables –, mais aussi ceux d’Érasme et de Luther (qui n’ont rien d’Anglais), puis il revient en France pour dire quelques mots de Perrot d’Ablancourt, Madame Dacier et Leconte de Lisle (XIXe s.). Enfin, le « thème » « L’époque contemporaine » s’ouvre, étrangement, par les trois formes de traduction que définit John Dryden (XVIIe s.). S’enchaînent ensuite des citations de Montesquieu (XVIIIe s.), Chateaubriand (XIXe s.), Robert Larose, Steiner, Berman et Goethe. L’auteur donne de toute évidence un sens très large au « thème » « époque contemporaine ». Les extraits de Chateaubriand, tous de seconde main, – ce ne sont pas les seuls – sont tirés de Après Babel de George Steiner. En lisant ce chapitre à la structure boiteuse, le lecteur aura du mal à cerner les grands « thèmes » qui ont scandé l’histoire de la traduction au cours des siècles. Ce chapitre reproduit en fait quelques citations parmi les plus connues sur la traduction, citations d’ailleurs mal contextualisées et mal intégrées à une démonstration dont on aimerait saisir plus clairement le fil conducteur. On ne retient par conséquent de toutes ces citations que leur aspect anecdotique. À quand un « Que sais-je ? » sur L’Histoire de la traduction ?

Pour le chapitre III – « Théories de la traduction », l’auteur choisit encore une fois une « présentation thématique » pour éviter d’avoir à décrire chaque théorie individuellement. Ses quatre thèmes sont les suivants : 1. Sourciers et ciblistes, 2. Linguistique et traduction, 3. Poétique de la traduction et 4. Critique des traductions. De prime abord, ces thèmes paraissent plus cohérents que ceux du chapitre précédent. Compte tenu de l’approche linguistique privilégiée par l’auteur, on ne s’étonne pas de voir cités Catford (qui n’a pourtant rien de significatif à dire sur la traduction), Nida, Mounin, Malblanc, Vinay et Darbelnet (qui reviendront au chapitre suivant) et, évidemment, Jakobson, qui est partout. On s’étonne, par contre, de lire que Après Babel de George Steiner est un « ouvrage fondamental sur la traduction » (p. 62) – on a fait beaucoup mieux – et que l’Association canadienne de traductologie est rattachée à l’Université d’Ottawa. Cette Association est tout à fait autonome et n’est rattachée à aucune université[4]. Les pages sur la « poétique de la traduction » (p. 56-61), celle d’Henri Meschonnic, nous présentent une conception cohérente de la traduction. Mais, bizarrement, ce chapitre se termine en Chine, sans raison apparente.

Je ne crois pas que l’on puisse acquérir une idée claire des grands enjeux ou des principales conceptions théoriques contemporaines en traduction en lisant la quinzaine de pages consacrées à ce sujet. Il n’est pas facile, encore une fois, de dégager un fil conducteur dans la présentation de l’auteur dont le style est très décousu. Les trois pages signées par Mona Baker dans l’Encyclopedia of Translation (Routledge, 1998) nous renseignent davantage sur le vaste champ couvert par la traductologie : « Translation studies is now understood to refer to the academic discipline concerned with the study of translation at large, including literary and non-literary translation, various forms of oral interpreting, as well as dubbing and subtitling. [...] ‘Translation studies’ is also understood to cover the whole spectrum of research and pedagogical activities, from developing theoretical frameworks to conducting individual case studies to engaging in practical matters such as training translators and developing criteria for translation assessment » (p. 277). Dans un chapitre consacré aux « théories de la traduction », on se serait attendu à voir présentées, sommairement cela va de soi, ou tout au moins énumérées les principales approches théoriques modernes, en plus des approches linguistique et poétique. Mais pas un mot sur la théorie du skopos, rien ou si peu sur la théorie du polysystème, rien sur l’introspection à haute voix (aussi connue sous le nom de protocoles de verbalisation ou think-aloud protocols), rien sur la conception féministe de la traduction, rien sur le postcolonialisme, rien sur l’apport de la traduction aux études interculturelles, etc. L’ouvrage de Susan Bassnett, Translation Studies, est sans aucun doute une référence intéressante, mais pourquoi ne pas avoir cité la 3e édition, qui date de 2002, au lieu de la première, vieille de 25 ans (1980) ? De Lawrence Venuti, l’auteur ne semble connaître que The Translator’s Invisibility, alors que son Translation Studies Reader (2000) se révèle très utile pour acquérir un bon aperçu des approches théoriques en traductologie. Combien d’autres ouvrages relativement récents auraient pu (auraient dû) être mentionnés pour donner un portrait actuel et fidèle des recherches théoriques diversifiées qui se font en traductologie.

Le chapitre IV porte sur « Les opérations de la traduction ». Dans ce chapitre Vinay et Darbelnet (1958) reviennent en force : une douzaine de pages (p. 71-82) sont consacrées à leurs désormais célèbres catégories, plus précisément à la modulation et à la transposition, appelées aussi « recatégorisation » (p. 75-76), comme l’auteur le précise avec à propos. Des exemples de découpage en « unités de traduction » nous sont donnés. On ne voit pas trop l’intérêt de citer des pages entières d’exemples du genre « She should sit and read » = « Elle s’asseyait pour lire » (p. 77) qui illustrent le passage d’une coordination à une subordination. Ces exemples ne sont pas faux et ont certainement leur place dans un manuel d’initiation à la traduction ou un traité de stylistique comparée mais ici, ils ne mènent nulle part. L’auteur écrit : « La Stylistique comparée de J.-P. Vinay et J. Darbelnet doit beaucoup au fait que les auteurs, éminents linguistes canadiens, viennent d’un pays bilingue [...] » (p. 81). Cette affirmation n’est pas fausse, mais il faut préciser que ces deux auteurs sont d’origine française et qu’ayant émigré au Canada à la fin des années 1940, ils ont été frappés par certaines particularités du français canadien, sur les panneaux routiers, entre autres. Ce sont ces écarts par rapport au « français de France », qui, de leur aveu même, ont déclenché leur intérêt pour la stylistique comparée et sont à l’origine de leur célèbre ouvrage.

Dans le chapitre V, « Traduction et interprétation », l’auteur aborde la traduction orale et reprend quelques concepts chers à Danica Seleskovitch et Marianne Lederer de l’ESIT : « empan mnésique », « unités de sens », « sens », « déverbalisation ». La traduction littéraire serait soumise à la « logique du signifiant » (Jakobson, toujours), tandis que l’interprétation serait soumise, elle, à une « logique du signifié ». L’auteur fait bien la distinction entre les exigences de la traduction écrite et celles de l’interprétation professionnelle qu’il qualifie à deux reprises d’« interprétariat », désignation que Danica Seleskovitch abhorrait, car évoquant trop le mot « secrétariat ». Étrangement, il n’est pas fait mention des « compléments cognitifs », autre notion-clé indispensable pour expliquer le passage des mots au sens. Ces quelques pages consacrées à l’interprétation simultanée (p. 89-101) ne font aucune mention des autres formes d’interprétation, à l’exception de la consécutive (p. 100) ; il n’y a rien sur l’interprétation gestuelle, rien sur la chuchotée, rien sur l’interprétation judiciaire, rien non plus sur les principaux jalons de l’histoire de l’interprétation (Traité de Paris, Nuremberg, ONU). L’auteur semble encore se documenter à une seule source, l’ouvrage de D. Seleskovitch et M. Lederer, Pédagogie raisonnée de l’interprétation (cette fois il cite la dernière édition, celle de 2002, la première datant de 1989). Il me fait l’honneur de reproduire un schéma qui figure à la page 39 de L’Analyse du discours comme méthode de traduction (1980). Malheureusement, tel que reproduit à la page 96 du « Que sais-je ? », le schéma perd son sens, car la flèche qui va du concept à la reverbalisation ne pointe pas dans la bonne direction. Une distraction du graphiste sans doute. En reproduisant ce schéma, l’auteur a voulu montrer que « la traduction est avant tout une opération "cognitive", au sens de Piaget » (p. 96). Mais a-t-il raison de croire que « l’inconvénient de taille d’un tel système est qu’il ne s’applique pas à la traduction littéraire et, plus généralement, à toute traduction où le signifiant doit être pris en compte pour lui-même » (p. 96-97) ? S’il est vrai qu’« un texte a le sens de ses formes autant que le sens de ses mots » (H. Meschonnic), il n’en demeure pas moins que c’est par une opération cognitive que le traducteur parvient à dégager le sens de ces formes et la valeur « poétique » des signifiants. Comment pourrait-il en être autrement ? Les mots, dont l’interprète peut s’affranchir une fois le sens compris, sont, pour le traducteur d’une oeuvre littéraire ou poétique, une contrainte supplémentaire et ces mots ne sont jamais « transcodables » dans le texte d’arrivée. La preuve en est que la poésie est ce qu’il y a de moins traduisible par la machine à traduire, mais ce qu’il y a de plus traduisible, contrairement à une idée reçue selon laquelle la poésie serait intraduisible. C’est du moins l’avis de poètes et écrivains traducteurs qui ont pratiqué ce genre de traduction et ont réfléchi à la question, dont Étienne Barilier (écrivain suisse), Yves Bonnefoy, Jorge Luis Borges, Henri Meschonnic et bien d’autres encore.

Dans les trois pages et demie consacrées à « La traduction automatique » est reproduit un extrait du Monde vieux de trente ans (10 mai 1974) traduit et publié dans The Guardian Weekly (18 mai 1974) et sont énumérés certains traits caractéristiques du français par rapport à l’anglais selon Guillemin-Flescher (Syntaxe comparée du français et de l’anglais, 1981). Exemples : « L’anglais a tendance à respecter l’ordre canonique (sujet + verbe + complément) et à n’intercaler aucun élément entre ces constituants, alors que le français manifeste la tendance inverse » (p. 103). « L’anglais a tendance à recourir à la coordination, alors que le français a tendance à recourir à la subordination » (ibid.), etc. Rien à voir avec la traduction automatique. Dans la suite du texte, on n’en apprend guère plus sur ce mode de traduction : rien sur les premiers essais de la fin des années 1940 (un renvoi à La Machine à traduire de Delavenay aurait fait l’affaire), rien sur les enjeux linguistiques (problèmes liés aux ambiguïtés), rien sur les systèmes fonctionnels (MÉTÉO, de l’Université de Montréal), rien sur les centres où il se fait actuellement des recherches sur la traduction automatique, rien. Une seule référence, encore une fois, sur le sujet, Anne-Marie Loffler-Laurian, La Traduction automatique, Lille, Presses Universitaires du Septentrion (p. 104), sans mention de l’année de publication [1996, 156 p.]. Très décevant.

Le dernier chapitre, enfin, « Les signes de la traduction », titre qui ne signifie pas grand chose, nous ramène, comme il fallait s’y attendre, à la troisième forme de traduction que distingue R. Jakobson : la traduction « intersémiotique », c’est-à-dire « l’interprétation de signes linguistiques au moyen de systèmes de signes non linguistiques » (Jakobson). Dans ce chapitre hétéroclite et sans intérêt, il est question du signifiant des mots une fois de plus (on est linguiste ou on ne l’est pas !), de mondialisation ( ?) – l’auteur juge utile de reprendre les trois types de mondialisation définis par D. Walton pour conclure que « la traduction est inséparable de ces trois mondialisations » (p. 111) –, d’interprétation et, contre toute attente, de traduction automatique, sujet pourtant traité précédemment. Ce chapitre ne tient pas ses promesses et sa pertinence reste à démontrer.

La bibliographie est à l’image de l’ensemble de l’ouvrage : très lacunaire et pas toujours pertinente. Dans une bibliographie sommaire censée présenter certaines des publications les plus importantes sur la traduction et la traductologie, fallait-il inclure L’Écriture poétique chinoise, de F. Cheng ? Palimpsestes. La littérature au second degré, de G. Genette ? Halte à la mort des langues, de C. Hagège ? A Textbook of Translation, de P. Newmark, un des manuels de traduction les plus brouillons qui soient ? Écrits de linguistique générale, de F. de Saussure ? Language, Thought and Reality, de Benjamin Lee Whorf? Quatre revues de traduction seulement retiennent l’attention de l’auteur : Meta, Palimpsestes, Translation and Literature et TTR. Pourquoi avoir exclu Target et The Translator ou des publications professionnelles telles que Babel, Circuit et Traduire ? Dans la liste des « Associations de traducteurs et de traductologie », figurent l’ACT, l’ATLAS, l’ATLF, la SFT, l’ATA et la FIT, mais pas l’OTTIAQ qui est tout de même un Ordre professionnel (le seul du genre à ma connaissance) regroupant près de 3000 traducteurs, interprètes et terminologues.

En somme, il faut reconnaître que La Traduction ne donne qu’un aperçu très partiel et même partial de la traduction et de la traductologie. En refermant cet ouvrage, un profane qui ignore tout du domaine aura évidemment appris un certain nombre de choses sur la traduction et son histoire, bien que le style incohérent de l’auteur puisse l’agacer. Il glanera aussi au passage des observations qui pourront alimenter sa réflexion : « Une langue que l’on n’arrive plus à traduire est une langue morte, avant que la traduction ne la ressuscite » (p. 11), « Il n’est pas de traduction "neutre" ou "transparente" au travers de laquelle le texte original apparaîtrait idéalement comme dans un miroir, à l’identique » (p. 19), « Écriture et traduction sont à mettre exactement sur le même plan » (ibid.), « Aucun problème n’est aussi consubstantiel aux lettres et à leur modeste mystère que celui que propose une traduction » (Borges, p. 56), « Traduire, c’est à la fois habiter dans la langue de l’étranger et donner hospitalité à cet étranger au coeur de sa propre langue » (Paul Ricoeur, p. 118).

En revanche, les spécialistes, les étudiants des écoles de traduction ou toute personne qui connaît un tant soit peu le domaine ne manqueront pas de constater les trous béants de ce panorama. Il n’y a rien dans ce « Que sais-je ? » sur l’organisation professionnelle des traducteurs (la traduction, est-il besoin de le rappeler, est d’abord et avant tout une profession que pratiquent des dizaines de milliers de personnes dans le monde), rien sur la reconnaissance professionnelle acquise de haute lutte par les traducteurs de certains pays, rien ou presque sur le marché de la traduction, rien sur les écoles de formation qui se sont multipliées depuis 50 ans, rien sur la pédagogie de la traduction et de l’interprétation, rien sur toute la problématique de l’évaluation des traductions, rien sur l’historiographie de la discipline (il n’est même pas fait mention de l’Index Translationum ni de la Collection UNESCO d'oeuvres représentatives), rien sur l’importante industrie du doublage et du sous-titrage, rien sur le poste de travail du traducteur et ses nouveaux outils informatisés (mémoires de traduction, concordanciers, bitextes, etc.), rien sur la localisation, rien de significatif sur la traduction automatique, rien sur les disciplines connexes à la traduction telles que la terminologie et la terminographie, rien sur les grandes banques de terminologie telles que Termium ou Eurodicautom. L’auteur présente une vision étriquée, incomplète et réductrice de la traduction. Il a écrit un ouvrage sur la traduction comme on l’aurait fait dans les années 1970, époque où la traductologie se cherchait encore. Pourtant, chaque numéro de la collection « Que sais-je ? » est censé présenter de manière actualisée, claire, succincte voire didactique les multiples facettes d’un sujet. Le slogan de la collection ne promettait-il pas en 1989 : « Tout ce que vous ne savez pas et que vous avez besoin de savoir vite est dans "Que sais-je ?" » ? Je dois dire que le no 3688 ne réussira pas à satisfaire « les envies du savoir[5] » de ceux qui liront cet ouvrage. Dommage. Il y avait tant à dire...