Comptes rendus de lecture

Sherry Simon and Paul St-Pierre (eds.). Changing the Terms. Translating in the Postcolonial Era, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000, 305 p.[Notice]

  • Alexis Nouss

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  • Alexis Nouss
    Université de Montréal

Illustration de couverture : l'image tendre et charmante de deux mainates sur les branches d'un arbre, l'un rouge, l'autre bleu, l'un triste, l'autre malicieux. Celui du haut regarde vers l'Ouest, l'autre vers l'Est. Bien trouvé pour un ouvrage traitant du post-colonialisme. La curiosité pousse à chercher en page intérieure l'origine de l'illustration, une gravure faite à Calcutta au XIXe siècle. Mais la légende précise : « Two mynahs ». « Two mynahs », « deux mainates ». Est-cela, « Changing the terms » ? Évidemment non, ce ne serait qu'une théorie du transcodage, unanimement honni en traductologie. Alors qu'il faut ici observer que, pour désigner l'oiseau imitateur de la voix humaine — métaphore du bon ou du mauvais traducteur ? —, l'anglais a choisi de rester proche du mot malais original alors que le français francise. « Changing the Terms » implique de changer le sémantisme des termes mêmes dans lesquels se comprend l'énoncé « Changing the Terms ». Il ne s'agit plus de modification ou de remplacement mais d'interaction et de négociation entre les termes visés. Un des apports du post-colonialisme est précisément d'avoir substitué à l'analyse classique du colonialisme en termes de rapports de pouvoir assymétriques et de logiques de domination une lecture insistant sur les modifications apportées par l'expérience coloniale aux deux cultures et aux deux identités en présence. Perspective nouvelle qui entraîne en traductologie l'abandon d'une conception linéaire et téléologique valorisant le texte d'arrivée aux dépens du texte de départ pour l'adoption d'une vision étudiant les rapports qui s'établissent entre les deux textualités. Le changement ne doit pas en rester au niveau de la saisie des objets et des acteurs sur la scène post-coloniale mais affecter également la méthodologie et l'idiome de la théorisation — cette dernière notion à n'utiliser que dans la déclinaison « critique » de l'École de Francfort. Sur le modèle de la « relexification » que Chantal Zabus (The Post-Colonial Studies Reader, Routledge, 2001, pp. 314-318) substitue à la notion de traduction lorsqu'elle considère le travail des langues africaines dans les langues européennes, révélant et élaborant un troisième code, la théorie post-colonialiste doit mettre en ouvre une grille de lecture empruntant à la fois aux registres d'intellection occidentaux et aux systèmes conceptuels des cultures non-occidentales. À la question emblématique et tant influente, « Can the Subaltern speak ? », de G. Spivak, on adjoindra « Can the Subaltern Think ? », compris bien entendu comme : « Peuvent-ils insérer leur pensée dans les cadres réflexifs en cours quant à la sphère académico-intellectuelle dominante ? » Un des grands mérites de ce recueil est d'offrir des exemples probants du changement de termes quant à la traductologie post-colonialiste, à savoir l'émergence d'une perspective qui renouvelle les présupposés mêmes de l'analyse traductologique. On citera les articles de Michael Cronin, Leo Tak-Hung Chan, Jean-Marc Gouanvic, Michaela Wolf, Probal Dasgupta (sans doute le plus novateur). Ce n'est pas minimiser la valeur des autres articles mais simplement noter, par contraste, un certain classicisme de l'approche qui ne les empêche toutefois pas de fournir un excellent matériau d'étude pour l'élaboration d'une nouvelle traductologie. Car, épistémologiquement, c'est une meilleure connaissance de l'objet qui permet de refaçonner le champ d'étude; un changement de paradigme ne s'opère pas par le biais d'une volonté externe mais est appelé par l'insuffisance méthodologique révélée dans l'approfondissement du savoir. Le sous-titre de l'ouvrage, Translating in the Postcolonial Era, semble privilégier l'une des deux compréhensions possibles du post-colonialisme : une périodicité ou une herméneutique. L'alternative s'appliquait déjà au post-modernisme, déjouée lorsque se distinguent post-modernisme et post-modernité, le premier terme étant d'ordre théorique, le second …