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C’est en 1987 que Julio César Santoyo publia la première bibliographie espagnole de la traduction digne de ce nom sous le titre : « Traducción, traducciones, traductores : Ensayo de bibliografía española ». Cette étude mit en lumière l’existence d’une imposante littérature traductologique en espagnol. L’essentiel toutefois était constitué de commentaires relatifs à des traductions, quelques rares travaux théoriques et quelques revues qui tâchaient de se frayer un chemin dans les milieux de la recherche. Un peu moins de vingt ans plus tard, le corpus bibliographique en traductologie dans la langue de Cervantes a littéralement explosé. La création de nombreuses écoles, voire de facultés de traduction en Espagne, n’y est pas étrangère. En ce qui concerne les publications périodiques, on compte aujourd’hui cinq revues espagnoles spécialisées en traduction. C’est dans ce contexte qu’est née la revue TRANS.

Cette revue, qui apparaît pour la première fois au printemps de l’année 1996 et dont la périodicité est annuelle, est issue du Département de traduction et d’interprétation de l’Université de Malaga.

Soulignons d’emblée la présentation originale de la publication. La couverture présente le dessin d’un T composé à l’aide du mot « trans » répété. « Trans » pour, traduction, traductologie et pour … transport, d’où le petit camion qui apparaît sous le T. Chaque article de la revue est, en outre, identifié par un dessin représentant un moyen de transport, à chaque fois différent; un vélo, un cheval, une voiture, un train ou bien un oiseau, comme pour nous rappeler ce trans-port d’une culture à une autre, d’une langue à une autre. À noter aussi la présentation des articles, sur deux colonnes, très agréable.

À ce jour, huit numéros ont été publiés; le dernier, le numéro 8, a vu le jour en 2004. Tous comportent un contenu riche et varié en rapport avec différents thèmes traductologiques. Les études et les analyses présentées parcourent l’histoire, la littérature, les bandes dessinées, la religion, l’interprétation, la sociocritique, le journalisme, les textes audiovisuels, la didactique et l’enseignement de la traduction. Les langues de publication, sauf dans des cas exceptionnels, sont l’espagnol, le français et l’anglais.

La revue est composée de quatre sections permanentes : articles de fond, entrevues, notes et comptes rendus. Dans certains cas, elle comporte des articles bibliographiques, comme dans les numéros 5, 6, 7 et 8. Jusqu’à présent, TRANS a publié une centaine d’articles, huit entrevues, plus d’une dizaine de notes, trois articles bibliographiques et plus d’une centaine de comptes rendus. La plupart des articles sont rédigés en espagnol, mais chaque numéro compte au moins un article en anglais ou en français.

Les sujets abordés dans les articles de TRANS sont variés, mais concernent pour la plupart deux grandes thématiques : la traduction littéraire et la « traductologie théorique et descriptive » selon Holmes (1972). C’est le cas, par exemple, de l’article de João Ferreira Duarte « Uncrowning the Original : Carnivalized Translation » paru dans le numéro 4 ; l’article de Rosa Agost « Traducción, ideología y norma : entre la institución y el destinatario » (No.5) ; et « El prólogo como texto traductológico : Análisis diacrónico de diez paratextos del traductor Emilio García Gómez » écrit par Luis Miguel Pérez Cañada et paru dans le numéro 7. On remarque également un bon nombre d’articles portant sur les différents modes d’interprétation, sur l’enseignement de la traduction et sur l’histoire de la traduction. Bref, un éventail de sujets représentatif de la pluralité des champs d’intérêt de la recherche traductologique.

La section « entrevues » mérite une attention particulière car rares sont les revues qui osent s’aventurer dans ce genre d’entreprise. Parmi les auteurs interviewés, on compte Miguel Sáenz, Guillermo Cabrera Infante, Zinaida Lvovskaya, Jordi Arbones i Montull et Rafael Olmo Villafranca. Soulignons en particulier l’entrevue de Guillermo Cabrera Infante par Suzanne Jill Levine dans le numéro 5 de 2001. Le célèbre auteur cubain nous parle des auteurs qui ont influencé sa production littéraire tels que Faulkner et Hemingway. On lira avec intérêt ses commentaires à propos du travail traductif et littéraire de Lino Novás Calvo et de l’influence de ce dernier sur la nouvelle de Alejo Carpentier « El Acoso » [Chasse à l’homme] inspirée de « La Noche de Ramón Yendía » de Novás Calvo.

Les articles publiés dans la section « notes » ne dépassent pas les dix pages (références bibliographiques comprises). Ce sont des articles brefs dont le but est de traiter un aspect très concret de la traductologie. Parmi les sujets traités, on souligne le plagiat présenté comme une méthode de traduction très répandue dans les traductions de pièces de théâtre anglaises en espagnol (No.5), quelques commentaires sur les traductions du Coran (No.3), la langue des enfants dans les traductions espagnoles de The Giver (No.4), les traductions espagnoles des Fleurs du mal de Baudelaire par Ignacio Caparrós (No.6), une note sur la traduction des documents officiels et la formation spécialisée des traducteurs de textes médicaux en Espagne (No.7).

La dernière section renferme les comptes rendus d’ouvrages récents de traductologie. Les huit numéros publiés jusqu’en 2004 contiennent plus de cent comptes rendus, ce qui donne une idée de l’importance qu’accorde TRANS à maintenir ses lecteurs au courant des dernières publications.

TRANS prend une importance significative pour le monde hispanophone en ce qu’elle participe à la consolidation d’un discours traductologique en espagnol. Les traductologues hispanophones peuvent ainsi nourrir leur terminologie et enrichir leurs discussions traductologiques dans leur propre langue sans avoir recours à des anglicismes ou des gallicismes. TRANS devient donc une des pionnières de la diffusion théorique et terminologique de la traductologie en langue espagnole.

La diversité linguistique de la péninsule ibérique n’a apparemment pas sa place dans TRANS. Politique éditoriale ou tout simplement situation géographique? TRANS perd peut-être ainsi du terrain face à certains de ses concurrents où le catalan, le galicien, l’asturian, le basque ou le portugais trouvent une place de choix.

Il faut peut-être regretter la rareté d’articles portant sur la traduction non littéraire. TRANS donne en effet peu de place à la traduction générale, technique ou scientifique. Serait-ce que la traduction pragmatique, bien qu’abondamment enseignée, ne fasse pas le bonheur des chercheurs espagnols ou, plus justement peut-être, celui des organismes subventionnaires? C’est dommage car, après tout, les textes pragmatiques se prêtent tout aussi bien que les autres à des approches théoriques pures, sociolinguistiques, discursives ou terminologiques. L’avenir nous dira si les revues scientifiques continuent de se tenir à l’écart des préoccupations professionnelles concrètes.

En guise de conclusion, TRANS est une des réponses concrètes à la question que s’était posée Julio César Santoyo : Que peut-on lire sur la traduction en espagnol? Voilà donc qu’aujourd’hui tous les hispanophones et hispanophiles qui s’intéressent à la traductologie ont à leur portée une autre source d’information précieuse.