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La traductologie, affirment Yves Gambier et Luc van Doorslaer, a atteint un tel niveau de maturité institutionnelle qu’elle mérite, à titre de discipline, de faire l’objet de multiples ouvrages de référence : dictionnaires, encyclopédies, introductions et manuels. Au Routledge Encyclopedia of Translation Studies (Baker et Saldanha, 2011 [1998]), maintenant à sa deuxième édition, au Translation Studies en quatre volumes dirigé par Mona Baker (2009) et au Oxford Handbook of Translation Studies (Malmkjaer et Windle, 2011), s’ajoute donc un nouvel ouvrage de référence, publié cette fois chez John Benjamins Publishing Company : Handbook of Translation Studies (Gambier et van Doorslaer, 2010; 2011).

Selon ses directeurs, le manuel offre deux avantages par rapport à ses compétiteurs : d’abord, il est publié à la fois sur papier (au rythme d’un volume par année) et en ligne (où les articles seront continuellement mis à jour) (www.benjamins.nl/online/hts/); ensuite, il est organisé selon les principes conceptuels de la Translation Studies Bibliography (www.benjamins.nl/online/tsb/) à laquelle les articles en ligne renvoient fréquemment afin de faciliter la recherche selon des mots clés et des domaines connexes. Le Handbook espère ainsi atteindre son objectif de diffusion à grande échelle de connaissances issues de la recherche en interprétologie et en traductologie (ce qui englobe dans cet ouvrage l’interprétologie). Les quelques 74 articles du premier volume et 35 du deuxième, d’une longueur de 500 à 6000 mots, sont classés par ordre alphabétique, interreliés grâce à un système d’astérisques et répertoriés selon les sujets y afférant dans un index en fin d’ouvrage. Cet index, cumulatif, prend de l’envergure dans le deuxième volume, mais ne trouvera toute son ampleur que dans la version en ligne du Handbook, où il est possible de se servir de la fonction « Search » pour accéder quasi immédiatement aux articles pertinents. Le système échoue parfois, comme dans l’article « Translation History » (D’hulst, 2010, pp. 397-405), où on ne retrouve aucun hyperlien vers d’autres sujets pourtant connexes (« Norms of Translation », « Transfer and Transfer Studies »), mais il fonctionne généralement très bien.

Les éditeurs ont le mérite d’avoir convaincu de nombreux spécialistes de rédiger les articles, dont Michael Cronin (« Globalization and Translation », 2010, pp. 134-140), Franz Pöchhacker (« Interpreting », 2010, pp. 153-157; « Interpreting Studies », 2010, pp. 158-172; « Media Interpreting », 2010, pp. 224-226), Jeremy Munday (« Translation Studies », 2010, pp. 419-428), Andrew Chesterman (« Translation Universals », 2011, pp. 175-179), Jorge Díaz Cintas (« Subtitling », 2010, pp. 344-349; « Voiceover and Dubbing », 2010, pp. 441-445), Michaela Wolf (« Sociology of Translation », 2010, pp. 337-343) et Mary Snell-Hornby (« The Turns of Translation Studies », 2010, pp. 366-370). À cette liste de contributeurs pour la plupart européens se greffent les noms de chercheurs oeuvrant au Québec et au Canada : entre autres, Luise von Flotow (« Gender in Translation », 2010, pp. 129-133), Paul F. Bandia (« Post-Colonial Literatures and Translation », 2010, pp. 264-269; « Orality and Translation », 2011, pp. 108-112), Deborah Folaron (« Networking and Volunteer Translators », 2010, pp. 231-234; « Translation Tools », 2010, pp. 429-436; « Web and Translation », 2010, pp. 446-450), Hélène Buzelin (« Agents of Translation », 2011, pp. 6-12) et Sherry Simon (« Hybridity and Translation », 2011, pp. 49-53).

Les articles eux-mêmes varient en profondeur : certains traitent de l’objet ou du concept à l’étude, d’autres montrent où en est rendue la recherche. Il s’agit peut-être là autant de la manifestation d’une opposition persistante entre théorie et pratique que d’un indicateur de la jeunesse d’une discipline aux domaines de recherche toujours inégaux. Enfin, quelques articles arrivent à si bien cerner les enjeux qu’ils deviennent d’importantes contributions à la réflexion. C’est le cas, par exemple, de « Literary Studies and Translation Studies » de Dirk Delabastita (2010, pp. 196-208) et de « Translation Problem » de Gideon Toury (2011, pp. 169-174).

Il y a toujours, dans ce genre d’ouvrage, des lacunes qui donnent lieu à la critique. Dans cet ordre d’idées, on pourrait commenter l’absence de plusieurs termes plus spécifiques, qui viendront sûrement s’ajouter lors de la publication de volumes subséquents. Or, il me semble que la lecture des deux premiers volumes laisse entrevoir une omission presque gênante : celle de la notion d’équivalence. Centrale au fondement de la pensée sur la traduction, balayée puis réinstituée, déconstruite puis reconstruite provisoirement, l’équivalence apparaît dans plusieurs articles et on trouve dans l’index des renvois multiples aux articles « Descriptive Translation Studies », « Interpretive Approach », « Literary Studies and Translation Studies », « Norms of Translation », « Semiotics and Translation », « Terminology and Translation », « Transfer and Transfer Studies », « Translation » et « The Turns of Translation Studies ». Si elle sert de lien à tous ces articles, il reste que l’équivalence ne fait l’objet d’aucun article dans lequel on tracerait l’évolution de la pensée, pourtant propre à la traductologie, sur ce concept. Dans l’effervescence de la discipline, dont les virages multiples (pragmatique, culturel, globalisant, iconique, empirique, sociologique, éthique) nous étourdissent parfois (Snell-Hornby, « The Turns of Translation Studies », 2010, pp. 366-370), et surtout dans le cadre d’un ouvrage de référence comme celui-ci (qui témoigne justement de l’effervescence de la discipline), il serait utile de faire le point sur les paradigmes qui en ont formé la base.

Néanmoins, dans l’ensemble, l’ouvrage offre un excellent portrait de l’état des connaissances en traductologie. Son format double, imprimé et virtuel, lui permet de diffuser ces connaissances aux experts du domaine, aux étudiants, comme aux curieux. La plus grande force du Handbook sera cependant d’agir à titre d’entrée en matière aux différents domaines de la traductologie, car il simplifie l’accès aux différents sujets d’intérêt ainsi que l’identification des principaux chercheurs et de leurs contributions. À l’aide des hyperliens entre le Handbook of Translation Studies et la Translation Studies Bibliography, les chercheurs entameront plus rapidement des lectures pertinentes à leur recherche. Ils anticiperont donc avec impatience la publication et la mise en ligne des prochains volumes du Handbook of Translation Studies.