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  • Jane Wilhelm

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  • Jane Wilhelm
    Université de Genève, LEGS (Laboratoire d’études de genre et de sexualité)

Les liens entre la lecture et la traduction ont été évoqués par de nombreux traducteurs, philosophes ou écrivains, parmi lesquels Octavio Paz dans Translation: Literature and Letters : « In its first phase, the translator’s activity is no different from that of a reader or critic: each reading is a translation, and each criticism is, or begins as, an interpretation » (1971, p. 159). La traduction, faut-il le rappeler, est un véritable laboratoire de lecture, car la lecture et l’interprétation d’un texte représentent la première étape du processus de traduction. Cependant, la question de la lecture touche à bien d’autres disciplines, en particulier à la théorie littéraire et à l’herméneutique, la grande tradition de la lecture en Occident depuis l’Antiquité, mais elle se réfère aussi à la philosophie, à la théologie, à l’histoire, ainsi qu’à la psychologie de l’apprentissage ou aux sciences cognitives. Par la diversité des horizons théoriques provenant de nombreuses disciplines, la réflexion sur la lecture en traduction s’inscrit ainsi sous le signe de l’interdisciplinarité. Plus généralement, et depuis les années 1970, on pourrait distinguer plusieurs orientations de la recherche sur la lecture en théorie littéraire et en philosophie, dont certaines d’entre elles figurent dans les contributions à ce volume : la tradition herméneutique avec ses grands représentants que sont Hans-Georg Gadamer et Paul Ricoeur, une réflexion sémiotique illustrée par Umberto Eco, une analyse quantitative dégageant des données empiriques sur une histoire du livre et des pratiques de la lecture (telle que représentée par les travaux de Roger Chartier), ainsi qu’une analyse philosophique et littéraire portant sur le lecteur et la lecture (Roland Barthes et Jacques Derrida, parmi d’autres). Au cours des dernières décennies, après la prééminence de l’auteur, puis l’exclusivité du texte, la théorie littéraire a promu le lecteur au rang d’acteur à part entière et de partenaire indispensable coopérant à l’actualisation de l’oeuvre. Pensons notamment à l’esthétique de la réception de l’École de Constance, avec Hans-Robert Jauss et Wolfgang Iser, et surtout au livre d’Umberto Eco Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs. Les différentes approches contemporaines en critique littéraire ont eu le mérite de rappeler que la lecture, à l’instar de la traduction, modifie son objet, que l’actualisation ou l’appropriation d’un texte dans l’interprétation le transforme nécessairement. Si l’on cite volontiers l’adage italien traduttore, traditore pour signifier que la traduction est infidèle dans la mesure où les différentes langues ne sauraient se correspondre parfaitement et que, de ce fait, la traduction opère des changements, il existe, de la même façon, un écart entre l’oeuvre originelle et son actualisation par le lecteur qui, en la prenant en charge, lui permet dès lors d’exister. L’herméneutique philosophique contemporaine, à la suite de Hans-Georg Gadamer, a déplacé la question du texte vers le lecteur et, reconnaissant les pouvoirs de ce dernier, se présente aujourd’hui comme un espace de négociation, un lieu de rencontre autour de l’oeuvre. Aussi Hans-Georg Gadamer, pour qui la traduction est un thème central de réflexion, souligne-t-il explicitement le lien entre la lecture et la traduction dans le titre d’un de ses articles : « Lesen is wie übersetzen » (« Lire est comme traduire », 1989). Paul Ricoeur, dans le prolongement de la longue et grande tradition herméneutique, a mis en avant l’intervention dynamique de la lecture dans le processus de l’avènement du sens en examinant, dans sa théorie du texte, la question de l’appropriation du « lecteur à l’oeuvre » (1986 ; Jeanneret, 2013). Dans ce volume, Madeleine Stratford écrit, à propos de la lecture d’un poème à traduire, que Ricoeur, à l’instar …

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