Corps de l’article

Introduction

Partant du principe que « nul n’est censé ignorer la loi » et que les États signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) se sont engagés à « faire largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention, par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants » (article 42 ; Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.), il semble opportun de s’interroger sur les conditions de réception de la version arabe de la CIDE, d’autant plus que celle-ci est considérée comme faisant foi (ibid., article 54), « conformément au principe d’égale authenticité » (Sauron, 2009, p. 14) de l’ensemble des versions existantes dans les langues officielles de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui sont l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe.

La législation des droits humains est un domaine particulier, car elle impose un système juridique supranational, globalisant. Ainsi, le texte de la CIDE s’adresse à tous, « à tout entendeur » (Cornu, 2005, p. 227-228). Le message transmis a donc une vocation universelle. Autrement dit, en matière de réception, tout le monde est censé comprendre la même chose, chaque terme devant référer à un concept unifié. C’est d’ailleurs à ce titre que les traducteurs sont contraints de se plier à des exigences stylistiques et terminologiques strictes, de sorte à ne pas trahir l’esprit des droits énoncés. Les destinataires (les délégués des États membres, les juges, les justiciables, les victimes de violations des droits énoncés) doivent pouvoir, quelle que soit la langue dans laquelle ils consultent le texte, se référer à un point précis qui a son exact équivalent dans toutes les autres versions. Valérie Dullion va jusqu’à dire que « dans un texte de loi destiné à être interprété et appliqué au sein d’un système juridique plurilingue, modifier le découpage en phrases est hasardeux, car les destinataires voudront peut-être se référer par la suite à une phrase précise » (2014, p. 648). Mais cela explique aussi, en contrepartie, un manque de fluidité et même, paradoxalement, de clarté du texte traduit.

1. Manque d’intelligibilité du texte traduit lié aux exigences rédactionnelles des organisations internationales

Les textes juridiques de l’ONU ont un style qui leur est propre, quelle que soit la langue dans laquelle nous les lisons. Ils sont rédigés avec une grande précision, dans le respect du moule formel original, de façon à faciliter le renvoi à des passages précis dans chaque version. Comme le rapporte Marie-Josée De Saint Robert, chef du Service linguistique de l’Office des Nations Unies à Genève, « le souci d’élégance de la forme doit s’effacer devant celui de la conformité à l’original » (2013, p. 10). Le traducteur « doit veiller à ce que le message transcodé soit le plus fidèle possible au texte de départ sans chercher à l’adapter selon les règles stylistiques de sa langue » (ibid, p. 12).

Les notions-cadres (Cornu, 2005, p. 90), formulées de façon à rester « ouvertes à une multitude d’applications » (ibid.), sont délibérément dénommées sous une forme floue dans l’ensemble des versions linguistiques reconnues comme faisant foi, ce qui permet à chaque État partie d’en interpréter le sens selon ses critères propres. Il en est ainsi des notions d’« âge nubile » dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 23 ; Organisation des Nations Unies, 1948b, n. p.), de « protection de l’ordre public ou de la moralité publique » dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 3 ; Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1966, n. p.) et d’« intérêt supérieur de l’enfant » (thème central de la CIDE). À titre d’exemple, l’âge nubile varie en fonction des législations et des coutumes, et de très jeunes filles, dès lors qu’elles sont pubères, peuvent être considérées comme l’ayant atteint. Ainsi, au Yémen, il n’y a pas d’âge minimum légal pour le mariage des jeunes filles, et les mariages précoces sont très répandus (Human Rights Watch, 2011, n. p.). Par ailleurs, les limites fixées par un État pour décider qu’une situation représente une menace à l’ordre public ou à la moralité publique, ou qu’elle contrevient à l’intérêt supérieur de l’enfant, découlent nécessairement de l’environnement social et culturel au sein duquel il légifère. Elles ne peuvent donc être homogènes entre les différents pays du monde.

Cependant, même si cela peut sembler surprenant, l’excès de précision peut conduire à l’incompréhension. Dans la version arabe de la CIDE, la superposition des structures des phrases d’une langue à l’autre et l’usage du calque pour traduire des syntagmes techniques peuvent, pour un profane du moins, rendre la lecture difficile. Enfin, la terminologie traduite n’est pas toujours immédiatement évocatrice des concepts auxquels les termes font référence.

1.1 Respect de l’ordre des mots dans la phrase

Lorsqu’on compare les versions française et arabe de la CIDE, on observe que, dans la version arabe, les locutions adverbiales se trouvent le plus souvent exactement au même endroit que dans le texte français. Or, en arabe, les compléments circonstanciels sont généralement placés derrière le noyau prédicatif. Ainsi, à l’article 3 (alinéa 2), où est rappelé l’engagement des États parties à mettre en place un cadre législatif propre à assurer le bien-être de l’enfant et sa protection, on trouve en arabe :

وتتخذ، تحقيقا لهذا الغرض، جميع التدابير التشريعية والإدارية الملائمة.

Wa tattakhidhu, tahqîqan li-hâdhâ -l-gharad, jamî‘a al-tadâbîr al-tashrî‘iyya wa-l-idâriyya al-mulâ’ima.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p.

Le texte correspondant de la version française se lit comme suit :

et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.

Dans la version arabe, la locution adverbiale de but correspondant à « à cette fin » est placée, suivant le modèle du texte français, entre le verbe et le complément d’objet direct. La séparation par deux virgules montre d’ailleurs que ce positionnement n’est pas naturel pour le traducteur, qui a sans doute cherché par ce biais à rendre le message plus clair. Dans une phrase arabe plus conventionnelle, ce complément de but [al-maf‘ûl li-ajlihi selon la terminologie grammaticale arabe] aurait été placé derrière le noyau prédicatif ou éventuellement devant.

1.2 Respect des conventions typographiques

À l’article 19 (alinéa 1) consacré au droit des enfants à être protégés de toute forme de violence, la version anglaise signale une option entre un ou plusieurs représentants légaux par l’emploi entre parenthèses du marqueur du pluriel s :

States Parties shall take all appropriate legislative, administrative, social and educational measures to protect the child from all forms of physical or mental violence, injury or abuse, neglect or negligent treatment, maltreatment or exploitation, including sexual abuse, while in the care of parent(s), legal guardian(s) or any other person who has the care of the child.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989a, n. p. ; nous soulignons[1]

La version arabe tente de conserver la même structure, dans les limites du possible :

وهو في رعاية الوالد (الوالدين) أو الوصي القانوني (الأوصياء القانونيين)عليه، أو أي
شخص آخر يتعهد الطفل برعايته.

Wa huwa fî ri‘âyat al-wâlid (al-wâlidayn) aw al-wasî al-qânûnî (al-awsiyâ’ al-qânûniyyîn) ‘alayhi, aw ayyi shakhs âkhar yata‘ahhadu al-tifl bi-ri‘âyatihi.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p. ; nous soulignons

[alors qu’il est sous la protection d’un parent (des deux parents) ou de son tuteur légal (de ses tuteurs légaux), ou de toute autre personne qui a en charge de prendre soin de l’enfant.] (notre trad.)

Si, en anglais et en français, la mise entre parenthèses de la désinence du pluriel est une convention normée et connue de tout lecteur, ce n’est pas le cas en arabe, qui utilise d’autres conventions. Le traducteur a contourné la difficulté en optant pour la mise entre parenthèses non pas de la terminaison, mais du terme entier au pluriel. Il est fort à supposer qu’une telle codification surprendra le lecteur arabophone et lui imposera un temps de réflexion avant de comprendre ce qu’elle signifie. On remarque d’ailleurs que la version française utilise une autre construction, plus adaptée aux usages de la langue :

pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p. ; nous soulignons

On aurait pu imaginer une construction similaire en arabe :

forme: 2057649n.jpg

Wa huwa fî ri‘âyat kilâ l-wâlidayn aw ahadihimâ aw wasîhi al-qânûnî aw awsiyâ’ihi al-qânûniyyîn, aw ayyi shakhs âkhar yata‘ahhadu al-tifl bi-ri‘âyatihi.

[alors qu’il est sous la protection de ses deux parents ou de l’un d’eux, ou de son tuteur légal, ou de ses tuteurs légaux, ou de toute autre personne qui a en charge de prendre soin de l’enfant.] (notre trad.)

Le recours au calque de construction est motivé ici par les exigences propres aux instruments juridiques internationaux : le principe d’égale authenticité des différentes versions linguistiques est garanti par l’engagement du traducteur à se conformer au texte original et à ne pas l’interpréter, au détriment parfois de « l’élégance de la forme ». (De Saint Robert, 2013, p. 10). Toutefois, il apparaît qu’en dehors du cadre strict et spécifique de l’ONU, ce littéralisme rend difficiles la lecture et la compréhension du texte.

1.3 Traduction littérale de syntagmes

De même, le calque est souvent pratiqué au niveau des syntagmes dans un souci de respect du sémantisme des lexèmes qui les composent, mais au détriment parfois de la clarté, du moins pour un lecteur non initié à la terminologie onusienne. Nous en donnerons quelques exemples.

L’article 29 de la CIDE énonce l’engagement des États parties à encourager une éducation des enfants fondée sur l’apprentissage du respect mutuel. Il s’agit de :

The preparation of the child for responsible life in a free society, in the spirit of understanding, peace, tolerance, equality of sexes, and friendship among all peoples, ethnic, national and religious groups and persons of indigenous origin […].

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989a, n. p. ; nous soulignons

Préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone […].

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p. ; nous soulignons

Dans un souci de conserver au maximum une équivalence numérique de mots, le traducteur vers l’arabe a superposé les éléments du syntagme « personnes d’origine autochtone » :

forme: 2057650n.jpg

[…] fî mujtama‘ hurr, bi-rûh min al-tafâhum wa al-silm wa al-tasâmuh wa al-musâwâ bayna al-jinsayn wa al-sadâqa bayna jamî‘ al-shu‘ûb wa al-jamâ‘ât al-ithniyya wa al-wataniyya wa al-dîniyya wa al-ashkhâs al-ladhîna yantamûna ilâ al-sukkân al-asliyyîn […].

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p. ; nous soulignons

[dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance et d’égalité entre les sexes, et d’amitié entre tous les peuples, les groupes ethniques, nationaux et religieux, ainsi qu’avec les personnes qui font partie des autochtones] (notre trad.)

Ainsi, « الأشخاص » (al-ashkhâs) [les personnes] correspond à « persons » et « personnes » dans les versions anglaise et française, « الذين ينتمون إلى  » (al-ladhîna yantamûna ilâ) [qui font partie de] à « of […] origin » et « d’origine », et « السكان الأصليين » (al-sukkân al-asliyyîn) [littéralement, les habitants d’origine, c’est-à-dire les autochtones] à « indigenous » et « autochtones ». Or, le syntagme courant « السكان الأصليون » (al-sukkân al-asliyyûn) suffit pour dénommer les « personnes d’origine autochtone ».

Le même procédé est repris à l’article 30, consacré au droit de l’enfant de manifester ses spécificités culturelles s’il appartient à une minorité.

In those States in which ethnic, religious or linguistic minorities or persons of indigenous origin exist, a child belonging to such a minority or who is indigenous shall not be denied the right, in community with other members of his or her group, to enjoy his or her own culture, to profess and practise his or her own religion, or to use his or her own language.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989a, n. p. ; nous soulignons

Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p. ; nous soulignons

forme: 2057651n.jpg

fî al-duwal al-latî tûjad fîhâ aqalliyyât ithniyya aw dîniyya aw lughawiyya aw ashkhâs min al-sukkân al-asliyyîn, lâ yajûz hirmân al-tifl al-muntamî li-tilka al-aqalliyyât aw li-ûlâ’ika al-sukkân min al-haqq fî an yatamatta‘, ma‘a baqiyyat afrâd al-majmû‘a, bi-thaqâfatihi, aw al-ijhâr bi-dînihi wa mumârasat sha‘â’irihi, aw isti‘mâl lughatihi.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p. ; nous soulignons

[Dans les États où il y a des minorités ethniques, religieuses, linguistiques ou des personnes faisant partie des autochtones, on ne peut priver un enfant appartenant à ces minorités ou à ces habitants du droit de jouir, au même titre que tous les autres membres du groupe, de sa culture, ou de manifester sa religion et de pratiquer ses rites, ou d’utiliser sa langue.] (notre trad.)

Dans l’exemple ci-dessus, le syntagme arabe « al-sukkân al-asliyyûn » est composé de deux lexèmes qui recouvrent le sens des trois lexèmes des syntagmes anglais et français correspondants, soit « persons of indigenous origin » et « personnes d’origine autochtone » :

  • « sukkân » [habitants] réfère à la fois à la notion de personne humaine (persons/personnes) et à celle d’habitant, contenue dans les adjectifs « indigenous » et « autochtone » ( qui habite dans le pays où il est né),

  • « asliyyûn » [d’origine, originaires] renvoie à la notion d’origine et, en collocation avec sukkân, à l’origine géographique (le pays d’origine).

Ainsi, l’ajout des constructions « al-ashkhâs al-ladhîna yantamûna ilâ » et « ashkhâs min » ([les] personnes qui font partie de) a pour effet de doubler en quelque sorte la locution nominale « al-sukkân al-asliyyûn » qui, en réalité, se suffit à elle-même, et qui est d’ailleurs couramment utilisée en arabe. Cette redondance ne facilite pas non plus la compréhension du texte par un lecteur qui n’a pas été exercé aux pratiques terminologiques de l’ONU.

1.4 Terminologie propre à l’ONU

L’ONU développe des droits à vocation universelle, se basant sur des notions humanistes susceptibles de recueillir un consensus le plus large possible. La démarche terminographique de ses services de traduction se fait moins à l’aune des usages spécifiques de chaque pays que sur consultation d’experts de différents comités (ici, le Comité des droits de l’enfant). Comme le rappelle Marie-Josée De Saint Robert (2013, p. 12-15), les formules retenues lors de réunions de travail sont celles qui sont susceptibles d’être comprises par l’ensemble de la communauté linguistique, même si elles ne sont pas en usage dans tous les pays de cette communauté. L’emploi de termes « neutres » est privilégié, et les formules idiomatiques, trop connotées, sont évitées de façon à dissiper les malentendus. Ce principe est adopté pour la traduction vers l’arabe de certaines notions-cadres ainsi que de certaines notions spécifiques aux programmes de développement internationaux. Or, les choix terminologiques de l’ONU peuvent alors être en décalage avec les usages locaux, comme l’illustrent les exemples qui suivent.

La notion-cadre « the best interest of the child » – « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans la version française et « مصالح الطفل الفضلى » (masâlih al-tifl al-fudlâ) dans la version arabe – est une notion née avec la CIDE. Marie-Martine Bernard rappelle que la CIDE, « adoptée par acclamation aux Nations Unies[2], le 20 novembre 1989, […] solennise l’accession de l’enfant au statut de sujet de droits en faisant de l’intérêt supérieur de ce dernier sa notion clé » (2008, p. 23). Dans la tradition juridique musulmane, il est souvent question de l’intérêt de l’enfant (مصلحة/maslaha), mais pas de son intérêt supérieur. Ainsi, dans les textes régionaux relatifs aux droits de l’enfant tels que le Modèle de loi arabe unifiée sur la protection des mineurs[3] adopté en 2002 par les États de la Ligue arabe ou la Charte des droits de l’enfant arabe, émanant aussi de la Ligue arabe et ratifiée en 1984 par la Conférence des ministres arabes des affaires sociales, il est question, et à de nombreuses reprises, de l’intérêt (مصلحة/maslaha) des enfants, mais sans la présence d’un superlatif. Par exemple, à l’article 15 de la Charte des droits de l’enfant arabe est évoquée l’idée d’un intérêt prioritaire de l’enfant, et non supérieur:

أن تكون مصلحة الطفل الاعتبار المقدم في كل الحالات

an takûna maslahat al-tifl al-i‘tibâr al-muqaddam fî kulli al-hâlât

Ligue arabe, Conseil arabe de l’enfance et du développement, 1984, n. p.

[que l’intérêt de l’enfant soit une considération prioritaire dans tous les cas de figure] (notre trad.)

La forme plurielle « مصالح » (masâlih), utilisée par le traducteur de l’ONU, montre une volonté de se démarquer de la notion de « مصلحة » (maslaha), qui est un principe de droit musulman et que l’on peut traduire, selon la question traitée, par « bien », « bien-être » ou « intérêt public », et sur lequel se fondent les décisions des juges et des juristes[4].

La notion de « bien-être » constitue un exemple de notion spécifique aux programmes de l’ONU. Depuis 1990, l’ONU publie chaque année un rapport sur le développement humain dans lequel est notamment évalué le degré de bien-être des populations dans le monde, indice considéré aujourd’hui comme un facteur important de développement. Dans la version française de la CIDE, le terme « bien-être » apparaît huit fois. La version anglaise emploie les termes « well-being » six fois, « welfare » une fois et « care » une fois. Dans la version arabe, la terminologie est plus mouvante : « رفاهية »(rafâhiyya) et « رفاه » (rafâh), qui sont les deux termes consacrés pour traduire « bien-être » dans les documents de l’ONU, apparaissent chacun deux fois, «  خير» (khayr) [bien, bien-être] une fois, « صالح » (sâlih) [qui est bon, profitable] deux fois et « رعاية » (ri‘âya) [soin, protection] une fois, probablement sous l’influence de « care », utilisé au même endroit dans le segment « States Parties shall ensure the development of institutions, facilities and services for the care of children » (article 18) (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989a, n. p.). Ces variations tendent à montrer que les termes « رفاه » (rafâh) ou « رفاهية » (rafâhiyya) ne réfèrent pas totalement, dans la tradition lexicale arabe, à la notion de « bien-être ». Il semble qu’un arabophone emploierait davantage « هناء » (hanâ’) ou «  راحة» (râha). Dans le langage juridique, le terme correspondant à « bien-être » est « مصلحة » (maslaha), construit à partir de la même racine que «  صالح» (sâlih) et utilisé deux fois dans la CIDE[5].

Les notions-cadres sur lesquelles l’ONU construit son système juridique entrent en concurrence avec des principes de droit appliqués à l’intérieur de différents pays. Ainsi, l’âge de la majorité n’est pas universel, mais il constitue néanmoins un critère commun aux instruments juridiques internationaux, régionaux ou nationaux. Par ailleurs, les opérations de dénomination et de traduction révèlent parfois des décalages notionnels. Par exemple, lorsque les versions anglaise et française de la Déclaration universelle des droits de l’homme évoquent les droits des enfants « born out of wedlock » et « nés hors mariage », la version arabe leur oppose les droits des enfants issus d’un lien illégitime (bi-tarîqa ghayr shar‘iyya, article 25).[6]

Les déclinaisons autour des notions de « maslaha » et de « sâlih » mettent en évidence la démarche du traducteur, qui tente de trouver un équilibre entre, d’une part, le devoir de proposer des dénominations répondant aux critères d’un code transnational (une compréhension uniforme des préceptes énoncés par l’ensemble des États signataires) et, d’autre part, celui de rédiger un texte dans une langue claire et immédiatement dénotative. Ce compromis a parfois pour effet de renforcer le caractère délibérément flou du principe énoncé (les critères de mesure du caractère supérieur de l’intérêt de l’enfant ne sont pas définis dans la Convention). C’est pourquoi un travail d’explicitation serait nécessaire.

2. Décalages d’ordre culturel

Il apparaît, à travers les différents cadres juridiques qui régissent les rapports entre parents ou autres membres de la famille/enfants, notamment en matière de prise en charge des enfants, que le statut de l’enfant et de ses gardiens diffère d’une société à l’autre. Aussi, les notions d’enfant ou de tuteur ne réfèrent pas nécessairement, pour un citoyen marocain, égyptien ou libanais, aux mêmes réalités que pour un citoyen français ou britannique.

2.1 L’enfant

L’enfant, traduit dans la version arabe par « طفل » (tifl), est défini dans la CIDE comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » (article 1) (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.). Il est ainsi reconnu que la délimitation de l’âge de la majorité, du passage à l’âge adulte, varie selon les juridictions des différents pays du monde.

Selon la Charte des droits de l’enfant arabe, approuvée en 1984 par les États arabes membres de la Ligue arabe (préambule, avant-dernier paragraphe), n’est plus considéré comme tifl, mais comme « بالغ » (bâligh) [physiquement mûr] toute personne ayant atteint l’âge de quinze ans. Toutefois, selon la tradition juridique musulmane, on distingue l’enfant/tifl de celui qui « a atteint l’âge du discernement » (« الصغير المميز », al-saghîr al-mumayyiz), qui a des droits particuliers, notamment relatifs à la gestion de son patrimoine lorsqu’il est orphelin. Par exemple, selon le Code de la famille marocain (Ministère de la Justice du Maroc, 2004, n. p.)[7], l’âge du discernement est fixé à douze ans (article 214). Un jeune de quinze ans n’est donc plus un enfant/tifl, mais cela ne fait pas de lui un adulte. La dernière étape est celle de la maturité mentale, سن الرشد (sinn al-rushd), fixée dans de nombreuses juridictions des pays arabes à dix-huit ans.[8] Mahmoud Yazbak, dans un article consacré aux orphelins de Palestine sous l’Empire ottoman au 19e siècle, montre, à l’appui des registres qu’il a consultés, que le juge reconnaît le plus souvent la maturité mentale du jeune – celle qui lui permet de gérer ses biens et son quotidien de manière indépendante – lorsqu’il a vingt ans ou plus (2001, p. 136). Ainsi, les juridictions des pays arabes tendent à considérer que tifl dénomme le petit enfant, et que les étapes intermédiaires de sa croissance jusqu’à sa maturité mentale donnent lieu à des droits et devoirs spécifiques. Par exemple, l’« enfant » – employé ici tel que le définit la CIDE – peut travailler dès l’âge de 15 ans, car il est considéré comme un « jeune »[9], physiquement mûr, et une jeune fille pubère est, selon certaines législations, en âge de se marier.

2.2 Le tuteur

Dans le texte de la CIDE, le « tuteur » (articles 3 et 5), terme qui a été traduit dans la version arabe par « وصي » (wasiyy), a un statut relativement imprécis. Ce flou laisse aux États un assez libre choix d’interprétation du rôle qu’il doit tenir, de ses conditions de nomination, selon leurs référents culturels et juridiques. En droit français, par exemple, la nomination d’un tuteur intervient lorsque les parents ne peuvent plus, ni l’un ni l’autre, exercer leur autorité parentale. Son rôle est décrit comme suit sur le site Service-Public.fr, le site officiel de l’administration française[10] :

Le tuteur est chargé de veiller sur la personne du mineur, ses biens, ou les deux. Il peut y avoir plusieurs tuteurs. Le tuteur doit obtenir l’accord du subrogé tuteur ainsi que du conseil de famille pour les actes de disposition (par exemple : vente d’un bien immobilier). La tutelle est mise en place et contrôlée par le juge des tutelles des mineurs.

Dans la tradition juridique musulmane, la question de la désignation d’un « wasiyy », ou tuteur, se pose uniquement lorsque le père meurt, car c’est lui, et non la mère, qui assume l’autorité parentale (الولاية, al-wilâya])[11]. C’est généralement l’ascendant (le grand-père) qui assume la fonction de ولي (waliyy) [tuteur légal] à sa place et qui est alors chargé, comme l’était le père, de veiller à la fois sur la personne de l’enfant (ولاية النفس, wilâyat al-nafs) et sur ses biens (ولاية المال, wilâyat al-mâl) (Yazbak, 2001, p. 128). La « wilâya » peut aussi être donnée à un fils ou un frère (notamment en l’absence du grand-père) et, en dernier recours, à un juge (القاضي, al-qâdî), qui est également habilité à nommer un « waliyy » (cf. Izzi Dien et Walker, s. d., n. p.). Quant au « wasiyy », il est choisi (وصي مختار, wasiyy mukhtâr) et nommé par le père ou le grand-père. Il est chargé de veiller, à leur mort, aux biens de l’enfant mineur et de lui assurer une vie décente (nourriture, habitat, santé, vêtements, éducation). Ce tuteur est le plus souvent un homme, et membre de la famille. La mère peut éventuellement devenir tuteur si elle en fait la demande, si cette demande est acceptée par le juge et, en principe, à condition qu’elle ne se remarie pas (Yazbak, 2001, p. 130). Le rôle du juge dans le choix d’un tuteur est prépondérant : c’est à lui de décider de la capacité ou de l’incapacité de la personne proposée par le père ou le grand-père, ou qui s’est portée candidate à assumer les responsabilités du « wasiyy ». Il s’agit pour lui de s’assurer que l’intérêt de l’enfant sera préservé. De même, il lui appartient de donner son accord sur le montant de la pension – prélevée sur l’héritage de l’orphelin – que réclame le « wasiyy » pour s’occuper du mineur.

Ainsi, une comparaison des définitions du statut de tuteur et de ses modes de désignation dans la législation française et selon le droit musulman révèle des différences aux niveaux de la représentation sociale et juridique de la famille et de l’organisation des rapports entre chacun de ses membres. Les termes « wasiyy » et « waliyy », que l’on pourrait traduire tous les deux par « tuteur », sont des termes techniques qui désignent deux fonctions différentes. Dans le Modèle de loi arabe unifiée sur la protection des mineurs (notre trad.) ratifié par les États de la Ligue arabe en 2002, trois niveaux de tutelle sont définis (article 51) :

  • 1) Le « waliyy » : le père ou la personne à qui est confiée la tutelle du mineur (selon la loi de chaque pays) ;

  • 2) Le « wasiyy » : personne choisie par le père ou, si ce n’est pas le cas, désignée par le tribunal ;

  • 3) Le « qayyim » : désigné par le tribunal.

Dans le nouveau Code de la famille marocain (Ministère de la Justice du Maroc, 2004), la tutelle est désormais exercée par les deux parents, qui sont tous les deux نائب شرعي (nâ’ib shar‘î) [tuteur légal][12]. Le « wasiyy » est aussi, en cas de nécessité, choisi et nommé par le père ou la mère. Une troisième catégorie de tuteur, المقدّم (al-muqaddam), est nommée par le juge (article 230/231).

Si donc le « tuteur » français a un statut et une fonction différents du « wasiyy » arabe, que doit-on comprendre en lisant les différentes versions linguistiques de la CIDE ? C’est probablement sur la base de ces écarts définitionnels que les articles 3 et 5 restent très vagues quant aux catégories possibles de personnes responsables de l’enfant :

Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

(article 3, alinéa 2) Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.

Les Etats parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention.

(article 5) ibid.

Dans la version arabe, le terme « tuteur » a été traduit par « wasiyy ». On notera dans l’extrait cité ci-dessus le caractère vague de la formule « autres personnes légalement responsables de l’enfant » (ibid.), qui permet d’inclure le « waliyy »/« nâ’ib shar‘iyy », le « muqaddam », le « qayyim »…

2.3 La garde de l’enfant

La CIDE évoque à plusieurs reprises le devoir des États de protéger les enfants, notamment lorsqu’ils sont privés de leurs parents, et de veiller à faciliter, en cas de nécessité, leur placement dans une famille d’accueil. La version française parle de « placement familial » (préambule, articles 20 et 40) (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.) là où la version anglaise évoque « foster placement » ou « foster care » (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989a, n. p.) et où la version arabe emploie le terme « حضانة » (hadâna) (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p.). Selon la juridiction française, le placement familial correspond à

un dispositif institutionnel d’accueil et d’hébergement, permettant de prendre en charge de façon permanente, pluridisciplinaire et individualisée un enfant, confié par l’institution judiciaire ou administrative, dans une autre famille que la sienne, afin de résoudre une situation de danger le concernant, tout en respectant son identité, ses origines, sa filiation.[13]

Or, dans la tradition juridique musulmane, la « hadâna » est un concept bien particulier, éloigné de l’idée de placer un enfant dans une famille étrangère, comme le suggère le texte. La « hadâna » concerne les conditions de garde de l’enfant lorsque les parents sont séparés soit par un divorce ou la répudiation, soit du fait du décès de la mère. Tant qu’elle est en vie, c’est à cette dernière que revient en priorité le droit de garde (attesté dans la Tradition prophétique ; Zahraa et Malek, 1998, p. 159), si du moins elle n’est pas remariée et a choisi de vivre près du domicile du père (Boykin, 2012, p. 463). Ainsi, la « hadâna » est une fonction féminine en premier lieu. Si la mère ne peut exercer ce droit (décès ou autre incapacité), il est alors cédé au père, à la grand-mère ou, éventuellement et selon les rites, aux soeurs et tantes. Ce droit peut revenir à certains membres masculins de la famille du père (العَصَبة, al-‘asaba) si les femmes de la famille habilitées à l’exercer sont reconnues inaptes (Zahraa et Malek, 1998, p. 161-164 et Ministère de la Justice du Maroc, 2004, n. p.[14]). La « hâdina » [gardienne] ou le « hâdin » [gardien] est chargé(e) de l’éducation de l’enfant, mais doit aussi veiller à son alimentation, ses vêtements, son hygiène et assurer sa protection, à la différence du « waliyy », dont la fonction, assumée traditionnellement par le père (Zahraa et Malek, 1998, p. 157), est plus rationnelle et moins affective (discipline, études, soins médicaux).

La législation n’est pas exactement la même en fonction des rites pratiqués et des pays, mais, globalement, lorsque le garçon atteint l’âge de discernement (« sinn al-tamyîz », traditionnellement fixé à sept ans mais qui peut varier[15]) ou que la fille entre dans la période de la prépuberté (neuf ans), ils peuvent choisir de vivre avec leur père ou leur mère, à condition que ce choix soit dans leur intérêt, ou encore avec une des autres personnes désignées pour exercer le droit de garde (cf. Linant de Bellefonds, s. d., n. p.). Par ailleurs, la garde ne peut être confiée qu’à un musulman – mis à part pour la mère, mais sous certaines conditions (Zahraa et Malek, 1998, p. 170-171) –, au motif qu’aucun non-musulman ne pourra exercer d’autorité sur un musulman (verset 141, sourate les femmes, cité par Zahraa et Malek, 1998, p. 170), ce que n’implique pas le concept de placement familial tel qu’énoncé dans la CIDE.

Le Code de la famille marocain de 2004, marqué par une volonté d’accorder davantage de droits et de responsabilités aux femmes, évoque la possibilité d’un placement de l’enfant dans une institution, mais cela reste très marginal et n’est évoqué que très brièvement, sans donner de détails :

forme: 2057652n.jpg

Al-mâdda 165 :
Idhâ lam yûjad bayna musthiqqî al-hadâna man yaqbaluhâ aw wujida wa lam tatawaffar fîhi al-shurût, rafa‘a man ya‘nîhi al-amr aw al-niyâba al-‘âmma al-amr ilâ al-mahkama li-tuqarrira ikhtiyâr man tarâhu sâlihan min aqârib al-mahdûn aw ghayrihim, wa illâ ikhtârat ihdâ al-mu’assasât al-mu’ahhala li-dhâlik.

Ministère de la Justice du Maroc, 2004, n. p.

[Si, parmi les personnes habilitées à obtenir le droit de garde, aucune n’y consent ou celle qui y consent ne remplit pas les conditions requises, la personne concernée ou le Procureur général portent l’affaire devant le tribunal, qui devra arrêter le choix d’une personne qu’il estime convenir, parmi les proches de l’enfant gardé ou d’autres. Sinon, il pourra choisir une institution compétente.] (notre trad.)

Ici encore, le choix terminologique de « hadâna » pour rendre « placement familial »/« foster placement » entre en conflit avec un référent culturel partagé par les sociétés musulmanes, mais différent d’une conception occidentale de la notion décrite. Aussi, à l’article 20 de la CIDE, par exemple, il est fort à penser qu’un lecteur arabophone et un lecteur francophone, non experts de la langue de l’ONU, auront une représentation différente des formes d’aide que l’État peut apporter à un enfant privé de son environnement familial, et notamment de la « hadâna » ou du « placement familial » :

forme: 2057653n.jpg

1. li-al-tifl al-mahrûm bi-sifa mu’aqqata aw dâ’ima min bî’atihi al-‘â’iliyya aw al-ladhî lâ yusmâhu la-hu, hifâdhân ‘alâ masâlihihi al-fudlâ, bi-al-baqâ’ fî tilka al-bî’a, al-haqq fî himâya wa musâ‘ada khâssatayni tuwaffiruhumâ al-dawla.

2. tadmanu al-duwal al-atrâf, wafqan li-qawânînihâ al-wataniyya, ri‘âya badîla li-mithli hâdhâ al-tifl.

3. yumkin an tashmula hâdhihi al-ri‘âya, fî jumlat umûr, al-hadâna, aw al-kafâla al-wârida fî al-qânûn al-islâmî, aw al-tabannî, aw, ‘inda al-darûra, al-iqâma fî mu’assasât munâsiba li-ri‘âyat al-atfâl.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989c, n. p.

1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.

2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié.

Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.

Conclusion

Lors de l’élaboration des textes juridiques internationaux, les membres des commissions chargées de leur rédaction, issus de zones géographiques et culturelles diverses, discutent des concepts, des principes et des termes employés, et tentent, en cas de désaccord ou de réserves, de trouver un compromis. Les obligations diplomatiques se répercutent, en matière de traduction, sur l’usage d’une terminologie plutôt neutre, voire floue. Par ailleurs, pour faciliter les renvois au texte dans ses différentes versions linguistiques, les traducteurs doivent autant que possible adopter une phraséologie « superposable », ainsi que nous l’avons montré. En conséquence, la langue utilisée, vidée de ses référents culturels et historiques spécifiques, pourra sembler un peu étrangère à un locuteur natif non spécialiste, et l’on peut se demander si le message transmis sera compris en profondeur. Or, ce déficit entre en contradiction avec l’article 42 de la CIDE, dans lequel il est énoncé que les États parties s’engagent à « faire largement connaître les principes et les dispositions de la Convention, par des moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants » (Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 1989b, n. p.).

Pour une meilleure appropriation du texte dans les sociétés arabes, peut-être serait-il intéressant de mettre en oeuvre la rédaction d’une autre version, non pas superposée aux versions sources, mais « équivalente » (Gémar, 2015, p. 482), ou encore une version simplifiée, dans une langue idiomatique, familière aux lecteurs, parlante, c’est-à-dire évocatrice de réalités connues ou, du moins, que l’on peut facilement se représenter. On citera à cet égard l’exemple d’un manuel scolaire marocain publié récemment (Al Skalli et al., 2016, p. 124-170), qui consacre 46 pages à l’explicitation des notions et principes énoncés dans la CIDE (notamment la notion de « maslaha fudlâ »/intérêt supérieur de l’enfant). Cette démarche éducative révèle également le besoin de familiariser le jeune lecteur à une certaine terminologie et phraséologie (par exemple, un des exercices d’application proposés consiste à rédiger des articles de loi sur les mesures à prendre pour sécuriser les transports scolaires).