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En 1987, « ayant constaté le besoin réel d’un lieu où seraient abordées de façon thématique la traduction, la terminologie et la rédaction », Jean-Marc Gouanvic et Robert Larose, alors professeurs à l’Université du Québec à Trois-Rivières, prennent l’initiative « de fonder un organe de réflexion et de diffusion des connaissances dans ces domaines » (Gouanvic, 1988, p. 7). Ils ont vu juste : cinq cent dix articles plus tard, TTR continue de répondre à ce besoin toujours bien réel d’explorer la traduction et les disciplines connexes dans le but d’en mieux comprendre les rouages, les défis et les enjeux.

Adoptée dès 1988 comme organe officiel de l’Association canadienne de traductologie, TTR a peu changé en trois décennies. Sa facture sobre, de format livre, a été conservée, tout comme son logo qui, à l’instar des premières de couverture, s’est décliné d’une livraison à l’autre en une variété de couleurs et de teintes, au gré du nuancier Pantone. Les titre et sous-titre originaux donnés à la revue – TTR : Traduction, Terminologie, Rédaction. Études sur le texte et ses transformations – ont aussi défié le temps. Il en va de même de la ligne éditoriale. Privilégiée dès le départ, la formule thématique a été maintenue, assurant une cohérence au contenu de chacun des numéros. Traduction et culture(s), La traduction et son public, Traduire la théorie, Kafka pluriel : réécriture et traduction, Technolectes et dictionnaires, Les Antilles en traduction, Traduire les Amériques, Traduction engagée, Lecture et traduction, Traduction et rédaction : un destin lié sont autant de thèmes et d’angles de réflexion ayant été proposés[1]. Chaque parution de TTR éclaire ainsi une facette sous laquelle la traduction peut être considérée et, ce faisant, témoigne tant de la « nature multidisciplinaire de la traduction et de ses modes d’investigation » (Brisset, 1989, p. 17) que du fait que « l’objet de la traductologie est loin de former un tout homogène et bien délimité » (ibid.). Au contenu thématique s’ajoutent dans la plupart des numéros une section d’articles libres et une section de comptes rendus.

Si le passage du temps n’a guère altéré le visage et les orientations de TTR, il a en revanche transformé le paysage dans lequel s’inscrit la revue. À la fin des années 1980, faut-il le rappeler, la traductologie en était encore à ses balbutiements. Le thème du présent numéro, La traductologie en mouvement, n’a donc rien d’anodin[2]. En retenant ce thème pour marquer les trente ans de TTR, les membres du comité de rédaction souhaitaient mettre à l’avant-scène les artisans de la revue, en les invitant à revisiter leur parcours ou leur champ de recherche à la lumière de l’essor de la traductologie. Jean-Marc Gouanvic, cofondateur et premier directeur de la revue, Annie Brisset, Sherry Simon et Judith Woodsworth, membres du comité de rédaction original[3], de même que Brian Mossop, Candace Séguinot et Paul St-Pierre, contributeurs de la première heure, nous ont fait l’honneur d’accepter l’invitation.

Il convenait aussi que ce numéro anniversaire reflète les principaux domaines dans lesquels les traductologues canadiens se sont illustrés au fil des années. Les collègues nommés ci-dessus représentent plusieurs de ces secteurs : sociologie de la traduction, traduction littéraire, histoire de la traduction, théories de la traduction, approches cognitives de la traduction, révision... Au moins trois secteurs restaient toutefois à couvrir : les approches féministes de la traductologie, la pédagogie de la traduction et la terminologie. Le comité de rédaction s’est tout naturellement tourné vers Luise von Flotow, Álvaro Echeverri et Marie-Claude L’Homme, reconnus pour leurs travaux dans ces domaines respectifs, qui ont accepté avec enthousiasme de soumettre une contribution.

Les dix articles ici réunis constituent un témoignage unique et éclairant sur une période phare de l’histoire de la traductologie. Ils décrivent des trajectoires variées, des initiatives ambitieuses, des domaines de recherche désormais solidement ancrés ou qui sont à la croisée des chemins. On découvre dans ces textes des réflexions lucides, mûries, riches d’enseignements, et l’on redécouvre, présentées sous un jour intimiste, les circonstances qui ont favorisé l’autonomisation de la traductologie en tant que discipline. Il va sans dire que TTR a contribué à cette autonomisation, en assurant le rayonnement, au Canada comme à l’étranger, de travaux d’érudition produits par des chercheurs d’une variété d’horizons théoriques, méthodologiques, géographiques, culturels et linguistiques.

« Les revues sont des publications fragiles, souvent aux prises avec l’incertitude », écrit Dominique Berthet, fondateur et directeur de la revue Recherches en esthétique (2015, p. 101). Des moments de fragilité, il y en a eu dans l’histoire de TTR, et sans doute y en aura-t-il encore. Cela fait partie de la réalité de toute revue scientifique, réalité que Dominique Berthet dépeint avec une admirable justesse :

Les revues […] sont marquées par un total engagement de la part de ceux qui les lancent, les dirigent et les animent. Elles expriment d’abord et avant tout un pari : celui d’exister et de durer aussi longtemps que possible. En effet, elles partagent en général un destin commun. Elles ne durent pas. Elles naissent, font paraître quelques numéros avant de disparaître. Les difficultés financières réduisent généralement les revues au silence […]. Certains facteurs révèlent souvent leurs difficultés : l’irrégularité de leur parution, la baisse du nombre de pages, la baisse du tirage. Très rares sont donc les revues qui parviennent à s’inscrire dans le temps.

2015, p. 101

TTR a gagné le pari de s’inscrire dans le temps, grâce aux efforts déployés par un nombre incalculable de personnes qui sauront se reconnaître. Qu’elles en soient ici chaleureusement remerciées.