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Réalisé suite à un programme de recherche de la Neptis Foundation, ce livre propose non pas une histoire de Toronto, mais celle des plans d’aménagement réalisés entre 1940 et 1980. Sans qu’ils aient déterminé le développement de la ville, Richard White considère que certains plans ont joué un rôle non négligeable. Embrassant une position nuancée, White refuse de présenter les urbanistes comme des technocrates en quête de statut au sein de l’administration publique ou de soutenir que la ville se serait développée de façon organique, malgré les efforts pour la planifier. En fait, le propos central du livre – quel fut l’impact des différents plans? – apparaît impossible à résoudre par une réponse tranchée. White clarifie les origines et l’héritage des plans et décortique ce qui fut un système de planification particulièrement fertile à la fin des années 1950 et tout au long de la décennie 1960, période que certains historiens considèrent comme un âge d’or de la planification moderniste en Occident. White divise ce système en échelles : la Ville, la métropole et la région. Chacune des échelles référant à des institutions spécifiques et une définition différente de Toronto, cette division fait apparaître le caractère expérimental des institutions de la planification urbaine et l’aspect malléable de la ville sous le regard des planificateurs. White accorde aussi une importance au Metropolitan Toronto Planning Board (MTPB), agglomération créée en 1954, au point où son récit peut se lire comme la naissance et la mort d’un système de planification dominé par le MTPB. Chacune des trois échelles fait l’objet d’un chapitre du livre, qui contient aussi un chapitre sur les racines de planification urbaine et un autre sur le mouvement réformiste des années 1970.

Dans le premier chapitre, White montre qu’avant 1954, il règne une mésentente sur ce qu’est la planification urbaine. En 1942, suite aux recommandations du Board of Trade, le Conseil municipal, alors dominé par des politiciens aux aspirations populistes, crée le City Planning Board afin d’organiser la reconstruction et planifier ce qu’ils considèrent être la ville de demain. Ce groupe-conseil au pouvoir ambigu produit en 1943 le premier plan d’urbanisme pour Toronto fait de projections démographiques sophistiquées, illustrées par une riche cartographie et exposé au public. Cependant, il ne fut jamais adopté et ses retombées ont été négligeables. White soutient que la période d’après-guerre se caractérise par une croissance non planifiée hors des limites de la ville. Subséquemment, c’est le « problème métropolitain » qui occupe les esprits et White en fait l’objet du second chapitre. Marquant un changement de garde, le MTPB est la première institution torontoise dédiée à la planification urbaine. White décrit avec soin les origines de ces nouveaux professionnels, animés par des ambitions progressistes et technocratiques. Le plan de 1959 est la réalisation la plus notoire du MTPB. Bien qu’il ne fut jamais adopté, White souligne que la plupart de ses principes, notamment le développement contigu facilitant un système d’eau et d’égout lié au lac Ontario, se sont réalisés.

Traitées dans le troisième chapitre, les actions au niveau de la Ville furent plus modestes. Selon White, la modernisation fut prudente, non pas parce que les urbanistes n’ont pas chéri certains rêves de grandeur, mais parce que le contexte ne se prêtait pas à leur réalisation. Contrairement à plusieurs villes nord-américaines, Toronto, n’a pas vécu un déclin de son centre-ville. Mis à part la construction d’une nouvelle mairie, peu de grands projets ont été réalisés. Ralentie par des gestionnaires municipaux frileux et des résidents mécontents, la rénovation urbaine s’est faite à la pièce et le plan officiel n’a été adopté qu’en 1969 au moment où la planification était en perte de vitesse. Pour White, ce plan de 1969 est issu d’un compromis entre une industrie valorisant la croissance et des petits propriétaires voulant conserver leurs acquis. Si le chapitre sur la planification de la Ville montre un milieu fragmenté, le quatrième chapitre sur la planification régionale montre des fonctionnaires provinciaux encore moins bien outillés. Profitant d’une croissance inégalée de ses activités, le gouvernement ontarien tente à la fin des années 1960 une vaste entreprise de planification régionale couvrant un territoire allant d’Oshawa à Hamilton : le Toronto-Centred Region. Selon White, cette initiative provinciale ne se traduit cependant par aucune conséquence concrète.

Dans le cinquième chapitre, White avance l’idée que l’élection de David Crombie à la mairie de Toronto en 1972 représente une rupture dans la manière de planifier la ville. Proche de la contre-culture et la nouvelle gauche, le mouvement réformiste qui naît dans les années 1960 fait émerger un nouveau paradigme dans lequel la planification passe d’un travail d’experts à un processus de délibération entre parties prenantes. La figure de l’urbaniste se déplace alors de l’ingénieur civil vers le travailleur communautaire. Délaissant la vision d’ensemble et les prévisions économiques et démographiques, les réformistes se concentrent sur la vie au centre-ville et sur l’habitation. En outre, ils entrent sur la scène politique au moment des premières luttes contre la rénovation urbaine. Selon White, la plus grande victoire du mouvement réformiste est l’annulation, en 1971, du projet de l’autoroute Spadina. Modérant cependant le récit triomphaliste de certains réformistes, White est d’avis que la victoire des citoyens contre les planificateurs représente le triomphe « du local sur le métropolitain ».

En conclusion, s’appuyant sur une recherche documentaire méticuleuse, Planning Toronto est un ouvrage richement illustré qui plaira aux personnes intéressées par l’histoire de Toronto et plus généralement, de l’urbanisme. White prend soin de situer la planification de Toronto dans une histoire transnationale et accorde une importance particulière au rôle des immigrants comme agents de réforme et aux idées provenant des États-Unis. Enfin, le livre s’inscrit dans les tendances récentes en histoire de l’urbanisme qui se tournent de plus en plus vers les échanges transnationaux et les réseaux d’idées.