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Quoi de commun entre « l’actif toxique » et la « vulnérabilité » ? Précisément un dictionnaire, encadré par ces deux entrées, qui rassemble, par temps d’incertitude et de complexité souvent rappelé par les auteurs, 235 notices reliées à la notion de mondialisation. La première édition renvoyait au pluriel mais n’impliquait pas le terme « critique ». Aussi cette republication revient un peu au même, la critique relativisant ce qui apparaîtrait autrement comme unique et homogène, ce que la mondialisation n’est pas. Mais le fond de cet ouvrage collectif a été transformé avec la disparition de mots, l’apparition d’autres dont une chronique exhaustive aurait été utile et révélatrice d’une dynamique éditoriale.

Adressée particulièrement aux étudiants et à la « société civile », l’entreprise est louable, d’autant que c’est au quotidien que nous sommes aux prises avec des actions, des instruments et leurs conséquences dont on peine à tracer les raisons d’être et qui se trouvent amalgamés dans des méta-notions comme celles de mondialisation ou globalisation. « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur » écrivait Jean Cocteau, repris plus récemment par François Ascher dans un livre au sous-titre presque éponyme (Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs, essai sur la société contemporaine, L’Aube, 2000). Le mérite revient aussi à ce dictionnaire de chercher principalement à éclairer une phase de transition dans laquelle on lit surtout de l’instabilité et des phénomènes inédits. L’introduction de la géographe Ghorra-Gobin est de ce fait stimulante et audacieuse puisqu’il est question d’une quête conceptuelle des changements induits par la mondialisation et de la nécessité de laisser de côté des catégories classiques. Ainsi, par exemple, le remplacement de l’entrée « agriculture » par « sécurité alimentaire » et « impérialisme agricole », notions collant davantage à des problèmes publics que les tiroirs d’une géographie classique qui distinguerait des secteurs d’activités. Mais l’inventivité conceptuelle peine dans l’ensemble à se montrer et les auteurs ne se hasardent pas sur les chemins des néologismes, ce que l’on peut regretter. Les défis de pointer les paradoxes, de chercher à ré-articuler, voire de refonder sont pertinents. S’il est même question d’un projet politique, c’est via l’enjeu de localiser le global au niveau infranational, reconstruire le compromis perdu entre le travail et le capital et réinventer l’universel (p. 9). Cette montée en généralité, à partir des défis que sont la réduction de l’écart entre l’économie globale et des richesses non partagées, l’enjeu de la justice sociale et environnementale et celui de l’articulation entre espaces territoriaux et espaces globaux est pertinente (on peut songer dans cette voie à l’ouvrage dirigé par Jacques Lévy, L’invention du monde. Une géographie de la mondialisation paru en 2008 aux Presses Sciences Po) mais l’attente est quelque peu déçue dans la suite.

Pourtant, une grille de lecture est à l’oeuvre et s’appuie sur la nécessité de différencier trois processus, à savoir la mondialisation de la société, la globalisation de l’économie et la planétarisation de l’environnement. Certes ces différents systèmes sont en interaction, mais on gagne à ne pas les amalgamer et la différenciation entre métropole mondiale et métropole globale est, à cet égard, intéressante.

Les entrées comportent l’originalité, pour certaines d’entre elles, d’ouvrir une discussion, permettant l’expression d’une problématique, mettant en question un objet (l’aéroport), un courant (l’altermondialisme) ou un marché émergent (les marchés du carbone). L’esprit n’est pas éloigné de la formulation de certains dossiers du centre d’analyse stratégique en France (cf. les différents « dossiers de la mondialisation » téléchargeables sur le site du centre) avec parfois une vraie tentative de qualification de processus tout contre des théoriciens (ainsi des entrées « altermondialisme », « société liquide », « temps du monde »). D’autres notices sont plus courtes et « neutres », comme des passages obligés (« bourse », « capitalisme », « sport », « internet »…). Plus spécifiquement, on pourra noter l’étrangeté de l’entrée « architecture durable » par Maurice Culot et la redondance des entrées « éco-tourisme » et « tourisme ». Cela dit, comme dans beaucoup de dictionnaires, c’est probablement un effet-réseau qui amène à de telles spécificités.

Le praticien des études urbaines restera peut-être sur sa faim, car l’espace n’est pas vraiment au centre des préoccupations : « échelle », « flux » et « réseau » sont renseignés de manière trop condensée et « gouvernance » est moins approfondie par exemple que « grande muraille verte » ! Certes il existe un dictionnaire des politiques publiques et un autre des politiques territoriales (tous deux édités par les Presses de Sciences Po), mais c’est un peu surprenant de même que l’entrée « espace », seulement vue sous l’angle de sa conquête. « Urbain » est absent, laissant la place à la ville dont on pressent qu’elle est à défendre par rapport à certaines menaces que sont aussi bien des processus d’enclavement que d’extension « sans limite » (comme on peut le lire dans l’entrée « ville »). Pourtant, une entrée « sprawl » eut été pertinente… En revanche, pointons que l’entrée « esthétique urbaine » est originale.

Au final, ce dictionnaire est bien interdisciplinaire, avec une connotation géopolitique. La directrice de l’ouvrage mentionne plusieurs réunions de discussions entre les principaux protagonistes du programme de recherche à l’origine de cette publication. On n’en doute pas, mais on aimerait trouver des traces des dissensions ou du moins des discussions autour des termes. Le dictionnaire serait alors encore plus vivant, dialogique. Cela mènerait du reste sur la voie de combler un manque, celui d’un dictionnaire des penseurs de la mondialisation et de la mondialité. Mais c’est encore un autre programme de recherche que celui qui chercherait à comprendre comment Fernand Braudel, Karl Marx, Immanuel Wallerstein ou encore Mike Davis ou Bruno Latour ont pu concevoir le monde.