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Rassemblant des contributions présentées lors d’un séminaire organisé par la CÉFAN en 2008 dans le contexte des célébrations entourant le 400e anniversaire de Québec, cet ouvrage offre une tribune à une quinzaine de chercheurs universitaires et d’intervenants du milieu patrimonial. Au coeur de leurs réflexions se trouvent les rapports qui existent entre le patrimoine et l’identité, deux concepts polysémiques de plus en plus souvent associés dans l’historiographie, le premier étant souvent présenté comme un révélateur de l’autre. Les directeurs du collectif plantent le décor en introduction; si patrimoine et identité sont aujourd’hui si étroitement liés, c’est que le patrimoine, en « réuni[ssant les acteurs sociaux] autour d’une activité ou d’un lieu chargés de sens, [en] convoqu[ant] le désir de vivre ensemble et [en] revitalis[ant] collectivement le groupe » (p.2), répond à un besoin de continuité. De l’avis des directeurs, cette recherche des racines dans un monde « de plus en plus caractérisé par la mobilité, les mutations, l’éphémère » (p.1) s’inscrit dans une démarche identitaire contemporaine.

La CÉFAN étant consacrée à l’étude des communautés francophones de l’Amérique du Nord, on comprend que le séminaire ait porté sur ces communautés pour proposer des éléments de réponses aux questions de départ. Si Haïti, les Métis de l’Ouest et l’Acadie sont abordés, force est de constater que le Québec demeure fort bien représenté dans l’ouvrage. Il faut cependant souligner que l’originalité de la dialectique patrimoine-identité en milieu francophone nord-américain, malgré qu’elle soit présentée comme constitutive de la problématique de l’ouvrage, ne ressort pas comme un élément central des différents articles. Celui de Lucie K. Morisset fait ici figure d’exception. Elle pose la question d’emblée et tente de faire ressortir la particularité québécoise en fonction d’un système théorique qu’elle a ailleurs désigné sous le terme des « régimes d’authenticité » (voir l’ouvrage publié en 2009 par les Presses universitaires de Rennes, Des régimes d’authenticité. Essai sur la mémoire patrimoniale).

L’ouvrage est divisé en quatre parties qui présentent des articles de facture fort variable. La première partie porte sur la « politique patrimoniale et (l’)industrie touristique ». On y retrouve quatre articles assez descriptifs qui dressent le portrait de différentes interventions gouvernementales ou internationales en matière de patrimoine ou qui résument des rapports et études portant sur la question. Les liens entre patrimoine et identité, qui pourtant devraient être centraux dans la réflexion, n’apparaissent qu’en filigrane au long de ces articles. Seul celui d’Ernest Labrecque l’aborde plus directement à travers l’expérience touristique. Toutefois, dans cette expérience qui met en scène un visiteur et un hôte, l’auteur ne s’attarde qu’aux conséquences identitaires du tourisme culturel et patrimonial sur ce premier, passant sous silence l’investissement identitaire de ceux qui offrent le produit touristique. Pourtant, n’est-ce pas eux qui doivent décider de l’image qui veulent projeter à l’« autre » qui vient les visiter?

Les trois autres parties sont plus directement liées au propos central de l’ouvrage. Il faut néanmoins souligner que les articles vont de l’étude de cas très courte (une douzaine de pages pour l’article d’Ulysse Ruel) à la recherche approfondie (une quarantaine pour celui de Lucie K. Morisset). La seconde partie de l’ouvrage, qui rassemble six articles, est intitulée « La construction patrimoniale et la patrimonialisation ». L’étude portant sur le lieu historique national de Grosse-Île, menée par André Charbonneau, met en lumière de belle façon les aléas de la patrimonialisation d’un lieu chargé d’une mémoire traumatisante, susceptible d’être récupérée sur le plan politique. À partir de son expérience personnelle de membre de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, Phyllis E. LeBlanc élargit le questionnement du rôle de cette instance à partir d’une analyse des interventions commémoratives qu’elle a conduites en Acadie.

La troisième partie portant sur « le patrimoine immatériel/patrimoine vivant » est probablement celle qui présente la plus grande cohésion. Chacun des quatre articles qui la composent aborde une étude de cas bien circonscrite géographiquement, renforçant l’idée que le patrimoine immatériel est parmi ceux qui résonnent le plus intimement dans les communautés qui les portent. L’article de Samuel Régulus sur le vodou haïtien lance le questionnement avec succès en montrant la pertinence et les écueils du patrimoine immatériel. En interrogeant la patrimonialisation des contes et légendes de Saint-Élie-de-Caxton autour de la figure de Fred Pellerin, Catherine Arseneault soulève avec à-propos la question délicate des liens entre patrimoine et tourisme.

Les célébrations entourant le quatrième centenaire de la ville de Québec servent de porte d’entrée à Patrice Groulx et Jacques Mathieu pour réfléchir à la notion de commémoration en dernière section d’ouvrage. Dans un article de grande qualité, Groulx compare les commémorations de 1908 et de 2008 pour bien faire ressortir la recherche de consensus qui a marqué les deux célébrations ainsi que la « marginalisation de l’histoire scientifique » dans la seconde. Mathieu reprend une partie des éléments présentés précédemment, mais, dans sa comparaison des deux moments commémoratifs, il souligne le déplacement de la commémoration vers la célébration, en raison de l’importance croissante accordée au « spectacle » au détriment de la mémoire et de l’histoire.

La pression de production qui pèse aujourd’hui sur les groupes de recherche et les chaires, combinée à une absence de ressources chez les maisons d’édition faite en sorte que des ouvrages sont publiés sans avoir pu bénéficier du temps nécessaire aux dernières vérifications linguistiques. Le présent collectif n’échappe malheureusement pas à cette tendance. Des erreurs d’orthographe ou de grammaire (p.175, 239, 267), des formulations étranges (p. 38-39, 106, 179) ainsi que des résidus de « suivis de modifications » (p.285) ponctuent l’ouvrage et font parfois dévier l’attention du lecteur. Loin de moi l’idée de vouloir jeter ici la pierre aux auteurs et aux directeurs du collectif; il faut plutôt y voir un plaidoyer en faveur d’une véritable politique d’édition scientifique qui attribuerait les ressources et le temps nécessaires à tous les intervenants.

En refermant cet ouvrage collectif, le lecteur aura trouvé quatre ou cinq études de cas stimulantes, une ou deux réflexions théoriques qui pourront alimenter sa réflexion sur les relations, bien souvent galvaudées, qui existent entre le patrimoine et l’identité.