Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Issu de deux journées d’étude organisées par les universités de Paris-I Sorbonne et d’Orléans en 2009, cet ouvrage collectif, dirigé par Pierre Serna et Gaël Rideau, regroupe les articles de dix chercheurs autour du thème de l’ordre public. Trop souvent étudié à travers les institutions de prévention et de répression, l’ordre public est ici entendu comme l’expression d’un vivre ensemble dans un espace urbain. L’introduction savamment rédigée par Pierre Serna et Gaël Rideau s’attarde à bien définir les concepts d’ordre et de partage et pose les bases historiographiques. Ainsi, une des dimensions de l’historiographie de l’histoire urbaine s’est intéressée dès 1960 au monde des marginaux et à la délinquance. On ne saurait ignorer l’apport de Michel Foucault et d’Arlette Farge, qui ont donné l’impulsion aux questionnements historiques sur les mondes de la marge, les délaissés, les oubliés et les petites gens de l’espace urbain. À partir de 1980, un champ de l’histoire urbaine s’est davantage concentré sur la dimension sécuritaire des villes, les corps professionnels et les institutions du maintien de l’ordre. Les travaux de Vincent Milliot, Patrick Bruneteaux et Paolo Napoli s’inscrivent dans le cadre de cette réflexion sur l’ordre et la police. Le vivre ensemble ou la convivance apparait dans l’historiographie en 1990 et circule en filigrane dans ce collectif. L’ouvrage propose deux nouvelles approches : d’abord, considérer l’ordre urbain comme un chantier sans cesse en construction et continuellement redessiné et l’approcher par la voie du social en opposition avec l’institutionnel.

La première partie du livre traite des écrits littéraires ainsi que d’une étude sur l’organisation des fiches policières. C. Senséby analyse les chartes comme des instruments de pouvoir contre le désordre urbain au XIIe siècle à Anjou. Contrer les perturbations urbaines et maintenir l’harmonie passe par l’association étroite des moines et du pouvoir princier. N. Dyonet place, cinq siècles plus tard, l’ordre public au coeur du traité de Delamare au XVIIIe siècle à Paris. La valeur du traité tient à la mise en système des lois de police. Le bien commun et l’ordre s’exercent par l’émission de lois séculières qui prescrivent les comportements de la vie en société. Ensuite, le commerce et la production de livre à Paris au XVIIIe siècle sont traités par J-P. Vittu par le biais du Journal de l’inspecteur Hémery. Loin d’associer la police à la censure, on présente une police d’observation, de compromis et de tolérance dont le rôle est de contenir les passions afin d’éviter les disputes liées aux moeurs et les scandales politiques. Enfin, P. Allorant suggère de scruter le récit de voyage de l’ingénieur français Marcel Jozon en 1869 qui témoigne de l’application de l’ordre urbain par le vecteur de l’urbanisme.

La deuxième section traite de l’ordre urbain et de la religion, d’abord avec A. Cabantous qui s’intéresse au Maréchal de Belle-Isle en 1753. Par l’entremise des conflits entre le Maréchal et les chanoines de la ville de Metz, Cabantous retrace le chemin sinueux de la laïcisation graduelle de l’espace urbain. Dans un même ordre d’idées, G. Rideau étudie l’évolution des processions religieuses à Orléans entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. L’auteur amène à la croisée des chemins les relations entre l’Église et l’élite laïque dans la gestion municipale. La volonté de circonscrire l’Église dans une seule dimension spirituelle devient la pierre angulaire de la redéfinition de l’ordre urbain au XVIIIe siècle. Enfin, C. Borello présente Marseille au XVIIIe siècle sous le regard de la convivance entre catholiques et protestants, laquelle illustre qu’une partie de la réalité marseillaise. Le vivre semble dans un espace commun existe par l’entremise d’un ordre social où la religion n’est pas le déterminant prioritaire dans les modifications des comportements.

La troisième section de l’ouvrage est orientée vers le désordre, l’ordre politique et le partage de la ville. P. Serna analyse comment l’ordre urbain à Orléans au XIXe siècle s’adapte aux brusques changements de régime. L’auteur place au centre de son analyse les élites urbaines et fait ressortir qu’elles sont les premières responsables du désordre social. N. Dauphin propose de voir un rapport de force dans la ville de Versailles au XIXe siècle entre le château et la ville qui évolue au travers de changements politiques. Versailles fait office d’exemple en termes d’ordre et de gestion pacifique des tumultes. L’absence de caractère répressif et la présence d’espaces de liberté et de régulation font de l’ordre un modus vivendi qui sert à enrayer les tensions sociales dues aux bouleversements politiques. Enfin, B.Gainot se penche sur l’appareil policier aux Antilles au moment de la transition des colonies antillaises vers l’établissement d’un territoire administré par l’Empire au lendemain de la Guerre de Sept ans.

La communauté universitaire appréciera le large panorama de sujets offerts dans cet ouvrage qui démontre la complexité de l’ordre public autant dans sa définition que dans son application. Ce collectif a le mérite d’avoir une conclusion générale qui met efficacement en lumière le caractère pluriel du concept. On attire l’attention du lecteur sur les éléments de paix, d’harmonie et de concorde recherchés par la vie en société et générés par l’ordre. Plus encore, l’ouvrage nous réconcilie avec une histoire qui ne se comprend pas exclusivement en termes de conflits sociaux et tente de démontrer que l’ordre public est un thème fécond. Enfin, si l’histoire urbaine a longtemps considéré la ville comme une trame de fond sur laquelle évoluaient individus et phénomènes sociaux, l’historiographie des dernières années tend à considérer la ville intrinsèquement comme un acteur. Le collectif adopte ces deux tendances historiographiques avec cinq articles de chaque conception.