Book ReviewsComptes rendus

Dessouroux, Christian, Espaces partagés, espaces disputés. Bruxelles, une capitale et ses habitants. Bruxelles, Université Libre de Bruxelles et Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, 2008. 156 p.[Notice]

  • Nicolas Kenny

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  • Nicolas Kenny
    Université Simon Fraser

C’est un peu à la manière de ses Bruxellois photographiés au tournant du 20e siècle en pleine « flânerie » le long des boulevards centraux de la ville (p. 57) que l’on parcourt cet ouvrage de belle facture. Accessible, soigneusement documenté et richement illustré, il constitue le catalogue d’une exposition présentée à l’hiver 2008 par la Région de Bruxelles-Capitale aux Halles Saint-Géry, un ancien marché en plein coeur historique de la ville, voué à la démolition après sa fermeture dans les années 1970 et depuis reconverti en centre culturel et récréatif. Le géographe Christian Dessouroux, appuyé par une équipe de chercheurs affiliés à l’Université Libre de Bruxelles ou encore à l’administration régionale, trace de manière synthétique et critique les « partages » et les « disputes » ayant façonné l’urbanisme bruxellois, et situe dans leur contexte historique les défis auxquels fait face la ville d’aujourd’hui. Dès le premier regard, on constate que le livre est une réussite sur le plan visuel, en donnant au lecteur l’impression de retrouver l’exposition sur la page. Chacun des 44 « tableaux-étapes » aborde en trois ou quatre paragraphes clairs et succincts un aspect de l’évolution urbanistique de Bruxelles, avant de faire place à une iconographie belle et variée, composée de photographies d’époque et d’aujourd’hui (dont plusieurs prises du ciel), de diverses représentations artistiques, et d’une multitude de cartes et plans, tantôt tirés des archives, tantôt à la fine pointe des techniques cartographiques actuelles. En superposant des données topographiques, économiques, ou socioculturelles sur le tracé de la ville, ces cartes permettent de voir clairement comment s’enchevêtre une multitude de réalités et d’enjeux sur l’espace urbain, dont l’étendue du réseau hydrographique, la distribution des logements ouvriers et bourgeois, ou encore l’implantation des différentes activités économiques. Deux cartes jumelées, représentant les « logiques résidentielles des différentes populations étrangères » à l’aide de marques oranges variantes en intensité, illustrent particulièrement bien les possibilités analytiques de tels outils (p130). L’une montre la forte concentration des communautés d’origines marocaine et turque dans les anciens quartiers ouvriers du nord et de l’ouest de l’agglomération, tandis que l’autre, en un miroir frappant de la première, situe les Allemands, les Français et les Britanniques presque exclusivement dans les secteurs nantis et aérées du sud-est. Si on peut s’interroger sur le choix de catégoriser comme « étrangers » (par rapport à la société dite « belge ») des populations établies dans la capitale depuis parfois plus de 50 ans, force est de constater que les Bruxellois eux-mêmes sont plutôt absents de cet ouvrage, mis à part quelques individus évoqués pour leur contribution à l’urbanisme ou rencontrés au détour d’une photo ancienne. L’accent est avant tout sur l’espace urbain, et la société bruxelloise n’intervient que lorsqu’elle est en relation avec celui-ci. Un prologue évoque rapidement les périodes médiévale et moderne afin de mettre la table pour l’époque contemporaine et les bouleversements urbanistiques qui surviendront à partir du moment où Bruxelles est désignée capitale d’un nouvel état, fragile est précaire, mais dont les dirigeants sont soucieux d’afficher la viabilité par le biais d’imposants monuments et travaux publics. Comme le montre le premier chapitre, la ville se redessine et se modernise au rythme d’une industrialisation fulgurante, ce qui contraindra les populations ouvrières à se loger dans des conditions pénibles, et des ambitions de l’administration municipale et du roi Léopold II. Cependant, l’aventure coloniale africaine du souverain, dont les profits financeront cette politique de grandeur, reste sous silence. La construction d’une jonction ferroviaire souterraine signale la volonté de Bruxelles de se placer au coeur de dynamiques économiques et politiques internationales, un chantier dont les retombées bousculent le …