Introduction

Espaces de pouvoir et pouvoir sur l’espace[Notice]

  • Harold Bérubé

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  • Harold Bérubé
    Département d’histoire, Université de Sherbrooke

Dès les premières pages de son ouvrage satirique mettant en scène la haute bourgeoisie d’une métropole nord-américaine anonyme — Montréal pour ne pas la nommer — Stephen Leacock aborde plusieurs aspects du rapport des élites à l’espace urbain au début du XXe siècle : des quartiers résidentiels qui se distinguent nettement du reste du tissu urbain; des institutions où se retrouvent les riches et puissants; un centre-ville en expansion dont dépend leur fortune; ces quartiers industriels et ouvriers où l’insalubrité se conjugue trop souvent à la précarité. Bien que, comme le suggère Leacock, pourquoi se soucier de ces lieux quand on peut s’enfermer dans le confort du « Mausoleum Club »? Néanmoins, l’ouvrage de Leacock n’aborde qu’une frange des élites urbaines, cette haute bourgeoisie qui, pendant un temps du moins, a contrôlé plus de la moitié de l’économie canadienne. Dès le départ, la préparation de ce numéro spécial a d’ailleurs confronté son éditeur aux problèmes que pose la définition du terme « élite ». Comme beaucoup de concepts en sciences sociales, il est plus souvent utilisé que défini et recouvre différentes réalités. Lorsqu’on parle d’élites, on désigne généralement deux types de groupes. D’abord, ces hommes et ces femmes qui occupent, de par leur influence politique et économique, une position dominante dans une société donnée — une ville par exemple. Il peut également identifier les membres d’un groupe particulier qui se distinguent de leurs pairs par leur excellence, par exemple une élite sportive. Il y a évidemment recoupements entre ces deux acceptations du terme, les dominants assumant généralement qu’ils doivent leur influence à leurs qualités, réelles ou supposées. Bref, la question des critères utilisés pour identifier les membres de ce groupe soulève son lot de problèmes. C’est un questionnement qui n’est d’ailleurs pas sans tourmenter les individus s’identifiant eux-mêmes à l’élite. En d’autres mots, qui doit-on laisser entrer au « Mausoleum Club »? Lorsqu’on parle des élites et de la ville, deux problématiques s’imposent dans l’historiographie. D’une part, la question de la gouvernance ou, comme le demandait Robert A. Dahl dès 1963, qui gouverne? Quels sont les acteurs qui détiennent le pouvoir politique dans la ville et comment l’exercent-ils? D’autre part, la question du rapport des élites à l’espace urbain. Car ce groupe est indiscutablement au centre du processus de spécialisation de l’espace et des pratiques de ségrégation et d’agrégation qui caractérisent la ville moderne. Ce numéro de la Revue d’histoire urbaine met l’accent sur cette seconde problématique et les articles qui le composent nous rappellent que les élites jouent un rôle central dans la fabrication de l’espace urbain — leur pouvoir sur l’espace —, mais également que les élites se définissent à partir et au sein de certains de ces espaces auxquelles elles tâchent d’attribuer un prestige, de la distinction — des espaces de pouvoir. Kathryn Wilkins et Peggy Roquigny nous permettent de découvrir quelques-uns de ces espaces que les membres des élites londoniennes et montréalaises investissent dans la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe. Moment fort de la sociabilité élitaire, la « Season » de Londres est non seulement l’occasion de tisser des alliances entre individus et familles, de veiller à la reproduction sociale du groupe et au prestige de ses membres, mais également à l’origine d’une transformation du West End de la capitale britannique. Wilkins démontre que ce district n’est pas seulement le théâtre de la « Season », mais que la sociabilité élitaire contribue à un enclavement de ce secteur, à la privatisation de certains de ses espaces et à d’importants mouvements de population à mesure que certains …

Parties annexes