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David Garrioch, La fabrique du Paris révolutionnaire (Paris : La Découverte, 2013), 440 p.[Notice]

  • Sophie Abdela

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  • Sophie Abdela
    Université du Québec à Montréal

Dans l’ouvrage de David Garrioch, Paris ne fait pas seulement figure de décor : la ville est une véritable actrice, influençant les destins de ses habitants et les événements qui surviennent en son sein. Paris, sous la plume de l’historien, prend littéralement vie. Le titre du livre, La fabrique du Paris révolutionnaire, indique d’emblée que l’auteur vise à éclairer un processus, une fabrication, une transformation dont la ville de Paris est la cible première. Le questionnement qui oriente tout le propos de Garrioch s’étend, en fait, sur deux époques, deux mondes, deux Paris : comment la capitale française a-t-elle pu produire la Révolution ? Comment Paris est-il devenu la scène des violences révolutionnaires ? Pour répondre à cette problématique, l’auteur adopte une approche résolument locale : il ne s’agit pas de la Révolution française, mais bien des événements strictement parisiens dont Garrioch réaffirme le caractère particulier. C’est donc dans la ville qu’il cherche des réponses à ses questions ; son histoire culturelle et sociale s’inscrit dans le long terme et vise à comprendre la Révolution à travers les changements du Paris du 18e siècle, le but avoué étant de dépasser les thèmes particuliers pour exposer le fonctionnement de la ville dans sa globalité. Car, selon lui, ce sont les transformations de toutes les facettes de la vie des Parisiens à travers le 18e siècle qui ont rendu la Révolution possible. C’est pourquoi son argumentation se présente comme englobante, ne voulant rien laisser de côté : y sont abordés les évolutions démographiques, les transformations de la vie matérielle, l’apparition de nouvelles idées, les changements dans les domaines religieux, politique et institutionnel, ainsi que la naissance de diverses pratiques sociales nouvelles. Tous ces éléments auraient eu des effets durables sur la société et la culture parisiennes, sur les façons qu’avaient les Parisiens de penser et de se penser, et auraient ainsi permis l’éclosion des événements révolutionnaires et des violences qu’ils ont entraînées. L’argumentaire de Garrioch dessine lentement les traits d’une transition, d’un glissement d’une société coutumière d’Ancien Régime vers un Paris transformé. Les changements commencent réellement à s’opérer vers 1750. Avant cette date, l’ordre social de Paris est basé sur la coutume. Ainsi, la vie des Parisiens s’organise d’abord et avant tout autour du quartier et de la paroisse qui forment les unités de base des réseaux sociaux : c’est là que se nouent et se dénouent les solidarités urbaines, que sont vécus les longues routines de la vie comme ses spasmes et ses tragédies. Le Paris coutumier est aussi un monde de corporations : cultures de quartier et de métier se complètent pour façonner l’identité de chacun et pour former une culture authentiquement parisienne. Avant 1750, Paris est également régi par un principe de hiérarchie profondément ancré dans toutes les strates de la population urbaine. Cette hiérarchie, ponctuée de diverses marques de déférence, guidait l’établissement de liens entre le peuple et l’élite tout en maintenant « chacun selon sa condition ». Le quartier, les corporations et la subordination étaient les principes clés du maintien de l’ordre social urbain du Paris coutumier et lui permettaient de s’autoréguler par sa propre économie morale. Or, à partir de 1750, ces principes ont été ébranlés par plusieurs facteurs et cette autorégulation est entrée en conflit avec d’autres conceptions de l’ordre. L’intrusion toujours plus profonde de la police dans le tissu social a suscité méfiance et mécontentement ; le développement des réseaux d’information et l’apparition de l’opinion publique ont largement débordé les limites anciennes du quartier tout en participant à l’intégration physique de la ville et en permettant une activité populaire unifiée ; …