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La contribution déjà remarquable de l’historien et professeur Paul-André Linteau (UQAM) à l’histoire urbaine de Montréal s’enrichit d’une synthèse, la première consacrée à l’une des rues les plus réputées de Montréal : Sainte-Catherine. Commandé par le Musée Pointe-à-Callière, le livre se veut un complément à l’exposition La rue Sainte-Catherine fait la une.

Le premier des cinq chapitres présente les débuts de la rue jusqu’à la fin du XIXe. Construite à partir de tronçons progressivement reliés et uniformisés, elle a d’abord une vocation résidentielle et religieuse. La fonction commerciale s’impose rapidement et le deuxième chapitre porte sur ses phases d’implantation, d’organisation et d’épanouissement. On se situe surtout entre la fin du XIXe siècle et les années 1920, bien qu’on se rende jusqu’aux années 1960. Le troisième chapitre présente Sainte-Catherine comme le point de départ d’un nouveau centre-ville. Son développement, interrompu par la crise et la Seconde Guerre mondiale, reprend ensuite. Deux nouveaux axes, Dorchester et Maisonneuve, sont alors privilégiés, plutôt que Sainte-Catherine qui en profite tout de même. Le quatrième chapitre s’intéresse à l’activité culturelle qui jalonne l’histoire de la rue : les premiers théâtres et les formes successives de cinémas, des restaurants et boîtes de nuit, le renouveau théâtral des années 1950 et 1960, l’érection de la Place des Arts, et le mythique Forum. Finalement, on nous montre les temps difficiles qu’éprouve l’artère, puis les ajustements et transformations qui lui permettent de se renouveler, entre les années 1970 et 2010, surtout dans sa portion du centre-ville à l’opposé d’autres secteurs de la rue.

Cet ouvrage s’adresse autant au curieux, au néophyte qu’au spécialiste (p.7). L’iconographie, riche et plaisante, est organisée de sorte que le livre (qui n’est pas un catalogue d’exposition) pourrait être parcouru comme une exposition visuelle. Chaque type de lecteur trouvera son compte dans les capsules sur la méthode et les sources (p.10-11, 16, 40), dans les encarts d’approfondissement sur divers sujets, ou dans la bibliographie sélective et les références (p.223-231). Le seul reproche que l’on pourrait formuler serait l’absence d’une carte de repérage précise dès le premier chapitre. Celle fournie manque de clarté et de précision (p.16), et la carte actuelle n’intervient, certes logiquement, qu’au dernier chapitre (p.174-175). Une cartographie des nombreux établissements cités, comme celle réalisée pour les cinémas (p.136), aurait également pu être un atout.

Le propos lui-même séduit par sa clarté et sa fluidité, d’autant que l’histoire de Sainte-Catherine est agrémentée de nombreuses histoires plus particulières, celles des grandes figures qui habitent Sainte-Catherine : Dupuis, Birks, Morgan, la Place des Arts, le Forum, etc. Il convainc également par la démonstration de la diversité de la rue, qui ressort bien sûr à travers le thème propre à chaque chapitre, mais aussi à travers l’attention portée à la variété des segments de rue. Ainsi, les chapitres deux, trois et quatre, axés sur les fonctions de commerce, d’affaires et de divertissement de la partie centrale de l’artère, considèrent néanmoins les autres sections de la rue et la diversité de fonctions qu’elles apportent. La nature diversifiée de Sainte-Catherine est particulièrement flagrante dans le premier chapitre, où l’on parcourt la rue, presque d’est en ouest, au fil de la plume comme au fil d’une promenade en compagnie d’un fin connaisseur. L’auteur montre ainsi les variations du profil social, économique, culturel et même architectural de la rue, au fur et à mesure qu’elle traverse les différents quartiers et municipalités de banlieue qui se développent sur ses pourtours : Saint-Louis, Saint-Jacques, Sainte-Marie, Saint-Laurent, Saint-Antoine, Westmount, puis Hochelaga et Maisonneuve. La dernière section du livre fait écho au premier chapitre en reprenant, cette fois d’ouest en est, un portrait de la rue telle qu’on peut la voir actuellement. Cette dernière section de l’ouvrage intitulée « Les rues Sainte-Catherine : des paysages contrastés » (p.204), met en fait l’accent sur un fil directeur qui traverse l’ensemble du travail; les contrastes.

Ceci dit, l’auteur ne se concentre pas strictement sur la rue, car selon lui, elle est « au Coeur de la vie montréalaise», comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage. Il démontre le rôle remarquable de Sainte-Catherine dans le développement et le rayonnement de Montréal, parce que c’est dans la section centrale de cette artère que prend racine le nouveau centre-ville entre la fin du XIXe et les années 1930. La rue attire ainsi des entreprises du Vieux-Montréal (p.62-64, 92-99, 101, 107) et même des bannières torontoises (p.65, 76) et américaines (p.82). Elle draine clients et visiteurs de la métropole et des régions environnantes en tant que paradis commercial (p.86) et lieu de rassemblement social (p.119-121). Elle attire même une clientèle internationale, comme le tourisme états-unien à la recherche de divertissement durant la prohibition (p.144), ou celui friand de culture et de festivals (p.170-171, 198-203).

Chaque chapitre inscrit les transformations vécues par la rue Sainte-Catherine dans un contexte social, économique, culturel et géographique plus large. Lorsque dans le premier chapitre, l’auteur présente la diversité de Sainte-Catherine selon les quartiers et municipalités, il montre à chaque fois comment le caractère de la rue est étroitement lié aux caractéristiques du territoire traversé, en faisant un portrait de chacun de ces territoires. Par ailleurs, les hauts et les bas de la rue sont indissociables de la vie métropolitaine. L’essor de Sainte-Catherine comme pièce centrale du nouveau centre-ville est traité comme une conséquence directe de l’exiguïté du Vieux-Montréal par rapport aux besoins croissants en espace des entreprises (p.92-95). De même, sa stagnation est associée à l’aménagement des boulevards Dorchester et de Maisonneuve (p.122-124), et son déclin aux difficultés économiques de la métropole et à l’essor des banlieues (p.164-165, 168-169). Sainte-Catherine apparaît donc aussi dépendante de la vie montréalaise qu’elle en est un moteur.

Ainsi, bien que cet ouvrage soit centré sur Sainte-Catherine et présenté comme un complément illustré à une exposition, il parvient à établir habilement un portrait complexe de la rue Sainte-Catherine et de son environnement, particulièrement à partir de la fin du XIXe siècle.