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Pourquoi, me disais-je, n’ai-je pas le droit de dire la vérité ? Ce qui m’arrive n’est pourtant pas ma faute.

Claire Martin, La joue droite (1966)

Toute la vérité, rien que la vérité, je le jure ! Non, non, je ne jure pas ! Rien que la vérité, d’accord. Toute la vérité, jamais de la vie ! Qui peut supporter d’écrire, et même de lire, toute la vérité ?

Claire Martin, « La première personne du singulier » (2000)

Paru en deux tomes, La joue gauche [1] (1965) et La joue droite [2] (1966), le récit autobiographique de Claire Martin, Dans un gant de fer, a été récompensé par le Prix littéraire de la Province de Québec aussi bien que par celui du Gouverneur général, et a joui d’un succès de librairie exceptionnel. Non seulement le premier tome a-t-il connu six tirages et le deuxième trois tirages avant 1970, mais les lettres adressées à l’auteure par des lecteurs et lectrices remplissent aujourd’hui six chemises épaisses dans le Fonds Claire-Martin, conservé à la Bibliothèque nationale du Canada. Ce succès de librairie n’était pas sans rapport avec la controverse suscitée par ce livre, dans lequel l’auteure raconte son enfance dans une famille dominée par un père violent et sadique et stigmatise l’éducation qu’elle a reçue aux mains d’une série de religieuses dont la médiocrité et la bêtise n’ont d’égale que leur cruauté envers leurs élèves. Le fort impact de l’ouvrage sur le public lecteur lors de sa parution était attribuable non seulement à sa présentation directe et non maquillée de la réalité de cette enfance marquée par la brutalité, mais aussi et surtout à la résonance collective, voire symbolique, de l’histoire racontée. Car, à une époque où il était encore de mise de parler du « matriarcat » canadien-français, le livre de Martin dénonçait sans ambages la figure puissante du Père : force tyrannique qui, dans une alliance avec le clergé et avec l’ensemble de l’Église catholique, écrasait toute possibilité de vie et d’expression chez les enfants sous sa tutelle. En racontant sa propre enfance, Martin a réussi à parler au nom de tout un peuple gardé dans l’enfance pendant plusieurs générations par des institutions autoritaires.

Si la valeur littéraire incontestable de ces mémoires fut presque universellement reconnue, il reste que sa réception, autant privée que publique, a gravité surtout autour de son aspect référentiel. Cela se pouvait-il, demandaient certains, qu’un père puisse être aussi monstrueux que celui mis en scène par Claire Martin ? Et surtout, le portrait de l’expérience couventine tracé par l’auteure correspondait-il à la « vérité » ? Chaque lecteur et lectrice se sentait autorisé(e) à prendre parti pour ou contre le livre en se servant de sa propre expérience pour juger de la « vérité » des propos de l’auteure.

Relisant ces comptes rendus et ces lettres adressées à l’auteure à presque quatre décennies de distance, est-il possible d’apporter des éléments de réponse à la question de la prétendue « vérité » des mémoires ? Robert Vigneault a déjà étudié la réception critique de Dans un gant de fer dans un essai qui n’a guère vieilli depuis sa publication en 1975 [3], mais il n’a pas tenu compte des lettres personnelles adressées à l’auteure, qui ajoutent une nouvelle dimension à la question de la valeur représentative du livre et de son importance en tant que document historique.

Autobiographie, vérité et fiction

Paradoxalement, l’autobiographie comme genre littéraire digne d’étude s’est imposée au cours de la période même où les approches critiques postmodernes remettaient en question les deux fondements du récit autobiographique : la cohérence du moi et la valeur représentative du langage. Les autobiographes du vingtième siècle (Vladimir Nabokov, Jean-Paul Sartre et Nathalie Sarraute, pour n’en nommer que quelques-uns parmi les mieux connus) se sont montrés eux-mêmes très conscients des pièges de la mémoire et de la naïveté de toute prétention à la vérité ou à l’objectivité dans les récits de vie. Même Philippe Lejeune, dont la célèbre définition de l’autobiographie repose sur la nécessaire présence d’un « pacte » garantissant l’authenticité référentielle, avoue dans un texte subséquent la présence simultanée de la vérité et de la fiction au sein de tout texte autobiographique :

Oui, je suis dupe. Je crois qu’on peut s’engager à dire la vérité ; je crois à la transparence du langage, et en l’existence d’un sujet plein qui s’exprime à travers lui […] ; je crois que quand je dis « je » c’est moi qui parle : je crois au Saint-Esprit de la première personne. Et qui n’y croit ? Mais bien sûr il m’arrive aussi de croire le contraire, ou du moins de le prétendre. […] Dire la vérité sur soi, se constituer comme sujet plein — c’est un imaginaire. L’autobiographie a beau être impossible, ça ne l’empêche nullement d’exister [4].

Tout récit autobiographique est donc une construction, une version entre mille autres possibles de la « vérité », avons-nous pris l’habitude d’affirmer. De là à glisser vers l’idée qu’il est impossible de distinguer entre « vérité » et « fiction » dans une autobiographie, il n’y a qu’un pas, très souvent franchi dans la critique autobiographique contemporaine [5] mais lourd d’implications en ce qui concerne la dimension référentielle [6]. C’est ce que fait Isabelle Boisclair, dans une tentative de ranger l’oeuvre de Claire Martin parmi celles de la postmodernité. Selon elle, Martin est « postmoderne » — non seulement dans ses romans, mais aussi dans ses mémoires — en ce sens qu’elle « s’emploie à brouiller les frontières aussi bien du genre sexuel que du genre littéraire », présentant un monde où « la réalité est fiction, la fiction est réalité [7] ». Citant à l’appui une des nombreuses instances dans les mémoires où l’auteure fait allusion à l’aspect à proprement parler romanesque de son enfance [8], ainsi que le fait que les prix littéraires accordés au livre étaient dans la catégorie des « oeuvres d’imagination », elle affirme que Martin cherche à « nous confondre », « à faire passer pour vrai ce qui est fiction, et, à l’inverse, […] à souligner le caractère romanesque de “la vraie vie” [9] ».

Or, à mon avis, de telles affirmations faussent le sens et la portée de la démarche de Claire Martin. En ce qui concerne les prix littéraires, la même constatation fut faite à l’époque de la parution du livre par certains critiques hostiles, qui voyaient dans ces prix une confirmation de leurs accusations de fausseté. Pour le père Romain Légaré, par exemple, le fait que le prix de la Province de Québec accordé au livre le fut dans la catégorie des oeuvres d’imagination (plutôt que dans celle « moins fantaisiste » de l’histoire et la biographie) était la preuve que « dans le cas de Claire Martin l’imagination et le sentiment l’emportent de beaucoup sur l’impartiale sérénité de l’histoire [10] ». Dans une lettre indignée adressée au critique, l’auteure riposta que ce prix, ainsi que celui du Gouverneur général, constitue une reconnaissance de la valeur littéraire de son livre et non un désir de mettre en évidence un quelconque aspect mensonger :

En effet, j’ai eu le prix de la Province de Québec. À cette occasion, lors de la proclamation, on a ajouté le mot « récits » à « romans et nouvelles ». Pour la simple raison qu’il n’y avait pas de catégorie prévue pour les mémoires et qu’on ne voulait pas défavoriser mon livre en l’opposant à des ouvrages historiques comportant tout un appareil de critique et de recherche. C’est aussi ce qui est arrivé pour le prix du Gouverneur général que je viens d’obtenir [11]

Même s’il ne contient aucun signe textuel de ce que Lejeune appelle le « pacte autobiographique » (c’est-à-dire sous-titre, « prière d’insérer », dédicace ou préambule déclarant l’intention autobiographique de l’auteur), Dans un gant de fer se présente au lecteur sans aucune ambiguïté comme un document vrai et référentiel [12], et l’impact énorme qu’il a eu sur le public est indissociable du caractère documentaire du texte. Voici ce que j’ai vécu, nous dit l’auteure, tout en précisant pour ses lecteurs canadiens-français et surtout féminins que le livre qu’ils ou elles sont en train de lire constitue en même temps un miroir de leur propre expérience.

Tout indique d’ailleurs que la question de la crédibilité était très présente à l’esprit de l’auteure au moment où elle écrivait Dans un gant de fer. Dans une entrevue accordée à Jean-Guy Pilon, elle révèle que l’idée d’écrire le livre lui était venue dès 1957 mais que, sachant l’importance de ce récit qu’elle portait en elle, elle a consciemment choisi de perfectionner son art en écrivant d’abord ses romans [13]. À la différence d’une auteure comme Nathalie Sarraute, dont l’autobiographie Enfance tourne autour de la problématique des pièges de la mémoire, Martin insiste tout au long de son récit sur la précision de sa mémoire et sur la vérité de ce qu’elle raconte : « servie par une mémoire impitoyable je n’ai rien oublié » (DGF, 10) ; « Je n’invente rien. » (JD, 13) Une étude du manuscrit révèle à quel point la précision de la chronologie lui tenait à coeur. Par exemple, elle replace un long fragment plus avant dans le texte avec la notation suivante :

Erreur de dates jusqu’à la page 74
Tout ceci [a eu lieu] à 8 ans — (1922) c-a-d au milieu de l’année prochaine.

Vérité contre vraisemblance

Est-ce à dire que Martin nous dit tout sur son enfance ou qu’elle prétend donner une représentation « photographique » de la réalité ? Au contraire, elle répond à ceux qui l’accusent d’exagération que la réalité de son enfance était pire que la représentation qu’elle en a donnée : « Tout ne pouvait pas être raconté, parce que trop gros, parce que trop cru, parce qu’il y a des moments dans la vie où la vérité dépasse aisément les limites du vraisemblable [14]. » Le manuscrit contient en effet plus d’un exemple de scènes supprimées par l’auteure parce que trop violentes pour être vraisemblables ; et, dans une intervention humoristique adressée au lecteur dans La joue droite, elle reconnaît l’invraisemblance des faits qu’elle se prépare à relater :

Ici, je m’arrête pour parler au lecteur. C’est tout ce qu’il y a d’anti-littéraire, je le sais, mais je vous entends d’ici, cher, et je ne peux me retenir de faire un sort à notre dialogue.
— Vous n’allez pas, en plus, nous raconter une histoire de marâtre ?
— Je m’excuse, cher, je me doute fort bien que par moment vous vous dites que je charrie un peu. Je n’y peux rien. La vérité est parfois… Je vais, en effet, vous raconter une histoire de marâtre.

JD, 171

Ailleurs, en réponse à une question fréquemment posée dans les entrevues («Pourquoi n’avez-vous pas transposé vos souvenirs en roman ? »), elle revient à cette distinction fondamentale entre les concepts de la vérité et de la vraisemblance : « Il y a des choses qu’on peut dire dans un roman et d’autres qu’on ne peut pas dire […] Voyez-vous, le vrai n’est pas le vraisemblable. Ce vrai, souvent invraisemblable, il faut le mettre dans un livre comme celui que je viens de publier. Dans un roman, ça n’aurait pas collé […] et je l’aurais couvert du voile de la pudeur [15]. » Selon des notes que l’auteure a couchées sur papier le lendemain d’une entrevue avec des représentants de la maison Gallimard concernant une éventuelle publication de Dans un gant de fer en France, les Français lui auraient proposé, non seulement qu’elle enlève de son livre les références canadiennes, mais qu’elle songe à la possibilité de le transformer en roman — idée qui l’indigne au plus haut point : « Cette idée d’en faire un roman est insensée. Cela aurait fait le plus mauvais roman qui soit jamais sorti des presses canadiennes [16]. »

Pour celle qui, adolescente, s’est trouvée obligée de mentir pour cacher la situation honteuse de la violence dans sa famille, la vérité est trop importante pour qu’elle se permette de brouiller les frontières qui la séparent de la fiction. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas consciente du caractère « romanesque » des expériences de son enfance. Elle dira par exemple de son livre que « [c]’est une autobiographie peut-être, mais mon enfance a quelque chose de romanesque qui a plu à la romancière que je suis [17] ». Dans une lettre à une étudiante allemande datée de 1989, on la sent fatiguée des sempiternelles questions sur les horreurs de son enfance et désireuse de rappeler seulement cet aspect « romanesque » de ses motivations pour écrire. En même temps, il est clair que pour elle il y a un choix éthique à faire entre l’utilisation du roman ou des mémoires lorsqu’il s’agit de raconter sa propre vie, et qu’elle est fière d’avoir eu le courage de présenter son histoire comme un document vrai, plutôt que de l’avoir maquillé en fiction :

Pourquoi « Dans un gant de fer » était-il si important pour moi ? Non pas pour me libérer, ni pour faire en sorte que le public sache ce qui se passe dans les couvents et les familles. Je pense que presque tous les écrivains ont le désir de raconter leur enfance surtout si c’est « une bonne histoire ». J’ai toujours eu le sentiment d’avoir été entourée par des personnages de roman et d’un caractère très marqué : les bons et les mauvais. Au reste, chaque fois que je parlais de mon père à mon mari, il me disait : « Mais c’est un personnage de roman ! » Seulement, je n’ai pas voulu en faire un roman. Cela me semble bien poltron que de raconter sa vie en mettant « roman » sous le titre comme l’a fait, autrefois, Hervé Bazin [18].

La réception publique

Nous avons parlé plus haut de « controverse » à propos de la réception de Dans un gant de fer, et en effet, le livre a suscité des réactions parfois très hostiles. Il est important de noter toutefois que même les critiques les plus antagonistes — ceux que le critique Alain Pontaut catégorise avec raison comme « les bonnes consciences ou les indirectement mis en cause [19] » — étaient obligés de reconnaître, parfois bien malgré eux, la véridicité du récit de l’auteure. Seul le père Romain Légaré met en question la crédibilité du livre, allant jusqu’à dire que son jugement quant à son caractère « fantaisiste » est basé sur « de rapides vérifications personnelles [20] ». Au cours d’un échange subséquent de lettres avec Claire Martin, il révélera à quel point ces « vérifications » ont été dérisoires — expliquant, par exemple, qu’il a interrogé « deux ou trois » hommes qui ont connu le père de l’auteure, dont l’un aurait dit : « ”Il n’était pas peigné, les cheveux dressés sur la tête ; il avait un caractère maussade ; il n’aimait pas la contrariété ; mais, au fond, c’était un bon gars. Je n’ai rien eu avec lui” [21]. » Faute de pouvoir contester les faits, ces critiques reprochent à l’auteure le ton de son livre — sa cruauté, sa rancune, sa froideur. Pour le père Légaré, elle a succombé « aux périls de l’ironie : cette compagne de l’esprit a des accointances avec l’orgueil ; cet aspect négatif de l’esprit va dans le sens du mépris [22] ». Un autre membre du clergé, le père Clément Lockquell, auquel déplaît ce qu’il appelle la « sécheresse de chirurgien » de l’auteure, prétend ressentir « une immense pitié » pour elle et comprendre qu’elle ait besoin de « se défouler ». Il lui assène un dernier coup bas en réfléchissant que son livre « nous force à songer que la cruauté pourrait bien être héréditaire [23] ». Toutefois, quelques mois plus tard, dans sa recension du deuxième tome des mémoires, Lockquell admet la vérité de ce que l’auteure raconte : « On finit par reconnaître là le signe de l’authenticité. On ne comprend pas qu’un père puisse être un tortionnaire, mais on sent que Claire Martin n’invente pas [24]. »

En ce qui concerne le ton des mémoires, une fiche bibliographique anonyme de la maison d’édition catholique Fides fait écho à la critique de Clément Lockquell : « Le ton est d’une froideur à l’épreuve de toute émotion. Le lecteur aura parfois l’impression d’assister à une savante dissection où ne compte que la précision de chaque coup de scalpel [25]. » Fernande Saint-Martin, alors rédactrice en chef de la revue Châtelaine et ancienne élève des Ursulines comme Claire Martin, s’en prend dans un éditorial à la « rancune évidente » de l’auteure (« même si elle la prétend surmontée  »). Cependant, pas plus que les autres, ne songe-t-elle à mettre en question la véridicité du récit : « Que l’auteur ait vraiment vécu les expériences pénibles qu’elle nous raconte, nous ne voulons pas le nier. Mais elle aime trop s’y attarder [26]… » Dans les numéros suivants de Châtelaine, dix lettres prenant position pour ou contre le livre seront publiées. Sept s’expriment en faveur tandis que trois sont contre ; aucune ne mettra toutefois en question la valeur documentaire du livre. Presque toutes celles qui défendent Claire Martin disent avoir vécu des expériences similaires. « Si j’étais écrivain, j’aurais plusieurs chapitres à couvrir de mes souvenirs. Et je ne suis pas la seule de ma dernière classe à l’École normale à avoir d’aigres souvenirs. Il ne s’agit que d’une rencontre au hasard pour que les mêmes remarques s’élèvent en choeur », dit l’une d’entre elles. « L’atmosphère de “gant de fer” qui y régnait dans le temps de Mme Martin, je l’ai subie il n’y a pas tellement longtemps car je n’ai que 25 ans », dit une autre. « Je pourrais ajouter tout un livre épais à son récit et le mien serait tout aussi authentique que le sien, je vous le jure. » Presque toutes terminent en jurant que leurs filles n’auront pas à subir les mêmes humiliations : « Aucun de mes enfants n’ira en pension… » ; « jamais je n’enverrai mes enfants au pensionnat… » ; « J’ai tant souffert au pensionnat dans ma jeunesse. De grâce, mères de famille, ne placez pas vos jeunes chez les soeurs. Nous avons tant souffert de leur bigoterie. » Parmi les trois lettres qui appuient l’éditorial de Fernande Saint-Martin, une seule vient d’une femme qui affirme avoir été heureuse au pensionnat ; une autre est envoyée par un ancien religieux enseignant. Dans la troisième de ces lettres, un cri de rage contre Claire Martin et toutes celles qui ont écrit des lettres à son appui, on sent l’énormité de la menace que représentait cette critique des couvents et des autres institutions du Canada français traditionnel pour ceux et celles qui adhéraient encore aux anciennes valeurs :

Vous et vos semblables vous n’êtes que des gâtées et des indisciplinées pour saborder ainsi les autorités religieuses. Ce que vous dites est calomniateur et archifaux ! […] Mères de famille, sauvez vos jeunes, prenez la relève, préparez-les à devenir de futurs chefs d’état ! Placez-les dans de bons pensionnats et exigez de la discipline. C’est ainsi qu’on sauvera notre jeunesse.

Une lectrice, Val d’Or [27].

Plusieurs critiques masculins sont scandalisés par la dénonciation de la figure du père dans le récit de Martin, et l’on sent bien qu’en osant ainsi ridiculiser son bourreau elle a touché une corde sensible dans la structure de la culture canadienne-française traditionnelle. Non seulement le conservateur Clément Lockquell mais aussi un critique aussi libéral que Gilles Marcotte perçoivent qu’elle a « tué » le père, et se disent sceptiques par rapport à son affirmation d’avoir « tout pardonné ». Ici encore, il est clair que le fait qu’il s’agit d’un récit « vrai », et non d’un roman, y est pour beaucoup dans la violence de la réaction critique. « Peut-on pardonner à celui que l’on rejette dans l’inexistence ? demande Marcotte. L’enfant ne fait pas que souhaiter la mort du père ; elle la réalise psychologiquement, l’accomplit par son désir même [28]. » Quant à Lockquell, pour qui le livre se réduit à « un règlement de comptes », il se demande « si la haine du père n’est pas dépassée par la vengeance “littéraire” de sa fille ». « Le père qu’elle a assassiné dans son coeur, elle le tue aussi chez son interlocuteur. Ce n’est pas un type qu’elle exécute, c’est une personne concrète [29] », opine-t-il.

Pour certains critiques, le fait que Claire Martin est romancière influence leur jugement de ses mémoires et offre une échappatoire à la nécessité d’entendre son message. Roger Duhamel justifie ses doutes quant à la vérité du récit en suggérant que l’auteure s’est laissée aller à l’invention romanesque (« Comment réunir sous un même toit autant de femmes sottes et méchantes ? La romancière n’aurait-elle pas guidé la plume de la mémorialiste [30] ? ») ; tandis que Clément Lockquell suggère, au contraire, qu’elle aurait dû écrire le livre sous forme romanesque : « On eût souhaité que ces réquisitoires fussent “romancés” et ne pas reconnaître des vivants ou des cadavres réels dans les portraits cruels [31]. » Hélène Pelletier-Baillargeon soutient au fil d’une argumentation tortueuse dans la revue dominicaine Maintenant que, Dans un gant de fer étant une oeuvre d’art au même titre qu’«une guitare de Braque » ou « une femme de Picasso », la question de la fidélité ou non de son portrait des religieuses n’a pas d’importance. Selon elle, c’est une évocation « symbolique » de la société canadienne-française que nous livre Claire Martin, à qui elle reproche, comme aux autres romanciers de sa génération, d’«err[er] trop souvent dans les couloirs désaffectés du musée de notre préhistoire [32] ».

Les échanges épistolaires de l’auteure avec de tels critiques (presque tous membres du clergé ou associés à des publications officielles de l’Église) jettent une lumière intéressante sur ces années de transition au Québec, où différentes versions de la « vérité » luttaient entre elles pour le contrôle de l’espace discursif. Après avoir lu l’article d’Hélène Pelletier-Baillargeon, que la critique elle-même lui a envoyé, Martin lui écrit pour exprimer son désaccord avec la présentation de ses mémoires comme une représentation « symbolique » du réel : « À mon idée, on ne peut jamais comparer l’autobiographie et le roman, même si celui-ci est souvent autobiographique. Je m’explique : l’univers religieux de mes mémoires est la cause de l’univers a-religieux de mes romans. » Quant au « musée de notre préhistoire » dans lequel la critique l’a accusée de se complaire, elle réplique qu’il est impossible de minimiser le droit et l’importance de témoigner de ce qu’on a vécu et souffert, quelles que soient les conditions de l’époque dans laquelle on écrit. Enfin, en réponse à la tentative de Pelletier-Baillargeon de la récupérer pour l’Église en affirmant qu’« un artiste paisiblement agnostique recourt rarement à la symbolique religieuse », Claire Martin offre ceci : « Je suis, au contraire de ce que vous semblez croire, très paisiblement agnostique et […] je l’ai toujours été après l’âge de raison, c’est-à-dire à la page 100 du tome 1 pour être plus précis [33]. » Le ton de ses lettres à Romain Légaré, qui l’avait accusée de mensonge ou d’exagération, est plus hostile : « Vous n’avez pas le droit de mettre en doute les faits que je raconte. On ne peut pas dire à quelqu’un qu’il ment que lorsqu’on a la preuve qu’il ment. Or, cette preuve il est impossible de l’avoir parce qu’il est impossible qu’elle existe [34]. »

Comme les critiques hostiles, les très nombreuses recensions positives se préoccupent surtout de l’aspect référentiel des mémoires. Une autre ancienne du couvent des Ursulines, Francion (le pseudonyme de Lisette Morin), est l’une des premières à faire l’éloge du livre et à témoigner de sa valeur documentaire. « Autobiographie, certes, que ce livre, mais en même temps récit d’une époque, d’une enfance, de la soumission féminine québécoise aux années vingt », écrit-elle [35]. Pour Céline Légaré, écrivant dans La Patrie, « [c]’est un livre dur, à la fois passionné et lucide, qui dévoile l’immense, l’irréparable gâchis de l’éducation de toute une génération de femmes [36] ». Pour Jean-Guy Pilon, le livre de Martin, avec ses

portraits des religieuses […] précis, complets, vivants et réalistes […] est le plus dur témoignage qui ait été apporté contre les pensionnats, les bonnes soeurs et l’éducation religieuse en cette « terre-Québec ». Je pense qu’aucun document de cette force n’a été déposé devant la Commission Parent, et c’est dommage, car ce témoignage est vrai : c’est celui, écrit par un auteur de talent, d’un enfant comme beaucoup d’autres qui a été la proie des religieuses, et elles sont voraces [37].

Ceux et celles qui reconnaissent dans le livre un écho de leurs propres expériences sentent souvent le besoin de joindre leurs propres témoignages à celui de l’auteure, créant une sorte de dénonciation collective des injustices du passé et du présent qui est bien résumée dans ce commentaire d’Alain Pontaut :

Cette expérience n’est pas unique : dans combien de villages, dans combien de maisons… Elle est donc communicable. Elle s’adresse à bien d’autres femmes, d’autres soeurs, considérant que son devoir est de plaider pour elles, de dire, de dénoncer pour elles les raisons de leur enfance saccagée, de leur intelligence mutilée, de leurs sens traumatisés, de leurs vies détruites.

Détruites, ce qui est bien le pire, au nom d‘une religion d’amour [38].

La réception privée

En dehors de la critique officielle, le grand nombre de témoignages offerts à l’auteure dans des lettres personnelles [39] constitue un autre indice de la valeur représentative de ces mémoires. La réponse des lecteurs fut énorme — on la soupçonne même sans précédent dans l’histoire des lettres québécoises — et à chacun des correspondants Claire Martin a adressé une réponse personnelle. C’était comme si dans l’échange personnel avec l’auteure s’opérait une sorte de thérapie collective.

Beaucoup de lettres viennent de gens « ordinaires » qui se montrent touchés comme ils ne l’ont jamais été auparavant par une oeuvre littéraire. « C’est la première fois que j’écris à un auteur pour le féliciter et l’encourager à continuer […] Je me propose de lire tout ce que vous avez écrit », dit une lettre typique. Un certain Alcide Gagnon de Saint-Jean, ayant appris par sa bibliothécaire municipale que Claire Martin allait bientôt venir dans son village, lui écrit :

C’est un homme de 42 ans marié et père de quatre enfants qui se présente à vous. Il se présente parce qu’il admire tellement votre style qu’il veut vous dire toute son admiration. Il a lu tout [sic] vos volumes au moins une fois mais par trois fois La Joue Gauche et La Joue Droite.

Et il termine sa lettre,

Je ne suis pas riche madame et me sens un peu confus de vous demander ceci mais mon épouse et moi aimerions tant vous recevoir chez nous. Vous ne seriez pas reçue comme au Château Laurier mais j’espère que tout de même vous accepterez de venir prendre un repas chez nous. Si vous acceptez je vous promets que je n’aborderai pas le sujet de votre père…

Une lettre délirante dénonçant les méfaits de l’Église, écrite en trois couleurs d’encre par un homme un peu fanatique, commence ainsi :

Madame Claire Martin, je suis un ouvrier qui a passé toute sa vie à travailler dans les grandes usines du grand Montréal. Vos deux livres Dans un gant de fer et La joue droite se lisent beaucoup aux usines et les ouvriers en sont ravis et nous en discutons ensemble aux usines.

L’enveloppe contient aussi une coupure de journal montrant une annonce de La joue droite avec une photo de l’auteure, sur laquelle le correspondant a écrit : « Claire Martin les ouvriers vous aiment. » Enfin, une dame montréalaise qui a rencontré l’auteure au Salon du Livre de Montréal quelque jours auparavant lui envoie un long poème en alexandrins inspiré par la rencontre, dont voici un court extrait :

Oui je retournerai vous serrer la main,

J’ose même espérer, ô madame Martin,

Que vous ressentirez combien je suis émue

Et combien je vous loue en mon for ingénu [40].

La grande majorité des lettres viennent de femmes, dont toutes ou presque toutes disent à quel point elles se sont reconnues dans le portrait dressé par l’auteure de son enfance et surtout de ses années au couvent. Couvrant toutes les générations depuis le début du siècle, ces lettres constituent à elles seules un document important sur l’éducation au Québec. « J’ai commencé mes études primaires quelque vingt ans après l’époque dont vous faites le réquisitoire, mais je vous assure que les choses n’avaient pas évolué ; je crois même qu’elles avaient empiré », dit l’une des femmes ; tandis qu’une autre, qui affirme avoir dix ans de moins que l’auteure, écrit : « Dans un gant de fer a ravivé chez moi les cendres d’un passé que je croyais à jamais éteint [sic], car, à l’instar des gens de ma génération (40 ans) j’ai connu et côtoyé les “soeurs” (telles que vous les décrivez). Je les ai observées accusatrices… méchantes… sournoises. » Encore une autre, une jeune femme de vingt-six ans, se dit bouleversée par la lecture de Dans un gant de fer parce qu’elle y a retrouvé « le mystère et certaine réponse à la vie de ma propre mère, vie qui est demeurée, elle, inemployée, malheureuse, même dans son mariage ». Parmi les témoignages les plus émouvants sont ceux de femmes qui se souviennent d’avoir été traitées de « méchantes » au couvent, comme Claire Martin l’a été. L’une de celles-ci, née cinq ans avant l’auteure, réfléchit à « nos pensionnats, aux péchés mortels, aux crimes et aux petites filles pas bonnes » en ajoutant, « [j]’étais de ces dernières, et j’ai fait une bonne femme ».

Certaines lettres évoquent en maints détails des enfances aussi pénibles que celle de Claire Martin : « J’étais l’aînée des treize ! Mon père était petit, pauvre, ivrogne, ignorant. Ma mère ressemblait à la vôtre. Elle a 62 ans. Mon père est interné depuis dix ans. » Parfois les lettres sont franchement des exercices de thérapie ou une sorte de courrier du coeur, où les lectrices font part de leurs problèmes et demandent des conseils. Une célibataire de 49 ans, élevée par un père « qui par bien des points ressemble au vôtre croyez-moi », écrit à Claire Martin parce que l’une de ses amies l’a fait et a reçu une réponse. « J’habite en fin de semaine avec un homme marié de 70 ans qui me domine et ne me rend pas heureuse », confie-t-elle à l’auteure. « Je sais que je devrais le quitter mais j’ai peur de vivre seule. Que dois-je faire ? » D’autres lettres proviennent de parents que la lecture du livre a amenés à regarder d’un nouvel oeil leur propre comportement à l’égard de leurs enfants, telle cette jeune mère qui a eu quatre enfants en six ans et qui écrit : « Ma sérénité s’est envolée depuis que je vous ai lue. Je m’interroge sur chacun de mes actes, chacune de mes paroles. Je vous crois le plus efficace missionnaire — comme Thérèse de Lisieux et sans jamais quitter votre appartement — d’Amour. » L’amour a été le message du livre aussi pour cette femme qui a vécu des expériences semblables à celles de l’auteure au couvent et qui écrit : « Vos livres m’ont aidée à leur pardonner, à m’enlever l’impulsion presque irrésistible de dire ma façon de penser à la première religieuse venue. » En plus des lettres, les dossiers contiennent quelques notes griffonnées par Claire Martin résumant le contenu de nombreux appels téléphoniques du même genre : « Un père de famille. Depuis qu’il a lu mon livre, bouleversé. Il battait ses enfants. Il pensait qu’ils oublieraient » ; « Une lectrice : “J’essaie de donner à mes enfants ce que je n’ai pas reçu. Il faut tout inventer. Il faut partir de rien” » ; ou encore : « Une lectrice : “Jamais je ne pardonnerai”. »

Il est clair que pour ces lectrices et lecteurs, à la différence de certains des critiques, il n’y a aucune confusion quant au genre du livre : ils et elles savent bien qu’ils ont lu une autobiographie, une « histoire vraie », et non pas une oeuvre d’imagination. Toutefois, la puissance évocatrice du livre est si grande que certains lecteurs ont réagi comme ils l’auraient fait devant un bon roman. Une lectrice écrit pour demander une suite («Vite, écrivez-nous la suite de ce récit captivant ; j’aimerais connaître le sort de votre demi-frère Gérard, les deux autres mariages de votre père, enfin, tous vos personnages si sympathiques ») ; une autre se montre avare de détails supplémentaires sur les différents « acteurs » du drame :

Comme je m’en voudrais d’ignorer quoi que ce soit sur votre dernier ouvrage, et même au risque de passer pour indiscrète, je vous prie de bien vouloir me dire re : page 31, pourquoi votre père a projeté votre mère en bas de l’escalier et comment s’en est tiré le bébé ? Gérard, votre demi-frère a-t-il été élevé par votre mère ? Étiez-vous sept avec ou sans lui ? Êtes-vous retournée à la maison paternelle longtemps après le grand départ ? Votre père a-t-il fini ses jours dans une institution ?

Il ne s’agit nullement ici d’un « mélange de genres » postmoderne, mais plutôt d’un art de raconter si captivant qu’il rivalise avec le genre romanesque. Ce paradoxe, Jean-Louis Major le résume avec beaucoup de finesse dans une longue et très belle lettre à l’auteure :

Vous avez cristallisé dans vos mémoires ce que tant de romans, presque toujours ratés […] tant de rationalisations à tous les niveaux ont voulu exprimer, ce que manifestent aujourd’hui tant de démissions, de peurs, de complexes, tout un passé avec lequel les uns essaient de rompre ou auquel les autres sont enchaînés.

Et vous l’avez fait, poursuit-il, par la perspective que vous adoptez sur votre enfance :

Chaque instant, si pénible, si sordide, si douloureux soit-il, devient transparent, de cette belle transparence qu’est l’amour lucide. Car ce récit, fait surtout de malheurs et de douleurs, est, en fin de compte, un acte d’amour ; c’est ce qui transparaît dans toutes vos phrases, c’est ce qui donne à chaque ligne sa qualité d’émotion contenue, à chaque événement sa force exemplaire, à l’ensemble du récit sa netteté d’évocation. […] Dans un gant de fer est tout entier marqué par l’amour de la vie. Un amour qui n’exclut ni les splendides flambées de la colère, ni la joyeuse ironie : il faut être mollusque pour tout avaler et le véritable amour de la vie est aussi dans la révolte.

Conclusion

Comme l’indiquent si bien les phrases précédentes de Jean-Louis Major, la « vérité » des mémoires de Claire Martin dépasse de loin la simple dimension référentielle, car il s’agit d’une oeuvre littéraire, dans laquelle — tout comme dans un roman — le réel est transposé et doté d’une cohérence et d’une signification qui portent l’empreinte de la vision unique de l’auteur. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive Robert Vigneault, après son excellent survol de la réception critique de Dans un gant de fer. Selon Vigneault, le débat autour de la véridicité des mémoires était en porte-à-faux, car il réduisait le livre à une simple chronique sociale, ignorant non seulement sa valeur représentative mais aussi le fait que « les Mémoires passent nécessairement par une subjectivité [et] ne sont donc pas vrais, au sens d’une conformité absolue avec le réel [41] ». En outre, ajoute-t-il,

il s’agit toujours, par définition, dans le cas du discours littéraire, d’un monde construit, dont l’organisation relève de lois propres. […] Il faut donc chercher ailleurs que dans l’exactitude factuelle, d’ailleurs sans intérêt littéraire, ce qui fait la vérité des mémoires [42].

Est-il possible d’aller plus loin que ce constat de l’incontestable « vérité littéraire » de Dans un gant de fer, toutefois, pour tirer quelques conclusions quant à sa valeur en tant que document historique ? À ce propos, il est important de noter que, à la différence de l’autobiographie « typique », le livre de Claire Martin participe aussi au genre de l’essai, en ce sens que l’auteure généralise à partir de ses propres expériences et offre une analyse des conditions idéologiques qui ont permis et même encouragé de tels abus au sein de la famille et dans les institutions religieuses. La réception publique et surtout privée du livre constitue une preuve émouvante du bien-fondé de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle n’était pas la seule à être ainsi persécutée.

En même temps, on ne peut évaluer la « vérité » de ces mémoires sans tenir compte de leur date de publication, les années de la Révolution tranquille. Car la condamnation salutaire et nécessaire des institutions religieuses et de leurs valeurs dont Dans un gant de fer est la plus éloquente expression fait partie d’un souffle de libération et de colère qui, appréhendé à quarante ans de distance, apparaît comme quelque peu dénué de nuances. La confrontation hostile entre les admirateurs et les détracteurs du livre lors de sa parution, si caractéristique d’une époque de transition dramatique, fait place dans la génération suivante à des tentatives plus distanciées d’évaluer ces institutions, en particulier les pensionnats. Pour l’historienne féministe Micheline Dumont, il est impossible d’en arriver à une réponse catégorique aux questions sur le rôle des religieuses dans la formation des jeunes filles : « Étaient-elles des personnes éclairées responsables d’avances scolaires, ou, au contraire, des pourvoyeuses de propagande pour une idéologie aliénante [43] ? » demande-t-elle. Dumont nous offre le portrait d’une institution dont les nombreuses contradictions n’étaient tenues en échec que par la rigidité du carcan idéologique en place. Tout en énumérant plusieurs aspects positifs du rôle joué par les religieuses « dans la pédagogie, dans l’établissement des programmes d’études, dans l’allongement de la scolarité destinée aux filles, dans le travail non rémunéré qu’elles ont fourni à tous les stades du processus », et en affirmant même « le caractère très inventif et parfois même avant-gardiste de plusieurs religieuses enseignantes [44] », elle constate le caractère sclérosé de la formation offerte dans les pensionnats pendant plus d’un siècle. Fondé sur les valeurs religieuses et organisé autour d’activités qui récompensaient la bonne conduite, la discipline et la soumission, le mode de vie des couventines devait sa perpétuité à une épuration systématique de toute expression d’individualité ou de révolte :

Celles qui ont « mauvais esprit » sont stigmatisées : elles n’arborent ni ruban, ni médaille, ni couronne. Et leur révolte a peu de chance de s’exprimer : à la rentrée suivante, on ne verra plus leurs sourires effrontés ; on n’entendra plus leurs voix moqueuses ; le bel alignement des couventines ne sera plus rompu par leur dissipation [45].

Claire Martin était de celles-là, et elle a eu sa revanche : une oeuvre qui, en plus de ses qualités littéraires, constitue un document essentiel sur le fonctionnement d’un système qui a broyé tant de jeunes vies.