L’autre versant de La vie en proseUne entrevue génétique[Notice]

  • Yolande Villemaire et
  • Danielle Constantin

L’entrevue génétique  se distingue par le fait que l’interviewer s’appuie sur ses connaissances de l’archive de l’écrivain. Peut ainsi s’établir entre les interlocuteurs un dialogue visant à élucider certains des processus qui ont sous-tendu la composition et l’écriture d’oeuvres dont les traces avant-textuelles ont été conservées. Une telle entrevue sollicite la mémoire de l’écrivain en lui demandant de se souvenir d’événements scripturaux qui, parfois, remontent à plusieurs années ; d’ailleurs, il démontre souvent plus d’assurance dans des questions touchant les grandes lignes et le contexte de son travail (chronologie, méthode, rapport avec son éditeur…) que dans celles relatives aux détails et aux accidents de la rédaction (ratures, réécritures…). Et puis, il y a la part inéluctable de fabulation qu’implique la mise en récit des souvenirs évoqués. Malgré tout, au-delà des incertitudes, des approximations et des manques fragilisant immanquablement ce travail mémoriel, celle ou celui qui a imaginé, planifié et réalisé l’oeuvre demeure une source unique d’informations et de réflexions sur sa genèse. Il importe de recueillir ces vivants témoignages. Cette entrevue sur la genèse de La vie en prose  a eu lieu dans l’après-midi du 14 décembre 2000, rue Holt, dans le quartier Rosemont de Montréal, à cette ancienne usine de cigares, maintenant convertie en un édifice où la Bibliothèque nationale du Québec conserve sa collection de fonds d’archives privées. Michel Biron, directeur de la collection, nous avait alloué une salle particulière en nous permettant d’avoir avec nous tous les documents génétiques du roman . Au moment de l’entrevue, Yolande Villemaire terminait la rédaction de son roman Des petits fruits rouges  et elle en avait emporté certains manuscrits de même que quelques autres du Dieu dansant , qui n’avaient pas encore été déposés à la BNQ. La rencontre a duré près de trois heures au cours desquelles nous avons alterné entre l’examen et la discussion des avant-textes de La vie en prose afin de susciter l’anamnèse et les réponses de Yolande Villemaire à une série de questions préétablies. En 1989, je m’en allais en Inde ; je partais pour un an mais j’espérais m’exiler — j’ai vécu quelques tentatives d’exil dans ma vie. J’avais un loft et j’ai tout liquidé avant de partir : j’ai vendu tous mes meubles, j’ai donné plein d’objets personnels et je suis allée porter mes manuscrits à la Bibliothèque nationale. Cette fois-là, j’ai donné tous les manuscrits que j’avais, y compris les cahiers d’enfance et les cahiers du secondaire, même si je ne les avais pas tous gardés et que ma mère, moins conservatrice que moi, en avait aussi jeté. J’ai un côté archiviste, je pense, j’aime garder les manuscrits, même si je ne connaissais pas la génétique littéraire. En 1989, comme la Bibliothèque nationale n’avait plus de budgets pour acheter les manuscrits, j’ai fait une donation en échange d’un crédit d’impôt. Cela faisait mon affaire. J’ai une personnalité fragmentée avec laquelle j’ai toujours dû composer ; cette fragmentation est la source, entre autres, de l’anxiété qui a fait que l’écriture est devenue dès l’enfance cette « maille de résilience ». Quand j’écrivais La vie en prose, et la même chose m’arrive avec le livre que je suis en train de faire en ce moment, je me sentais comme une enfant en train de jouer. L’écriture, c’est comme les jeux de l’enfance, d’où l’importance de la matière, des différents crayons, des différentes encres. Et puis en France, il y avait des sortes de feutres et de cahiers qu’on n’avait pas encore chez nous en 1977. Je me suis aussi procuré de magnifiques cahiers népalais ; vous m’en avez montré un tantôt. Je me rappelle …

Parties annexes