Chroniques : Dramaturgie

Voyager pour souffrir[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Michel Tremblay, qui signe la préface de La trilogie des dragons , écrit de cette pièce qu’elle est celle où « le Québécois aurait pour la première fois le droit de voyager pour souffrir au lieu de rester irrémédiablement prisonnier du pays et de ses malheurs » (7). On notera d’abord cette étonnante association entre deux dramaturges aux esthétiques aussi opposées, mais on notera surtout, et avec beaucoup de bonheur, la publication, près de vingt ans après sa création, d’une des oeuvres les plus marquantes qu’ait réalisées Robert Lepage, et certainement celle qui a affirmé sa réputation internationale. Le texte, cependant, n’est pas de Lepage seul, et la signature, qui réunit les noms de Marie Brassard, de Jean Casault, de Lorraine Côté, de Marie Gignac et de Marie Michaud, rappelle le rôle joué par les acteurs, quelques-uns des plus brillants de leur génération, dans la conception de ces spectacles. En outre, et en cela fidèle à ses engagements, Lepage a confié l’édition de la pièce à la maison L’instant même, installée dans la ville de Québec, tout comme le Périscope, la scène hôtesse du Théâtre Repère. L’acte de publication est radicalement neuf dans la démarche du groupe. Jusqu’à présent, en effet, la mémoire de ce travail avait été assurée par des journalistes et des chercheurs universitaires, qui ont écrit l’histoire du théâtre ou bien étudié la démarche propre au théâtre de recherche . Les amateurs, a fortiori ceux et celles qui avaient raté la représentation, avaient à peu près renoncé à pouvoir lire un jour le texte de La trilogie des dragons. Plusieurs, dont je suis, avaient même cru que semblable spectacle, relevant d’un théâtre plutôt centré sur l’image que sur le texte, ne pouvait peut-être tout simplement pas trouver de forme écrite aussi définitive que celle du livre. À tort. S’il est vrai que La trilogie des dragons est avare de mots, et que cette logique du silence, qui marque les dialogues, doit être compensée par la description du décor et du mouvement, c’est-à-dire par des didascalies en forte expansion, il n’en reste pas moins que le pari de l’écriture est tenu. L’on retrouve avec plaisir la mémoire d’un spectacle sobre et majestueux à la fois, déployant sur trois générations — la pièce couvre à peu près un demi-siècle — les difficiles relations entre les communautés francophone et chinoise de la ville de Québec, en même temps que leur itinéraire en territoire nord-américain. La structure de la trilogie est née d’une image qui nous sera expliquée à la fin, dans les dessins de Yukali, une jeune peintre qui vit à Vancouver : « These are dragons : the green dragon, the red dragon and the white dragon. It’s a trilogy . » (157) Le dragon, ajoute-t-elle, représente une part de soi qu’il faut combattre pour atteindre quelque chose de plus grand. Aussi, chaque pièce correspond-elle à un dragon singulier, dont la couleur est précisée dans le titre. L’action du Dragon vert se passe à Québec, entre 1932 et 1935, au lieu même qui fut jadis celui d’un petit Chinatown, devenu depuis un stationnement. Deux adolescentes, Jeanne et Françoise, sont à la croisée de leur destin, au moment d’entreprendre leur vie d’adulte. La Crise et une partie de poker scellent le destin de Jeanne que son père livre à Lee, neveu et héritier du blanchisseur Wong, récemment décédé. Le dragon rouge déplace l’action vers Toronto, entre 1935 et 1955. Mariée à Lee, Jeanne accouche de sa fille Stella qui sera élevée dans le quartier chinois. Bientôt victime d’une méningite, Stella doit toutefois être internée dans un hôpital et …

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