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Publié à titre posthume en 1951, Les enfances de Fanny constitue un roman pour le moins singulier et assez difficile à catégoriser : même si cette oeuvre est inspirée d’un épisode marquant de la vie d’Eugène Seers, alias Louis Dantin, il ne s’agit pas pour autant d’un roman autobiographique strictement dit, puisque sa visée première est de rendre compte de la vie de Fanny Johnston, cette femme noire qui a été la compagne de Dantin entre 1922 et avril 1924. Pour mieux caractériser Les enfances de Fanny, il faudrait sans doute parler plutôt d’un hommage rendu à une personne disparue, mais rédigé sous la forme d’un roman accessible au plus grand nombre, en dépit du tabou qu’il ne pouvait manquer de transgresser dans le contexte des années 1940. Cette visée essentiellement démocratique peut surprendre quand on connaît le raffinement de la pensée de Dantin et l’étendue de sa culture, mais elle n’est pas étrangère à l’intérêt que portait l’écrivain à certaines formes de culture populaire, comme à la poésie de Jehan Rictus, dont l’influence a été déterminante pour lui. Cela dit, cette visée apparaît surtout liée à l’expérience américaine de Dantin et à son adaptation à son pays d’accueil. Au moment où il rédige Les enfances de Fanny, entre 1935 et 1943, Dantin s’est très bien conformé à la vie aux États-Unis, un pays où il habite depuis 1903, et dont il connaît non seulement le tissu social, mais aussi la culture et la littérature. Il y a travaillé (comme typographe), il y a veillé à l’éducation (en anglais) de son fils, Joseph Adéodat, il a longuement arpenté les rues de Cambridge et de Boston, il en a fréquenté les musées, les théâtres et les cinémas, il y a adhéré aux idées socialistes et égalitaires, en vogue dans les années 1930, et il y a découvert progressivement les écrivains américains, qu’il s’agisse de Walt Whitman ou d’Eugene O’Neill. C’est donc un Louis Dantin certes toujours francophile mais profondément américanisé qui entreprend, en 1935, la rédaction des Enfances de Fanny, un roman qu’on peut considérer comme l’aboutissement de son expérience américaine et en un certain sens comme l’expression de son acculturation. Cette étude vise ainsi à proposer une nouvelle lecture de l’unique roman de Louis Dantin, à la lumière de l’impact de l’exil de l’écrivain aux États-Unis et des circonstances ayant entouré la genèse de ce même roman. Nous verrons comment l’américanité des Enfances de Fanny, qui s’exprime par les liens que le roman entretient avec le mythe du grand roman américain et avec tout un ensemble d’intertextes états-uniens, est tributaire de l’expérience vécue par Dantin à Boston et des conditions particulières dans lesquelles il a élaboré son roman, plus spécifiquement sa découverte de la communauté noire, de sa culture et de sa littérature.

Un canadien errant

Le départ de Louis Dantin pour les États-Unis en février 1903 ressemble fort à une fuite : non seulement il abandonne les ordres religieux et laisse en plan son projet de publication des poésies de Nelligan, mais il part de surcroît avec une femme mariée, Clotilde Lacroix, épouse Lamarre, qui amène avec elle sa petite fille, Eugénie, qui n’est âgée que d’un mois. En arrivant à Boston, Dantin déniche un poste d’apprenti puis de typographe chez Caustic & Claffin, poste qu’il occupera jusqu’en novembre 1919 (il devient alors typographe pour les presses universitaires de Harvard). C’est également à Boston que naît, le 4 février 1904, Joseph Adéodat Seers, qui est le fils naturel de Dantin et de Clotilde Lacroix. Même si nous avons peu de détails sur la vie de Dantin entre 1903 et 1909, nous pouvons supposer qu’il est très occupé par son travail et par les soins requis par deux enfants en bas âge. Ce n’est qu’en 1909 qu’il reprend peu à peu contact avec son milieu d’origine : il entreprend alors une correspondance avec Germain Beaulieu, devenu président de l’École littéraire de Montréal, et il se rend à Montréal avec son fils dans l’espoir de renouer avec sa famille. Cet espoir est vite déçu et bientôt aggravé par le départ de Clotilde Lacroix, qui quitte Dantin en octobre 1909 pour aller vivre avec Jules Marie, un Français de Saint-Pierre-et-Miquelon occupant un emploi de cuisinier au séminaire de Brighton, tout près de Cambridge. Dantin conserve néanmoins la garde de son fils et consacre bientôt l’essentiel de son énergie à veiller sur son éducation. Ce n’est donc qu’à partir de 1920, au moment où Joseph Adéodat est âgé de seize ans, qu’il renoue véritablement avec le milieu littéraire canadien-français.

Cette coupure pour le moins radicale entre Dantin et son milieu d’origine, qui a duré près de vingt ans, a beaucoup contribué à l’idée qu’on s’est faite de l’exil douloureux de Dantin, autant parmi ses contemporains que chez ceux qui figureront plus tard parmi ses meilleurs critiques. Dans Louis Dantin. Sa vie et son oeuvre, Gabriel Nadeau a livré ainsi un témoignage empreint de sensibilité sur les premières années de la vie de Dantin à Boston, dans un chapitre intitulé « La vie en exil », qui met en lumière la monotonie de son travail et de son existence, sa solitude, ses déboires amoureux, ainsi que les soucis que lui causent l’éducation de son fils. Le ton est donné : « Le voici maintenant dans ce pays, dans cette ville où son existence désormais s’enferme complètement. Il y passera quarante ans, à regretter le passé, à souffrir en silence, à supporter patiemment les épreuves de tous les jours [1]. » Pour caractériser la période de 1903 à 1909, Réjean Robidoux parlera pour sa part de « six années de désert [2] », tandis qu’Yvette Francoli utilisera l’expression « Louis Dantin du fond de son exil [3] » pour désigner la période allant de 1909 à 1920.

Sans vouloir minimiser ici les difficultés rencontrées par Dantin au cours de ces années d’isolement, il convient néanmoins de les relativiser quelque peu : en effet, la nouvelle vie de Dantin prend place dans une des grandes villes des États-Unis, qui, loin d’être un désert culturel, est une capitale intellectuelle et universitaire de tout premier plan. Certes, Dantin y vit dans des conditions modestes, mais non dans la misère ni même la pauvreté. Dès 1907, il achète une première maison, sise au 7, rue Suffolk, à Cambridge (de même qu’une presse manuelle, qu’il nomme « The Suffolk Press » et qui lui permet d’arrondir ses fins de mois), puis une deuxième en 1912, toujours à Cambridge, mais située celle-ci sur la rue Walden (au 97), maison qu’il habitera à partir de 1919 [4]. Il faut aussi souligner que Dantin n’est pas coupé de sa province natale ni du monde francophone, loin de là, et ce, même avant 1920 : selon Yvette Francoli, il lit La Presse et « semble très au courant de ce qui se passe à Montréal dans le domaine des lettres [5] ». Il lui est donné de fréquenter des francophones, assez nombreux à Boston et dans ses environs, comme la famille Marie, qui habite dans son voisinage immédiat et avec laquelle il entretient une relation suivie [6], de même que les Vigerie et les Duquesnel.

Bref, l’existence de Louis Dantin à Boston n’est pas seulement caractérisée par la solitude et l’isolement. Si on fait exception de sa coupure radicale avec sa famille demeurée au Québec, il se trouve dans une position qui peut se comparer à celle de plusieurs Franco-Américains qui se sont exilés comme lui mais qui se sont acclimatés rapidement à leur nouveau milieu de vie, quand ils ne se sont pas tout simplement assimilés à la majorité [7]. C’est ainsi qu’à partir de 1920, même s’il devient un acteur important (pour ne pas dire central) de la vie littéraire au Québec, Louis Dantin s’américanise progressivement, ne serait-ce que dans le cadre de son travail aux presses universitaires de Harvard et de par la nécessité de communiquer avec son fils, qui ne parle pas couramment le français et qui fréquente l’école anglaise. Dantin semble d’ailleurs s’être résigné à donner à son fils une éducation assez conventionnelle, beaucoup plus terre-à-terre et pragmatique que celle qu’il a reçue en tout cas. Joseph Adéodat marchera ainsi loin des brisées de son père : inscrit d’abord au Ridge Technical High School puis au Massachusetts Institute of Technology entre 1921 et 1924, il en sortira avec un diplôme d’ingénieur avant de s’installer à Washington [8]. C’est aussi pendant les années 1920 que Louis Dantin fait la connaissance de Fanny Johnston et est amené du même coup à fréquenter la communauté noire de Boston, ce qui semble changer radicalement son rapport au monde, comme le suggère Rosaire Dion-Lévesque dans sa préface aux Enfances de Fanny : « C’est à Cambridge, et plus tard à Roxbury, cette petite Afrique de Boston, que Louis Dantin trouva chez les Noirs l’affection et la sympathie dont il avait une soif ardente [9]. »

Ce mouvement d’américanisation de Louis Dantin s’accélère dans les années 1930, notamment avec la découverte en 1932 de l’oeuvre de Walt Whitman, sous l’impulsion du poète franco-américain Rosaire Dion-Lévesque, puis avec la chronique sur le livre américain qui paraît sous sa signature dans Le Jour entre 1938 et 1942. Selon Placide Gaboury, la littérature américaine est ainsi devenue, à la fin de sa vie, « la vraie patrie de Dantin [10] ». Ce mouvement semble aller de pair avec le désintérêt progressif de Dantin pour la littérature canadienne, mouvement qui est perceptible, selon Yvette Francoli, « dès le début des années 1930 [11] », et qui va en s’accentuant à partir de 1935, donc au moment même où il entreprend la rédaction des Enfances de Fanny. Le 21 juin 1935, il écrit ainsi à Alfred DesRochers : « Je n’ai d’ailleurs qu’un regret, c’est de n’avoir pas employé mon effervescence d’antan à la production d’oeuvres originales plutôt que de m’attarder à tant de critiques [12]. » Dantin est aussi marqué par la crise des années 1930 et par la montée du fascisme, qui blesse profondément son idéal de justice et d’égalité ; il n’en est que plus critique à l’égard de la vie politique du Québec et particulièrement du régime de Duplessis, comme il le confie à Louvigny de Montigny dans une lettre datée de 1938 : « J’aime mieux vivre sous le régime large, humain, progressif de Roosevelt que sous la férule moyenâgeuse de Duplessis dans un Québec voué aux plus tyranniques et aux plus sottes intolérances, occupé à barrer d’obstacles toutes les avenues d’un meilleur avenir [13]. »

La genèse du roman

Ces considérations biographiques éclairent sous un jour nouveau la rédaction des Enfances de Fanny. Ce roman, qui n’a en apparence rien de canadien, est un roman américain, mais écrit en français. Il est nourri à la fois par l’expérience américaine de Dantin et par sa connaissance des auteurs américains de son temps ; en cela, il est conforme à un horizon d’attente qui n’est pas précisément celui du lectorat canadien de l’époque, mais qui appartient à un autre type, plus proche de la culture américaine, et même afro-américaine. C’est d’ailleurs ce que nous suggère la genèse du roman, dont les circonstances ont été bien étudiées par Gabriel Nadeau dans son petit ouvrage intitulé Dantin parmi les nègres. Dantin et l’Universal Bureau (1968), qui constitue une véritable mine de renseignements à ce sujet. Nadeau rappelle ainsi qu’en 1926, Dantin avait en tête « deux projets bien définis [14] » gravitant tous deux autour du thème des relations interraciales, un sujet tabou à l’époque, même dans une ville aussi libérale que Boston : « L’un serait l’histoire du Dr McGann et de son infirmière, histoire qu’il tenait de Fanny ; l’autre, son histoire à lui. Deux récits en anglais et destinés à des revues nègres [15]. » Selon Nadeau, Dantin était conscient du scandale qu’auraient pu provoquer de tels récits et avait pensé pour cette raison les publier dans une revue noire comme The Messenger, où ils auraient moins de chances de subir les foudres des bien-pensants. Le docteur Nadeau a d’ailleurs relevé la diffusion, dans The Messenger, d’un prospectus d’appel de textes de fiction pour la revue, qui insistait sur la lisibilité des textes visés : « Words should be short, simple and familiar [16]. » On peut y voir l’origine du style à la fois simple et dépouillé mais aussi sensible et expressif qui caractérise Les enfances de Fanny. Ce style tranche singulièrement avec ce qu’on pourrait attendre d’un intellectuel de la trempe de Dantin, comme l’avait noté Marine Leland, professeure de français au Smith College, qui a été une des premières lectrices du roman : « L’impression qui m’est restée de son roman, et je la livre pour ce qu’elle peut valoir, c’est celle d’une oeuvre remarquablement naïve, enfantine presque, qui étonne sous la plume d’un intellectuel qui, dans le domaine des idées pures, n’avait absolument rien d’un naïf [17]. » Il est vrai que le style des Enfances de Fanny se distingue nettement de celui qui caractérise l’ensemble de l’oeuvre de Dantin [18], mais on peut justement y voir l’empreinte d’un nouveau rapport à la littérature, rapport nourri de l’expérience vécue par l’écrivain, à la fois humaine, sociale, culturelle, littéraire et artistique, dans son milieu d’adoption. C’est d’ailleurs ce que suggère François Hébert quand il fait le bilan de l’oeuvre de Dantin : « Mais sa voix aura été plus naturelle en présence des corps. Et des gens simples, des pauvres, des déchus, des exilés dans l’âme, ses semblables. On retiendra au moins cela, qui n’est pas peu [19]. »

Pour en revenir à la genèse du roman, il faut noter que Dantin délaisse bientôt ses deux projets, à la suite de la visite que lui rend Olivar Asselin en septembre 1926, le journaliste l’encourageant alors à se tourner vers la pratique de la critique. Il ne reviendra à la rédaction des Enfances de Fanny qu’en 1935, à l’âge de soixante-dix ans. Même s’il travaille toujours aux presses universitaires de Harvard (il ne sera mis à pied qu’en mars 1938), l’heure des bilans semble venue pour lui. Cette fois, il choisit de rédiger son roman en français : il n’est donc plus question de le publier dans une revue américaine, la visée de l’oeuvre se situant désormais à un autre niveau, plus intime et personnel, d’autant que Dantin redoutait le scandale qu’aurait pu causer la publication de son roman, crainte qui sera d’ailleurs confirmée par le tollé que provoquera la parution, en 1944, de Strange Fruit de Lillian Smith, un roman condamné par la « Watch and Ward Society » de Boston, un organisme voué au respect de la moralité publique. Dans sa préface du roman, Rosaire Dion-Lévesque rapporte que Dantin avait néanmoins songé à faire publier son roman en feuilleton dans un journal haïtien, mais qu’il ne donna pas suite à cette idée, préférant plutôt lui léguer le manuscrit de son roman pour qu’il soit publié après sa mort.

Ce manuscrit, qui est conservé au Centre d’archives de Montréal, comporte cent quatre-vingt-seize feuillets, dont cent quatre-vingt-onze sont de la main de Dantin, les cinq derniers ayant été dactylographiés par Rosaire Dion-Lévesque. Il contient aussi une note manuscrite écrite par ce dernier, note qu’on peut lire comme suit : « Dantin m’envoyait “par tranches” les feuillets de ce roman, que je tapais à la machine pour lui. Lorsqu’il devint complètement aveugle, il me demanda de rédiger les dernières pages qu’il approuva [20]. » Le manuscrit est rédigé avec beaucoup de soin et ne contient que peu d’ajouts et de ratures ; il s’agit manifestement d’un deuxième ou d’un troisième jet, encore qu’il soit impossible de le prouver formellement, d’autant plus que Dantin était habitué d’écrire à la main, comme les gens instruits de son temps. Les modifications apportées au manuscrit visent généralement à en alléger le style et à en préciser le sens. Il convient néanmoins de noter l’existence de quelques modifications significatives ; par exemple, quand il parle des chants religieux des Noirs américains, Dantin remplace le mot « hymnes » par « spirituels », ce qui dénote une volonté de mieux coller à la réalité socioculturelle de la communauté noire (les spirituals). L’auteur semble aussi soucieux de ne pas prêter flanc aux critiques moralisatrices, rayant à deux reprises les mots « jouir » et « jouissances », de même que le mot « avides ». Le seul passage du manuscrit qui renferme de nombreux ajouts et ratures se trouve au feuillet 147 : ce passage est d’ailleurs consacré aux charmes de Fanny, ce qui témoigne du souci de Dantin de ne pas heurter de front les sensibilités. Mais il ne s’agit autrement que de rétablir l’exactitude de certains détails chronologiques (comme la mère de Fanny n’a pu être l’esclave du planteur Johnston, Dantin la remplace tout simplement par l’aïeule) ou démographiques (Dantin ramenant de cent mille à trente mille le nombre d’habitants du quartier de Roxbury, à Boston). Toutefois, un long passage relatant l’agonie de Fanny est rayé à la fin du manuscrit, passage qui a néanmoins été reproduit par Rosaire Dion-Lévesque dans les pages tapuscrites qui viennent clore le document. Pourquoi Dantin a-t-il rayé ce passage ? Parce qu’il ne lui plaisait pas ? Ou par dépit devant sa cécité devenue presque complète ? Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas permis de le savoir.

Il existe néanmoins une différence importante entre le manuscrit et le roman tel qu’il a été publié : c’est le titre, et plus précisément le sous-titre. La page titre du manuscrit se lit ainsi : « Les enfances de Fanny (Scènes de la vie des Noirs aux États-Unis) ». Dans la version publiée sous les soins de Rosaire Dion-Lévesque, le sous-titre a tout simplement disparu. Le programme de lecture du roman se trouve ainsi déplacé du groupe vers l’individu : la référence à la collectivité noire et aux États-Unis en général a disparu pour laisser toute la place au personnage de Fanny et au thème de l’enfance, d’ailleurs surdéterminé par l’emploi du pluriel. Même s’il n’est pas du ressort de Dantin, ce choix n’en contribue pas moins à mettre l’accent sur une thématique qui est chère aux écrivains américains, comme Mark Twain (Huckleberry Finn) ou encore Jerome David Salinger (The Catcher in the Rye[21].

L’écriture des Enfances de Fanny, qui, comme nous l’avons mentionné plus haut, commence en 1935 pour se terminer en juillet 1943, correspond à la période où Dantin s’intéresse de plus en plus à la littérature américaine et de moins en moins à la littérature canadienne. En septembre 1937, il s’abonne ainsi à la bibliothèque de Boston et se tourne résolument vers la littérature de langue anglaise, en confiant : « C’est toute une éducation que je reprends et recommence [22]. » En avril 1938, il inaugure d’ailleurs sa chronique sur le livre américain au journal Le Jour de Jean-Charles Harvey. Comme cette collaboration, qui ne prend fin qu’en 1942, recoupe en bonne partie la rédaction des Enfances de Fanny, il est possible d’y déceler, à défaut d’influences clairement identifiables (à quelques exceptions près), la mise en place d’une nouvelle conception du romanesque et du littéraire chez Dantin. Il convient de rappeler ici que dans sa chronique, Dantin traite non seulement de romans, mais aussi d’essais ; du même coup, il tend souvent à se situer plus près du social que du poétique. Le but de Dantin est non seulement d’éclairer les lecteurs du Jour sur la littérature américaine et sur le livre américain en général, mais aussi sur les États-Unis. Sans partager nécessairement l’admiration du directeur du journal, Jean-Charles Harvey, à l’égard de ce pays, Dantin le connaît bien pour y avoir vécu depuis plus de trente ans.

Au même titre que ses articles rédigés pour Le Jour, Les enfances de Fanny est un roman caractérisé par cette connaissance des États-Unis, qui sont devenus le pays d’adoption de Dantin. Son univers familier ne correspond plus à Montréal et à ses environs ; il se situe désormais à Boston, en Nouvelle-Angleterre, et même à Washington, où habite son fils. Il en va de même pour les lectures de Dantin : au moment où il rédige Les enfances de Fanny, il ne commente plus les écrivains québécois, mais bien les auteurs américains. Serait-ce donc de ce côté qu’il faudrait chercher les sources de son roman ? La question mérite d’être posée, même si la manière de Dantin dans Les enfances de Fanny n’est pas radicalement différente de celle qui caractérise les nouvelles de La vie en rêve, à l’exception de deux éléments peut-être : dans Les enfances de Fanny, Dantin se trouve dans l’obligation de composer avec la durée romanesque d’une part et les nécessités du réalisme social d’autre part. En effet, l’intrigue du roman se déroule sur une longue période de temps et met en scène une foule de personnages qui permettent à Dantin de brosser une vaste fresque de la communauté noire américaine. Le roman prend ainsi des dimensions considérables, ce qui forme un contraste frappant avec les fictions antérieures de l’écrivain. En ce sens, Les enfances de Fanny est bel et bien le grand roman américain de Louis Dantin.

Si on consulte sa chronique sur le livre américain, on ne peut manquer d’être frappé par le fait que plusieurs des livres qui ont eu la faveur de Dantin relèvent d’ailleurs du mythe littéraire du grand roman américain (qui appelle à la création d’une oeuvre destinée à rendre compte de la quintessence de l’expérience nationale), mythe qui a d’ailleurs été bien étudié par le critique H. R. Brown dans un article publié en 1935 [23], dont Louis Dantin aurait bien pu prendre connaissance. Parmi ces livres, il faut mentionner en premier lieu le roman Native Son de Richard Wright, publié en 1940, non pas tant pour la violence meurtrière qui en sourd, mais parce qu’il s’agit du « premier roman à décrire la condition noire en milieu urbain [24] » et qu’il est inspiré par le propre déracinement de Wright, qui a quitté le Mississippi pour monter vers Chicago, un peu comme Fanny quand elle a laissé derrière elle la Virginie pour se rendre à Boston. Dantin a aussi beaucoup apprécié The Grapes of Wrath de John Steinbeck, publié en 1939, ce roman touchant de près à ses préoccupations sociales et égalitaires, ainsi que The Heart is a Lonely Hunter, de Carson McCullers, publié en 1940, dont l’action se déroule dans une ville du Sud et qui est « à certains égards un roman de la Dépression, animé par le souci de sauver de l’oubli la vie obscure des petites gens [25] ». Ces trois maîtres livres, qui sont devenus des classiques de la littérature américaine, composent en quelque sorte le terreau dans lequel s’enracine Les enfances de Fanny, qui raconte dans leur sillage direct mais à sa propre façon une autre Amérique, peuplée de gens ordinaires, de déracinés, de marginaux, d’oubliés. Il convient néanmoins de rappeler que d’autres romans, aujourd’hui moins connus que les précédents, ont contribué dans une certaine mesure à la genèse des Enfances de Fanny, comme Kitty Foyle (1939), de Christopher Morley, qui a été un des best-sellers de l’époque et qui a été porté à l’écran en 1940, The Yearling (1938), de Marjorie Kinnan Rawlings, un roman qui a d’ailleurs influencé Germaine Guèvremont dans son écriture du Survenant [26], ainsi que We are Ten (1937), un recueil de nouvelles de Fannie Hurst. Toutes ces oeuvres éclairent d’un jour nouveau l’écriture des Enfances de Fanny.

Une errance américaine

L’américanité du roman de Louis Dantin se manifeste de plusieurs façons. La première partie du roman, qui est consacrée à la jeunesse de Fanny à Greenway, en Virginie, se déroule dans le sud des États-Unis et met en branle tout le réseau d’images associées à cette partie du pays : la ségrégation raciale, l’omniprésence du sentiment religieux et de la foi évangélique, la misère de la communauté noire, etc. En un sens, nous ne sommes pas très loin de l’univers de Uncle Tom’s Cabin (1852) de Harriet Beecher Stowe, comme le suggère d’ailleurs l’incipit du roman, qui met d’emblée l’accent sur l’image de la masure : « Fanny venait de rentrer à la case, toute en pleurs. Sa soeur aînée, qui la logeait chez elle et l’avait sous sa garde, l’avait surprise grimpant aux arbres avec une bande de garçons de son âge et l’avait corrigée sur place. » (EF, 14) Descendantes d’une femme qui « avait été l’esclave préférée, disait-on, du planteur Johnston » (EF, 15), Fanny et Linda vivent « dans une cabane rustique » (EF, 15) et tirent leur subsistance « de la culture d’un minuscule lopin de terre et du produit de quelques poules » (EF, 15), ainsi que du travail de la soeur aînée « chez les familles blanches de l’endroit » (EF, 15). C’est dans ce décor familier au lectorat américain que Louis Dantin campe l’action de son roman, en insistant dès le départ sur le contraste entre les deux soeurs, l’aînée ayant « puisé aux prêches qu’elle fréquentait, aux exhortations farouches de revivalistes, un esprit puritain, austère » (EF, 15-16), tandis que dans les veines de la plus jeune court « la sève exubérante des jungles » (EF, 16). D’entrée de jeu, Louis Dantin reconduit ainsi certaines images tenaces qui sont caractéristiques de la représentation traditionnelle des Noirs américains : la case, le passé marqué par l’esclavagisme, la ferveur religieuse, la force de l’instinct, etc. Le roman emprunte aussi à la tradition des « road books », issue des récits de Jack London (The Road) et relayée par les chansons de Woody Guthrie, une tradition incarnée dans le roman par Robert, un des fils de Fanny, qui choisit de « prendre la route » (EF, 65) et de devenir, au grand désespoir de sa mère, « un de ces vagabonds qui vont au hasard des grandes routes, en quête d’un repas et d’un gîte, voyageant aux essieux des trains de marchandises, subissant la pluie et la neige, couchant sous les étoiles, dans les granges ou dans les refuges de nuit ! » (EF, 66)

Cela étant dit, la véritable américanité des Enfances de Fanny se situe sur un autre plan, plus culturel que littéraire, à deux exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons un peu plus loin. La majeure partie du roman brosse en effet le portrait d’une contrée urbaine et moderne, bercée par le jazz, le blues et les spirituals, ainsi que par les chansons populaires et la danse. En cela, Les enfances de Fanny est un roman caractéristique du passage à la modernité et à l’urbanité. Le voyage qui mène Fanny de Greenway à Boston semble d’ailleurs reproduire l’exode des Canadiens français vers les villes de la Nouvelle-Angleterre (voire la fuite de Dantin vers Boston), mais dans son volet positif et libérateur, comme le suggère ce passage que nous nous permettons de citer en entier :

Elle retrouve tout son rire, toutes ses chansons, toutes ses saillies. Il lui semble qu’un manteau de plomb a glissé de son être qu’il opprimait. Elle se sent allégée et libre, et pouvant lutter de jeunesse avec les jeunes qui l’entourent. L’aspect de la grande ville, qu’elle voit pour la première fois, l’éblouit et l’excite. Les étages sans fin des bâtisses énormes ; les rues bordées de somptueuses boutiques, sillonnées de tramways, d’autos, grouillantes de foules affairées, l’émerveillent comme faisait jadis, dans les champs de Greenway, la profusion des fleurs et des oiseaux. Elle aime y rêver au hasard, en quête de surprises et de découvertes. Fanny sent renaître en son âme les instincts endormis de son enfance, sa belle audace et ses élans impétueux.

EF, 74

Cette image de la ville qui s’offre comme un espace de liberté et de régénération est enrichie par les échos dont elle résonne, tout particulièrement à Roxbury, qui est non seulement décrit comme « le Harlem de Boston » (EF, 75) et comme un lieu de tolérance où les liaisons libres sont monnaie courante, mais aussi comme un quartier où on « entend plus d’éclats de rire que dans le Back-Bay haut-huppé » (EF, 79) et où « [l]es danses, les fréquents “parties”, disent sa joie de vivre, si dure que la vie soit souvent » (EF, 79). Roxbury est en fait décrit comme un espace sonore, comme une caisse de résonance qui amplifie les formes musicales de prédilection des Noirs américains : « Son âme chaude et diverse est toute dans ses musiques : le “jazz” endiablé qui secoue ses nerfs vigoureux comme dans un défi au sort ; les “spirituels” où s’exalte sa confiance mystique ; et les “blues” qui ululent sa mélancolie et la plainte de ses servitudes. » (EF, 79) Le roman met aussi en évidence le goût qu’ont les Noirs pour la danse, qu’il s’agisse du two-step, du charleston, du black-bottom ou du tap-dancing. Bref, la ville décrite par Dantin dans son roman semble trancher singulièrement avec la vision quelque peu unidimensionnelle qu’on s’est faite de son exil à Boston, vision qui n’accorde que peu d’importance à l’expérience pourtant centrale de la grande ville. D’ailleurs, cette représentation de la ville dans le roman s’inscrit en faux contre le climat étouffant qui aux yeux de Dantin sévit toujours au Québec au tournant des années 1930 et 1940.

Il est d’ailleurs permis de supposer que Les enfances de Fanny comporte une importante face cachée et que la biographie consacrée à Fanny sert parfois à dissimuler l’autobiographie de Dantin. Tout comme ce dernier, qui a perdu les plus belles années de sa vie à se débattre avec une vocation religieuse pour laquelle il n’était pas fait, Fanny a été privée de sa jeunesse, qu’elle s’ingénie presque désespérément à revivre au tournant de sa vie, ce qu’exprime bien le titre du roman. C’est ainsi que le passage suivant, consacré à Fanny, pourrait aussi s’appliquer à Dantin tant il paraît bien résumer le drame de sa vie :

À trente-deux ans elle avait derrière elle toute une vie de labeur et de servitude. Elle n’avait pas eu de jeunesse. Une roue aveugle l’avait saisie enfant et la broyait depuis lors dans ses engrenages. Ç’avait été une longue enfance que ces années vouées au service de son maître dans une soumission naïve. Ses fils eux-mêmes avaient passé entre ses bras comme autant de poupées vivantes. Mais cette jeunesse manquée restait au fond d’elle-même, bouillante de forces comprimées.

EF, 67-68

Tout comme Fanny, Dantin renoue avec son enfance perdue quand il prend la fuite pour Boston avec Clotilde Lacroix. Il prend ainsi sa revanche sur le destin qui l’a séparé, neuf ans plus tôt, de Charlotte Beaufaux, une jeune fille de Bruxelles âgée de quinze ans avec qui il a entretenu une relation amoureuse alors qu’il était âgé lui-même de vingt-sept ans. Cette séparation représente l’un des souvenirs les plus douloureux de Dantin, si ce n’est sa blessure la plus profonde et inguérissable, qui semble se raviver chaque fois qu’il est abandonné par une femme, qu’il s’agisse de Clotilde Lacroix, de Joséphine Dagord ou de Florence Crawford. Or, il est pertinent de noter que le thème des amants séparés et de la jeunesse perdue est au centre de l’intertexte américain le plus significatif du roman, le poème Evangeline de Henry Wadsworth Longfellow, qui figure parmi les classiques de la littérature américaine : inspiré entre autres par La saga de Frithiof d’Esias Tegner et par Hermann und Dorothea de Goethe, Longfellow a transposé dans le contexte américain le thème de la séparation des jeunes amants, qui sont arrachés l’un à l’autre sur le rivage de Grand-Pré et qui ne parviennent à se retrouver qu’au crépuscule de leur vie, au terme d’une longue errance dans l’espace nord-américain [27]. Il n’est donc pas surprenant que Dantin fasse une allusion directe à Evangeline dans son roman, au moment où Donat Sylvain surprend Fanny alors qu’elle est occupée à feuilleter un de ses livres, ce qui éveille en lui un « lancinant souvenir » (EF, 196). Ce livre, c’est précisément Evangeline, qui résume de façon remarquable le destin de Louis Dantin, et dans un sens celui de Fanny : à l’âge de quinze ans, cette dernière a choisi de lier son destin à son instituteur, Monsieur Lewis, un homme qui est déjà dans la trentaine et qui ne va d’ailleurs pas sans rappeler, par l’étendue de sa culture, Louis Dantin lui-même. C’est ainsi que, repoussant les avances de Charlie Ross, un garçon de son âge, Fanny s’engage dans une relation de type intergénérationnel, ce qui va d’ailleurs causer, à terme, sa mort. En effet, Charlie, qui a rejoint Fanny à Boston, va la blesser de façon accidentelle, et elle va bientôt mourir au bout de son sang, comme pour expier sa faute originelle, celle de ne pas avoir su aimer un homme de son âge et de sa condition.

C’est à ce stade qu’entre en ligne de compte un autre intertexte américain, beaucoup plus discret celui-là, mais très révélateur des forces souterraines qui travaillent le roman de Dantin. On sait que, lassé de Fanny, qui lui a donné quatre garçons, Monsieur Lewis a entrepris une relation avec une femme de son âge, Martha Bledsoe, relation qui vise sans doute à remédier au fossé générationnel qui le sépare progressivement de Fanny :

Monsieur Lewis, pourtant, n’était plus tout à fait le même. Une lente fissure semblait s’être ouverte et s’élargir avec le temps dans ses sentiments pour Fanny. Était-ce que le contraste entre leurs âges, leurs caractères, devînt plus apparent à mesure qu’avançait leur vie ? L’homme mûr se lassait-il de cette enfant qui n’avait jamais grandi ?

EF, 49

Un jour, Fanny apprend, par Charlie Ross justement, que Monsieur Lewis la trompe ; commence alors pour elle une vie secrète, marquée par le sentiment de l’abandon, un sentiment que Dantin connaît très bien d’ailleurs : « Chaque jeudi surtout l’agitait d’un nouveau tourment. Elle savait maintenant à quelle heure de l’après-midi Monsieur Lewis allait rejoindre Martha Bledsoe ; elle se les figurait marchant, les mains liées, sous la voûte des grands ormes. » (EF, 53) À la fin de cette phrase, Dantin traduit presque mot pour mot le titre d’une des pièces les plus connues d’Eugene O’Neill, Desire Under the Elms (1925), qui accorde justement une place centrale à l’amour intergénérationnel, puisqu’elle met en scène un père tyrannique dont la jeune femme est convoitée par un de ses trois fils nés d’un premier lit. Dans le roman de Louis Dantin, c’est Charlie Ross qui joue le rôle de ce fils en ceci qu’il cherche à ravir Fanny aux deux hommes d’âge mûr sur lesquels elle a successivement jeté son dévolu : Monsieur Lewis et Donat Sylvain.

Dans cette perspective, il est intéressant de noter que Lewis est la forme anglaise de Louis, et que le personnage de Monsieur Lewis renvoie de fait à Louis Dantin, au même titre que celui de Donat Sylvain. Ils figurent tous deux le regret qui habite l’écrivain d’être passé à côté de sa jeunesse et le remords d’avoir dû enfreindre le tabou de l’amour intergénérationnel.

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Les enfances de Fanny puise ainsi une partie importante de son ressort dramatique dans la vie de Dantin et dans la place qu’y a joué le désir qu’il a toujours éprouvé non seulement pour les belles femmes, mais aussi pour les femmes plus jeunes que lui, qu’il s’agisse de Charlotte Beaufaux ou de Fanny Johnston. En conclusion de son essai intitulé Dantin parmi les nègres, Gabriel Nadeau écrit d’ailleurs des lignes qui jettent un éclairage particulier sur Les enfances de Fanny :

En cette année de 1928 deux événements importants sont arrivés. Le 23 juin, un samedi, une fillette se présente chez lui dans la veillée pour vendre des billets de loterie. Elle n’a que 13 ans ; son nom est Rose. Cette enfant grandira et deviendra femme sous ses yeux et l’accompagnera jusqu’à la tombe. En novembre Charlotte, l’autre enfant qu’il a aimée en Belgique, le retrouve enfin par delà l’océan, et celle-là aussi par son souvenir toujours rappelé le suivra jusqu’au tombeau. Ces deux visages désormais se mêlent et se confondent dans ses rêves et quand il caresse l’une, c’est l’autre aussi qu’il caresse. Pour Rose il écrira la Chanson citadine ; pour Charlotte, la Complainte du Coeur Noyé. Et toutes les deux il les pleurera dans la Chanson funéraire [28].

C’est ainsi que l’unique roman de Louis Dantin renvoie, par delà son américanité intrinsèque, au drame intime de l’écrivain. Simultanément nourri par la vie de Dantin aux États-Unis et par ses lectures américaines, Les enfances de Fanny s’avère en dernier recours un roman à clefs, qui s’appuie sur des intertextes (Longfellow, O’Neill) faisant référence à une blessure qui relève presque de l’indicible.

Cela étant dit, Les enfances de Fanny sollicite aussi des intertextes qui débordent largement du drame intime de l’écrivain en ce qu’ils illustrent l’émergence, chez Dantin, d’une nouvelle vision de la culture et de la littérature, une vision qui n’est plus française ni canadienne-française, mais bien américaine et même afro-américaine, comme on dit de nos jours. Fanny est ainsi « très ferrée sur la musique et sur la poésie de sa race » (EF, 228) : elle récite à Donat Sylvain « des poèmes de Claude McKay, de Paul Dunbar, de James Johnson, de Langston Hughes » (EF, 228), elle lui parle « des mélodies de Coleridge Taylor, des opéras de Lawrence Freeman, des chanteurs Roland Hays, Paul Robeson et Jules Bledsoe » (EF, 229). Les deux amants fréquentent ensemble les théâtres, et Donat est tellement émerveillé par The Green Pastures qu’il en vient à conclure : « S’il y a un art distinctement, spécifiquement américain, ce sont les noirs qui l’ont créé. » (EF, 231-232) Les enfances de Fanny se présente ainsi comme un roman qui oscille entre la détresse du passé et l’enchantement du présent, entre un monde fait d’interdits et un univers où tout est désormais possible.