Chroniques : Poésie

Aspects de la modernité[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

On a tellement usé et mésusé du mot modernité, depuis près de 50 ans, que l’on entrevoit le jour où il tombera gentiment en désuétude, tout comme la cigarette ou le Parti libéral. En attendant, voici quelques réflexions sur deux textes, l’un critique et l’autre poétique, où il trouve diversement matière à s’appliquer. La part incertaine, essai sur Hector de Saint-Denys Garneau par François Charron , et Entre cuir et peau, choix de poèmes de Lucien Francoeur , nous reportent vers deux époques où la tradition fut remise en question. François Charron aime Saint-Denys Garneau, au point de lui avoir consacré deux forts volumes. Le premier, d’environ 600 pages, intitulé L’obsession du mal , était un essai biographique passablement éloigné de la biographie événementielle. Il analysait surtout les grandes étapes de l’aventure intellectuelle, spirituelle et littéraire de l’écrivain, en relation avec l’idéologie du milieu. Comme les écrits de Saint-Denys Garneau, et en particulier son journal intime et sa correspondance, sont les sources privilégiées pour la connaissance du poète, la biographie de François Charron se nourrissait presque exclusivement de l’oeuvre. Les témoignages de contemporains étaient peu nombreux. Voici que Charron publie maintenant La part incertaine, essai sur la poésie et les écrits autobiographiques de Garneau. Il y en a pour 300 pages, mais le caractère est petit et le texte égale environ les deux tiers de l’essai précédent. La poésie fait l’objet d’un commentaire systématique, mais elle était déjà très présente dans L’obsession du mal, la dimension biographique lui étant forcément rapportée. C’est dire qu’on se retrouve en territoire connu, et bien connu. Les grandes orientations du commentaire présenté dans le premier livre sont reprises dans le deuxième, avec la seule différence qu’elles sont appliquées à la lecture des textes au lieu d’être constituées à partir d’eux. Voilà donc un premier aspect répétitif à signaler : le livre sur l’oeuvre recoupe le livre sur la vie, la vie et l’oeuvre renvoyant constamment l’une à l’autre. Mais il y a un second élément de répétition, encore plus gênant. Il tient au fait que François Charron, qui est poète et qui récuse la rhétorique universitaire — ce qui est parfaitement son droit —, rejette du même coup le développement linéaire des idées. Au lieu de progresser pas à pas dans l’exposé d’une situation ou d’une conjoncture intérieure, il formule d’un seul coup la chose et ses tenants et aboutissants, de sorte que chaque nouvelle analyse s’attache à débrouiller le même écheveau de significations que la précédente. Cela, dans un style chargé qui demande lui-même à être décrypté. En voici un exemple : Voilà bien le style et le mode de raisonnement de Charron. Dans un texte d’une vingtaine de lignes, tout le paquet des idées se presse pour la énième fois : Ces idées qui sont autant de thèses constamment affirmées et réaffirmées (mais non vraiment défendues) dans l’ensemble du livre s’accompagnent ici d’une proposition plus obscure, qui relève du lyrisme intellectuel de l’auteur. Elle se lit ainsi : « Garneau se saisit comme une forme qui ne peut se représenter à elle-même, et où plus rien n’arrive qu’un espace infranchissable. » (160) Un homme peut se saisir comme une forme ? Cette forme peut ne pas se représenter à elle-même ? Un espace infranchissable peut être cela seul qui arrive dans cette forme ? Comprenons en tout cas que le poète est quelqu’un à qui plus rien n’arrive, victime qu’il est de l’immobilisme social. Autour de ces idées en gravitent de complémentaires, qui prendront place dans le même essaim à l’occasion d’autres commentaires de poèmes. Par exemple : …

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