Dossier

Denis Vanier, un monstre dans la ruelle[Notice]

  • Simon Harel et
  • Jonathan Lamy

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  • Simon Harel
    Université du Québec à Montréal

  • Jonathan Lamy
    Université du Québec à Montréal

En dépit de la reconnaissance dont jouit l’oeuvre de Denis Vanier (1949-2000), les nombreux discours qui l’entourent — qui se retrouvent dans des journaux, des périodiques, et dans les livres de Vanier, sous forme de préfaces ou de postfaces — n’atteignent que rarement le statut d’une véritable étude. Il est désarmant de constater à quel point ce qui a été écrit sur cette oeuvre d’une rare intégrité fait surtout référence au personnage qui la chapeaute et qui y fait écran. Vanier est tour à tour un poète important, influent, maudit, tatoué, catholique, terroriste ou junkie, alors que ses textes, eux, ne sont qu’à peine abordés, jamais vraiment analysés . Les livres de Vanier — peut-être en raison de la violence, voire de l’horreur qui les traverse — trouvent pour écho des commentaires qui pratiquent le détournement, utilisent des stratégies pour les éviter. Comme l’écrit avec justesse Marcel Olscamp, « [o]n lit toujours Denis Vanier par effraction ; il fréquente des lieux tragiques et violents que le lecteur moyen préfère habituellement ignorer  ». Denis Vanier est lu, son oeuvre est connue, mais elle n’est pas étudiée. Le présent dossier souhaite combler ce que l’on peut considérer comme une lacune des études sur la poésie québécoise. Nous avons voulu réunir des articles qui, bien que personnels et créatifs, se démarquent du registre du témoignage, dans lequel versent souvent les commentaires sur l’oeuvre de Vanier. Dans ce dossier, Catherine Mavrikakis aborde la tension entre le reniement et l’exposition, de même que les images de soi et du corps présentes sur les livres et dans les poèmes de Vanier. Denise Brassard poursuit l’étude du corps à l’oeuvre chez Vanier en utilisant les figures du portrait et de l’autoportrait, de la mutation et de l’excarnation. Pour sa part, Thierry Bissonnette mène la double investigation de « l’entrechoquement du désir d’indépendance et de celui d’approbation » et du mythe de la Pentecôte chez l’auteur du Baptême de Judas. Jacques Paquin analyse quant à lui l’utilisation du discours médical dans l’oeuvre poétique de Vanier, ainsi que la cruauté qui l’accompagne. Finalement, Paul Chamberland s’interroge sur ces motifs de l’excès que sont le meurtre et la traîtrise au sein du travail d’écriture de Vanier. Parmi ces réflexions, deux motifs reviennent : les références au catholicisme et la dimension religieuse des poèmes de Vanier, ainsi que la tension entre, d’une part, un désir de singularité, de solitude et, d’autre part, un certain besoin de reconnaissance, de légitimation, auquel participent les nombreuses préfaces des livres de Vanier. L’oeuvre de Denis Vanier, de même que sa place dans la poésie québécoise, est à l’image de la murale qui lui rend hommage, dans une ruelle près des rues Ontario et Panet (voir figure 1). On en connaît l’existence, on l’évoque parfois, mais on préfère ne pas l’investir de trop près. Le nom de Vanier n’est pas associé à un buste, une place, une école ou une maison de la culture, comme c’est le cas pour Émile Nelligan, Gérald Godin, Anne Hébert ou Marie Uguay, mais à une discrète ruelle du quartier montréalais Hochelaga-Maisonneuve. Dans un poème intitulé « Futur noir », Vanier décrit un contexte géopoétique très sombre : La poésie québécoise a très peu traité des lieux que convoque Vanier : bars crasseux, restaurants minables, pizzerias, dépanneurs, pharmacies, buanderies. Autant d’espaces, réels et imaginaires, qui n’ont rien à voir avec l’acceptation habituelle du « poétique » et de ce qui l’incarnerait. La position particulière de Denis Vanier a également pour cause le fait qu’il n’appartient à aucune génération, courant ou école de la poésie québécoise. Il a commencé à publier …

Parties annexes