Chroniques : Essais/Études

Le passeur désenchanté[Notice]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Waterloo

Le sujet me semblait usé jusqu’à la corde. Je me suis dit avant de commencer à rédiger cette chronique : « Voilà, c’est mon dernier texte sur l’altérité et la migrance ! C’est fini. Je ne retournerai plus dans ces paysages littéraires coupés à blanc. Les études sur la question continueront sans doute à atterrir sur mon pupitre au même rythme où, depuis une quinzaine d’années, elles arrivent au secrétariat de Voix et Images. Ces recherches ne s’arrêteront pas sur la foi de mon désenchantement, c’est évident. Mais il faudra éventuellement que je dise non. » Il est vrai que le Québec a produit une large part d’études, certaines d’une grande nouveauté, sur la question de l’altérité et de la conscience migrante. Dans ce vaste chantier, comme le notait récemment Antonio D’Alfonso, il s’agissait d’opérer une mutation du discours identitaire, afin d’offrir à la modernité québécoise une voie moins conflictuelle, « qui permettrait de considérer deux éléments opposés, non comme des forces contraires, mais comme une source d’énergie qui nous donnerait de quoi sortir d’un cercle vicieux et qui nous empêcherait de retourner à notre point de départ  ». Peu à peu, à force d’arpenter les mêmes terres, cependant, cette énergie intellectuelle s’est dissipée, ne laissant que des ambiances préfabriquées dont persiste à se nourrir le discours critique sur la littérature. Certaines interventions récentes annoncent peut-être un changement de paradigme. Dans Les dépouilles de l’altérité , son dernier livre, Daniel Castillo Durante s’efforce de distinguer l’univers figé du stéréotype, auquel les figures d’altérité sont presque toujours réduites, et le vide mélancolique que les formes figées de l’autre recèlent toujours. Dans cette perspective, l’altérité n’apparaît que dans la « pétrification du langage ». Les catégories de l’étranger et du migrant ne donnent plus cours à des interprétations libératrices et ludiques. Pour Castillo Durante, la notion d’altérité se dérobe à elle-même, emportée par une vacuité qu’elle ne peut plus dissimuler. Ainsi, l’exilé devient profondément mélancolique devant le sentiment de la perte qui le hante et il ne trouve à s’exprimer que dans les paramètres d’un deuil difficilement assumé de l’origine : « Parler toujours, jusqu’à l’infini de l’objet perdu. En dernière instance, la perte est à la base de la mélancolie de l’étranger. L’écrivain en tant qu’étranger n’écrit que pour s’appartenir. Voilà son espoir et son leurre en même temps. » (200) Par son pessimisme, le livre de Castillo Durante marque un tournant théorique important, puisqu’il cherche à rendre compte de l’épuisement des concepts clés d’altérité et de migrance dans le discours intellectuel en Occident. Selon Castillo Durante, la notion d’altérité ne saurait être pensée aujourd’hui en dehors de l’érosion spectaculaire des figures de l’identité dans le contexte de la mondialisation des marchés économiques. En effet, l’autre constitue, dans sa singularité, un gênant obstacle à la libre circulation des ressources matérielles et humaines. Si l’altérité a pu se profiler comme une instance positive dans les théories récentes de la migrance, c’est qu’elle était le produit d’un humanisme bienveillant qui ne donnait pas à voir « la dégradation, l’avilissement et l’humiliation de l’autre » (63) dans les sociétés contemporaines. Désormais, soutient Castillo Durante, les figures de l’altérité sont dépourvues de légitimité dans une culture du vide qui cherche à aplanir tout jaillissement de la différence : « C’est comme si les cultures sous le mode de la reproduction technique des images se devaient d’exonérer leur responsabilité devant la mort de l’original par une exacerbation de l’identification au même. » (64) L’autre n’est alors plus qu’une « dépouille », puisque son identité propre se laisse saisir par une profonde et paradoxale expérience de …

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