Chroniques : Dramaturgie

Le théâtre en famille[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Pourquoi regrouper des textes qui mettent en scène des personnages d’enfants ? Disons, pour faire vite, que l’enfant n’est tel qu’en regard de cette forme déjà institutionnelle qu’est la famille, dont il permet de repenser la fonction. D’une part, l’enfant est le lieu où se cristallise la tension entre l’individu et le collectif dont il est membre. Contrairement aux adultes, qui se sont choisis mutuellement, l’enfant n’a pas décidé d’être là. La famille peut alors apparaître comme un lieu clos et étouffant ou comme un boulet dont l’individu voudrait se départir, mais que rien ne peut détacher. D’autre part, l’enfant est un héritier. Il porte en lui la mémoire, génétique et historique, de ceux qui sont venus avant lui. De son point de vue à lui, l’héritage est un acquis dont il faut profiter ou disposer. Selon la perspective des parents, il s’agit d’un donné à transmettre, à passer. L’enfant accepte ou refuse l’héritage, mais il ne peut pas l’ignorer. Un jour, à son tour, il deviendra passeur. La famille est ainsi une des formes dramatiques d’expression du temps et de l’histoire. La présence simultanée de plusieurs générations en scène nous entraîne toujours dans une réflexion sur la transmission. Dans la comédie classique, les enfants triomphent des pères dont le théâtre montre le ridicule. Dans le mélodrame, les enfants sont des victimes à qui l’auteur offre réparation. Se marque ainsi le sens de l’histoire où l’avenir doit toujours triompher du passé pour éviter que l’espèce ne s’éteigne. Dans un cas comme dans l’autre, l’enfant représente l’innocence. Ce n’est pas le cas des pièces dont il est question ici. Car la dramaturgie contemporaine a de bien curieuses manières de repenser l’expression de la famille au théâtre. À commencer par la mise en scène de personnages de plus en plus jeunes — « Il faudrait écrire une thèse sur la difficulté de trouver des comédiens pour jouer des enfants au théâtre  », rappelle Jean-Rok Gaudreault, — et la reconstitution d’une perspective, d’un point de vue qui respecte l’enfance, tout en étant audible pour les adultes. Et que dire de l’adolescence, moment emblématique du passage entre les générations ? Soumis ou insoumis, pervers ou courageux, ces enfants prennent ici vie sous le regard toujours un peu étonné, peut-être même inquiet, de leurs auteurs. On peut d’abord poser le problème de la représentation de l’enfance à la manière d’Évelyne de la Chenelière qui, dans Nicht retour, Mademoiselle , se demande s’il est possible de faire du théâtre en famille comme d’autres font du ski ou de la bicyclette. Voilà le théâtre conçu comme un sport ou un loisir, ce qui n’est pas banal. Posons le problème plus largement, car l’auteure ne se satisfait visiblement pas du caractère anecdotique de cette formulation, elle dont le travail est étroitement lié à celui du Théâtre expérimental de Montréal. La pièce y a d’ailleurs été créée le 30 novembre 2004, dans une interprétation de l’auteure, de son conjoint et de leurs enfants. Reformulée, la question pourrait être : qu’arrive-t-il quand un drame familial est joué par une vraie famille, quand l’identité entre l’acteur et le personnage est vécue sur un mode collectif ? Attention, précise l’auteure, « nous sommes des artistes mais aussi des parents responsables », c’est-à-dire que « quand il y a de l’école le lendemain, les enfants doivent se coucher tôt, pas question qu’ils jouent au théâtre » (83). Aussi la pièce est-elle publiée comme elle a été jouée, en deux versions, l’une avec les enfants, l’autre sans, et elle explore les conditions du théâtre, sa fonction voire sa signification sociale. Comment entendre le sous-titre …

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