Dossier

Introduction[Notice]

  • Jean-François Chassay et
  • Alexandre Drolet

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  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

  • Alexandre Drolet
    Université Laval

Un survol du travail effectué par Pierre Nepveu au cours des trente dernières années dévoile un paradoxe pour le moins surprenant. Tous s’entendent pour reconnaître la valeur exceptionnelle et la diversité de l’oeuvre de ce poète, critique, anthologiste et professeur de littérature, essayiste reconnu, romancier et bientôt biographe de Gaston Miron. Pourtant, trop peu de lectures critiques permettent d’en prendre la mesure. Primée trois fois par le prix du Gouverneur général, puis dernièrement par le prix Athanase-David (2005), l’oeuvre  de Pierre Nepveu mérite une attention particulière, ce que le présent dossier entend offrir en portant un regard d’ensemble sur une production qui a pris son envol dès 1969 avec la publication des premiers poèmes de l’auteur dans les Écrits du Canada français. Matière première de Voies rapides, recueil à paraître deux ans plus tard, ces poèmes ont d’emblée eu pour but de rompre avec la tradition de la poésie du pays qui a pourtant régné sur la Révolution tranquille. Même s’il la lit et s’en inspire abondamment (sa thèse de doctorat portera sur les trois auteurs phares que furent Gaston Miron, Paul-Marie Lapointe et Fernand Ouellette), Pierre Nepveu sent le besoin, à l’instar de ses contemporains, de s’éloigner de cette thématique en inscrivant son écriture dans une réalité beaucoup plus ancrée dans l’époque. En marge d’un courant fort qui fera dans la contre-culture, voire dans le formalisme, la poésie de Nepveu adoptera des sonorités urbaines qui marqueront fortement la première partie de son oeuvre poétique, ce qui se fait non sans dénoncer un certain mode de vie tendant vers la modernité de la société de consommation. Profondément Montréalais, l’auteur saura s’appuyer dès ses premiers textes sur les aléas d’un quotidien empreint de bruit, du chaos des routes et de ses voitures rutilantes. Alors que deux des recueils subséquents auront respectivement pour titre Épisodes (1977) et Romans-fleuves (1997), on comprendra à quel point le récit du quotidien prendra chez Pierre Nepveu une place singulière, passant progressivement de l’anecdote à l’événement. Si la plasticité des premiers recueils cherchait avant tout à représenter l’imminence de la catastrophe (notamment par le recours au fait divers), l’événement en vient à se préciser tel un enjeu majeur, en particulier au sein des deux derniers recueils publiés par l’auteur après un long silence d’une quinzaine d’années. On retrouvera d’abord dans Romans-fleuves deux poèmes se référant à des épisodes précis de l’Histoire, le premier s’intéressant au sombre destin du jeune Anthony Griffin, tué par un policier de Notre-Dame-de-Grâce à la suite d’une infraction mineure, alors que le deuxième évoque l’histoire d’Antônio Francisco Lisboa qui, malgré l’amputation des deux bras, a réussi à devenir le plus grand sculpteur religieux du Brésil. Mais surtout, c’est dans Lignes aériennes, recueil publié en 2002 en réaction au drame de Mirabel, que l’événement en vient à trouver son sens le plus précis, alors que Nepveu, puisant dans la blessure dont chacun témoigne, fait de l’expérience initiale de l’expropriation les lieux d’un combat unique, laissant place à l’horizon d’une longue et patiente quête de rétablissement du monde et de soi. À travers le récit du quotidien, les personnages, créés dans un décor inspiré du développement véridique du projet d’aéroport , en viennent à se regrouper afin de rendre de nouveau leur univers habitable. Mais pour ce faire, ils doivent non seulement transformer leur mémoire individuelle du passé en une mémoire partagée, mais faire de leur expérience du deuil un projet qui se voudra d’abord et avant tout collectif. C’est ainsi qu’en vient à se créer une véritable communauté qui réclame la nécessité de vivre ensemble afin de remplir un vide …

Parties annexes