Dossier

Entretien avec Pierre Nepveu[Notice]

  • Jean-François Chassay et
  • Alexandre Drolet

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  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

  • Alexandre Drolet
    Université Laval

Il y a aussi des souvenirs plus directement littéraires. Cette tante, Estelle, lisait beaucoup. Je me souviens de la parution de Suite marine de Robert Choquette en 1953 ; je n’avais que 7 ans. C’était de la poésie qui n’avait rien à voir avec celle qui était en train de naître à l’Hexagone, mais, pour ma tante, c’était vraiment un événement littéraire. Il y a eu d’ailleurs une grande soirée poétique cette année-là à l’Hôtel Windsor, animée par Robert Choquette et à laquelle ont assisté Miron et Anne Hébert. C’est aussi l’époque où Miron rencontre Gatien Lapointe. Alors il y a ce souvenir, mais aussi celui de la bibliothèque de mon grand-père. C’était l’époque où les poèmes de Saint-Denys Garneau, puis son Journal, venaient de paraître. Je me souviens encore, j’avais 10, 11 ans, d’avoir ouvert le livre des Poésies et d’avoir trouvé bien étrange ce langage tout découpé. C’est resté latent pendant longtemps, mais le lien avec Saint-Denys Garneau, pour moi, est fondamental parce qu’il a ensuite été relayé par un autre événement, qui concerne cette fois mon père. En 1960 ou 1961, il reçoit en cadeau Convergences de Jean Le Moyne, et pendant plusieurs semaines ce livre traîne sur la table à café du salon. Mon expérience au Collège Sainte-Marie m’a aussi fait découvrir un autre aspect de la culture, parce que le Collège se situait au coin de Bleury et de René-Lévesque (à l’époque Dorchester), donc en plein centre-ville, ce qui était nouveau pour moi. Mes amis et moi allions souvent sur la rue Crescent où il y avait à l’époque beaucoup de galeries d’art. C’est à ce moment que j’ai découvert l’art contemporain. Je me souviens de sculptures de Robert Roussil et d’Armand Vaillancourt. Il y en avait même une de Roussil qui était un échafaudage métallique, des tiges d’acier, qui a été ensuite enlevée. Un arbre aussi, sculpté par Vaillancourt. Mon intérêt pour l’art a vite pris le dessus sur les mathématiques, bien que j’aie continué à m’y intéresser sur le plan théorique. J’ai toujours gardé un grand intérêt pour les sciences, surtout les sciences physiques, les mathématiques, l’astrophysique… Par exemple, La nouvelle alliance de Prigogine et Stengers est un livre qui m’a beaucoup marqué. Cette réflexion sur la thermodynamique, sur les théories du chaos et la cybernétique est toujours restée très importante pour moi. Mais à partir de cette époque-là, mes principaux champs d’intérêt changent. C’est aussi l’époque où on se met à lire Parti pris. Je suis arrivé au Collège à l’automne 1962, et Parti pris paraît pour la première fois en octobre 1963, et on se met alors à lire Paul Chamberland, qui publie Terre Québec en 1964, L’afficheur hurle en 1965. Après la publication de L’afficheur hurle, il vient donner une conférence au Collège Sainte-Marie. À cette époque, je dirais qu’il était pour nous LE poète qu’on lisait, avec les romanciers de Parti pris, Jacques Renaud, André Major, Laurent Girouard. L’afficheur hurle me renversait. Je me souviens d’un détail important : Chamberland avait été présenté par un professeur noir, un Antillais, qui avait fait le lien avec Aimé Césaire. Effectivement, L’afficheur hurle doit beaucoup au Cahier d’un retour au pays natal de Césaire. Je ne connaissais pas celui-ci à l’époque, mais il m’est resté quelque chose de cette filiation avec la poésie des Antilles, toute la poésie de la négritude. C’est alors que je vais choisir d’aller en lettres à l’Université de Montréal, où je continuerai à écrire.

Parties annexes